samedi 30 septembre 2023

Carnet de bord 23/09/2023-29/09/2023



Films vus en compagnie
Le chanteur de Mexico de Richard Pottier (1956)
En traversant un village du Pays basque, un imprésario parisien, Cartoni, assiste à une fête où chante Vincent Etchebar. Il souhaite immédiatement l’engager mais ne réussit pas à l’approcher et doit se contenter de laisser sa carte de visite à Bilou, un ami d’enfance de Vincent. Encouragés par cet épisode, les deux compères décident de monter à la capitale pour tenter leur chance. Sans le sou, ils sont contraints de travailler dans le bâtiment jusqu’à ce que Vincent se fasse remarquer dans un radio-crochet auquel il a accepté de participer sous la pression de Bilou et de leur voisine du dessus, la dynamique Cricri.

Aujourd’hui oubliée, l’opérette fut très populaire de 1918 aux années 60 avec différentes déclinaisons et hauts-lieux à Paris et Marseille. Dans les années 30, sous l’administration de Maurice Lehmann, le théâtre du Châtelet devint le temple de l’opérette à grand spectacle. En 1950, il recruta le trio formé par le compositeur Francis Lopez, le librettiste Raymond Vincy et le chanteur Luis Mariano, qui avaient triomphé en 1945 avec La Belle de Cadix au Casino Montparnasse. Le succès fut au rendez-vous avec Le chanteur de Mexico en 1951, qui remplit la salle du Châtelet durant deux ans avec près de 900 représentations et 150 artistes sur scène.
Autrichien arrivé en France au début des années 30 pour superviser les versions françaises de longs métrages allemands, Ernst Deutsch s’installa dans le pays et prit le nom de Richard Pottier en 1934. Il œuvra dans les genres à la mode selon les besoins, notamment dans la comédie musicale, dirigeant Tino Rossi et Luis Mariano à quatre reprises. En 1956, il s’occupa de l’adaptation du Chanteur de Mexico en reprenant Luis Mariano dans le rôle-titre. Albert Pierjac fut remplacé par Bourvil, à la réputation grandissante grâce à son prix du meilleur acteur à la Mostra de Venise en septembre 1956 pour La traversée de Paris. Pour Cricri, la meneuse de revue belge Annie Cordy fut sélectionnée.
Le scénario du Chanteur de Mexico ne brille guère et sert de prétexte à lier des airs entrainants, tous intradiégétiques et restés pour certains dans les mémoires. Outre Le chanteur de Mexico, Luis Mariano interprète Rossignol de mes amours et Acapulco. Bourvil et Annie Cordy poussent également la chansonnette dans des registres comiques. Iels sont occasionnellement pénibles, surtout Bourvil cantonné dans sa classique figure de simplet gentil. Luis Mariano n’est pas franchement charismatique, il est cependant convenable et Le chanteur de Mexico rappelle par moment les comédies musicales hollywoodiennes de série B des années 40.


أشكال [Ashkal] de Youssef Chebbi (2022, Ashkal, l'enquête de Tunis)
Le corps d’un gardien de nuit est retrouvé calciné dans un immeuble désert d’un quartier en construction de Tunis. Quelques jours plus tard, une jeune fille carbonisée est découverte dans les environs. Tandis que la police locale voudrait étouffer l’affaire pour ne pas nuire aux notables du coin, l’inspectrice Fatma ne lâche pas le morceau, persuadée qu’il existe un lien entre les deux décès.

