samedi 6 juillet 2024

Carnet de bord 29/06/2024-05/07/2024



Films vus en compagnie
거미집 [Geomijip] de Kim Jee-woon (2023, Ça tourne à Séoul !)
Dans les années 70 en Corée du Sud, Kim achève un énième navet. Une série de rêves le persuade qu’il peut le transformer en chef d’œuvre à condition de repenser la structure narrative et réviser les séquences clés. Il doit pour cela convaincre la productrice de lui accorder deux jours de reshoots et faire valider le nouveau script par la censure. Cette mission se révélant rapidement impossible, il élude le problème en se passant des autorisations et en tournant clandestinement les scènes nécessaires.

Avec son film dans le film, son hommage au cinéma artisanal et son humour, Geomijip a été comparé à Ça tourne à Manhattan (1995) et Ne coupez pas ! (2017). Il est malheureusement loin d’égaler ces prédécesseurs. S’il y a des aspects réjouissants, un contexte historique intéressant (le cinéma coréen des années 70 confronté à la censure et doté de faibles budgets) et un dernier quart dynamique, l’imbrication entre les parties n’est pas toujours réussie, c’est beaucoup trop long (2h15 contre 1h30/1h35 pour Ça tourne à Manhattan et Ne coupez pas !) et répétitif. Cela me confirme dans mon opinion que Kim Jee-woon est surcoté bien que j’ai encore quelque espoir sur Foul King (2000) que j’ai l’intention de récupérer prochainement.


北極百貨店のコンシェルジュさん [Hokkyoku Hyakkaten no Konsheruju San] de Yoshimi Itazu (2023, Le grand magasin)
Akino vient d’être engagée comme concierge au grand magasin Hokkyoku où les animaux font librement leurs courses et se vouent aux joies de la société de consommation. Parmi les espèces, celles disparues ou en voie de disparition sont choyées par le personnel. Manquant de confiance en elle, Akino va progresser grâce aux conseils de l’étrange chef de rayon Todo et aider les clients à concrétiser leurs souhaits.

Peu connu du public, le studio Production I.G. est pourtant un acteur important de l’animation japonaise depuis les années 80. Ils ont notamment collaboré avec Mamoru Oshii sur les Patlabor et Ghost in the Shell, sur Jin-Roh, la brigade des loups (1998) ou plus récemment sur Lettre à Momo (2012) ou Miss Hokusai (2015) pour ne citer que des titres sortis en salles en France. Pour Hokkyoku Hyakkaten no Konsheruju San, ils ont donné sa chance à Yoshimi Itazu, précédemment animateur sur Paprika (2006) ou sur Le garçon et le héron (2023). Le résultat est bancal, techniquement superbe avec une intrigue excessivement simple et gentillette. Sous des apparences similaires, le manga dégageait une certaine tristesse et une critique du consumérisme. Ce point est brièvement abordé dans l’adaptation avant d’être mis de côté au profit d’un discours positif sur les grands magasins de luxe. Le caractère épisodique était également mieux rendu dans le livre, l’animé enchaîne les scénettes sans respirer. Cela reste distrayant et court (à peine 1h10) mais décevant compte tenu du matériau d’origine.


Viking de Stéphane Lafleur (2022, On dirait la planète Mars)
Une mission d’exploration s’apprête à se poser sur Mars après sept mois de voyage. Les tensions dans l’équipage sont vives et l’Agence d’Exploration Spatiale Américaine décide de créer sur Terre une simulation. L’objectif est de reproduire les soucis rencontrés pour les résoudre avant qu’ils ne dégénèrent. Ils chargent la compagnie Viking de recruter des candidats idéaux dont les profils doivent correspondre à ceux des cinq astronautes. David, professeur d’éducation physique, accepte d’abandonner sa conjointe et son travail pendant deux ans et demi pour entrer dans la peau de John, ingénieur en aérospatial. Il est envoyé avec quatre autres volontaires dans un coin désolé du Canada, où ils reçoivent tous les jours des cartes leur indiquant l’état psychologique de leur double.

Viking, long métrage québécois diffusé en France sous le titre On dirait la planète Mars, est une comédie douce-amère de science-fiction fauchée « qui se prend pour un film américain, sans en avoir les moyens » ainsi que le résume ironiquement Stéphane Lafleur. Le concept a surgi dans l’esprit de celui-ci lors d’une exposition photo montrant des gens en costume de cosmonaute dans le désert. Ne bénéficiant pas du budget d’un blockbuster, il s’est amusé à parodier les codes du cinéma hollywoodien et des émissions de téléréalité en se focalisant sur cinq personnes confinées. Loin de s’occuper de problèmes essentiels, iels se déchirent sur le nombre de sucres dans le café ou sur le temps passé sous la douche.
Avec son pitch farfelu, Viking fonctionne parfaitement, porté par Steve Laplante en David qui perd rapidement ses illusions face à l’ennui du quotidien et sombre dans la mélancolie. Tourné en 35 mm avec un minimum d’effets spéciaux numériques dans des paysages de l’Alberta dignes de l’Ouest américain, on se croirait parfois à la cogip, impression renforcée par l’humour à froid et les débriefings pseudo-bienveillants imitant les vaines réunions d’entreprise et la psychologie de comptoir managériale. La distribution est excellente et c’est une belle réussite, insolite et drôle.


