samedi 27 janvier 2024

Carnet de bord 20/01/2024-26/01/2024



Films vus en compagnie
My Sister Eileen d’Alexander Hall (1942, Ma soeur est capricieuse)
Ruth Sherwood est journaliste à la gazette locale de Columbus, Ohio. Grillée par un faux pas qui a nui à sa crédibilité, elle part à New York avec sa sœur Eileen qui rêve de devenir actrice. Elles louent un appartement miteux à Greenwich Village et cherchent du travail. Sans contact ni référence, il n’est pas simple de décrocher un emploi et les déconvenues s’enchaînent.

My Sister Eileen est tiré d’une pièce de Broadway de 1940, elle-même inspirée d’une série d’articles autobiographiques de Ruth McKinney publiés par le New Yorker dans les années 30 et compilés dans un recueil en 1938. Mariée au scénariste Nathanael West (auteur de The Day of the Locust, adapté sur grand écran en 1975 par John Schlesinger avec un Donald Sutherland traumatisant), sa sœur Eileen à l’origine de ses histoires décéda dans un accident de voiture en décembre 1940. Malgré son succès au théâtre, le casting fut entièrement remplacé pour le film, mettant en vedette une Rosalind Russell très connotée screwball depuis His Girl Friday (1940).
My Sister Eileen possède un rythme enlevé, on ne s’ennuie pas une minute et les deux interprètes principales sont excellentes (Rosalind Russell en Ruth et Janet Blair, vue récemment dans Night of the Eagle (1962), en Eileen). Tout n’est pas parfait, George Tobias aurait pu se passer de l’accent grec ridicule et les nombreux harcèlements sexuels sont traités avec beaucoup de légèreté. C’est malheureusement classique pour l’époque et ça n’a pas trop gâché mon plaisir. Il existe d'ailleurs une version comédie musicale de 1955 avec Janet Leigh et Jack Lemon que je vais récupérer de ce pas.


1922 de Zak Hilditch (2017)
Wilfred James est fermier dans le Nebraska. Il est marié à Arlette, héritière qui détient la majorité des terrains de leur domaine, et ils ont un fils adolescent. Arlette déteste la vie à la campagne, elle souhaite revendre ses biens et ouvrir en ville une boutique de vêtements. Wilfred refuse absolument cette idée et est décidé à ne pas laisser son épouse lui soustraire « son » exploitation, quitte à l’éliminer.

1922 est la transposition d’une nouvelle de 130 pages de Stephen King. Il n’y avait selon moi pas matière à un long métrage, chaque scène est distendue au maximum, la trame est mince et insipide. Encore une production/distribution Netflix pas franchement palpitante…


Where the Boys Are d’Henry Levin (1960, Ces folles filles d'Ève)
Quatre élèves d’une université pour femmes du nord des Etats-Unis vont passer leur spring break au soleil à Fort Lauderdale en Floride. Tous les ans, des milliers d’étudiant·e·s s’y rendent, multipliant les occasions de flirts. La sérieuse Melanie y voit l’opportunité de rencontrer un potentiel époux tandis que la directe Tuggle veut s’amuser sans aller trop loin, que l’intello Merritt compte réviser ses cours et qu’Angie aimerait juste qu’un garçon s’intéresse à elle. Les choses ne vont néanmoins pas se dérouler comme prévu.

Sur le papier, Where the Boys Are évoque les films de plage à la mode entre 1963 et 1968, avec des fêtards venus se divertir près de la mer et pousser la chansonnette. Il précède en fait ce phénomène et recèle davantage de profondeur. Il est tiré d’un roman de Glendon Swarthout, écrivain qui s’est souvent penché sur les difficultés des jeunes à s’adapter au monde des adultes. Le récit se concentre sur les personnages féminins, sur leurs espoirs et désillusions, en abordant assez frontalement pour la période et avec une noirceur inattendue les questions de sexualité. Pour leur première apparition à l’écran, Paula Prentiss (Tuggle) dégage charme et spontanéité, et la chanteuse Connie Francis (Angie) se débrouille honorablement. Dolores Hart, qui arrêtera sa carrière en 1963 à son apogée pour devenir nonne, est également convaincante en Merritt et seule Yvette Mimieux est à la peine avec une Melanie fade. C’est parfois moralisateur, la fille qui couche est punie mais elle est clairement présentée en victime. Au final, Where the Boys Are est étonnamment nuancé, on est du côté des héroïnes qui doivent sans cesse se méfier d’hommes manipulateurs et volages, avec un discours d’une maturité qui ferait honte à la plupart des teens movies contemporains.