Le cinéma de genre n’est plus confiné à Hollywood ou à l’exploitation fauchée, il s’est immiscé dans des productions prestigieuses et dans le cinéma d’auteur partout dans le monde. Il transparaît parfois par touches subtiles au sein d’un film de festival, à l’exemple de Feathers (2021). Dans Ashkal, pur thriller sous influence japonaise, il est clairement assumé. Youssef Chebbi avait revu Cure (1997) de Kiyoshi Kurosawa avant de commencer le projet, il s’en est inspiré en transposant l’action dans un Tunis oppressant et désolé peuplé de policiers corrompus sur fond de musique acoustique bruitiste.
Il ne se passe pas grand-chose, le rythme mou et l’absence de réponses à l’énigme centrale rebutera sans doute nombre de spectateurs. J’ai apprécié la façon dont Youssef Chebbi recourt à une intrigue policière mâtinée de fantastique pour mettre en avant les problèmes de la société tunisienne, s’éloignant de la simple dénonciation édifiante qui m’agace dans les films de festival et offrant une inhabituelle image nocturne et citadine de la Tunisie. Les deux personnages principaux sont taiseux et solitaires : la novice Fatma, exclue par ses collègues à cause de son père juge qui enquête sur les violences policières, cherche à prouver sa valeur ; son partenaire Batal essaye de tirer un trait sur un passé peu reluisant. Si on adhère à son ambiance particulière et qu’on tolère ses longueurs, Ashkal est une expérience enrichissante qui présente un point de vue singulier sur une Tunisie en transition, encore en proie aux démons de la dictature.


Hamlet liikemaailmassa d’Aki Kaurismäki (1987, Hamlet Goes Business)
Klaus empoisonne son patron, se marie avec sa veuve et prend la tête de la compagnie. Hamlet, qui détient 51% du capital et aurait dû remplacer son défunt géniteur, ne semble pas préoccupé par les évènements, obnubilé par Ofelia, la fille du gestionnaire Polonius. Quand Klaus demande au comité directeur la vente de la majorité des actifs afin de racheter une usine de fabrication de canards en plastique, Hamlet dévoile son jeu et fait obstruction.

Après le Hamlet japonais, le finlandais. Il se rapproche dans l’esprit des Salauds dorment en paix (1960) de Kurosawa, adoptant une idée identique d’actualisation du texte dans le microcosme d’une entreprise moderne. Kaurismäki y ajoute une parodie de film noir en noir et blanc avec son typique humour à froid. Mis en scène entre Ombres au paradis (1986) et Ariel (1988), deux des composantes de sa trilogie du prolétariat, Hamlet liikemaailmassa se positionne du côté d’une bourgeoisie immorale et cupide, sous les yeux navrées d’une classe ouvrière guère intéressée par les querelles de leurs chefs. Kaurismäki se vanta de n’avoir jamais lu le drame de Shakespeare, se contentant de compulser deux-trois pages avant de tourner immédiatement la séquence correspondante. Réalité ou provocation ? Difficile avec lui de se prononcer. Idem lorsqu’il déclare préférer les adaptations littéraires à la transposition de ses scénarios originaux car cela lui laisse davantage de temps pour aller au bar. Hamlet liikemaailmassa est le second volet d’une trilogie Shakespearienne finlandaise, suivant Macbeth (1987) de Pauli Pentti et précédant un Roi Lear qui ne vit pas le jour.
En dépit d’un concept amusant, Kaurismäki donne l’impression, à l’instar de Calamari Union (1985), de ne pas savoir où il va (ce qui était probablement le cas) et il s’enlise. La trame est étonnamment fidèle au classique de Shakespeare, récupérant les péripéties de la pièce et une moitié les dialogues. Il y a une dérision absurde plaisante et des blagues à plusieurs niveaux complètement tartes (la palme revenant à un jeu de mots sur le nom Hamlet qui ne fonctionne qu’en traduisant le finlandais en anglais). Un curiosité donc pour un Kaurismäki mineur.


Still Alice de Richard Glatzer & Wash Westmoreland (2014)
Alice Howland est une brillante professeure de linguistique à Harvard, qui a mené sa carrière en élevant trois enfants. Affectée depuis peu de troubles de la mémoire, elle consulte un neurochirurgien qui lui diagnostique un Alzheimer génétique précoce à seulement 50 ans. Alice a bâti sa vie sur ses exceptionnelles facultés intellectuelles et est dévastée. Son entourage a également des difficultés à accepter la situation et son déclin progressif, notamment son époux médecin.

