samedi 20 janvier 2024

Carnet de bord 13/01/2024-19/01/2024



Films vus en compagnie
Bonne conduite de Jonathan Barré (2023)
A la suite du décès de son mari Dorian victime d’une collision avec un chauffard, Pauline Cloarec est devenue formatrice en sécurité routière en Bretagne. Ce métier lui sert de couverture pour repérer les fous de la route. La nuit, elle se transforme en justicière autoproclamée et les tue en maquillant les meurtres en accidents. Elle attend avec impatience la sortie de prison de l’assassin de Dorian, résolue à se venger.

Jonathan Barré est un collaborateur récurrent du Palmashow, un duo de comiques composé de Grégoire Ludig et David Marsais. Je dois avouer que je ne les connaissais pas avant de découvrir Grégoire Ludig dans Au poste ! en 2018. Je les ai depuis vus dans deux autres Dupieux, Mandibules (2020) et Fumer fait tousser (2022), et dans Santa & Cie (2017). Ils ont un humour bête et gentil pas désagréable lorsqu’il est utilisé correctement. Dans Bonne conduite, ils incarnent un binôme d’enquêteurs et sont au second plan au profit de Laure Calamy (Pauline). Elle était excellente dans Antoinette dans les Cévennes (2020) et elle apporte de nouveau son énergie. Multipliant les références et diluant progressivement son concept initial, Bonne conduite déçoit après une introduction séduisante. Cela reste néanmoins distrayant pour passer le temps.


The Singer Not the Song de Roy Ward Baker (1961, Le cavalier noir)
Le prêtre Michael Keogh est envoyé à Quantana, un village paumé du Mexique, pour remplacer le père Gomez. Il se heurte immédiatement à Anacleto, un bandit distingué et anticlérical qui fait régner la terreur dans la région. Personne n’ose déposer plainte contre lui et sa bande, et la police est impuissante. Malgré sa détestation de l’église, Anacleto éprouve du respect pour Michael Keogh, homme éduqué qui lui tient tête. Cela ne l’empêche pas de chercher à l’éliminer pour avoir les mains libres, l’arrivée du religieux mettant en péril son autorité.

The Singer Not the Song est un des rares western anglais, une curiosité qui précède le western spaghetti et qui fut tourné à Alhaurin de la Torre près de Malaga. Accablé de critiques désastreuses en dépit d’un score honorable au box-office, il plomba la carrière de Roy Ward Baker, qui mit quatre ans à se relever et dut s’exiler dans le cinéma de genre de la Hammer. Dès le départ, le réalisateur anglais n’était pas chaud pour s’engager sur le projet, il avait suggéré à moitié sérieusement de filer le bébé à Buñuel, qui aurait sans doute été ravi de cette histoire d’amours contrariés sur fond de catholicisme. Le choix de la production de se rabattre sur John Mills en Michael Keogh, au lieu de Charlton Heston ou de Marlon Brando un temps pressentis, n’arrangea rien : trop vieux, avec une aura de bon père de famille, il était l’antithèse de ce qu’il aurait fallu. Cette décision révolta Dirk Bogarde, déjà sous contrat pour Anacleto, et la relation entre les deux acteurs fut tendue.
John Mills, que j’aime beaucoup en général, est ici complètement à côté de la plaque. Il n’est jamais crédible et on ne voit pas comment il pourrait fasciner Anacleto ou la jolie fille du coin interprétée par la française Mylène Demongeot. The Singer Not the Song est par ailleurs d’une durée excessive de 2h12. Mais il y a Dirk Bogarde. Homosexuel non déclaré en raison de l’illégalité de la pratique en Grande-Bretagne jusqu’en 1967, il joue coup sur coup en 1961 dans The Singer Not the Song, où le sous-texte est assez explicite, et dans Victim, sur un gay victime de chantage. Dans The Singer Not the Song, son Anacleto se trimballe avec des pantalons en cuir sur mesure et sous-entend d’un air narquois son attirance pour Michael Keogh. Il est impeccable en méchant qui pervertit le bien faute de se l’approprier et ça m’a évoqué Billy Budd (1962). Sauf qu'à la différence de John Mills, Terence Stamp était parfait dans le rôle principal, il émanait de lui une naïveté et une innocence lumineuse qui justifiait l'attraction qu'il suscitait. Au final, The Singer Not the Song vaut le détour uniquement pour la classe de Dirk Bogarde en manipulateur désabusé.


Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (2023)
Dog et Mirales sont deux amis d’enfance. Ils trainent toujours ensemble dans leur bled du Pouget dans l’Hérault, qui n’offre guère de perspective et d’emploi à une jeunesse désœuvrée. Mirales est un moulin à paroles suffisant, qui rabaisse en permanence son entourage et notamment Dog, son souffre-douleur de prédilection. La situation change quand Dog rencontre Elsa, qui termine ses études et est de passage au Pouget pour un mois. Mirales ne supporte pas de perdre son ascendant sur son camarade et devient de plus en plus imbuvable.

Jean-Baptiste Durand a grandi dans une bourgade proche du Pouget. Pour son premier long métrage, il a voulu retranscrire l’ambiance particulière de son enfance, un mi-chemin entre banlieue et campagne quasiment pas exploré par le cinéma français. Le trio Anthony Bajon (Dog), Raphaël Quenard (Mirales) et Galatéa Bellugi (Elsa) est convaincant en paumé·e·s qui ne savent pas quoi faire de leur vie. Tout en rappelant les films de banlieue, Chien de la casse s’en écarte à travers sa galerie de personnages éloignés des clichés. Il évite un naturalisme exagéré et s’impose comme une chronique sociale amère et marquante.


Die Sehnsucht der Veronika Voss de Rainer Werner Fassbinder (1982, Le secret de Veronika Voss)
Un soir pluvieux, Robert Krohn, journaliste sportif, aide une inconnue en lui prêtant son parapluie et en la conduisant à un tramway. La femme l’abandonne subitement puis le contacte le lendemain pour l’inviter à dîner. Elle s’avère être une ancienne actrice célèbre de l’ère nazie nommée Veronika Voss. Robert mène son enquête et apprend qu’elle a des difficultés à obtenir des rôles, qu’elle souffre de troubles psychiatriques et qu'elle est surveillée par une neurologue, la docteure Katz, qui possède sur elle une étrange emprise.

Le secret de Veronika Voss est le troisième volet de la trilogie allemande de Rainer Werner Fassbinder. Il suit Le Mariage de Maria Braun (1979) et Lola, une femme allemande (1981). C’est le dernier opus de Fassbinder diffusé dans les salles de son vivant avant son décès d’une rupture d'anévrisme à 37 ans le 10 juin 1982. Je connais mal Fassbinder, je n’ai vu de lui que Tous les autres s'appellent Ali (1974) et Le Mariage de Maria Braun. J’avais aimé le premier, qui abordait la question du racisme et de l’immigration et qui dégageait une certaine humanité en dépit de sa dureté ; j’avais été plus dubitatif envers le second, dont je ne me souviens pas bien.
Si Le secret de Veronika Voss est esthétiquement irréprochable, s’amusant à parodier les styles de diverses époques du cinéma allemand, je ne suis jamais entré dans le récit sur cette diva déchue bloquée dans son passé glorieux. J’ai jugé cela très froid et vain, et je n’ai pas vraiment saisi où Fassbinder souhaitait en venir. Ce n’est probablement pas un réalisateur pour moi, je ne vais pour une fois pas tomber dans le complétisme et me contenterai à l’avenir de regarder les deux-trois classiques qui me manquent dans sa filmographie.


查無此心 [Cha wu ci xin] de Ying-Ting Tseng (2022, The Abandoned)
Alors qu’elle s’apprête à se suicider dans sa voiture le soir du nouvel an chinois, Wu Jie, cheffe-adjointe dans la police, est stoppée dans sa tentative par l’irruption d’une bande de jeunes. Ceux-ci aperçoivent quelque chose sur la digue qui lui fait face et s’enfuient. Intriguée, Wu Jie sort de son véhicule et découvre le cadavre d’une sans-papiers thaïlandaise. Le lendemain, son supérieur la charge de l’affaire et lui colle une novice fraichement promue. Elles sont confrontées à un meurtre déconcertant, le cœur et un doigt ayant été retirés du corps de la victime.

