Films vus en compagnie
Shall we ダンス? [Shall we dansu?] de Masayuki Suo (1996, Shall we dance ?)

Jamais sorti au cinéma en France, Shall we dansu? fut un phénomène au Japon, deuxième au box-office en 1996. Il permit à Kôji Yakusho de gagner le premier de ses quatre Japan Academy Film Prize du meilleur acteur (il détient le record à égalité avec Ken Takakura) et lança la mode des danses de salon dans l’archipel. Un remake hollywoodien fut même produit en 2004, Richard Gere remplaçant Kôji Yakusho. Fan d’Ozu (son premier opus, Abnormal Family (1984) était d’ailleurs une parodie d’Ozu façon pinku eiga, un truc assez déstabilisant de mémoire), Masayuki Suo s’est inspiré de Printemps précoce (1956), reprenant le nom du héros joué par Ryô Ikebe. Il s’éloigne toutefois du schéma de l’employé de bureau qui entretient une brève liaison pour se focaliser sur la danse.
Masayuki Suo refusa à l’origine Kôji Yakusho qu’il estimait trop cool pour le rôle avant de changer d’avis. Pour incarner Mai Kishikawa, la ballerine Tamiyo Kusakari fut sélectionnée. Elle épousa Masayuki Suo à l’issue du tournage et se retira du milieu de la danse en 2009 pour se concentrer sur sa carrière de comédienne. Dans les personnages secondaires, il faut noter un Naoto Takenaka absolument déchaîné en collègue de Shohei. Il est irrésistible et la salle était morte de rire à chacune de ses apparitions.
Il existe deux versions de Shall we dansu? : une internationale de 1h59 et une japonaise de 2h16. J’avais vu celle de 1h59 il y a des années et j’ai eu la chance d’assister à une projection de la seconde samedi dernier à la Maison de la Culture du Japon à Paris, en présence de Kôji Yakusho qui a dit quelques mots avant le début de la séance. J’avoue ne pas avoir remarqué les différences. Je ne me souvenais pas en tout cas qu’il y avait autant de drama, traité d’une manière résolument humoristique. On ne sent pas le temps passer, il n’y a aucune baisse de rythme et les interprètes sont excellents. Déjà auteur du sympathique Sumo Do, Sumo Don't (1992), sorte de précurseur du Ganbatte eiga, Masayuki Suo n’a malheureusement pas réitéré depuis une telle réussite, j’ai été déçu par I Just Didn't Do It (2006) et Talking the Pictures (2019).
The Holdovers d’Alexander Payne (2023, Winter Break)

L’idée initiale de The Holdovers est venue à Alexander Payne en regardant Merlusse, un film de Marcel Pagnol de 1935 que je ne connais pas et que j’ai du coup envie de récupérer. Il a ensuite contacté le scénariste David Hemingson, avec qui il convint de situer l’action en 1970, s’écartant des années 50 pour se distinguer du Cercle des poètes disparus (1989) qui se déroulait en 1959. Une fois la décision adoptée, Alexander Payne travailla avec minutie sur une reconstitution de la période, recréant numériquement le grain et le rendu des caméras et pellicules de l’époque. L’introduction évoque évidemment le Cercle des poètes disparus avant de bifurquer en centrant le récit sur un trio de marginaux plutôt que sur un enseignant épanouissant et son groupe de fans. C’est globalement prévisible, Paul Giamatti fait son numéro habituel, mais cela fonctionne bien dans le genre feel-good movie, avec un esprit de Noël approprié en cette saison.
طعم گیلاس [Ta'm e guilass] d’Abbas Kiarostami (1997, Le goût de la cerise)

