Films vus en compagnie
君たちはどう生きるか [Kimitachi wa dô ikiru ka] de Hayao Miyazaki (2023, Le Garçon et le Héron)

A 84 ans et vu son rythme, Le Garçon et le Héron est sans doute l’ultime Miyazaki (sa troisième retraite sera peut-être la bonne). L’histoire est un mélange de sources : principalement de The Book of Lost Things de John Connolly, sur un ado qui n’accepte pas le décès de sa mère et est aspiré dans un univers féérique ; vaguement du livre éponyme Kimitachi wa dô ikiru ka (= Et vous, comment vivrez-vous ?) de Yoshino Genzaburô publié en 1937, sur un garçon orphelin de père qui est éduqué par son oncle ; d’aspects autobiographiques, avec un géniteur encore une fois ingénieur pour l’armée de l’air, une mère absente (celle de Miyazaki, tuberculeuse, fut alitée durant huit ans quand il était jeune), un grand-oncle inspiré d’Isao Takahata et un héron de Toshio Suzuki, le président des studios Ghibli ; la tour enfin provient d’une nouvelle d’Edogawa Ranpo, La Tour fantôme, que Miyazaki appréciait enfant. Cette combinaison donne un bric-à-brac bancal, avec un foisonnement préjudiciable.
Techniquement, c’est splendide, avec des dessins à la main qui ont nécessité le travail de soixante animateurs pendant cinq ans. Cela a engendré des coûts prohibitifs, qui expliquent pourquoi Le Garçon et le Héron et les autres titres du studio Ghibli sont disponibles sur Netflix. Pour financer la production, Toshio Suzuki convainquit Miyazaki en 2020 de vendre les droits à la plateforme. Scénaristiquement en revanche, c’est assez anarchique. On a l’impression d’une juxtaposition d’éléments faiblement reliés par un mince fil directeur. Il manque le souffle épique d’un Princesse Mononoké (1997) ou l’implication émotionnelle d’un Voyage de Chihiro (2001). Sans être désagréable, meilleur que Le vent se lève (2013) qui m’avait laissé totalement froid, on est loin des chefs d’œuvre du réalisateur.
Le deuxième acte de Quentin Dupieux (2024)

Dupieux continue à enchaîner à vive allure après Daaaaaalí ! (2023). Il propose un nouveau jeu de réalités imbriquées à travers un faux long métrage mis en scène par une intelligence artificielle, sur le tournage duquel tout se passe mal et où les acteurices n’arrêtent pas de se disputer. Dès le départ, Dupieux balance des dialogues extrêmement gênants qui se présentent comme tels sur la transphobie, le sexisme, l’homophobie, le « on ne peut plus rien dire ». Le but est probablement d’en rire sauf que du gênant en abyme demeure gênant et ça devient rapidement pénible. Si j’ajoute des procédés d’emboitement galvaudés pour du Dupieux et des personnages creux, autant dire que ce Le deuxième acte est franchement raté. Le prochain Dupieux marquera le retour d’Eric et Ramzy presque vingt ans après le sympathique Steak, j’espère que ce sera meilleur.
悪は存在しない [Aku wa sonzai shinai] de Ryûsuke Hamaguchi (2023, Le mal n'existe pas)

Alors que j’ai plusieurs Ryûsuke Hamaguchi en DVD, c’est curieusement le premier que je vois. Il s’écarte de ses habituelles histoires sentimentales amères et citadines pour une réflexion contemplative sur l’écologie et l’implacabilité du capitalisme libéral, dont les sbires ne sont pas aussi manichéens qu’on le pense de prime abord. Le naturalisme des paysages et des situations se mélange à un montage fait de coupes brusques, combiné à des sons violents (coups de feu, tronçonneuse…) et à une musique souvent répétitive de la compositrice Eiko Ishibashi (pour qui Ryûsuke Hamaguchi cherchait initialement des idées de vidéos à projeter au cours de ses concerts). Cela génère une ambiance un peu inquiétante, qui rend suspecte le trop rapide retournement de veste d’un des protagonistes.
Les interprètes sont excellents et le résultat est convaincant, excepté le dénouement. Selon Ryûsuke Hamaguchi, « [i]l nous est impossible de tout expliquer dans la vie, et je crois qu'il doit en être de même dans certaines œuvres. En tout cas, dans ce film, certains éléments échappent à l'intellect et sont de l'ordre purement de l'émotion. La fin m'est venue de cette façon, je ne peux pas l'expliquer autrement ». Mouais… C’est dommage de conclure en queue de poisson ce récit jusque-là très rationnel, ça sort de nulle part et ça m’a agacé.
The Post de Steven Spielberg (2017, Pentagon Papers)

