Films vus en compagnie
Mars Express de Jérémie Périn (2023)

Jérémie Périn a gagné ses galons avec la série animée pour adultes Lastman financée par une campagne Kickstarter (2016 pour la saison 1, 2022 pour la saison 2), préquelle d’une BD de Bastien Vivès et Balak. Approchés par un producteur pour adapter Lastman sur grand écran, Jérémie Périn et son acolyte Laurent Sarfati préférèrent opter pour un récit inédit de SF noirisante inspiré à la fois de film noir à la Chinatown (1974), de thrillers politiques type Les trois jours du Condor (1975) ou de classiques de la SF comme Terminator 2 (1991), Ghost in the Shell (1995) ou Robocop (1987). Les robots doivent suivre les trois lois de la robotique d’Asimov dans un univers relativement réaliste, administré dans l’ombre par de gigantesques firmes technologiques.
Techniquement, ça tient la route en dépit du problème habituel dans notre pays : un doublage franchement pas terrible, qui alterne du bof au catastrophique. Sans être parfait, avec un côté épisodique inégal et une conclusion pas totalement convaincante, Mars Express est une belle anomalie dans le monde de l’animation française. Espérons que d’autres s’engagent dans cette voie.
Wedding Season de Tom Dey (2022)

Wedding Season est le premier scénario de Shiwani Srivastava. Il est dirigé par Tom Deys, connu pour Shanghai Kid (2000) ou Marmaduke (2010)… Autant dire que ça partait mal. Ces craintes furent rapidement confirmées, Wedding Season est un empilement de clichés de comédie romantique, chaque situation ayant été vue ailleurs à de multiples reprises. L’intrigue est cousue de fil blanc, avec des dilemmes nases (oh, il n’a pas de diplôme d’une grande école mais il est millionnaire, sera-t-il accepté par la belle famille ?) et un beau-frère blanc extrêmement gênant. Sans être foncièrement désagréable, correctement joué et stylistiquement sobre, j’aurais aimé deux-trois touches d’originalité.
Cuando acecha la maldad de Demián Rugna (2023, When Evil Lurks)

Demián Rugna est un des seuls réalisateurs argentins spécialisé dans l’horreur, qui s’est construit sa réputation grâce à Aterrados (2017). Cuando acecha la maldad poursuit dans cette veine, avec une histoire sombre et pessimiste centrée sur Pedro, un être brutal et antipathique qui va enchaîner les mauvaises décisions. L’univers est surprenant, on est plongé dedans sans explication en ouverture et on en comprend progressivement les règles. Ce récit d’un mal triomphant n’hésite pas à trucider des enfants, le cadre rural et la noirceur absolue tranchent avec le tout-venant. Si c’est par moments excessivement nihiliste, avec une mise en scène un peu grossière, cela demeure une variation intéressante du film de possession, avec des trucages organiques gores réussis. C’est le type de titre alternatif qui n’aurait jamais pu aboutir sans l’aide de l’Instituto Nacional de Cine y Artes Audiovisuales, l’équivalent argentin du CNC, qui a vu récemment son budget fortement amputé par le gouvernement de Javier Milei en guerre contre la culture.
Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu (2023)

Tiger Stripes est le premier long métrage de la Malaysienne Amanda Nell Eu, tourné dans un village du Selangor proche de la jungle, à l’est de Kuala Lumpur. Il traite de la puberté sous un registre de conte horrifique, avec des effets spéciaux très années 80 parfois kitsch. Il a été charcuté à sa sortie en Malaisie, le comité national de censure coupant plusieurs séquences, par exemple celles où on aperçoit du sang menstruel, où Farah essaye un soutien-gorge par-dessus ses vêtements et où Zaffan danse sans son voile. La diversité des financements provenant de huit pays et la sélection à Cannes a permis à Tiger Stripes d’être diffusé en intégralité à l’étranger. Cette internationalisation a malheureusement engendré un certain formatage, avec des thématiques assez galvaudées et une esthétique standardisée conçue par un directeur de la photographie européen. Ces faiblesses sont en partie rattrapées par les superbes décors naturels et par des actrices débutantes convaincantes, qui font de Tiger Stripes un spectacle honnête sans révolutionner le genre.
Den brysomme mannen de Jens Lien (2006, Norway of Life)

