samedi 1 février 2025

Carnet de bord 25/01/2025-31/01/2025



Films vus en compagnie
Bílá paní de Zdeněk Podskalský (1965, The White Lady)
Un nouveau conservateur, Jindrich Pupenec, vient d’être affecté au musée de la ville de Komonice où trône le portrait de Perchta von Rosenberg surnommée la Dame blanche. Selon la légende, si de pauvres gens lui adressent une prière, elle sortira de la peinture pour accomplir des miracles. Pupenec assiste au phénomène et alerte les autorités, persuadé qu’il ne faut jamais dissimuler la vérité. Fort contrariés qu’un spectre aide des citoyens sans l’aval du parti, le chef du comité local et son secrétaire essayent de retourner la situation en leur faveur.

The White Lady est tiré d’une nouvelle de Karel Michal, qui s’est chargé de l’adaptation sur grand écran. Il est réalisé par Zdeněk Podskalský, un spécialiste de la comédie, durant la période de relative liberté des années 60 qui vit l’émergence de la Nouvelle vague tchécoslovaque. Zdeněk Podskalský, actif depuis 1954, ne fut pas membre du mouvement bien que The White Lady s’y rattache par son ironie satirique et ses aspects absurdes. C’est d’ailleurs étonnant qu’il ait été autorisé en 1965, anomalie rectifiée après l’échec du Printemps de Prague avec une interdiction de 1969 à 1989.
La critique du régime est d’une rare virulence : les officiels sont incompétents, corrompus, et ne songent qu’à leur carrière ; les habitants vivent dans des conditions misérables, sans eau courante, contraints de marcher dans des chemins boueux que l’administration ne bétonne pas faute de volonté ; la population suit aveuglément les leaders et est facilement manipulable. Zdeněk Podskalský enchaîne les passages loufoques, avec par exemple la municipalité qui tente d’enlever à une vieille femme un robinet posé magiquement par la Dame blanche puis qui, devant les protestations, change son fusil d’épaule et s’attribue le mérite de l’installation. L’humour un peu lourdaud m’a davantage convaincu que dans les œuvres de la Nouvelle vague tchécoslovaque que j’ai pu voir. Pupenec notamment, d’une franchise dangereuse dans une dictature communiste, est assez cocasse. Une belle surprise qui n’existe à ma connaissance qu’avec des sous-titres anglais de mauvaise qualité.


Felicità de Bruno Merle (2020)
Tim, Chloé et leur fille Tommy profitent du dernier jour des vacances avant la rentrée des classes en trainant à la maison. Un coup de fil retentit, ils doivent quitter les lieux en catastrophe. Ce ne sont en effet pas les propriétaires, ils ont squatté une demeure que Chloé, femme de ménage, devait nettoyer. Le quotidien de Tommy est ainsi rythmé par les frasques de ses parents insouciants, qui lui racontent régulièrement d’énormes mensonges pour rire. Elle évolue elle-même dans son propre monde, protégée par un casque anti-bruit qu’elle trimballe en permanence.

Felicità s’intéresse à vingt-quatre heures de la vie d’une famille dysfonctionnelle, dans laquelle la pré-ado taiseuse est plus mature que son père et sa mère. Tommy est incarnée par Rita Merle, la fille de Bruno Merle qui a écrit le personnage en pensant à elle. Tim est interprété par un Pio Marmaï version apaisée d’En liberté ! (2018), avec une scène de sortie de prison décalquée du long métrage de Pierre Salvadori. C’est court, l’histoire est volontairement épurée et naïve, avec des incursions dans l’imaginaire et un jeu sur la narration parfois bancal. Bien que brouillon, avec des changements de ton déroutants, cela reste un agréable divertissement porté par son trio de comédien·ne·s.


Films vus seuls
Santo en la venganza de la momia de René Cardona (1971, Santo in the Vengeance of the Mummy)
Le professeur Romero a repéré sur un parchemin l’emplacement de la tombe de Nonoc, un prince d’une ancienne civilisation indienne enterré vivant pour avoir violé la loi religieuse de sa tribu. Il monte une expédition et demande à Santo de les défendre des éventuels dangers. A leur arrivée, ils pénètrent dans la sépulture de Nonoc sans écouter les avertissements des habitants du coin. Peu après, un vieux villageois qui les avait mis en garde est assassiné par la momie de Nonoc.