J’ai une expérience limitée du cinéma d’Abbas Kiarostami, j’ai seulement vu Où est la maison de mon ami ? (1987), film pour enfants peu représentatif de ces œuvres plus tardives, et Five (2003). Affirmant dans un entretien en 1997 avec le chercheur Jamsheed Akrami ne pas aimer raconter des histoires, jouer avec les émotions du public, lui prodiguer des conseils ou le culpabiliser, il a progressivement épuré son style jusqu’à l’extrême Five (2003), documentaire formé de cinq plans-séquence quasi-fixes sans personnage ni intrigue. La trame du Goût de la cerise est quant à elle prétexte à une réflexion sur le libre arbitre, la solitude et la mort. La conclusion extradiégétique est surprenante et a fait couler beaucoup d’encre, son utilité n’étant pas criante (Kiarostami ayant ainsi accepté de la retirer pour la sortie italienne).
A contre-courant de la profession, le célèbre critique Roger Ebert avait haï Le goût de la cerise et j’entends son argumentation. C’est déconcertant, la scène avec le jeune soldat donne l'impression que l'automobiliste pourrait être un violeur, on a du mal à comprendre où cet homme et Abbas Kiarostami veulent en venir. Il y a pourtant une langueur assez fascinante et, aussi agaçant que cela puisse être par moments, on est obligé de méditer sur les agissements du héros dépressif. Or, pour Kiarostami, ce qui importe n’est pas tant qu’un long métrage soit captivant ou spectaculaire mais qu’on continue à y penser après la séance, même si on s’est ennuyé en chemin. Il a de ce point de vue parfaitement réussi.
The Zone of Interest de Jonathan Glazer (2023, La zone d'intérêt)

Que dire de The Zone of Interest, vainqueur du Grand prix à Cannes en 2023 et de cinq oscars en 2024, qui n’est pas été dit ces derniers mois ? Jonathan Glazer a eu la bonne idée de simplifier le roman de Martin Amis dont il s’est inspiré, supprimant le triangle amoureux et les changements de ton entre narrateurs. Il n’a par ailleurs pas voulu montrer les horreurs de l'Holocauste, les laissant hors-champ à travers le montage son. Désirant démystifier les tortionnaires nazis, il se penche, à la manière de Hannah Arendt, sur la banalité du mal et sur la responsabilité collective, la femme de Höss profitant au maximum de la situation en toute connaissance de cause.
Jonathan Glazer n’a pas pu s’empêcher de glisser des effets de style, avec des passages tournés en caméra thermique, un rythme lent, des transitions arty et une musique déstabilisante bizarre. Si cela contribue à instaurer une ambiance, je reste dubitatif sur l’intérêt de caser ce genre de choses dans un film au récit dépouillé sur un sujet ultra-sensible. Nonobstant ce souci qui semble inéluctable chez Glazer, c’est efficace et dérangeant, apportant un angle original à un thème maintes fois ressassé.
La guerre des tuques d’André Melançon (1984)

La guerre des tuques est un classique au Québec, régulièrement diffusé au moment des fêtes. C’est le premier titre de la série pour enfants des Contes pour tous qui ont bercé la jeunesse de nombre de Québécois, 24 longs métrages produits par Rock Demers et sa compagnie Les Productions La Fête entre 1984 et 2014. J’avoue que je n’en avais jamais entendu parler jusque récemment en dépit de mes années passées au Canada et je pense en récupérer certains.
La référence à La guerre des boutons est clairement assumée dans ce conflit entre deux factions de gamins déchaînés. Il y a évidemment des artifices narratifs qui sonnent un peu faux, une romance nasouille et des gosses au jeu variable mais c’est globalement plaisant et distrayant, avec un sympathique personnage neutre (Ti-Guy La Lune) et une conclusion étonnamment triste. C’est vraiment dommage que la France ne soit pas capable de regarder ce qu’il se fait dans la francophonie, La guerre des tuques aurait sans doute pu rencontrer le succès dans l’hexagone s’il avait été distribué.
Les Misérables de Tom Hooper (2012)