Il ne faut pas espérer de The Post une quelconque originalité, on a l’impression d’avoir vu ce genre de film cent fois. Il se pose clairement en préquelle des Hommes du Président (1976, pourri à jamais par Le Grand Détournement), Tom Hanks calquant parfois son jeu sur celui de Jason Robards qui incarne Benjamin Bradlee dans le classique d’Alan J. Pakula. Cette filiation amène Spielberg à prendre des libertés avec la réalité et à transformer des suiveurs en leaders, comme le souligne l’ancien conseiller juridique du New York Times. Le vrai héros de ce combat fut en effet le New York Times, qui fit le gros du travail et prit l’essentiel des risques. La décision de la Cour Suprême sur ce dossier s’appelle d’ailleurs New York Times Co. v. United States, le Washington Post n’a eu qu’un rôle secondaire et la menace d’emprisonnement pour Benjamin Bradlee et Katharine Graham est complètement exagéré dans The Post pour générer un faux suspense.
Ce qui préoccupe Spielberg, c’est Katharine Graham, une des premières femmes directrices d’un grand journal américain. Cela pousse le cinéaste à ériger l’affaire des Pentagon Papers en tournant dans sa carrière tandis qu’elle ne consacre à l’évènement que quelques pages dans sa longue autobiographie. Meryl Streep la joue de façon très conventionnelle, épaulée par un Tom Hanks qui ne se fatigue pas beaucoup. Spielberg connaît son boulot, c’est d’honnête facture mais franchement planplan.
Films vus seuls
Las momias de Guanajuato de Federico Curiel (1972, The Mummies of Guanajuato)

Bien que diffusé après Santo en la venganza de la momia (1971), le tournage de Las momias de Guanajuato débuta un jour avant. C’est l’unique Santo produit par Rogelio Agrasánchez, plutôt spécialisé dans les Mil Máscaras. Santo apparaît ici en guest-star, il surgit in extremis pour sauver la situation avec ses pistolets dorés lance-flammes. Comme le résume la copine de Mil Máscaras : « on aurait évité bien des problèmes si on avait appelé Santo dès le départ ».
Las momias de Guanajuato eut étonnamment un énorme succès, il engendra deux suites et une pléthore de copies. On se demande pourquoi au vu d’un scénario bourré d’incohérences et d’un montage à la ramasse, qui passe du coq à l’âne et téléporte des personnages d’une séquence à une autre. Le seul intérêt vient de Mil Máscaras, qui change de masque à chaque scène et balance des petits traits d’humour nul.
A noter que j’ai privilégié l’affiche d’une ressortie titrée Santo contra las momias, plus jolie que l’officielle.

Qu’est-ce qu’on se marre avec Mil Máscaras
赤毛 [Akage] de Kihachi Okamoto (1969, Red Lion)

Akage est la neuvième collaboration entre Kihachi Okamoto et Toshirô Mifune, produit par Mifune Productions à une époque où la star était à son zénith. Kihachi Okamoto lui propose un rôle proche de son mythique Kikuchiyo des Sept Samouraïs (1954), ce paysan fanfaron qui se voulait samouraï, dans une version caricaturale typique du jeu de Mifune à la fin des années 60. Il est clairement en roue libre, de même que le reste du casting. Il n’y a guère que Etsushi Takahashi qui se démarque en assassin opportuniste et nihiliste. La dernière demi-heure adopte un ton plus sombre, critique des puissants qui manipulent les faibles. Trop tard, j’avais déjà décroché.
Вечір на Івана Купала [Vechir na Ivana Kupala] de Yuri Ilyenko (1968, La nuit de la veille de la Saint-Jean)