Ce Santo est davantage un whodunit dans la jungle qu’un film fantastique. Santo ne croit d’ailleurs pas à l’existence des momies vivantes, oubliant qu’il en avait combattu une dans Santo y Blue Demon contra los monstruos (1970). Etonnamment de la part du duo Guillermo Calderón/René Cardona responsable de Santo en el tesoro de Drácula/El vampiro y el sexo (1968), il ne semble pas y avoir de version érotique pour l’international, le récit se prêtant mal à la nudité malgré une légère romance entre Santo et la photographe de l’équipe. Il y a deux acolytes rigolos, un anthropologue sénile et un cuisto colérique, moins pénibles que la moyenne du genre. Les matchs de catch ont été relégués en ouverture et en conclusion.
Santo est franchement inefficace, tout le casting se fait progressivement dégommer sans qu’il n’y puisse rien. A l’instar de Santo contra los cazadores de cabezas (1971), il affronte un jaguar noir à mains nues (et non une panthère noire qui n’est pas une espèce) dans une brève séquence impressionnante où un cascadeur masqué lutte contre un vrai animal. Il y a quelques stock-shots correctement intégrés et des maquillages acceptables. C’est regardable en dépit d’un dénouement nasouille. A noter que le gosse qui s’attache à Santo est joué par Jorge Guzmán, le fils de Santo.


ああ爆弾 [Â bakudan] de Kihachi Okamoto (1964, Oh, Bomb!)
Le chef yakuza Daisaku Ona sort de prison après trois ans derrière les barreaux pour le meurtre de rivaux au cours d’un raid. Il est accompagné par Taro, son compagnon de cellule, inculpé pour l’explosion d’un poste de police. Daisaku ne bénéficie cependant pas de l’accueil attendu. Le monde a évolué durant son absence, son épouse est tombée dans la religion, son gang est devenu une entreprise et a été récupéré par le frère de sa maitresse, un politicien ambitieux. Daisaku décide de se venger de son successeur en le faisant sauter.

Vaguement inspiré d’une nouvelle de Cornell Woolrich, Â bakudan est présenté par le wikipedia japonais comme un musical de la Tôhô, catégorisation discutable pour cet opus difficilement classifiable. Il y a en effet plusieurs chansons et numéros, dans des styles occidentaux ou japonais (parodiant le kyôgen, le rakugo ou la récitation de sutras). S’y ajoute un pastiche de ninkyo eiga, une grosse dose de satire et d’humour absurde plutôt lourdingue, des comédiens en roue libre et un montage au couteau caractéristique d’Okamoto. Si certaines scènes sont originales, j’ai trouvé l’ensemble fatigant, avec des interprètes excessivement grimaçants et un rythme étrange alternant vitesse et lenteur.


Pueblerina d’Emilio Fernández (1949, La villageoise)
Aurelio a été condamné à douze ans de prison pour avoir tenté d’assassiner son meilleur ami Julio, un riche notable qui avait violé Paloma, sa fiancée. Il revient dans son patelin au bout de six années seulement à la surprise générale. Libéré sur parole, il souhaite travailler paisiblement sa terre et se marier avec Paloma. Celle-ci a accouché d’un garçon neuf mois après son agression. Elle mène une vie de paria aux abords du village et refuse de rencontrer Aurelio : sa présence lui rappelle sa souillure et elle estime être indigne de lui. Il ne baisse pas les bras mais se heurte à Julio qui craint sa vengeance.

Emilio Fernández fut un des maîtres du cinéma mexicain, acteur, réalisateur et scénariste d’une multitude de classiques, vainqueur de la palme d’or en 1946 pour María Candelaria (1944). Surnommé El Indio à cause de ses origines kickapou du côté de sa mère, il fut un spécialiste du mélodrame rural, genre auquel se rattache Pueblerina sous son apparence de western. En dépit d’un synopsis similaire, il s’écarte donc rapidement de l’excellent Tiempo de morir (1966). Ce qui intéresse Emilio Fernández, c’est la romance contrariée entre Aurelio et Paloma et non une réflexion sur les principes machistes qui provoquent la tragédie. Les protagonistes sont des stéréotypes, ils servent à raconter une histoire simple de femme déchue sauvée par l’amour. C’est assez lent, avec de brèves accélérations. La copie abominable que j’ai récupérée ne rendait pas justice à la photographie, typique apparemment du style pictural d’Emilio Fernández. J’avoue que c’était trop manichéen et lyrique à mon goût malgré quelques sympathiques chansons rancheras, notamment Tú, sólo tú.