Les Misérables est à l’origine une comédie musicale française de Claude-Michel Schönberg jouée au Palais des sports de Paris en 1980. Cette transposition hollywoodienne totalement chantée (à quelques exceptions) réunit un casting prestigieux et s’étale sur 2h38. Elle reprend avec des libertés la trame du roman de Victor Hugo, infame pavé de 2600 pages que je n’ai jamais lu. N’ayant pas vu non plus d’autres adaptations, ma connaissance de l’œuvre a longtemps été limitée au sketch des Inconnus, qui présente l’avantage de ne durer que cinq minutes. A l’inverse, chaque scène de ces Misérables de 2012 est étirée au maximum, chaque situation donnant lieu à un épanchement des protagonistes. Le problème, en dehors de l’aspect interminable et assommant de la chose, est que ce n’est pas terrible musicalement. Il n’y a aucun air pêchu, rien qui reste en tête ou que l’on retient, contrairement à un Demy où les paroles chantées sont parfois ponctuées de mélodies entrainantes ou marquantes. Si on ajoute un couple de Thénardier insupportables incarnés par Helena Bonham Carter et Sacha Baron Cohen en roue libre et un montage outrancier multipliant les mouvements de caméra inutiles, on comprend qu’il n’y a rien à sauver.
Films vus seuls
El mundo de los muertos de Gilberto Martínez Solares (1970, The World of the Dead)

Je poursuis les Santo produits par Jesús Sotomayor Martínez avec, outre des stock-shots provenant notamment de Ercole al centro della terra (1961), un recyclage du principe de El hacha diabólica (1965) avec une longue introduction au XVIIe siècle. Ce n’est pas franchement étonnant quand on remarque que les deux titres partagent le même scénariste, Rafael García Travesí. Cela ne l’empêche pas de ne tenir aucun compte des évènements qui se sont déroulés dans les épisodes précédents. Blue Demon est de nouveau un antagoniste, dans une apparition anecdotique qui lui permet de se bastonner avec l’aïeul de Santo. L’emploi de Pilar Pellicer (aperçue dans Pedro Páramo (1967)) dans le double rôle de Damiana/Alicia est en revanche inattendu, on a rarement eu droit à des actrices de ce calibre dans les Santo.
Si ce Santo est riche en péripéties, il est piteusement réalisé par Gilberto Martínez Solares, responsable de l’affligeant Santo y Blue Demon contra los monstruos (1970). El mundo de los muertos est heureusement supérieur grâce à une intrigue correcte et à deux-trois surprises. Signalons ainsi Santo poignardé et à deux doigts de trépasser (mais bon, c’est Santo, une opération à cœur ouvert en stock-shot et hop, il peut redistribuer des pains à tour de bras), et une visite aux Enfers en filtre rouge. A l’instar de Santo en el tesoro de Drácula/El vampiro y el sexo (1968), on sent qu’il existe probablement une version dénudée qui n’a cependant pas été retrouvée.
学校の怪談3 [Gakkô no kaidan 3] de Shûsuke Kaneko (1997, Haunted School 3)

C’est de pire en pire… Gakkô no kaidan 3 est l’unique Gakkô no kaidan à ne pas être dirigé par Hideyuki Hirayama, la tâche incombant à Shûsuke Kaneko entre deux volets de sa trilogie Gamera. Je constate d’ailleurs la présence d’Aki Maeda, découverte dans Gamera 2: Attack of Legion (1996) et qui avait un petit rôle dans Gakkô no kaidan 2 (1996, Haunted School 2). Elle fera une jolie carrière, jouant par exemple dans l’excellent Linda Linda Linda (2005).
L’âge des protagonistes continue de diminuer à l’image sans doute du public ciblé, les plus âgés étant ici des préadolescents. L’aspect nostalgique avec des décors un peu antique est également abandonné, on ne cherche plus à viser les parents. Les effets spéciaux sont lamentables dans l’ensemble, des images de synthèse affreuses ou un costume de mannequin anatomique raté, qui gâchent les deux-trois rares idées intéressantes. Le seul trucage réussi est celui d’un squelette de dinosaure qui fleure bon la stop-motion. Espérons que le 4 sera meilleur.
開心鬼撞鬼 [Kai xin gui: Zhuang gui] de Johnnie To (1986, Happy Ghost III)