बैंग बैंग [Bang Bang] de Siddharth Anand (2014, Bang Bang!)
Afin de mettre en péril un traité d’extradition en négociation entre la Grande-Bretagne et l’Inde, le terroriste international Omar Zafar offre une récompense pour le vol du diamant Koh-i Nor, pièce du trésor de la famille royale britannique confisqué au XIXe siècle à un souverain sikh et exposé à la Tour de Londres. Le mystérieux Rajveer Nanda accomplit cet exploit et demande aux hommes de Zafar cinq millions de dollars en échange du bijou. Durant la transaction, le ton monte et Rajveer s’enfuit. Il se réfugie dans un restaurant dans lequel il tombe sur Harleen, une réceptionniste venue pour un blind date et qui pense que Rajveer est son rendez-vous.

Bang Bang! est le remake bollywoodien de Knight and Day (2010). C’est complètement crétin et encore plus excessif que l’original, le summum étant une poursuite en Flyboard qui vaut son pesant de cacahouètes. A la manière d’un Tom Cruise, l’acteur principal Hrithik Roshan a effectué ses cascades lui-même, se blessant gravement au passage. L’intrigue s’écarte substantiellement de Knight and Day, ce qui n’empêche pas Bang Bang! de recopier la majorité des séquences clés. L’humour assez lourdingue diminue heureusement progressivement et les scènes d’action sont pêchues bien que mal cadrées. Les chansons s’oublient vite, à l’instar de cet opus extrêmement cliché quoique distrayant. C’était pour ça que je l’avais récupéré et ça a donc répondu à mes attentes.


Films vus seuls
ジャン有馬の襲撃 [Jan Arima no shûgeki] de Daisuke Itô (1959, Sudden Attack of the Christian Lord)
En 1609 à Macao, les colonisateurs Portugais se servent d’un prétexte pour massacrer les résidents japonais, détruire leur quartier et leur navire de commerce. Ils dépêchent ensuite au Japon un vaisseau, Le Patrino de Dio, avec un émissaire exigeant du gouvernement japonais : une compensation financière ; des excuses ; l’évacuation de tous les Japonais de Macao ; et l’interdiction pour les Japonais d’entrer dans le port. Le Patrino de Dio transporte également un vassal sous fers du daimyo Arima Harunobu et des marins japonais réduits en esclavage. Offusqué par cette situation, Arima Harunobu délivre par la ruse son serviteur et se précipite auprès de l’ancien shôgun Ieyasu Tokugawa pour réclamer la libération des prisonniers.

Jan Arima no shûgeki surfe sur la mode du film de pirates, en ajoutant une vague touche historique sur fond de christianisme. La Daiei concurrençait ici la Toei, le spécialiste du genre, en y mettant les moyens avec un gros budget et un casting prestigieux porté par Raizô Ichikawa, Sô Yamamura et Masao Mishima. Le projet fut confié au vétéran Daisuke Itô, réalisateur majeur des années 20 qui participa à l’âge d’or du chanbara avec des œuvres nihilistes et un style dynamique et innovant. Devenu indépendant dans les années 50, il tourna pour les studios des longs métrages souvent stéréotypés qui se contentaient de recycler ses vieilles formules.
Jan Arima no shûgeki est classique dans sa forme et dans sa trame, avec un seigneur nationaliste avant l’heure qui se risque à contrevenir aux ordres pour sauver l’honneur du Japon. Comme d’habitude, c’est historiquement n’importe quoi. Il semble que les Portugais soient intervenus à Macao contre les marins japonais parce que ces derniers harcelèrent la population, ignorèrent les appels au calme et agressèrent un magistrat venu pour stopper une bagarre. Les représailles japonaises ne furent pas prises uniquement à l’initiative d’Arima Harunobu, elles furent ordonnées directement par Ieyasu Tokugawa.
Nonobstant ces éléments, c’est plutôt plaisant, avec des effets spéciaux réussis, notamment les attaques en mer. Les blancs (ou nippo-américain dans le cas de Jerry Ito) censés être Portugais ont des accents abominables qui rendraient presque le portugais d’Edward G. Robinson et de Spencer Tracy convenable. Les chrétiens japonais pour une fois ne sont pas opprimés, on est dans la courte période où le christianisme était autorisé, et la religion sert d’arrière-plan folklorique. Ce n’est pas désagréable, ça change un peu des jidai-geki de séries de la Daiei.