Jouer une personne atteinte d’une maladie mentale dans de l’indé américain est un bon moyen de rafler les récompenses, Julianne Moore succédant à la psychotique Natalie Portman (Black Swan (2010)), à la sénile Meryl Streep (La dame de fer (2011)), à la bipolaire Jennifer Lawrence (Happiness Therapy (2012)) et à la dépressive Cate Blanchett (Blue Jasmine (2013)). Je craignais un récit très conventionnel et je n’ai pas été déçu, c’est adroitement construit mais on ressort avec un fort sentiment de déjà-vu. J’ai été particulièrement agacé par le suspense autour du suicide d’Alice et j’avais apprécié pour cela Other People (2016) : dès l’ouverture, ils montraient la mort de l’héroïne, évacuant le sujet et évitant un pathos de mauvais goût. Still Alice est l’ultime réalisation de Richard Glatzer, décédé en mars 2015 de la maladie de Charcot et qui ne pouvait plus parler sur le plateau.


Kubo and the Two Strings de Travis Knight (2016, Kubo et l'armure magique)
Dans le Japon médiéval, Kubo, un garçon borgne, vit chichement en donnant des spectacles d’origami dans une bourgade proche. Il habite dans une grotte avec sa mère souffrante, qui a fui sa famille douze ans auparavant. Elle est persuadée que le grand-père de Kubo veut les débusquer pour arracher le deuxième œil de son fils et que ce dernier ne doit sous aucun prétexte être dehors à la nuit tombée. Un jour, distrait par la cérémonie des lanternes organisée pendant O-Bon, la fête des morts, Kubo est surpris par l’obscurité. Rentrant précipitamment chez lui, ses tantes maléfiques surgissent soudain pour le capturer.

Kubo and the Two Strings est le quatrième long métrage du studio Laika après Coraline (2009), ParaNorman (2012) et The Boxtrolls (2014). Visuellement, c’est époustouflant, les techniciens ont créé des milliers de prototypes ou de morceaux de prototypes, 70 décors, la plus grande marionnette de l’Histoire de la stop-motion et des dizaines d’animateurs ont été mobilisés deux années entières. Bien que conçu par des Occidentaux aidés par un consultant nippo-américain, la toile de fond japonaise est crédible. Le casting vocal est malheureusement monopolisé par des célébrités blanches, George Takei et Cary-Hiroyuki Tagawa étant relégués au second plan.
Etonnamment, sa perfection lui enlève le charme et le côté creepy des marionnettes. Une couche d’images de synthèse a été ajoutée pour améliorer les décors, insérer des détails, lisser le tout et harmoniser l’ensemble, à tel point qu’on a l’impression de contempler de l’animation numérique. Je ne demande pas du malaisant façon Alice (1988) de Jan Švankmajer, juste de garder un brin de rusticité apparente. Plus fâcheux, le scénario est indigent. Les trois Laika précédents n’étaient déjà pas brillants, on assiste ici à une intrigue extrêmement prévisible et convenue de bout en bout. C’est dommage que cette masse de boulot n’ait pas été mise au service d’une histoire originale et mature. Je préfère revoir un Henry Selick ou un Ladislas Starewitch.


Into the Deep d’Emma Sullivan (2020, Crime en eaux profondes)
Alors qu’elle est en train de tourner un documentaire sur l'excentrique entrepreneur danois Peter Madsen, la cinéaste australienne Emma Sullivan se retrouve au centre d’une affaire de meurtre. Le 10 août 2017, Peter Madsen embarque avec la journaliste Kim Wall sur son sous-marin UC3 Nautilus. Le 11 août, il est repêché dans la baie de Kjöge au large de Copenhague. Le sous-marin a coulé et Peter Madsen est seul. Kim Wall a disparu, il dit l’avoir déposé sur un quai puis, quand le torse démembré de Kim Wall est découvert sur une plage dix jours plus tard, explique qu’elle est morte dans un accident. Emma Sullivan retrace les évènements en se focalisant sur les stagiaires qui accompagnaient Peter Madsen sur son projet Rocket Madsen Space Lab.