En 2007 face à une compétition assez faible, le Festival du film fantastique de Gérardmer consacra une obscure péloche norvégienne, Den brysomme mannen (= l’homme gênant), devenu en français Norway of Life tandis que l’anglais opta pour une traduction littérale (The Bothersome Man). Le scénario de Per Schreiner avait été initialement écrit pour la radio mais Jens Lien, captivé par sa bizarrerie surréaliste, voulut absolument l’adapter au cinéma. Le tournage eut lieu en Islande, avec une photographie terne aux couleurs pâles et grises.
La mise en place fonctionne parfaitement, on est intrigué par ce monde déconcertant trop propre, trop souriant, et on se demande comment Andreas a atterrit là. Malheureusement, le récit s’embourbe dans le train-train quotidien et dans des affaires de cœur avant de se relancer dans une dernière demi-heure étirée. La conclusion confirme ce que je pensais depuis le départ sans apporter de grosse surprise. En dépit d’un humour noir réjouissant et d’une ambiance de rêve éveillée réussie, il n’y avait sans doute pas matière à un long métrage, Norway of Life s’égare en chemin et dilue progressivement la force de son concept.
Films vus seuls
ニッポン無責任時代 [Nippon musekinin jidai] de Kengo Furusawa (1962, Happy Go-Lucky)

Hana Hajime and the Crazy Cats, généralement abrégé en Crazy Cats, fut un groupe de jazz et de comédie actif de 1955 au milieu des années 80 (bien qu’il n’ait jamais été officiellement dissous). Dès les années 60, ses membres entamèrent des carrières solos, notamment Hana Hajime (employé périodiquement par Yôji Yamada), Kei Tani et Hitoshi Ueki, le héros de ce Nippon musekinin jidai. C’est le premier volet des Crazy eiga, un terme qui recouvre une trentaine de titres rattachés à différentes séries produites par la Toho et Watanabe Productions et mettant en vedette des membres des Crazy Cats. Hitoshi Ueki se spécialisa dans les salaryman comedy, avec un personnage impertinent dans les deux Nippon musekinin puis honnête et travailleur dans les dix Nippon Ichi. Dans Nippon musekinin jidai, il est accompagné de ses deux acolytes Hana Hajime et Kei Tani, et d’autres Crazy Cats effectuent de brèves apparitions.
Nippon musekinin jidai a un intérêt essentiellement historique pour un spectateur contemporain. Il faut lui accorder une certaine originalité, Hitoshi Taira étant totalement irresponsable à l’inverse des classiques du genre. Son interprète Hitoshi Ueki, issu d’une famille bouddhiste sérieuse, avait au départ été offusqué avant de revenir sur sa position (il incarnera néanmoins dans les Nippon Ichi un individu plus traditionnel et convenable). Cela n’est pas suffisant, l’humour est lourdingue, les chansons quelconques et Hitoshi Ueki est agaçant.
Santo contra Blue Demon en la Atlántida de Julián Soler (1970, Santo vs. Blue Demon in Atlantis)