La nuit de la veille de la Saint-Jean est un long métrage soviétique tourné à Kiev dans le studio Dovjenko. Il est vaguement inspiré de la nouvelle éponyme de Nicolas Gogol et de contes ukrainiens, les péripéties servant de métaphores pour dépeindre certains passages de l’Histoire de l’Ukraine. A l’instar du premier opus de Yuri Ilyenko, Krynytsya dlya sprahlykh (1965), La nuit de la veille de la Saint-Jean fut interdit par le parti communiste et réhabilité seulement en 1988.
La récente restauration en 4K a permis de redonner à la pellicule sa splendeur visuelle, qui rappelle le cinéma de Sergei Parajanov dont Yuri Ilyenko fut le directeur de la photographie pour Les chevaux de feu (1965). La nuit de la veille de la Saint-Jean multiple les scènes oniriques et hallucinées, avec un montage audacieux. Cela rend l’intrigue particulièrement complexe à suivre et j’avoue avoir été déboussolé par moments. Habituellement pas fan des récits surréalistes incompréhensibles, j’ai été pour une fois relativement convaincu grâce à l’ambiance de conte bizarre qui se dégage. Les amateurs de Parajanov devraient en tout cas y trouver leur bonheur.
La Llorona de René Cardona (1960)

Selon le wikipedia espagnol, ce La Llorona de 1960 est tiré de la nouvelle éponyme de Carmen Toscano. C’est possible mais c’est surtout un remake extrêmement fidèle de La Llorona de Ramón Peón de 1933, film fondateur du cinéma horrifique mexicain que René Cardona ne pouvait ignorer. Il fonctionne sur le même principe du grand-père inquiet qui raconte à son beau-fils en flashback l’origine de la malédiction. Rien de novateur donc sur le plan scénaristique. Pour le reste, c’est toujours aussi mollasson bien que meilleur que la version de 1933. Il a de jolis décors et costumes, et l’interprétation est convenable, notamment la charismatique María Elena Marqués en revenante destructrice. Il existe de nombreuses adaptations de la légende, espérons que je finisse par tomber sur une mouture mexicaine correcte (la guatémaltèque de 2019 de Jayro Bustamante était regardable de mémoire).
悪霊島 [Akuryô-tô] de Masahiro Shinoda (1981, Island of the Evil Spirits)

Akuryô-tô constitue l’ultime enquête du détective Kôsuke Kindaichi, parue en feuilleton dans le magazine Shosetsu Yasei Jidai en 1979-1980, un an avant le décès de son auteur Seishi Yokomizo. Elle fut transposée sur grand écran dans la foulée par Kadokawa Pictures, travail qu’elle confia à un Masahiro Shinoda assagi, loin de ses expérimentations esthétiques des années 60. La réalisation de Akuryô-tô est d’ailleurs franchement anonyme et pourrait être l’œuvre de n’importe quel tâcheron. L’intrigue n’est pas passionnante, avec une introduction artificielle ajoutée pour capitaliser sur la mort de John Lennon qui était très populaire au Japon. Le montage original incorporait deux chansons des Beatles, qui furent supprimées de la bande son à l’expiration des droits. Takeshi Kaga n’est pas terrible en Kôsuke Kindaichi, c’est plutôt longuet et assez dispensable dans l’ensemble.
Squirm de Jeff Lieberman (1976, La nuit des vers géants)

Après l’inégal Blue Sunshine (1977), je continue les Jeff Lieberman avec le culte et mal noté Squirm. Prévu en Nouvelle-Angleterre, le tournage migra en Géorgie à cause de conditions météo défavorables. Résultat : excepté l’héroïne Geri incarnée par la texane Patricia Pearcy, une bande de Nordistes plutôt novices tentent d’imiter péniblement l’accent du Sud profond. Les effets spéciaux sont en revanche réussis compte tenu des faibles moyens, assurés par le fameux Rick Baker qui employait pour la première fois de sa carrière des prothèses. Bien qu’handicapé par un scénario crétin et une mise en scène bancale, cela demeure un honnête film d’exploitation, Geri et Mike sont sympathiques et on ne s’ennuie pas.
Livres
Une femme et la guerre de Yôko Kondô/Une femme et la guerre d’Ango Sakaguchi (Philippe Picquier, 2019), 147 p./55 p.