Si on reste à la surface, Into the Deep est un palpitant et glaçant documentaire sur un homme apprécié de son entourage qui, à leur grand désarroi, s’avère être un psychopathe. A travers une alternance de séquences situées avant et après l’assassinat de Kim Wall, Emma Sullivan dévoile la sidération des individus qui travaillaient avec Peter Madsen depuis des années et ne s’étaient rendu compte de rien malgré les indices. On voit le remord et les tentatives de reconstruction de jeunes gens désillusionnés, tandis que s'enchaînent les révélations sur leur patron, mythomane fasciné par la violence.
Sans que je puisse mettre le doigt sur le problème, Into the Deep m’a vite mis mal à l’aise. Pas tant sur le sujet, mon gauchisme profond m’ayant sans doute empêché d’être surpris d’apprendre qu’une espèce de startupper mégalo qui exploitait des ingénieurs débutants idéalistes sans les payer était en réalité dangereux. Quelque chose n’allait pas. J’ai été perturbé par l’invisibilisation de la victime Kim Wall, elle n’est qu’une ombre et son petit ami qui a signalé sa disparition est à peine mentionné. Idem pour l’épouse et les proches de Peter Madsen qui ne sont pas interviewés, pas davantage que ses anciens partenaires avec qui il a rompu les liens. Into the Deep se conclut par une déclaration de Peter Madsen filmée onze mois avant le drame, dans un de ses premiers entretiens avec Emma Sullivan. Ce passage révélateur a été volontairement occulté précédemment afin de faire croire aux spectateurs que la tragédie à venir était imprévisible, démontrant selon moi une malhonnêteté intellectuelle et une volonté de sensationnalisme. Plusieurs des intervenants se sont d’ailleurs désolidarisés d’Into the Deep, que ce soit le caméraman ou deux des quatre stagiaires longuement questionnées par Emma Sullivan, qui demandèrent à être supprimées du documentaire. Ce fut pour elles un parcours du combattant contre les producteurs et Emma Sullivan, elles furent incluses dans le montage initial projeté à Sundance en janvier 2020 et finalement l'une fut enlevée et l'autre floutée après avoir ébruité l’incident dans les médias et menacé d’une action en justice (cf. l’article détaillé en danois, merci google translate). Pour ces raisons et en dépit de certains aspects captivants, je ne conseillerais donc pas Into the Deep.


Films vus seuls
飼育 [Shiiku] Nagisa Ôshima (1961, Le piège)
En 1945, un groupe de villageois capture un soldat noir américain. Ils hésitent à le tuer et décident de l’enfermer dans une grange en attendant l’arrivée de la police militaire. Celle-ci tarde et les habitants, qui manquent de nourriture, sont obligés de fournir de quoi survivre au prisonnier. Les dissensions s’accumulent et le yankee devient le bouc-émissaire idéal, accusé de tous les maux.

Je n’ai jamais été fan d’Ôshima et de la Nouvelle vague japonaise. Il s’attaque pourtant à des thématiques passionnantes comme les tensions politiques au sein de la gauche dans Nuit et brouillard sur le Japon (1960), la peine de mort et la situation des coréens au Japon dans La pendaison (1968) ou la rigidité des traditions et les conflits entre génération dans La cérémonie (1971). J’ai cependant toujours eu du mal avec son style provocateur, son goût pour le sexe et le viol, et ses expérimentations visuelles parfois vaines. En 1961, Ôshima venait de claquer la porte de la Shôchiku, qui avait annulé la sortie de Nuit et brouillard sur le Japon au bout de quatre jours d’exploitation. Il accepta la proposition de l’éphémère Palace Film Production de diriger l’adaptation du roman Shiiku de Kenzaburô Ôe, paru en 1958 dans le magazine littéraire Bungakukai, avec une distribution effectuée par Taiho, compagnie montée par des anciens de la Shintôhô. C’est la première fois qu’Ôshima ne partait pas d’un texte qu’il a rédigé et le résultat est étonnamment sobre et linéaire. Il s’écarta sensiblement du livre, n’en conservant que la trame générale et suscitant au passage la colère de Kenzaburô Ôe.
Fidèle à ses habitudes, Ôshima tire à boulets rouges sur la société japonaise, dénonçant son racisme, son opportunisme et sa mesquinerie. A un moment où le Japon relevait la tête et souhaitait tourner la page de la guerre, quitte à idéaliser la solidarité et les tourments du petit peuple durant cette période, Ôshima remet les spectateurs dans la fange en dépeignant des paysans sordides et mesquins. La caricature n’est pas subtile et le message est lourdement appuyé, affaiblissant la puissance de la diatribe. Ecarté du circuit des majors à cause du contentieux entre Ôshima et la Shôchiku, Shiiku fut un échec et coula la jeune Palace Film Production. Sans être complètement convaincant, c’est probablement un des Ôshima les plus abordables.