Sette uomini d'oro de Marco Vicario (1965, Sept hommes en or)
Aidé par sa jolie compagne Giorgia, le Professeur organise un cambriolage ingénieux : déguisés en employés municipaux, ses six hommes percent un trou sous le coffre d’une banque et dévalisent sept tonnes d’or. Une telle somme est source de dissension au sein de la bande. Qui parviendra à s’échapper et à obtenir sa part du butin ?

J’avais entendu dire que Sette uomini d'oro était une des inspirations de l’animé Lupin III. Bien que n’ayant pas trouvé de preuve (même les sites japonais utilisent le conditionnel sans référence concrète à une interview de Monkey Punch, le créateur du manga), je comprends le rapprochement. Le Professeur a des côtés très Lupin et Giorgia évoque indubitablement Fujiko Mine, la maitresse volage et peu fiable de Lupin.
Le casse occupe quasiment les deux tiers du métrage. S’ensuivent des revirements à foison et un dénouement invraisemblable. C’est un amusant divertissement, pop, léger, avec des costumes et une musique sixties. Il existe une suite, Il grande colpo dei 7 uomini d'oro (1966), qui semble inférieure.


血と砂 [Chi to suna] de Kihachi Okamoto (1965, Fort Graveyard)
Le sergent Kosugi a été envoyé sur le front chinois pour avoir frappé un officier. Il se heurte dès son arrivée au camp au capitaine Sakuma, un maniaque de l’ordre qui vient de faire exécuter un jeune soldat pour désertion. Rapidement emprisonné pour insubordination, Sakuma propose à Kosugi d’éviter la cour martiale en allant à la conquête du fort Yakiba, un avant-poste contrôlé par les Chinois. Kosugi accepte, accompagné d’une escouade de treize musiciens récemment mobilisés, d’un cuisto vindicatif, d’un croquemort pleutre et d’un pacifiste expert en communications.

Chi to suna fut conçu par Kihachi Okamoto comme une sorte de dérivé juvénile et simplifié de Dokuritsu gurentai (1959, Desperado Outpost). Motivée par la présence de Toshirô Mifune (Kosugi) et de Tatsuya Nakadai (Sakuma), la Tôhô offrit un budget conséquent et Kihachi Okamoto put se faire plaisir, multipliant les explosions et les combats. Le résultat me laisse toutefois une impression extrêmement mitigée.
D’un point de vue purement cinématographique, c’est réussi. On ne s’ennuie pas une seconde, Toshirô Mifune est parfait en tête brûlée au grand cœur et on s’attache au petit groupe hétéroclite. Les scènes d’actions sont efficaces, c’est bien monté et photographié. Du point de vue idéologique en revanche, on est loin de l’antimilitarisme généralement associé à Okamoto. Je ne me souviens plus de Desperado Outpost, qui avait apparemment été décrié en son temps pour sa violence et son traitement des Chinois. Dans Chi to suna, seule la conclusion souligne l’inutilité de la tâche qui avait été confiée au sergent Kosugi et à ses hommes. Le reste transpire la virilité et le respect de l’institution militaire, avec une intrigue à la Beau Geste (1939). Le rude capitaine Sakuma n’est finalement pas si méchant, le pacifiste périt en poignardant un adversaire chinois sous les félicitations du cuistot incarné par Makoto Satô, les bleus font montre de bravoure et ne cèdent pas au moment critique. Même les femmes de réconfort ont l’air contentes d’exercer leur travail puisqu’après tout on est mieux payé sur le front. De la part d’Okamoto, un tel discours est franchement décevant.


Blue Sunshine de Jeff Lieberman (1977, Le rayon bleu)
A l’issue d’une soirée, un photographe en transe devenu chauve massacre trois femmes. Il poursuit ensuite un de ses amis, Jerry Zipkin, qui pousse son assaillant sous un camion pour se défendre et s’enfuit. La police le croit coupable de tous les meurtres, à l’inverse de sa copine Alicia qui le soutient. Jerry tombe dans le journal sur un cas similaire d’un individu chauve ayant occis sa famille. Le phénomène semble lié à une drogue appelée le rayon bleu, consommée par des diplômé·e·s de l’université Stanford dix ans auparavant.