Après une traversée du désert dans les années 1990-2000, le cinéma taïwanais a retrouvé son public en 2008 grâce au triomphe de Cape No. 7. Les succès se sont ensuite multipliés et les autorités ont pris conscience de l’intérêt de soutenir leurs productions à l’international. Dans cette perspective, le ministère de la Culture a créé en 2019 la TAICCA (Taiwan Creative Content Agency). L’agence a depuis signé des accords avec Netflix (qui n’est pas présent en République populaire de Chine) en 2022 ou avec le CNC en 2023. Le but est de se positionner en acteur médiatique majeur en langue chinoise, en concurrence avec son frère ennemi continental avec qui les relations ne sont pas au beau fixe. Netflix propose donc un nombre croissant d’œuvres taïwanaises, à l’instar de Marry My Dead Body (2022) ou de ce The Abandoned.
Dans la lignée de sa prestigieuse Nouvelle Vague des années 80, le cinéma taïwanais a toujours été ambitieux visuellement. Entre ambitieux et prétentieux, la marge est étroite et je suis souvent agacé par la profusion d’effets m'as-tu-vu et de plans ampoulés, y compris dans des pellicules que j’ai appréciées par ailleurs. The Abandoned ne déroge pas à la règle, il accumule les micro-flashbacks et des angles de caméra inhabituels avec une photographie ultraléchée. Ce n’est malheureusement pas le seul problème. La narration est poussive, les personnages sont stéréotypés et le méchant est ridicule, un vilain surgi de nulle part avec une motivation invraisemblable. Il y a un risque non négligeable qu’à force de vouloir élargir son audience le cinéma taïwanais perde son âme, The Abandoned et la collaboration avec Netflix vont dans ce sens. Il faut espérer que des titres originaux subsisteront en parallèle.


Films vus seuls
法隆寺 [Hôryû-ji] de Susumu Hani (1958, Le temple Horyûji)
Ce documentaire de 22 minutes de Susumu Hani explore les différentes salles de l’Hôryû-ji, un temple bouddhique du VIIe siècle situé à Ikaruga dans la préfecture de Nara et une des plus vieilles constructions en bois du monde. La caméra s’attarde sur les détails architecturaux et les statues. Il restitue l’ambiance des lieux, sur fond de musique obsédante du compositeur Akio Yashiro.

Journaliste, photographe, Susumu Hani entre au cinéma par la porte du documentaire dans les années 50. En 1961, il dirige son premier long métrage, Les mauvais garçons, sur une maison de correction. Accompagné d’interprètes non professionnels qui modifient le scénario en cours de tournage, il se rapproche du néoréalisme avec un fort ancrage social. Il continuera à utiliser des amateurs et à se pencher sur des questions sociétales durant le reste de sa carrière. Compte tenu de ces éléments, Hôryû-ji, avec son absence d’êtres humains et sa focalisation sur le lointain passé du Japon, se détache des autres Susumu Hani que j’ai pu voir. Le rythme est lent, chaque statue est longuement examinée et je me suis ennuyé.


五重塔 [Gojû no tô] d’Heinosuke Gosho (1944, La pagode à cinq étages)
Le charpentier Jûbei, fils d’un architecte fameux, est supervisé par Genta, un ancien élève de son géniteur. Bourru, lourdaud et négligé, il est moqué de ses collègues mais estimé par Genta qui respecte son talent. Quand l’abbé du village ordonne l’édification d’une pagode, Jûbei offre ses services en concurrence de son maître. Genta, qui pensait gagner aisément le contrat, se retire pour laisser la place à son disciple. Jûbei ne semble cependant pas éprouver de reconnaissance et rejette le patronage proposé par Genta afin d’être l’unique artisan du projet.