Ce troisième épisode de la série des Happy Ghost apporte du renouveau. Le fantôme principal n’est plus le lettré Pik, qui ne se manifeste que brièvement, mais une revenante espiègle interprétée par une jeune Maggie Cheung. Les élèves de Sam Kwai n’ont qu’une importance secondaire, on est dans un schéma de comédie romantique surnaturelle avec un humour facile globalement inoffensif. C’est un des premiers longs métrages de Johnnie To au cinéma, qui marque le début de sa collaboration avec Cinema City, le studio de Raymond Wong (Sam Kwai). La firme employait à la même période Tsui Hark (chargé des effets spéciaux de Happy Ghost III et qui apparaît rapidement à l’écran en juge de l’au-delà), Ringo Lam (qui s’est occupé des poursuites en voiture) et John Woo.
Maggie Cheung s’en donne à cœur joie et son duo avec Raymond Wong fonctionne bien. Si ça ne vole pas très haut, c’est gentil, assez rythmé et distrayant dans le genre.
暗黒街の顔役 [Ankokugai no kaoyaku] de Kihachi Okamoto (1959, The Big Boss)

Ankokugai no kaoyaku est le troisième opus de Kihachi Okamoto, entré à la Tôhô en 1943 en tant qu’assistant réalisateur. Il s’inscrit dans le cycle des Ankokugai (= la pègre), huit longs métrages sans lien entre eux excepté leur titre et leur atmosphère noirisante. Ankokugai no kaoyaku met en vedette Kôji Tsuruta, une star du ninkyo eiga qui incarne ici son traditionnel yakuza tiraillé entre son devoir envers son parrain et son affection pour son cadet. Il est épaulé par Akira Takarada (Mineo), une belle gueule populaire dans les années 60 connu en Occident pour ses six apparitions dans la franchise Godzilla ; Akihiko Hirata, le mémorable docteur Daisuke Serizawa dans Godzilla (1954) ; et Makoto Satô, un spécialiste des méchants inquiétants et psychotiques. On note en outre la présence de Toshirô Mifune en lâche garagiste, un petit rôle inhabituel pour ce vieil ami de Kihachi Okamoto (ils furent un temps colocataires).
Tandis que Kihachi Okamoto est surtout réputé pour ses films de guerre plus ou moins humoristiques et ses chanbara, son début de carrière offre de beaux exemples de films noirs dramatiques. Ankokugai no kaoyaku est apparemment le plus sombre, empreint dès le départ du sceau de la tragédie. On sent que cela va mal finir et on pense aux productions de la Nikkatsu de la même époque. L’ambiance mélancolique est renforcée par la bande originale d’Akira Ifukube, autre rescapé de Godzilla au style aisément identifiable. A l’inverse des excès dont il est coutumier, Kihachi Okamoto propose une œuvre sobre avec une belle photographie, portée par une distribution solide. Une agréable surprise.
Livres
Les paladins de la liberté de Jack Vance (Presses Pocket, collection « Science-Fiction »,1981), 192 p.

Tout en étant assez prenant, je ne suis pas totalement convaincu par ce second tome des Chroniques de Durdane, à l’image du premier. La faute en revient à un héros fatiguant à la longue et à une espèce de faux-rythme durant une bonne moitié du bouquin. En conséquence, ça ne prend pas en dépit d’un univers extrêmement riche et singulier. Cela n’est pas déplaisant, je lirai le troisième mais j’avoue être un peu déçu.
Tokyo Élégie de Mizumaru Anzai (IMHO,2023), 192 p.

A l’instar de Période bleue, il ne se passe pas grand-chose dans Tokyo Élégie, succession de vignettes autobiographiques principalement centrées sur la camaraderie dans un style poétique et simple. Sans être désagréable, c’est vite lu vite oublié. Au moins, Mizumaru Anzai a abandonné sa manie de dessiner des femmes nues sans raison bien qu’IMHO ait affiché en couverture l’un des rares contre-exemples. Comme d’habitude, aucun travail contextuel de cet éditeur, qui se contente de traduire la vaine postface de la publication japonaise de 1982.
Revues
Mad Movies n°388 – Décembre 2024

Du côté des sorties, le gros zoom sur le Nosferatu de Robert Eggers ne me rassure pas malgré l’enthousiasme de la rédaction. Je serai tout de même curieux de voir le résultat. Rien à signaler à part ça, excepté peut-être Bird d’Andrea Arnold (2024), un drame social anglais mâtiné de fantastique.
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