Films vus en compagnie
거미집 [Geomijip] de Kim Jee-woon (2023, Ça tourne à Séoul !)

Avec son film dans le film, son hommage au cinéma artisanal et son humour, Geomijip a été comparé à Ça tourne à Manhattan (1995) et Ne coupez pas ! (2017). Il est malheureusement loin d’égaler ces prédécesseurs. S’il y a des aspects réjouissants, un contexte historique intéressant (le cinéma coréen des années 70 confronté à la censure et doté de faibles budgets) et un dernier quart dynamique, l’imbrication entre les parties n’est pas toujours réussie, c’est beaucoup trop long (2h15 contre 1h30/1h35 pour Ça tourne à Manhattan et Ne coupez pas !) et répétitif. Cela me confirme dans mon opinion que Kim Jee-woon est surcoté bien que j’ai encore quelque espoir sur Foul King (2000) que j’ai l’intention de récupérer prochainement.
北極百貨店のコンシェルジュさん [Hokkyoku Hyakkaten no Konsheruju San] de Yoshimi Itazu (2023, Le grand magasin)

Peu connu du public, le studio Production I.G. est pourtant un acteur important de l’animation japonaise depuis les années 80. Ils ont notamment collaboré avec Mamoru Oshii sur les Patlabor et Ghost in the Shell, sur Jin-Roh, la brigade des loups (1998) ou plus récemment sur Lettre à Momo (2012) ou Miss Hokusai (2015) pour ne citer que des titres sortis en salles en France. Pour Hokkyoku Hyakkaten no Konsheruju San, ils ont donné sa chance à Yoshimi Itazu, précédemment animateur sur Paprika (2006) ou sur Le garçon et le héron (2023). Le résultat est bancal, techniquement superbe avec une intrigue excessivement simple et gentillette. Sous des apparences similaires, le manga dégageait une certaine tristesse et une critique du consumérisme. Ce point est brièvement abordé dans l’adaptation avant d’être mis de côté au profit d’un discours positif sur les grands magasins de luxe. Le caractère épisodique était également mieux rendu dans le livre, l’animé enchaîne les saynètes sans respirer. Cela reste distrayant et court (à peine 1h10) mais décevant compte tenu du matériau d’origine.
Viking de Stéphane Lafleur (2022, On dirait la planète Mars)

Viking, long métrage québécois diffusé en France sous le titre On dirait la planète Mars, est une comédie douce-amère de science-fiction fauchée « qui se prend pour un film américain, sans en avoir les moyens » ainsi que le résume ironiquement Stéphane Lafleur. Le concept a surgi dans l’esprit de celui-ci lors d’une exposition photo montrant des gens en costume de cosmonaute dans le désert. Ne bénéficiant pas du budget d’un blockbuster, il s’est amusé à parodier les codes du cinéma hollywoodien et des émissions de téléréalité en se focalisant sur cinq personnes confinées. Loin de s’occuper de problèmes essentiels, iels se déchirent sur le nombre de sucres dans le café ou sur le temps passé sous la douche.
Avec son pitch farfelu, Viking fonctionne parfaitement, porté par Steve Laplante en David qui perd rapidement ses illusions face à l’ennui du quotidien et sombre dans la mélancolie. Tourné en 35 mm avec un minimum d’effets spéciaux numériques dans des paysages de l’Alberta dignes de l’Ouest américain, on se croirait parfois à la cogip, impression renforcée par l’humour à froid et les débriefings pseudo-bienveillants imitant les vaines réunions d’entreprise et la psychologie de comptoir managériale. La distribution est excellente et c’est une belle réussite, insolite et drôle.
बैंग बैंग [Bang Bang] de Siddharth Anand (2014, Bang Bang!)