Heinosuke Gosho fut un des réalisateurs essentiels de la Shôchiku dans les années 30. Ami de Shiro Kido, il fut le fer-de-lance du style Kamata et un des créateurs du shôshimin-eiga. Il travailla peu entre 1937 et 1945, luttant contre la tuberculose et faiblement enclin à œuvrer pour la propagande nationaliste. Ses seules collaborations avec la Daiei, Shinsetsu (1942) et Gojû no tô, datent de cette période. Avec sa glorification de l’individualité et de l’art, Gojû no tô se distancie de l’idéologie de son temps. Une version incomplète de 36 minutes circula longtemps jusqu’à ce qu’une copie de 64 minutes (sur 70) soit retrouvée en 1999 dans des archives russes. C’est une adaptation d’un roman célèbre de l’écrivain Kôda Rohan, publié en feuilleton en 1891-1892.
Jûbei est incarné par un illustre acteur du théâtre shinpa, Shôtarô Hanayagi, qui n’apparût que sept fois sur grand écran entre 1939 et 1951, principalement à la demande de Mizoguchi. Il ne m’a pas spécialement impressionné, pas aidé par son personnage assez monolithique. De façon générale, la trame est sommaire et Jûbei n’est pas franchement sympathique. Il manque ici l’humanisme qui fut la marque de fabrique d’Heinosuke Gosho et j’ai été plutôt déçu.


Le voile bleu de Jean Stelli (1942)
En 1914, Louise Jarraud, veuve de guerre, met au monde un garçon qui meurt le lendemain. Désespérée, sans qualification ni ressource, elle accepte la suggestion d’une infirmière de devenir nourrice. Elle consacre alors sa vie aux enfants dont elle a la charge, sacrifiant son avenir en refusant de se remarier et s’éclipsant dès que ses protégés s’attachent trop à elle aux dépens de leur relation avec leur(s) parent(s).

Je dois humblement avouer que j’ignorais encore récemment l’existence du Voile bleu et que je n’avais jamais entendu parler de Jean Stelli, metteur en scène populaire des années 40-50 qui a dirigé une trentaine de titres. Le voile bleu eut pourtant un immense succès sous l’occupation, fut vilipendé après-guerre par la critique et est à présent considéré comme un exemple caractéristique du mélodrame français, un tire-larmes pathétique où l’héroïne, figure maternelle idéalisée, collectionne les mésaventures. Soyons clair, ce n’est objectivement pas un bon film. La construction narrative est grossière et répétitive, chaque marmot est prétexte à de nouveaux malheurs. Les clichés s’accumulent et on sent en toile de fond la morale pétainiste, avec cette veuve parfaite qui se dévoue corps et âme dans son travail, forme la jeunesse et soutient les familles. Esthétiquement, c’est kitsch et outrancier.
Comment expliquer dans ces conditions son triomphe à l’époque ? D’une part, grâce à Gaby Morlay, qui porte le récit et suscite la compassion des spectateurs ; d’autre part, privé des mélodrames américains qu’il affectionnait, le public s’est précipité sur les substituts français pour récupérer sa dose de sanglots bon marché. Et il faut admettre que ça fonctionne, à tel point qu’on s’en veut de s'être pris au jeu et d’avoir succombé aux effets faciles. Cela mérite donc le coup d’œil, ne serait-ce que pour l’aspect historique et emblématique.


Séries
キャロル&チューズデイ [Kyaroru & Chûzudei] de Shinichirô Watanabe (2019, Carole & Tuesday), 24 épisodes
Carole est pianiste de rue sur Mars, immigrée orpheline qui subvient à ses besoins en enchaînant les petits boulots. Tuesday est la fille d’une riche politicienne, qui rêve d’être guitariste contre l’avis de sa mère et s’enfuit de chez elle. Les deux femmes se rencontrent et décident de monter un groupe. Une vidéo d’une de leurs performances devient virale et elles sont contactées par Gus, un alcoolique ancien manager d’artistes.