The Favourite de Yorgos Lanthimos (2018, La favorite)
Au début du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne est en guerre contre la France. La reine Anne, d’une santé fragile, est officiellement à la tête de l’Etat. En réalité, le gouvernement est assuré par le chef de la majorité au Parlement et par Sarah Churchill, duchesse de Marlborough et amie d’enfance d’Anne. Cette femme à poigne n’hésite pas à rabrouer ses adversaires et à contredire la reine en public. Quand sa cousine Abigail Hill la sollicite après avoir subi des revers de fortune, Lady Sarah l’envoie bûcher en cuisine. Abigail a cependant les dents longues et est prête à tout pour gravir les échelons.

J’avais un a priori très négatif sur Yórgos Lánthimos, réalisateur de festival par excellence détesté par les Cahiers. Les bandes-annonces de ses œuvres m’alarmaient, combinaison de ce que j’abhorre dans le cinéma d’auteur intello ampoulé. Mes craintes étaient fondées, The Favourite est ce que j’ai vu de pire depuis bien longtemps. Visuellement, c’est maniéré et prétentieux, avec des effets pour faire classe, des ralentis inutiles et de la musique pompeuse ; scénaristiquement, c’est caricatural et cynique au possible et je me suis rapidement désintéressé de ces gens fats. Une expérience pénible à éviter.


Sisu de Jalmari Helander (2022, Sisu : De l'or et du sang)
En 1944 dans le nord de la Finlande, alors que l’armée allemande quitte le pays en appliquant la politique de la terre brûlée, un prospecteur âgé bardé de cicatrices tombe sur un filon d’or. Il remplit ses sacs et retourne vers la civilisation. En chemin, il croise une troupe de nazis qui découvre le contenu de son chargement et décide de l’éliminer. Monumentale erreur, les soldats constatent vite qu’ils n’auraient pas dû énerver le vieil homme.

Sisu ne ment pas sur sa marchandise, on est là pour voir du nazi dézingué par une sorte de Rambo finnois et on en a pour son argent. Attention, ce n’est pas du Rambo façon First Blood (1982) sur un vétéran traumatisé qui se défend contre une société qui le rejette, c’est du Rambo III (1988) tendance Chuck Norris/Steven Seagal des débuts, qui massacre à tour de bras parce qu’on l’a embêté, le genre de type qui boirait un bidon d’essence pour pouvoir pisser sur ton feu de camp. En revanche, à l’inverse de ce qui transpire de la bande-annonce (qui spoile à mort), on n’est pas dans du Tarentino ou du Rodriguez like ultra-référentiel et second degré. Oui ça rappelle un peu le western spaghetti et beaucoup le film d’action bourrin des années 80, avec honnêteté toutefois, sans que Jalmari Helander se sente obligé de faire le malin. L’intrigue est cousue de fil blanc, on a déjà vu chaque séquence et entendu chaque réplique maintes fois ailleurs, c’est du gros bis distrayant qui dure 1h30, avec une belle photographie dans un paysage désolé et du gore outrancier dans la tradition grand-guignol.


Films vus seuls
パコと魔法の絵本 [Pako to mahô no ehon] de Tetsuya Nakashima (2008, Paco and the Magical Book)
Onuki est un ancien chef d’entreprise poussé vers la retraite en raison d’une santé déclinante. Doté d’un caractère exécrable, il tyrannise les patients de l’hôpital dans lequel il est soigné. Un matin, une petite fille nommée Paco s’installe sur son banc et lui demande de lui lire un livre. D’abord réticent, Onuki accepte. Il apprend qu’elle souffre de troubles de la mémoire et qu’elle est incapable de se souvenir des évènements de la veille. A la surprise de son entourage, il se prend d’affection pour Paco et lui conte jour après jour la même histoire.

Contrairement à ce que suggère sa folie graphique, Pako to mahô no ehon n’est pas adapté d’un manga mais d’une pièce de théâtre plutôt sage de 2004. Tetsuya Nakashima, le metteur en scène des barrés Kamikaze Girls (2004) et Memories of Matsuko (2006), la transforme en délire pop excessif et complètement surjoué. A l’image des deux titres précédemment cités, je ne suis pas entré dans le trip, trop de bruits, d’effets spéciaux fauchés censément rigolos, de gens qui hurlent et courent partout… Ça m’a rapidement fatigué et je suis allé au bout uniquement pour le principe. La bande annonce étonnamment calme n’est de ce point de vue pas représentative. Enfin bon, c’était toujours mieux que The Favourite (2018)…


Gumshoe de Stephen Frears (1971)
Eddie Ginley est un animateur de bingo qui rêve de devenir humoriste. Pour se distraire, il dépose une petite annonce dans le journal en se présentant comme un détective privé. Une femme le contacte et lui dit de se rendre dans une chambre d’hôtel. Il récupère une enveloppe contenant une photo, mille livres sterling et un revolver. Il comprend qu’il a été engagé pour tuer quelqu’un et qu’il s’est embarqué dans une affaire trop grosse pour lui.