Bang Bang! est le remake bollywoodien de Knight and Day (2010). C’est complètement crétin et encore plus excessif que l’original, le summum étant une poursuite en Flyboard qui vaut son pesant de cacahouètes. A la manière d’un Tom Cruise, l’acteur principal Hrithik Roshan a effectué ses cascades lui-même, se blessant gravement au passage. L’intrigue s’écarte substantiellement de Knight and Day, ce qui n’empêche pas Bang Bang! de recopier la majorité des séquences clés. L’humour assez lourdingue diminue heureusement progressivement et les scènes d’action sont pêchues bien que mal cadrées. Les chansons s’oublient vite, à l’instar de cet opus extrêmement cliché quoique distrayant. C’était pour ça que je l’avais récupéré et ça a donc répondu à mes attentes.
Films vus seuls
ジャン有馬の襲撃 [Jan Arima no shûgeki] de Daisuke Itô (1959, Sudden Attack of the Christian Lord)

Jan Arima no shûgeki surfe sur la mode du film de pirates, en ajoutant une vague touche historique sur fond de christianisme. La Daiei concurrençait ici la Toei, le spécialiste du genre, en y mettant les moyens avec un gros budget et un casting prestigieux porté par Raizô Ichikawa, Sô Yamamura et Masao Mishima. Le projet fut confié au vétéran Daisuke Itô, réalisateur majeur des années 20 qui participa à l’âge d’or du chanbara avec des œuvres nihilistes et un style dynamique et innovant. Devenu indépendant dans les années 50, il tourna pour les studios des longs métrages souvent stéréotypés qui se contentaient de recycler ses vieilles formules.
Jan Arima no shûgeki est classique dans sa forme et dans sa trame, avec un seigneur nationaliste avant l’heure qui se risque à contrevenir aux ordres pour sauver l’honneur du Japon. Comme d’habitude, c’est historiquement n’importe quoi. Il semble que les Portugais soient intervenus à Macao contre les marins japonais parce que ces derniers harcelèrent la population, ignorèrent les appels au calme et agressèrent un magistrat venu pour stopper une bagarre. Les représailles japonaises ne furent pas prises uniquement à l’initiative d’Arima Harunobu, elles furent ordonnées directement par Ieyasu Tokugawa.
Nonobstant ces éléments, c’est plutôt plaisant, avec des effets spéciaux réussis, notamment les attaques en mer. Les blancs (ou nippo-américain dans le cas de Jerry Ito) censés être Portugais ont des accents abominables qui rendraient presque le portugais d’Edward G. Robinson et de Spencer Tracy convenable. Les chrétiens japonais pour une fois ne sont pas opprimés, on est dans la courte période où le christianisme était autorisé, et la religion sert d’arrière-plan folklorique. Ce n’est pas désagréable, ça change un peu des jidai-geki de séries de la Daiei.
Santo contra cerebro del mal de Joselito Rodríguez (1961, Santo contre l'esprit du mal)

Je n’avais bizarrement vu jusqu’à présent qu’un Santo, le tardif Misterio en las Bermudas (1979) avec Blue Demon. C’est pourtant un immense héros du cinéma mexicain, apparu dans une cinquantaine de films. Ils sont certes dotés d’une piètre réputation mais cela ne m’a jamais arrêté. Tant qu’à faire, je commence par le premier, Santo contra cerebro del mal, tourné à Cuba juste avant l’arrivée de Castro en 1958, en même temps que Santo contra los hombres infernales. Faute de distributeur, le diptyque ne fut diffusé en salles qu’en 1961. Quand il débuta cette carrière sur grand écran, Santo était déjà une superstar du catch, sport qu’il avait contribué à populariser au Mexique. Dans Santo contra cerebro del mal, il est néanmoins cantonné à un rôle secondaire : appelé El Enmascarado (un des noms qu’il utilisait), il est facilement attrapé et contrôlé par les méchants. Mal à l’aise, il n’a quasiment aucune ligne de dialogue. Le vrai champion est Incógnito incarné par Fernando Osés, un ancien lutteur qui coécrivit le scénario et convainquit Santo de jouer à ses côtés.
L’intrigue centrée sur un scientifique avide d’argent et de pouvoir est extrêmement banale, avec en prime l’enlèvement de la seule femme des environs, acte obligé de tout vilain qui se respecte. C’est franchement mou du genou et bavard, on se console en regardant les jolis extérieurs de La Havane de l’époque. Santo contra los hombres infernales semble pire, il va falloir que j’attende le troisième épisode pour que Santo se réveille.
Ghost Story de John Irvin (1981, Le fantôme de Milburn)