J’avais adoré Cowboy Bebop au moment de sa sortie en France en 2000. Un de mes amis achetait les VHS au fur et à mesure de leur parution et nous attendions avec impatience le dénouement. Rétrospectivement, les protagonistes étaient extrêmement convenus et la série était globalement décousue, il n’empêche qu’il y avait quelques épisodes formidables et une bande originale géniale, qui m’avait permis de découvrir Yoko Kanno. J’avais été déçu par le long métrage Cowboy Bebop: The Movie (2001), de même que par Samurai Champloo (2004-2005), et j’avais arrêté de suivre la carrière de Shinichirô Watanabe malgré la flatteuse réputation de Space Dandy (2014). J’avais eu des échos favorables de Carole & Tuesday et je ne m’étais pas rendu compte en commençant que c’était lui le réalisateur. Il est tombé bien bas.
Il n’y a pas grand-chose à sauver sur Carole & Tuesday. Tandis que la musique est au cœur de la série, les chansons proposées sont complètement tartes, de la pop-soupe composée majoritairement par le canadien Mocky. En 24 épisodes, il n’y a aucun air qui me soit resté en tête. Scénaristiquement, c’est également mauvais, pas d’évolution des personnages, pas de profondeur, pas d’enjeux et une profusion de bons sentiments niais (avec une sous-Trump qui, attention spoiler, n’hésite pas à se retirer quand elle apprend que son conseiller n’est pas très gentil). Mieux vaut revoir du Cowboy Bebop (Sympathy For The Devil ou Pierrot le Fou par exemple) plutôt que de se coltiner Carole & Tuesday.


Livres
Paddington at Large de Michael Bond (Harper Collins, collection « The Classic Adventures of Paddington Bear – The Complete Collection », 2019), 143 p.
Dans ce volume, Paddington coupe une branche dans le jardin de M. Curry, assiste au concert d’une fanfare, se confronte à un poste de télévision, passe dans une émission du petit écran, cuisine des toffees, fait des courses dans un grand magasin et participe à un pantomime.

Est-ce que l’effet de surprise se dissipe ou est-ce que Michael Bond n’était pas en super forme ? S’il demeure distrayant, ce cinquième volet des aventures de Paddington m’a moins convaincu que les précédents. Les histoires sont un peu téléphonées et trop similaires à ce qui avait déjà été écrit, excepté celle où il concourt à un quizz télévisé qui s’est avérée cocasse. J’espère que davantage de variété surgira dans le prochain.


Les ailes de la nuit de Robert Silverberg (J’ai lu, collection « Science-fiction », 1987), 213 p.
Sur une Terre futuriste ordonnée en castes, un vieux guetteur se rend à Roum en compagnie d’Avluela la volante et de Gordon l’Elfon, deux représentants de races engendrées en laboratoire des millénaires auparavant. Escomptant trouver du travail et un gite dans l’antique cité, ils déchantent rapidement à leur arrivée. Les guetteurs, qui observent le ciel quatre fois par jour à la recherche d’envahisseurs, sont en surnombre et méprisés pour leur emploi apparemment inutiles, l’invasion extraterrestre prédite depuis des temps immémoriaux ne survenant pas. Une attaque se prépare pourtant, qui va changer la face du monde.

Les ailes de la nuit est la fusion de trois nouvelles parues dans le magazine Galaxy : Nightwings (septembre 1968, vainqueur du prix Hugo en 1969), Perris Way (novembre 1968) et To Jorslem (février 1969). Ecrites dans la foulée, elles se succèdent de façon fluide sans donner l’impression d’un regroupement artificiel. L’univers est intéressant et original, avec une approche globalement tolérante et humaniste. Mais bon sang, les personnages féminins… Les auteurs de SF ont quand même un gros souci à ce niveau.
Il y a deux femmes importantes dans le récit. Elles sont évidemment décrites physiquement dans le détail, ce que l’auteur ne fait jamais pour les hommes. Avluela est une ado de 17 ans et on sent bien que le héros/narrateur, qui a le triple de son âge, a pour elle des sentiments plus qu’amicaux. A partir du moment où j’apprends qu’il y a une fontaine de jouvence, je sais qu’ils vont finir en couple parce que hein, si papy est jeune, y’a pas de problème n’est-ce pas ? La seconde, Olmayne, a un fort caractère, est séduisante et indépendante. Elle est donc forcément perverse et dangereuse. Ça devient franchement lassant et, cumulé à une conclusion mystique ratée, Les ailes de la nuit m’a fatigué en dépit de ses mérites.