Blue Sunshine est le deuxième long métrage de Jeff Lieberman après un court déjà consacré aux méfaits de la drogue (The Ringer, 1972) et Squirm (1976, au formidable titre français de La nuit des vers géants). Doté de moyens limités, Blue Sunshine pâtit d’un montage erratique et d’un scénario parfois confus, avec des idées abandonnées en cours de route et des raccourcis hasardeux. Il n’est pas aidé par le jeu de Zalman King (Jerry Zipkin), à qui Jeff Lieberman avait demandé de se comporter étrangement afin que les spectateurs puissent penser qu’il serait le prochain tueur, ce qui est complètement crétin compte tenu de la trame. C’est dommage car il y a à côté de ça des aspects intéressants. On sent la paranoïa des années 70, avec son atmosphère de complot et son politicien louche. Les attaques des chauves enragés sont angoissantes et Jeff Lieberman maintient constamment une certaine tension. C’est clairement meilleur que Just Before Dawn (1981) du même réalisateur et je serais curieux de voir Squirm en dépit de sa sa pathétique note sur imdb.


O Xangô de Baker Street de Miguel Faria Jr. (2001, A Samba for Sherlock)
En 1886 à Rio de Janeiro, le Stradivarius d’une riche et belle veuve est dérobé. L’empereur du Brésil, qui lui avait offert officieusement ce cadeau, est contrarié, d’autant que l’enquête piétine. La célèbre Sarah Bernhardt, en tournée dans le pays, sollicite l’assistance de son ami Sherlock Holmes. Lorsqu’il débarque enfin au Brésil flanqué du docteur Watson, l’affaire du vol est passée au second plan, deux femmes ayant depuis été étranglées dans la rue au moyen d’une corde de violon. Désemparé, l’inspecteur Mello Pimenta est ravi de la venue de ce fameux détective.

O Xangô de Baker Street est tiré du roman éponyme de Jô Soares paru en 1995 et traduit en français en 1997 sous le titre Elémentaire, ma chère Sarah !. La distribution est majoritairement composée de Brésilien·ne·s, excepté le Gallois Anthony O'Donnell en Watson, et les Portugais·e·s Joaquim de Almeida en Sherlock et Maria de Medeiros en Sarah Bernhardt. Les dialogues sont essentiellement en portugais, avec des séquences en français et en anglais.
A l’instar du livre auquel il est apparemment très fidèle, le film prend de grosses libertés à la fois avec l’Histoire (Sherlock Holmes crée ainsi le terme de serial killer pendant que le docteur Watson invente la caïpirinha) et avec le canon Holmesien. On se rapproche davantage de The Private Life of Sherlock Holmes de Billy Wilder (1970) que des œuvres d’Arthur Conan Doyle. Sherlock Holmes est inefficace, quasiment toutes ses déductions sont fausses, il est plus obsédé par une jolie actrice que par son investigation, et il ne réussit pas à démasquer l’assassin malgré les indices laissés par celui-ci. Le cadre est exotique, la parodie est amusante, c’est une gentille distraction.


Séries
Jentry Chau vs. The Underworld de Echo Wu (2024, Jentry Chau, une ado contre les démons), 13 épisodes
Le jour de son seizième anniversaire, Jentry Chau est attaqué par un jiangshi, une sorte de mort-vivant capable de se métamorphoser. Durant la bagarre, les pouvoirs enfouies de Jentry se réveillent et elle parvient à vaincre son adversaire. Il s’appelle Ed et est employé par un puissant mogwai nommé M. Cheng, qui souhaite la tuer et voler son âme. Sa tante Gugu, arrivée sur les lieux, ne semble pas surprise et lui demande de revenir avec elle au Texas, à Riverfork que Jentry avait quitté à l’âge de huit ans après avoir involontairement incendié la ville.