Santo contra Blue Demon en la Atlántida est le premier Santo avec un camarade catcheur masqué, Blue Demon, ami à l’écran et pas vraiment dans la vie où les deux hommes étaient rivaux. Ils conservent ici une inimitié, Blue Demon étant hypnotisé pour tenter d’assassiner Santo. Santo contra Blue Demon en la Atlántida est surtout la fête du recyclage, avec des stock-shots extraits de Kaitei gunkan (1963, Atragon), Kaijû daisensô (1965, Invasion Planète X) et Gojira · Ebira · Mosura Nankai no daikettô (1966, Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud) côté japonais, et Ercole alla conquista di Atlantide (1961, Hercule à la conquête de l'Atlantide) côté italien. Ajoutons que Santo regarde à la télévision une chanson interprétée par Olga Guillot dans Matar es fácil (1966), opus produit par Jesús Sotomayor Martínez qui a également financé ce Santo.
Santo contra Blue Demon en la Atlántida est vaguement inspiré de You Only Live Twice (1967) sorti deux ans auparavant. Elément inédit, Santo a une aventure avec une jolie espionne : il avait déjà eu des copines précédemment mais il refusait systématiquement les avances des demoiselles rencontrées sur le chemin. Blue Demon sert d’antagoniste durant deux bons tiers, le héros reste Santo. En dépit d’images récurrentes de requins qui n’ont strictement aucune utilité, les stock-shots ne sont pas trop mal intégrés dans l’ensemble et c’est relativement pêchu bien que profondément crétin et bourré d’incohérences.
A noter que Santo et Blue Demon n’ont pas besoin de bouteille d’oxygène pour aller dans l’antre secrète contrairement à tous les autres et qu’on a le droit à un générique complet en ouverture et en conclusion du métrage.
P.S. : je me rends compte que l'affiche est complètement délirante, évoquant une conquête de la Lune absente du récit.
Сенки [Senki] de Milcho Manchevski (2007, Ombres)

Milcho Manchevski est le seul réalisateur macédonien réputé et Senki est mon premier film de ce pays. Il marque les débuts au cinéma de Vesna Stanojevska (Menka), une harpiste professionnelle macédonienne. Autant le dire tout de suite, ça n’a pas été enthousiasmant. C’est une espèce de Sixième Sens (1999) slave avec du sexe, beaucoup de plans sur des seins nus et des jambes de femmes. Les personnages féminins sont affreusement caricaturaux, la mère possessive, l’épouse infidèle ou la séductrice. La photographie est banalement stylisée, l’histoire ultra convenue et je me suis ennuyé.
O Leão da Estrela d’Arthur Duarte (1947)

O Leão da Estrela est au départ une pièce de théâtre écrite pour l’acteur Chaby Pinheiro en 1925. Elle a été transformée en un véhicule pour António Silva, la grande star de la comédie à la portugaise des années 30 à 50. L’intrigue joue encore une fois sur un travestissement de classe, une famille de classe moyenne se déguisant en riches bourgeois. Arthur Duarte reprendra un schéma similaire dans O Grande Elias (1950), qui mettra également en vedette António Silva et une Milú mutine.
Cette dernière est amusante dans le rôle de Jujú et constitue un des principaux intérêts de O Leão da Estrela. Rien de transcendant à part ça, António Silva déroule son traditionnel numéro de bonimenteur volubile, il n’y a pas de chanson et c’est comme d’habitude excessivement long (2h01). La seconde moitié est classique alors que la première, axée sur le football, est plus originale. Il est d’ailleurs étonnant que ce thème, un des trois f de la trilogie salazariste fado, Fátima, football, ait été si peu exploitée au cinéma à cette époque, le seul autre exemple à ma connaissance étant l’introuvable Bola ao Centro (1947).
元祖大四畳半大物語 [Ganso dai yojôhan ô monogatari] de Leiji Matsumoto & Chûsei Sone (1980, The Great Tale of the Great Tatami Progenitor)

Que peut-on attendre d’un film qui utilise à trois reprises la même musique au banjo pour illustrer des séquences supposées comiques ? Pas grand-chose. Ganso dai yojôhan ô monogatari est tiré d’un manga semi-autobiographique de Leiji Matsumoto, publié dans Manga Action entre 1970 et 1974. L’auteur codirige l’adaptation, accompagné de Chûsei Sone, un ancien spécialiste du Roman Porno de la Nikkatsu. Tandis que le manga était apparemment très explicite, le long métrage ne montre curieusement aucune nudité, les rares scènes de sexe étant davantage suggérées.
La trame est chaotique, succession d’historiettes pas passionnantes portées par un Adachi insupportable, violent quand il boit, pleurnichard quand il est sobre. Il est maladroitement interprété par Yoji Yamaguchi, un débutant qui ne fera pas carrière (et on comprend pourquoi). La vision genrée de Ganso dai yojôhan ô monogatari est franchement arriérée. L’homme se doit d’être viril et courageux, avec un code de conduite old school, et ne doit pas hésiter à taper du poing à l’occasion. La femme doit accepter ces sautes d’humeur, avoir un instinct maternel en restant sexy et mystérieuse. Leiji Matsumoto a toujours été idéologiquement douteux. Bien que j’aime beaucoup Albator et Galaxy Express 999, il ne faut pas trop creuser, c’est assez réac lorsqu’on y réfléchit (au moins le nationalisme d’une certaine frange de son œuvre ne suinte pas ici). Ganso dai yojôhan ô monogatari était pénible et je ne le conseillerai à personne.
Livres
Les armureries d’Isher de A.E. Van Vogt (J’ai lu, 1977), 312 p.