Articles
Le rensageki était une forme de spectacle composite mélangeant théâtre et cinéma, qui vit le jour en 1909 et tomba en désuétude durant les années 20. Il puisait ses intrigues dans le répertoire du théâtre shinpa (dont il empruntait également les acteur·ices), auquel il ajoutait des passages tournés en extérieur dans une proportion d’un quart à une moitié. Il existait en général une version intégralement filmée destinée à être projetée sans la présence de comédiens (appelée marumono). Il n’y a plus aujourd’hui un seul exemple de séquence créée pour un rensageki, les pellicules n’ayant pas survécu aux deux catastrophes que furent le tremblement de terre du Kantô de 1923 et la deuxième guerre mondiale.
En 1909, les métrages japonais dépassaient rarement la longueur d’une bobine, soit environ 17 minutes, et nécessitaient le concours d’un benshi pour être compréhensible. Les premiers rensageki exploitèrent de vieilles copies usées et les utilisèrent dans le cadre d’une pièce de théâtre, la qualité médiocre de la photographie ne permettant pas de se rendre compte que les interprètes sur les planches n’étaient pas les mêmes que ceux sur les images. Le rensageki se développa à Ôsaka sous l’égide de troupes féminines. En 1915, il s’imposa dans l’ensemble du territoire et il atteignit son apogée en 1916. L’alternance des scènes jouées et filmées suppléait aux lacunes du cinéma de l’époque et à la quasi-absence de montage. Le rensageki proposait en outre une histoire complète en moins de deux heures, là où les pièces shinpa s’étalaient régulièrement sur une journée entière. Avec l’amélioration des techniques cinématographiques et l’interdiction de la diffusion de films dans les petites salles de Tôkyô (à cause des risques d’incendie), le rensageki entama son déclin en 1917 puis disparut totalement.

Les débuts du cinéma constituent une période d’expérimentation exaltante et font entrevoir ce que le septième art aurait pu devenir en d’autres circonstances. Le Japon, pays non Occidental fermé et doté d’une culture unique, a testé de nombreux chemins avant de rentrer dans le rang, notamment les benshi, le rensageki ou les kage serifu (doubleurs de l’ombre). Ces innovations furent décriées par les intellectuels modernisateurs, qui prenaient l’Occident pour modèle. Les films des années 10 ayant tous été détruits, on ne peut malheureusement se fier qu’aux témoignages critiques de l'élite, le public peu éduqué qui assistait en masse aux séances de rensageki n’ayant pas laissé de traces écrites. Cet article en français dépeint de manière saisissante le rensageki et j’aimerais mettre la main sur la thèse de Pascale Simon soutenue en 2003, qui analysait la naissance du cinéma japonais (ça va être relou, les thèses hexagonales n’étant pas aussi facilement accessibles sur internet que les nord-américaines).


« Pourquoi le manga est-il devenu un produit culturel global ? » de Jean-Marie Bouissou (Esprit, Juillet 2008)
Dans ce court texte, Jean-Marie Bouissou, chercheur sur le Japon, amateur de manga et auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet (l’excellent Manga - Histoire et univers de la bande dessinée japonaise que je recommande), revient sur les raisons pour lesquelles le manga a pu s’extraire de son marché national et se hisser au rang de produit mondial d’exportation particulièrement prisé en France.
A l’inverse des Occidentaux, le Japon n’a pas eu de volonté d’universaliser sa culture. Ses productions ont réussi à s’implanter sous des auspices favorables, remplissant un espace abandonné par des bandes dessinées locales inoffensives ou élitistes. Porté par la popularité des animés en France dès la fin des années 70, le manga arriva en force dans les années 90, avec une liberté de ton et une variété inconnue jusqu’alors. Akira fut à l’origine du choc initial dans la jeune génération désabusée des années 80, qui adhéra à ce récit nihiliste et apocalyptique. Son succès ouvrit la voie et les éditeurs s’embarquèrent avec frénésie dans l’importation de mangas.

Difficile en quelques pages d’approfondir les thèmes évoqués, Jean-Marie Bouissou se contente de lancer des pistes qu’il explora en détail, pour certaines, dans son Manga - Histoire et univers de la bande dessinée japonaise publié deux ans plus tard. Excepté un ultime paragraphe moins convaincant sur le dépassement de la science dans le manga, c’est passionnant. En peu de mots, il brosse les grandes lignes de l’épanouissement du manga dans notre pays. Une lecture rapide à conseiller.


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