Ghost Story est tiré d’un roman considéré inadaptable de Peter Straub, auteur fantastique américain très estimé à la fin des années 70 qui travailla avec Stephen King à deux reprises (Le talisman en 1986 et Territoires en 2002). Le projet fut donné à John Irvin, issu de la télévision anglaise et récemment débarqué aux Etats-Unis. Peter Straub fut mécontent du résultat et, même sans avoir lu le texte d’origine, je le comprends. C’est brouillon, sans suspens ni tension, avec une trame tellement simplifiée qu’elle est devenue téléphonée et prévisible. L’unique intérêt est la présence de vieux acteurs hollywoodiens, notamment Fred Astaire et Melvyn Douglas dans leur dernier rôle. C’est insuffisant pour sauver ce Ghost Story long et ennuyeux.
陸軍中野学校 雲一号指令 [Rikugun Nakano gakko: Kumoichigô shirei] de Kazuo Mori (1966, Assignment Cloud)

Rikugun Nakano gakko: Kumoichigô shirei est le second volet de la série consacrée à l’école militaire de Nakano. Pour esquiver les sujets qui fâchent de la période militariste, le récit démarre après la guerre et on ne s’étend pas trop sur les activités du héros durant les sept années précédentes. On abandonne la noirceur dramatique du premier épisode au profit d’une classique aventure d’espionnage avec des traitres, des gadgets et une enquête assez plan-plan et invraisemblable. On est dans le tout-venant de la Daiei, je l’aurai rapidement oublié.
上海陸戦隊 [Shanhai rikusentai] de Hisatora Kumagai (1939, Marins à Shanghai)

Ayant débuté par des œuvres plutôt ancrées à gauche et sur la lutte des classes, Hisatora Kumagai dériva graduellement vers l’exaltation du militarisme. En 1941, il quitta le cinéma pour créer une organisation nationaliste semi-religieuse et en devenir le gourou. Deux ans auparavant, il avait réalisé Shanhai rikusentai, pur film de propagande tourné dans un style semi-documentaire de bandes d’actualité avec un minimum d’éléments dramatiques. Si les scènes de combat sont parfois impressionnantes, l’absence d’intrigue et de personnages entrainent un certain ennui et un manque d’implication. Ce n’est pas un mal étant donné le côté ultra nationaliste de l’ensemble. Les spécialistes ont souvent remarqué l’étrangeté de la propagande humaniste des films de guerre japonais, à l’image de Terre et soldats (1939). Ce n’est pas le cas ici. Les Japonais sont gentils et sont contraints à se défendre des attaques des belliqueux et fourbes Chinois ; ils aident les locaux, qui ne soutiennent pas les troupes de leur pays ; les fusiliers marins sont braves et prêts à se battre jusqu’au dernier pour tenir leur position ; même la Chinoise rebelle incarnée par une jeune Setsuko Hara (belle-sœur de Hisatora Kumagai) pas franchement convaincante finit par être touchée par la droiture des Japonais. Shanhai rikusentai n’a donc qu’un intérêt historique et est clairement à éviter dans un autre cadre.
Livres
Libérées, délivrées ? Rapports de pouvoir animés de Mélanie Lallet (INA Editions, collection « Médias et Humanités », 2020), 262 p.

Je n’ai jamais réfléchi au sexisme dans les dessins animés de mon enfance. Il était pourtant omniprésent et cet ouvrage éclaire son évolution au cours du temps. Mon attirance pour les séries japonaises ne m‘a pas empêché d’ingurgiter un paquet de françaises dont plusieurs sont abordées ici, notamment Babar, les Il était une fois…, Inspecteur Gadget, Les aventures de Tintin, Lucky Luke ou Les mystérieuses cités d’or. Mélanie Lallet adopte une approche sociohistorique déconstructiviste. Elle ne prétend pas connaître les conséquences des représentations sur les enfants, elle expose la situation en soulignant les biais. Elle pratique pour cela une analyse à la fois quantitative (examen du premier épisode de chaque série pour en tirer des statistiques générales) et qualitative (focalisation sur quelques notions emblématiques).
Le volet théorique est bref et ne m’a pas captivé. J’ai seulement noté les concepts de contre-stéréotypes (qui prend le contre-pied des stéréotypes habituels et peut avoir pour effet pervers de gommer les inégalités) et d’anti-stéréotypes (discours critique par rapport aux stéréotypes), que la chercheuse utilise par la suite. Le cœur du livre est en revanche passionnant et lisible, avec de nombreux exemples. Loin d’assister à une progression inéluctable, on voit que le sexisme diminue de manière non uniforme. Les améliorations sont plus dues aux nouveautés qu’aux reboots de vieux machins et il faut patienter jusqu’au début des années 2000 avec des productions destinées aux filles dans une case girl power dédiée pour s’extirper réellement des clichés. La troisième partie, trop succincte, élargit la problématique avec une enquête ethnographique. On constate les difficultés pour les professionnel∙le∙s de sortir des sentiers battus et, encore aujourd’hui, de proposer des thèmes non excessivement genrés et sexistes. Si ce n’est en rien surprenant, cela demeure désolant. Libérées, délivrées ? Rapports de pouvoir animés est en conclusion un bouquin enrichissant qui fait réfléchir et j’aimerais trouver un équivalent pour les animés japonais de ma jeunesse.
Chikuma san de Tsuchika Nishimura (Le lézard noir, 2023), 120 p.