白ゆき姫殺人事件 [Shirayuki hime satsujin jiken] de Yoshihiro Nakamura (2014, The Snow White Murder Case)
Noriko Miki, une employée de l’entreprise de savons Snow White, est retrouvée assassinée dans une forêt, poignardée et brûlée. Une de ses collègues prévient un copain intérimaire à la télévision, qui y voit l’occasion de se faire remarquer. Il se lance dans un reportage d’investigation pour sa chaîne et il twitte en parallèle ses avancées. Les soupçons convergent rapidement vers Miki Shirono, femme discrète qui avait apparemment une dent contre Noriko. Les choses ne sont néanmoins pas aussi simples qu’il n’y parait.

Shirayuki hime satsujin jiken est initialement publié en feuilleton en 2011-2012 dans la revue littéraire de distraction Shôsetsu Subaru. Il a été écrit par Kanae Minato, connue pour Shokuzai transposé en mini-série par Kiyoshi Kurosawa en 2012. Il porte sur la manière dont les réseaux sociaux et les magazines propagent des rumeurs pouvant détruire la vie d’innocents. Pour la version cinéma, la presse a été remplacée par la télévision.
Yoshihiro Nakamura poursuit ses récits retors où il cherche à manipuler le public en le guidant vers une mauvaise piste. J’ai senti l’entourloupe à deux kilomètres et le traitement des dérives des réseaux sociaux est flemmard, artificiel et finalement inutile, le petit écran demeurant ici la principale source d’informations. Shirayuki hime satsujin jiken est quelconque et je ne comprends pas l’enthousiasme des critiques que j’ai lues.


Bruiser de George A. Romero (2000)
Henry travaille pour un journal de mode. Introverti, il se laisse marcher sur les pieds par son épouse qui le trompe, son patron qui se moque de lui ou son pote trader qui l’arnaque. Il se réveille un matin avec un masque blanc intégré à son visage et sa personnalité change radicalement. Il décide de se venger des gens qui l’ont rabaissé ou trahi.

Bruiser était un des derniers George Romero qui manquait à mon palmarès, mal noté sur imdb mais présent sur la liste des 200 titres du Mad Movies n°200. Romero est un artiste imprévisible, capable du meilleur (sa première trilogie des Morts-vivants, Martin (1977) ou The Crazies (1973)) ou du pas terrible (sa deuxième trilogie des Morts-vivants ou Knightriders (1981)). A défaut d’être toujours convaincant, il propose généralement un spectacle divertissant et souvent acerbe envers la société américaine. Ce n’est pas le cas de Bruiser, qui est parfaitement nul, le pire Romero que j’ai vu. Il n’y a rien à sauver dans ce slasher consternant sur un petit-bourgeois frustré qui pète un câble, avec une vaine touche de fantastique. A éviter.


Séries
乙女ゲームの破滅フラグしかない 悪役令嬢に転生してしまった… [Otome Game no Hametsu Flag Shika Nai Akuyaku Reijô ni Tensei Shiteshimatta...] de Keisuke Inoue (2020-2021, My Next Life as a Villainess: All Routes Lead to Doom!), 2 saisons + 1 OAV
Décédée dans un accident, une adolescente japonaise se réveille dans le corps de la future méchante du jeu vidéo de drague Fortune Lover auquel elle jouait assidument, la noble Catarina Claes alors âgée de huit ans. Dans le scénario du logiciel, à ses quinze ans, elle entrera dans une école de magie, harcèlera la gentille Maria et subira un destin funeste. Armée de sa connaissance des évènements à venir, Catarina prend les choses en main pour modifier son avenir en devenant amie avec ses ennemi·e·s potentiel·le·s.