Je ne regarde généralement pas les séries non terminées. Echo Wu, la créatrice de Jentry Chau vs. The Underworld, aimerait que Netflix finance une saison 2 mais j’avais lu que la saison 1 bouclait sa trame et donnait une impression d’achèvement. Je confirme que c’est le cas et une suite ne s’avère pas indispensable en soi. Echo Wu est une américaine née à Carrollton, dans la banlieue de Dallas au Texas, d’une famille d’immigrés chinois. Elle a puisé dans le folklore de ses ancêtres et s’est inspirée du quartier de son enfance pour bâtir son univers. Le projet a pris six ans à se monter et a bénéficié du support d’un consultant spécialiste de la mythologie chinoise, avec qui Echo Wu a travaillé pour intégrer au mieux les légendes dans la vie d’une adolescente sino-américaine. Prenant Avatar: The Last Airbender (2005-2008) en référence, elle a essayé de concevoir un divertissement pouvant captiver à la fois les enfants et les parents.
Le résultat est globalement convainquant. A l’inverse de beaucoup de séries modernes, Jentry Chau vs. The Underworld n’a pas de ventre mou, elle ne se disperse pas dans un tas de péripéties anecdotiques. Chaque épisode, même mineur, fait avancer l’intrigue principale, avec une sacrée densité dans les quatre derniers qui offrent une véritable conclusion, ce qui est appréciable. Certes, comme dans Amphibia ou The Owl House, les combats ont un côté un peu trop Dragon Ball Z. Et en dépit de ma connaissance limitée de la mythologie chinoise, j’ai parfois tiqué (pourquoi mettre des bakeneko japonais en changeurs de forme et pas les traditionnels renards ? Pourquoi choisir l’Empereur jaune, associé à la terre, et pas son frère Yandi, littéralement « empereur enflammé » ?). Ce ne sont que des détails, cela reste fort plaisant, suffisamment court pour ne pas être lassant, avec quelques créatures marquantes à l’image de la peau peinte, de Tête de bœuf et Visage de cheval ou de M. Cheng le mogwai.


Livres
La mala hora de Gabriel García Márquez (Grasset, collection « Les Cahiers Rouges », 2008), 206 p.
Dans un village colombien récemment pacifié par la terreur, des tracts anonymes sont placardés sur les portes des notables pendant la nuit. Ils colportent les pires ragots, des histoires de coucheries et de malversations. Dès le lendemain, ils entrainent le meurtre d’un jeune garçon par un soi-disant mari cocufié. Aidé par le juge et le médecin, le maire, un ex-militaire à la poigne de fer, se saisit de l’affaire. Il est pourtant accablé d’une horrible rage de dents, le dentiste étant un ancien ennemi politique qui le hait.

Bien qu’il ne se déroule pas à Macondo mais dans une bourgade de bord de mer, La mala hora réutilise certains protagonistes présents dans Les funérailles de la Grande Mémé comme le maire et ses problèmes de dents, la veuve de José Montiel, ou Mina et sa grand-mère aveugle. A deux-trois nuances près, il n’y a pas de trace de réalisme magique. On conserve toutefois la torpeur de Macondo, son ambiance moite et poisseuse qui s’infiltre dans les âmes, ce climat de guerre civile qui menace de redémarrer à tout moment, ces riches qui se détestent, se surveillent et exploitent les pauvres. Je l’ai déjà signalé auparavant, Gabriel García Márquez est meilleur sur les récits longs. Il prend le temps dans La mala hora de développer son atmosphère et ses personnages. Sans être aussi séduisant que Des feuilles dans la bourrasque, avec un texte moins fantastique et plus ancré dans l’Histoire de la Colombie, cela demeure un ajout intéressant à son univers.


Oreillers de laque : Promis, c’est promis d’Hinako Sugiura (Philippe Picquier, collection « Picquier Manga », 2007), 192 p.
Oreillers de laque : Promis, c’est promis réunit huit nouvelles parues dans Garo entre 1980 et 1982, à l’exception de La pie-grièche publiée dans Fusion Product en 1982 :
Sode-Mogi : Juste avant son mariage arrangé, une adolescente fille de marchand trouve un prétexte pour échanger un souvenir avec un beau samouraï.
La pie-grièche : Un galant vient récupérer ses effets chez son ancienne amante.
Promis, c'est promis... : Le fils d’un négociant fortuné fait une dernière incursion dans le quartier des plaisirs avant de se ranger.
Confessions d'un bonze : Un moine bouddhiste explique à un voyageur pourquoi il a choisi cette profession.
Le précipice : Un soldat ramène à son seigneur la tête d’un adversaire au visage éblouissant.
Courir, courir... : Durant l’ère Taishô, un vieillard raconte à un journaliste une anecdote de sa jeunesse.
Histoire de rien du tout : Quand les renards bavardent sous les cerisiers en fleurs : Un samouraï erre dans les rizières. Les passants le regardent, persuadés qu’il est sous l’emprise des renards.
Propos de galant : Le prunier en pot : Un samouraï s’est déguisé en marchand pour aller voir une fameuse prostituée.
Ce second volume Oreillers de laque est plus hétérogène que son prédécesseur qui se focalisait sur des histoires de prostituées de Yoshiwara. On a ici une diversité de classes et d’époques, même si on se concentre sur la fin de l’ère Edo et sur la vie ordinaire des gens. Selon la postface, le point commun entre la plupart des textes est qu’ils sont inspirés d’estampes d’Hokusai ou de Hiroshige, à partir desquelles Hinako Sugiura a imaginé des intrigues. Le graphisme est soigné, avec un style moins inhabituel que dans Oreillers de laque : Du vent sur les fleurs. J’ai préféré ce deuxième tome, qui permet de plonger dans le quotidien d’une période révolue sur un ton assez léger.