Dans le sens de lecture français, Une femme et la guerre accole deux nouvelles d’Ango Sakaguchi, deux visions d’une même histoire par ses deux protagonistes principaux : Sensô to Hitori no Onna, publiée en octobre 1946 dans la revue Shinsei, expose les sentiments de Nomura d’une manière qui déplut fortement à l’administration du Commandement suprême des forces alliées et engendra une censure partielle ; sa suite Zoku Sensô to Hitori no Onna, parue en novembre 1946 dans Salon, est narrée par la femme. Dans le sens japonais, l’éditeur français nous offre l’adaptation en manga par Yôko Kondô, qui date de 2012 et mêle les perspectives des deux personnages. Yôko Kondô fut avec Murasaki Yamada et Hinako Sugiura une des rares femmes mangaka de Garo au début des années 80. Dans les années 2000, elle tranposa plusieurs écrits d’Ango Sakaguchi, un illustre auteur japonais de l’après-guerre contempteur de sa société.
En proposant à la fois l’original et la bande dessinée qui en est tiré, Une femme et la guerre nous fournit trois points de vue successifs. J’ai commencé par le manga, j’aurais peut-être dû procéder dans l’ordre inverse. C’est intéressant de lire ces variations et de voir comment Yôko Kondô s’est approprié les deux récits et les a mixés en gardant les nuances. Cet exercice m’a davantage captivé que le texte en soi, évocation désenchantée et cynique des derniers mois du conflit par deux marginaux. Cela m’a donné envie de récupérer d’autres titres de Yôko Kondô, dommage qu’il n’y ait quasiment rien de traduit en français ou en anglais.
Au pays du mal de Clifford D. Simak (J’ai lu, collection « Science-fiction », 1985), 206 p.

Au pays du mal est un des derniers romans de Clifford D. Simak, une de ses seules incursions dans l’univers de la fantasy avec Le pèlerinage enchanté et La Confrérie du Talisman (que je n’ai pas encore lu). Sous couvert d’un classique récit initiatique et de quête du Graal, il déconstruit l’héroïsme chevaleresque. Harcourt est en effet un leader aigri, qui ne fait confiance à personne et agit de façon égoïste. Il ne s’en sort que par chance ou grâce à ses compagnons qui l’aident en dépit de ses préjugés. Ses préconceptions s’avèrent infondées et sa quête elle-même se révèle vaine, bien qu’on ne soit pas vraiment sûr qu’il soit plus sage à la fin. Si ce n’est pas parfait, ça manque parfois de rythme et Harcourt est agaçant, ça reste un bouquin atypique dans le genre qui déroutera les attentes des puristes.
Fenêtres sur le Japon d’Eric Faye (Philippe Picquier, 2021), 325 p.

J’avais au départ acheté ce livre pour les parties consacrées au cinéma mais on reste dans ce domaine sur des sentiers balisés et je n’ai rien appris de neuf. En revanche, en littérature, j’ai découvert de nombreuses références que je vais m’empresser de récupérer. Le style est très agréable, Eric Faye possède une bonne connaissance du pays qu’il partage sans prétention, avec un regard lucide et une sollicitude pour les marginaux et laissés pour compte d’une société impitoyable envers ceux qui s’écartent de la norme. La multiplicité des sujets et des écrivain·e·s est susceptible de contenter le plus grand monde, du néophyte au spécialiste, et fait de cet ouvrage une plaisante balade dans un siècle de culture nippone.
Revues
L'oiseau Magazine n°157 – Hiver 2024

A part ça, la balade dans les basses Corbières donne envie d’aller visiter cette zone riche en biodiversité située entre Narbonne et Perpignan. J’ai également aimé les articles sur le trigonocéphale de la Martinique, un grand serpent natif de l’île ; sur l’expérience montrant que les corneilles noires sont capables de compter à voix haute ; et sur les dernières jumelles de Swarovski qui intègrent des technologies d’IA, gadget qui permet au rédacteur de s’interroger sur l’avenir de cette innovation dans le champ de l’observation ornithologique.
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