Tiré d’une populaire série de romans pour ado de Satoru Yamaguchi en cours de parution, My Next Life as a Villainess combine deux sous-genres classiques dans les animés contemporains : l’isekai, où un individu de notre Terre est transporté dans un monde imaginaire (procédé répandu également aux Etats-Unis, cf. Amphibia et The Owl House) ; et le harem inversé, où tous les protagonistes tombent amoureux·ses de l’héroïne. Plusieurs singularités le rendent sympathiques et au-dessus de la moyenne : la trame d’origine est révélée aux spectateurs dès le départ et Catarina Claes la détourne progressivement ; à l’inverse des clichés habituels, elle ne se métamorphose pas en une super sorcière, elle reste désespérément nulle, seulement capable de créer une pauvre motte de terre ; enfin, elle est complètement neuneu, exclusivement préoccupée par la nourriture, et n’a aucunement conscience des sentiments des gens qui l’entourent. Ses uniques atouts sont sa bienveillance et son optimisme forcené.
La saison 1 est supérieure à la 2 car concentrée sur un objectif. Elle suit Catarina Claes de son enfance à la fin de sa première année à l’école de magie qui correspond, dans Fortune Lover, au moment où elle meurt ou est exilée. Quand cet obstacle est levé, l’intrigue se dilue et la saison 2 est essentiellement anecdotique, ne regagnant un peu de tension que dans les derniers épisodes. En résumé, c’est gentil, bébête et LGBT friendly, hommes et femmes sans distinction adorant Catalina. Ce fut une plaisante série de goûter et j’attends avec impatience le long métrage prévu pour décembre.
Notons que l’OAV est inutile, c’est un résumé d’éléments déjà explicités précédemment, qui aurait pu servir de rappel entre les deux saisons.


Livres
Le royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle de Georges Balandier (Hachette Littératures, collection « Pluriel », 2009), 287 p.
Le royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle est un ouvrage d’anthropologie historique publié en 1965 par le sociologue spécialiste de l’Afrique noire Georges Balandier. Il commence par revenir sur les annales du Kongo, un royaume situé au sud-est de l’Afrique qui vit le jour au XIIIe ou XIVe siècle, passa sous le joug portugais au XVIe siècle et fut démantelé par les puissances européennes vers la fin du XIXe siècle. Il aborde ensuite les techniques et pratiques du Kongo : l’agriculture, la guerre, l’économie, les villes, leur notion du temps et des relations familiales et sociétales. Il termine par les aspects culturels, leur façon de transmettre le savoir et leur conception de la religion.

Georges Balandier est une figure importante des études africaines, un des co-inventeurs avec Alfred Sauvy du terme « tiers monde » et un des premiers sociologues et historiens français de l’Afrique noire, un critique de la colonisation qui analysait les liens entre les colonisés et la société coloniale. En examinant la transformation du Kongo engendrée par l’arrivée des Portugais et de la chrétienté puis sa progressive mise sous tutelle, Georges Balandier éclairait le présent à une période de décolonisation, la conscience du passé aidant à construire l’avenir sur de meilleures bases. Le Kongo ne possédant pas de langue écrite, il dût se référer aux sources occidentales, contre lesquelles il met régulièrement en garde. Il les nuance par sa connaissance de vieilles pratiques encore d’actualité au XXe siècle, dans une région qu’il a explorée auparavant sous un angle sociologique. En 1965, les traditions orales n’étaient pas envisagées comme un outil complémentaire fiable et il ne les emploie pas pour étoffer ses réflexions.
Le royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle s’inscrit dans la catégorie que je qualifie d’« intéressant mais soporifique », des bouquins souvent de recherches rédigés dans un style factuel, sans problématique ou réel canevas, et enchaînant les descriptions, le genre qui après dix pages donne une furieuse envie de dormir ou de vaquer à d’autres occupations malgré l’enrichissement intellectuel qu’ils apportent. Le sujet est pourtant passionnant, que ce soit pour comprendre le choc entre un Portugal chrétien et un Kongo polythéiste/animiste, les raisons poussant le monarque du Kongo à accepter de se convertir dans des jeux de rivalités internes, la manière dont les techniques et produits des Occidentaux ont été intégrés ou comment le Kongo a finalement été doucement ingéré par le Portugal dans un exemple de colonisation précoce qui ne dit pas son nom. Je ne le conseillerais néanmoins pas à un néophyte et il faudra une accoutumance aux traités arides pour aller au bout.