Gumshoe est le premier long métrage de Stephen Frears. Le projet lui fut confié par Albert Finney, dont il fut l’assistant sur Charlie Bubbles (1968) et qui souhaitait se concentrer sur le rôle d’Eddie. Albert Finney fait son show, je n’ai jamais été un fan et il m’a vite gonflé en faux détective qui s’y croit et retombe systématiquement sur ses pieds. Dans le style, j’ai largement préféré The Long Goodbye (1973) de Robert Altman, qui comporte une splendide performance de chat.


El jorobado de la morgue de Javier Aguirre (1973, Le bossu de la morgue)
Gotho le bossu travaille à la morgue d’un grand hôpital. Il est la risée de la ville et personne ne l’apprécie, excepté la gentille Ilse. Celle-ci est atteinte d’une grave maladie et dépérit doucement. Quand elle décède, Gotho décide de se venger de ceux qui se sont gaussés d’elle, se servant d’un ancien réseau de tunnels construits sous l’Inquisition pour se déplacer discrètement. Un médecin ambitieux persuade Gotho de l’aider, lui promettant de ressusciter Ilse.

Durant les années 60, sous l’impulsion initiale de Jesús Franco, le nombre de films fantastiques explosa dans l’Espagne franquiste, donnant naissance au fantaterror, terme inventé par le comédien Paul Naschy pour désigner un ensemble de titres réalisés essentiellement entre 1968 et 1976. Cinéma d’exploitation opportuniste, généralement issu de coproductions et adressé au public européen, le fantaterror réutilisait les schémas établis par la Hammer, saupoudrés d’une dose de gore et de sexe. Paul Naschy fut une figure clé de ce mouvement. Acteur, scénariste, amateur des classiques de la Universal des années 30-40 et de l’expressionisme allemand, il reprit pendant les années 60 et 70 le répertoire des monstres traditionnels, avec une prédilection pour le loup-garou qu’il incarna une douzaine de fois. Surnommé le Lon Chaney espagnol, il joue ici un affreux bossu.
Paul Naschy greffait fréquemment à ses intrigues une touche de romantisme tragique, avec un héros tourmenté tiraillé par un amour impossible. Si ce n’est pas toujours convaincant, ça marche correctement dans El jorobado de la morgue, sans doute un de ses meilleurs opus. Bien que complètement fauché, assez simpliste, sanguinolent et avec un soupçon d’érotisme facile, il dégage un engouement totalement premier degré pour le genre qui le rend rafraichissant.


Livres
Les erreurs de Joenes de Robert Sheckley (Presses Pocket, collection « SF », 1986), 226 p.
Dans un lointain futur, la civilisation a résisté uniquement dans les îles océaniennes du Pacifique. Il ne subsiste du passé que les récits des conteurs, qui se transmettent les controversées mésaventures de Joenes. Cet homme vécut à la fin du XXe siècle et fut au cœur des évènements qui amenèrent à la disparition de la société moderne. Être bon et sincère, rien ne le destinait pourtant à exercer une quelconque influence sur l’avenir de l’humanité.

Ecrivain adepte des nouvelles drôles et absurdes, Robert Sheckley s’essayait occasionnellement au conte philosophique. Il mettait alors en scène des extraterrestres ou des étrangers pacifiques et campagnards, qui visitaient les villes américaines et s’étonnaient de l’univers qu’ils y découvraient. C’est le cas de Les erreurs de Joenes, qui rappelle le Candide de Voltaire où un naïf explore le monde, y développe une idéologie et retourne chez lui sans plus se préoccuper de l’extérieur. Robert Sheckley en profite pour se moquer du gouvernement, de la police, de l’armée, de la psychiatrie et de la Guerre froide.
Certains épisodes sont cocasses : un routier explique par exemple à Joenes qu’au Mexique les autorités doivent empêcher les gens d’entrer dans les prisons, qui offrent la tranquillité et trois repas quotidiens ; ailleurs, il apprend que dans l’Octogone, amélioration du Pentagone, il n’y a que des faux plans du bâtiment afin de tromper les espions et qu’en conséquence les employés ne sont pas capables de s’orienter. Robert Sheckley ajoute des références aux légendes médiévales ou aux mythes de l’Antiquité. Curieusement, ce gloubi-boulga fonctionne et, en dépit de quelques fautes de goût (notamment une polynésienne qui parle dans un créole ridicule), Les erreurs de Joenes est plaisant et distrayant.