Spectacle Every Day: Essays on Classical Mexican Cinema, 1940-69 / Espectáculo a diario : Ensayos sobre el cine clásico mexicano : 1940-1969 dirigé par Alonso Díaz de la Vega & Jorge Javier Negrete Camacho (Editions de l’œil, 2023), 320 p.
Ce recueil établi à l’occasion de la rétrospective consacrée au cinéma populaire mexicain par le Festival international du film de Locarno en 2023 propose une préface puis dix articles rédigés par six chercheurs et cinq chercheuses, en version anglaise et espagnole :
The Latin American Modernization in Mexican Cinema: Unbound Memories and Affects : Le cinéma mexicain des années 40 à 60 se transforma parallèlement à la société, passant d’un nationalisme rural à une approche citadine, anxieuse et ambivalente.
Háblame cantadito: The Multiple Possibilities of Language in Mexican Cinema (1940-60) : Bien qu’entièrement en espagnol, les langues indiennes étant bannies de l’écran, les variations de langage transmettaient du sens et des émotions.
Gloria Schoemann: On passion, Craft, and Vision retrace la vie de Gloria Schoemann, la seule femme monteuse de l’âge d’or, qui travailla sur plus d’une centaine de films dont moult classiques.
In a cozy Mexican shelter se penche sur la carrière de quatre réalisateurs non mexicains qui s’approprièrent les codes de leur pays d’accueil : l’Espagnol Antonio Momplet ; le Cubain René Cardona ; le Chilien Tito Davison ; et l’Argentin Tulio Demicheli.
The Inevitable Morbidity of Mexican Cinema : L’horreur, le fantastique et le macabre ont imprégné le cinéma mexicain depuis les origines, se déployant dans toute leur splendeur pendant les années 50-60.
Notes on The Adventure of Mexican Cinema : The Adventure of Mexican Cinema fut le premier ouvrage critique important publié au Mexique, influencé par la politique des auteurs française.
The Happy Ending Performance: Días de otoño and the Female Prototypes in Golden Age Mexican Cinema montre l’évolution de la figure mélodramatique de la campagnarde débarquant dans la cité à travers le cas de Días de otoño (1963).
Divine Torment: The Iconic Female Figures of Mexican Golden Cinema examine comment les actrices véhiculaient les émotions grâce à leur visage et à leur gestes.
Stronger Than Love Rumberas and Luchadores: The Body as a Means for Desire compare la différence de traitement entre le corps des femmes dans les rumberas (mélodrames axés sur des pêcheresses et des prostituées qui s’évadent de leur sordide univers par leurs danses sensuelles) et des hommes dans les films de luchadores (Santo et compagnie).
Carried by the Wind. Llévame en tus brazos and the Longing for Lost Love offre une analyse détaillée de Llévame en tus brazos de Julio Bracho (1954).
Par facilité, j’ai lu la traduction anglaise et non la version originale en espagnol. Elle a une mise en page plus agréable et aérée mais comporte des coquilles, les numéros renvoyant aux notes de fin d’article étant par exemple souvent absents. Il manque également un index qui aurait été fort utile. L’impression est de belle qualité, sur papier glacé, avec un superbe cahier central de 70 pages mélangeant photos d’exploitation et affiches.
Ma connaissance du cinéma mexicain étant très parcellaire, un livre généraliste aurait été sans doute plus adapté pour commencer. J’ai évidemment apprécié The Inevitable Morbidity of Mexican Cinema, qui porte sur des genres qui me tiennent à cœur, et j’ai repéré de nombreux titres. On voit par ailleurs l’importance du mélodrame, auquel la majorité des textes sont dédiés. Même si ce n’est pas mon domaine de prédilection, cela m’a donné envie de récupérer quelques longs métrages, notamment Días de otoño ou La Otra (1946) avec Dolores del Río. Excepté Notes on The Adventure of Mexican Cinema, complètement hors sujet, c’est globalement intéressant et lisible, pas jargonneux et abordant divers aspects du cinéma de l’époque.


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