Gilgamesh, roi d'Ourouk de Robert Silveberg (Gallimard, collection « Folio SF », 2000), 482 p.
Au décès de Lugalbanda le roi d’Ourouk, son fils est envoyé dans une école élitiste où il n’est guère considéré, le nouveau souverain Dumuzi n’entretenant pas la mémoire de son prédécesseur divinisé. Le garçon grandit dans la solitude, remarqué toutefois par une belle servante de la déesse Inanna qui joue avec ses sentiments et se moque de lui. Quand celle-ci est promue grande prêtresse et que l’enfant devenu adolescent se sent habité par l’esprit de son père, Dumuzi prend peur et tente d’éliminer son rival. Ce dernier doit quitter la ville en hâte et se réfugier à Kish, puissante cité de la région.

Gilgamesh est un roi mythique de Mésopotamie antique à l’existence réelle incertaine, au centre de diverses chroniques épiques. Il est notamment le héros de l’Épopée de Gilgamesh, une des plus anciennes compositions littéraires de l’humanité qui date du XVIIIe ou XVIIe siècle avant JC. Les transcriptions modernes sont des compromis, elles mélangent des fragments d’époques multiples qui présentent des variations non négligeables. Robert Silverberg s’est appuyé sur les traductions anglaises d’Alexander Heidel (1946) et de E.A. Speiser (1955), et sur des poèmes sumériens qui décrivent des passages de la vie de Gilgamesh. Il suit dans les grandes lignes la trame de l’épopée et inclut tous les épisodes clés. Il a cependant introduit deux différences majeures : c’est écrit à la première personne, du point de vue de Gilgamesh et non d’un conteur omniscient ; Robert Silverberg a ôté le caractère surnaturel en proposant des explications réalistes aux phénomènes extraordinaires et magiques.
C’est globalement réussi en dépit de deux soucis inhérents à l’exercice. A l’instar des épopées et sagas, c’est longuet, il y a beaucoup de cérémonies, de festivités et de réjouissances, écueil renforcé par la narration homodiégétique qui s’attarde sur le ressenti de Gilgamesh. C’est par ailleurs assez misogyne, la combinaison d’un texte antique rédigé par et pour des hommes et d’un auteur de SF américain né en 1935 n’étant pas propice à un féminisme impétueux. Les femmes sont des mères, des prostituées ou des perfides et, tout en étant indispensables au récit, ne ressortent pas grandies. Si mon impression est mitigée, je ne regrette pas ma lecture et j’essaierai de récupérer une traduction récente de l’Épopée de Gilgamesh pour comparer.


Revues
Mad Movies n°374 – Septembre 2023
Le gros dossier du mois porte sur William Friedkin, décédé le 7 août 2023. Friedkin m’a toujours laissé perplexe, provocateur forcené, capable de tout et son contraire y compris dans un même opus, à l’image du Sang du châtiment où la conclusion du director’s cut de 1992 est en opposition complète avec l’originale de 1987. Je suis loin d’avoir vu l’intégralité de son œuvre, The French Connection (1971) m’avait déçu, Cruising (1980) m’avait déconcerté et j’avais trouvé Bug (2006) imparfait bien que prenant. Je suis en revanche fan de L’exorciste (1973) et surtout de Sorcerer (1977), sur lequel j’étais tombé par hasard il y a longtemps et qui m’avait mis une claque. Mad Movies a pour l’occasion interviewé des proches et des admirateurs de Friedkin, qui abordent sans ambages les ambiguïtés du réalisateur. Il faudra que je lise son autobiographie qui traine sur mes étagères. L’autre dossier sur l’intelligence artificielle est moins passionnant, on ne dispose pas de suffisamment de recul sur ce sujet d’actualité qui enflamme le milieu hollywoodien.

Au niveau des sorties, quelques titres intrigants : Flux gourmet (2022) de Peter Strickland s’annonce plus bizarre que Berberian Sound Studio (2012), ça me fait penser que je n’ai pas encore regardé The Duke of Burgundy (2014) ; à force de lire des critiques positives des Mission : Impossible, il va falloir que je me penche dessus un jour, j’en ai déjà quatre de retard ; La maison du mal (2023) semble jouer correctement sa carte de film de maison hantée ; enfin, Just Philippot continue de creuser la veine de l’horreur écologique avec Acide (2023), apparemment plus abouti que La nuée (2020). Un entretien éclairant avec le production designer William Sandell clôt le numéro, soulignant l’importance de ce métier méconnu.


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