Chikuma san est le dernier manga de Tsuchika Nishimura traduit en français qui me restait à lire. Parmi les trois précédents, j’avais apprécié La concierge du grand magasin, beaucoup moins Au revoir Mina et Eisbahn. Chikuma san se place entre les deux, plus sympathique qu’Au revoir Mina et Eisbahn bien qu’il n’offre pas d’intrigue, avec une forme primant ostensiblement sur le fond. Tsuchika Nishimura ne s’en cache pas dans les notes à la fin du volume, ses remarques se concentrant sur le style et le dessin, les professions dépeintes servant de prétexte à des essais graphiques. On est davantage dans le domaine de l’illustration que du manga. Pour ma part, j’ai besoin d’une histoire, les jolies planches ne me suffisent pas, et Tsuchika Nishimura n’est pas pour moi à l’exception de La concierge du grand magasin où il a développé une réelle trame.
La révolution Garo, 1945-2002 de Claude Leblanc (IMHO, 2023), 277 p.

J’avais déjà entendu parler de Garo dans les éditions françaises des œuvres de Shigeru Mizuki, Yoshiharu Tsuge, Shôhei Kusunoki, Shin'ichi Abe ou Yoshihiro Tatsumi. J’ignorais en revanche les différents courants qui l’avaient traversé et son influence sur le long terme, pas limitée aux années 60.
A l’image de Le Japon vu par Yamada Yôji, Claude Leblanc fait superbement revivre les affres de Garo, dans un style lisible et fluide. On découvre ainsi comment un magazine créé par Sanpei Shirato pour favoriser des mangas politisés visant à sensibiliser le public aux luttes collectives contre le gouvernement a basculé dans une certaine avant-garde individualiste, d’abord portée par Yoshiharu Tsuge puis par des illustrateurs. Proposant en parallèle du gegika ultra sombre, Garo s’orienta vers l’érotisme à partir des années 80. Chaque époque est détaillée par Claude Leblanc, il synthétise clairement une aventure complexe qui nécessiterait quasiment un ouvrage par décennie. Seuls petits reproches, les rares autrices, dont la pionnière Kuniko Tsurita, ne sont que rapidement évoquées, et les vingt dernières années, moins marquantes, sont survolées. Cela s’explique aisément par la richesse de la matière et n’empêche pas La révolution Garo, 1945-2002 d’être une lecture indispensable pour les amateurs de mangas et de culture japonaise.
L’ère des gladiateurs de Frederik Pohl & Cyril M. Kornbluth (Presses Pocket, collection « Science-Fiction », 1989), 192 p.

Je n’avais pas aimé les deux romans de Frederik Pohl que j’avais lu, Homme plus et La grande porte, et je n’attendais rien de L’ère des gladiateurs. Surprise, c’est meilleur qu’escompté, en raison peut-être de l’influence de Cyril M. Kornbluth. Contrairement à ce que laisse supposer son titre, L’ère des gladiateurs n’est pas centré sur les jeux du cirque, mentionnés au début du récit et relégués au second plan. C’est essentiellement une satire de la société de consommation américaine, de son système judiciaire et financier. C’est daté années 50 avec une touche de sexisme mais le ton est amusant et enlevé, il n’y a pas de temps mort et les péripéties se suivent avec plaisir. On est loin de la hard science-fiction, ça m’a rappelé du bon Fredric Brown. Je vais récupérer du coup les trois autres collaborations entre Pohl et Kornbluth, qui semblent du même acabit.
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