Cinéma et dissidence : les ciné-clubs portugais pendant la dictature de Salazar d’Eurydice Da Silva (Presses universitaires de Paris Nanterre, collection « La langue portugaise en cultures », 2023), 168 p.
Au milieu des années 40 dans le Portugal de Salazar nait le mouvement des ciné-clubs, dont le nombre explose durant les dix années suivantes. Souvent gérés par des militants de gauche ou des opposants politiques, ils étaient des lieux d’échange et de discussion. En 1955, une première rencontre nationale est coordonnée de façon autonome et le pouvoir s’inquiète d’une possible union qui représenterait environ 15 000 adhérents.
Prenant les devants, le régime crée donc en 1956 la Fédération portugaise des ciné-clubs (FPC), qu’il place sous l’égide du Secrétariat National de l’Information, de la culture populaire et du tourisme (le SNI). Aidé par la PIDE (la police politique), le SNI organise une surveillance systématique des ciné-clubs, contrôle les œuvres diffusées et écrase les dissidences grâce à une gestion clientéliste des financements et un remplacement des directions contestataires. Cinéma et dissidence : les ciné-clubs portugais pendant la dictature de Salazar fournit un panorama détaillé du phénomène à travers une analyse des archives du SNI entre 1956 et 1968.

Cinéma et dissidence : les ciné-clubs portugais pendant la dictature de Salazar est un ouvrage universitaire exceptionnel en français, le cinéma portugais étant particulièrement mal desservi dans notre langue. Il permet de se plonger dans le travail des fonctionnaires de l'Estado Novo, parfois désigné avec raison comme une dictature administrative. Il y a un côté fascinant à voir comment était étouffée une démarche potentiellement dangereuse en l’imbriquant dans une fédération bureaucratique tatillonne qui réglait tous les aspects du quotidien. Toute action exigeait l’aval de la hiérarchie qui, selon son bon vouloir, pouvait accorder ou refuser des subsides, retarder la livraison d’une copie en bloquant de fait sa projection, renvoyer un élu qui ne lui convenait pas…
Bien que bref et d’une lecture aisée, Cinéma et dissidence s’inscrit dans une logique universitaire didactique et descriptive qui vise à enrichir la recherche et n’est pas destiné au néophyte. Il constitue une première approche focalisée sur les archives de la SNI, qu’il faudra étoffer par l’apport de témoignages des acteurs de l’époque et par une étude des archives des ciné-clubs et de la PIDE. C’est quoi qu’il en soit une bonne nouvelle qu’une francophone se penche sur le cinéma portugais (son autre livre, Filmer sous la contrainte - Le cinéma portugais pendant l'Etat nouveau de Salazar (1933-1974), est malheureusement à un prix prohibitif, je tenterai de le récupérer en bibliothèque).


Revues
Mad Movies n°378 – Janvier 2024
Pas les dossiers les plus trépidants ce mois-ci entre le bilan de 2023 (j’aime pas les récapitulatifs) et un avant-goût de Furiosa, la préquelle de Mad Max: Fury Road (2015) (j’aime pas les previews). Cela est rattrapé par les hommages à Aldo Lado et Jeff Burr, deux figures marginales du cinéma de genre qui bénéficient ici d’un estimable coup de projecteur.

Au niveau des sorties, je ne suis pas chaud pour le Yorgos Lanthimos, Pauvres créatures (2023), à la suite de la pénible expérience The Favourite (2018). Je note par curiosité Silent Night (2023), qui marque la réapparition de John Woo à Hollywood, l’ultime William Friedkin, L’affaire de la mutinerie Caine (2023), et le dernier Gabriel Abrantes, Amelia's Children (2023), de retour cinq ans après Diamantino (2018).
Je ne pense pas acheter le coffret Ram Gopal Varma édité par Spectrum Films, j’avoue avoir un peu peur de ces films de gangster indiens réalisés par un fan d’Ayn Rand. Idem pour Run and Kill (1993), un pur catégorie III hongkongais, même si la présence d’un Simon Yam en roue libre me fera peut-être changer d’avis un jour. J’ai enfin apprécié la passionnante interview carrière avec le producteur Ovidio Assonitis, qui nous ramène dans la turbulente période du cinéma d’exploitation italien des années 70.


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