Comme souvent chez A.E. Van Vogt , Les armureries d’Isher est un fix-up paru en 1951 de trois nouvelles antérieures : The Seesaw (Astounding Science Fiction, juillet 1941), The Weapon Shop (Astounding Science Fiction, décembre 1942) et The Weapon Shops of Isher (Thrilling Wonder Stories, février 1949). Le résultat est harmonieux et je n’avais pas réalisé que c’était un assemblage. Il existe une suite, Les Fabricants d'armes, écrite en 1943 donc avant la troisième partie des Armureries d’Isher (même si elle se déroule chronologiquement après).
Les armureries d’Isher est un classique d’A.E. Van Vogt. Il est plutôt rythmé et est plus distrayant que la majorité de ses bouquins critiqués sur ce blog. Il y a cependant un gros hic sur le plan idéologique. Outre le conservatisme bon teint et le sexisme habituels chez cet auteur, le concept de base repose sur une vision NRA du port d’arme (une des phrases du livre est d’ailleurs fréquemment citée par ses membres), seul moyen de garantir la liberté des individus. Cet élément est omniprésent et gâche foncièrement la lecture de ce roman daté.
Litchi Hikari Club d’Usamaru Furuya (IMHO, 2011), 328 p.

Litchi Hikari Club est inspiré d’une pièce de la troupe du Tokyo Grand Guignol auquel Usamaru Furuya a assisté en 1985 quand il était en première. Ce spectacle l’a profondément marqué et, vingt ans plus tard, il a souhaité en tirer un manga en modifiant largement le scénario. Cela donne un récit pour adultes bourré de violence et de sexe, avec des ados homosexuels qui couchent ensemble et se trucident gaiement. Si cela était peut-être amusant/choquant sur une scène de théâtre dans les années 80, c’est franchement vain et pénible en 2024. C’est inutilement provocateur, l’intrigue est quasi-inexistante, les morts se succèdent sans que l’on s’y intéresse vraiment. C’est un peu ce que je craignais de la part d’Usamaru Furuya, célèbre pour ses excès, mais j’avais été agréablement surpris par Palepoli et j’avais eu envie d’essayer. Raté. Pour une fois, IMHO offre en conclusion un épilogue bienvenu d’Usamaru Furuya, qui dévoile la genèse de Litchi Hikari Club. A noter qu’IMHO a également publié une préquelle, Notre Hikari Club, et une variation, Litchi Hikari Club Collaboration. Ce sera sans moi.
Contes pour les enfants et la maison – Tome II collectés par les frères Grimm (José Corti, collection « Merveilleux » n°40, 2009), 665 p.

Ce tome II contient moins de classiques que le précédent, avec beaucoup de redites, parfois mot pour mot. Les retouches des Grimm ne sont pas négligeables et il se sont évertués à donner à l’ensemble une certaine cohérence, insérant des renvois entre contes par des jeux de citations. J’ai trouvé particulièrement intéressant les distinctions faites dans les notes et dans la passionnante postface entre le conte, la légende (plus historique, « rattachée à quelque chose de connu et de conscient » selon les Grimm), la fable (« récit allégorique d'où l'on tire une moralité »), la farce (qui se moque des mœurs et de la société), l’exemplum (qui fournit un modèle moral à suivre) et le texte étiologique (qui explique la raison d’être d’un comportement ou d’un fait). Les contes de Grimm incluent en réalité tous ces types, dont la frontière est souvent poreuse. Il est fort dommage que leur recueil de légendes, le Deutsche Sagen, n’ai jamais été traduit en français.
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