Santo contra cerebro del mal de Joselito Rodríguez (1961, Santo contre l'esprit du mal)
El Enmascarado est capturé par trois sbires et amené au docteur Campos. Il est aussitôt drogué et transformé en marionnette docile répondant aux instructions. Sous son allure honnête, Campos kidnappe les scientifiques susceptibles de lui nuire et un banquier pour le forcer à dévaliser sa compagnie. La police enquête sur les disparitions et envoie sur le terrain son meilleur agent, le catcheur masqué Incógnito.

Je n’avais bizarrement vu jusqu’à présent qu’un Santo, le tardif Misterio en las Bermudas (1979) avec Blue Demon. C’est pourtant un immense héros du cinéma mexicain, apparu dans une cinquantaine de films. Ils sont certes dotés d’une piètre réputation mais cela ne m’a jamais arrêté. Tant qu’à faire, je commence par le premier, Santo contra cerebro del mal, tourné à Cuba juste avant l’arrivée de Castro en 1958, en même temps que Santo contra los hombres infernales. Faute de distributeur, le diptyque ne fut diffusé en salles qu’en 1961. Quand il débuta cette carrière sur grand écran, Santo était déjà une superstar du catch, sport qu’il avait contribué à populariser au Mexique. Dans Santo contra cerebro del mal, il est néanmoins cantonné à un rôle secondaire : appelé El Enmascarado (un des noms qu’il utilisait), il est facilement attrapé et contrôlé par les méchants. Mal à l’aise, il n’a quasiment aucune ligne de dialogue. Le vrai champion est Incógnito incarné par Fernando Osés, un ancien lutteur qui coécrivit le scénario et convainquit Santo de jouer à ses côtés.
L’intrigue centrée sur un scientifique avide d’argent et de pouvoir est extrêmement banale, avec en prime l’enlèvement de la seule femme des environs, acte obligé de tout vilain qui se respecte. C’est franchement mou du genou et bavard, on se console en regardant les jolis extérieurs de La Havane de l’époque. Santo contra los hombres infernales semble pire, il va falloir que j’attende le troisième épisode pour que Santo se réveille.


Ghost Story de John Irvin (1981, Le fantôme de Milburn)
Au décès de son frère, Don rentre dans sa ville natale. Il y retrouve son père Edward et les trois amis de celui-ci, visiblement perturbés. Membres d’un club informel, la Chowder Society, ils se racontent chaque semaine des histoires horrifiques autour d’un verre. Ils sont depuis quelques temps assaillis de cauchemars et dissimulent un sombre secret. Lorsqu’Edward meurt en tombant d’un pont un matin, Don refuse l’hypothèse du suicide et questionne son entourage.

Ghost Story est tiré d’un roman considéré inadaptable de Peter Straub, auteur fantastique américain très estimé à la fin des années 70 qui travailla avec Stephen King à deux reprises (Le talisman en 1986 et Territoires en 2002). Le projet fut donné à John Irvin, issu de la télévision anglaise et récemment débarqué aux Etats-Unis. Peter Straub fut mécontent du résultat et, même sans avoir lu le texte d’origine, je le comprends. C’est brouillon, sans suspens ni tension, avec une trame tellement simplifiée qu’elle est devenue téléphonée et prévisible. L’unique intérêt est la présence de vieux acteurs hollywoodiens, notamment Fred Astaire et Melvyn Douglas dans leur dernier rôle. C’est insuffisant pour sauver ce Ghost Story long et ennuyeux.


陸軍中野学校 雲一号指令 [Rikugun Nakano gakko: Kumoichigô shirei] de Kazuo Mori (1966, Assignment Cloud)
En septembre 1945 près de Kobe, un bateau de l’armée transportant une arme secrète est détruit par une explosion. Jirô Shiina, espion formé à l’école militaire de Nakono, est envoyé sur place en se déguisant en chercheur universitaire. Il se heurte aux officiers japonais en charge de l’instruction, qui n’apprécient pas qu’un agent extérieur vienne les seconder. Il est heureusement épaulé par son collègue Sugimoto, qui a déjà commencé à réunir des indices.

Rikugun Nakano gakko: Kumoichigô shirei est le second volet de la série consacrée à l’école militaire de Nakano. Pour esquiver les sujets qui fâchent de la période militariste, le récit démarre après la guerre et on ne s’étend pas trop sur les activités du héros durant les sept années précédentes. On abandonne la noirceur dramatique du premier épisode au profit d’une classique aventure d’espionnage avec des traitres, des gadgets et une enquête assez plan-plan et invraisemblable. On est dans le tout-venant de la Daiei, je l’aurai rapidement oublié.


上海陸戦隊 [Shanhai rikusentai] de Hisatora Kumagai (1939, Marins à Shanghai)
Dans le quartier de Hongkou à Shanghai en 1938, l’armée japonaise ne cède pas aux provocations chinoises et protège pacifiquement ses citoyens. La situation se tend et la population japonaise est regroupée dans le gymnase de l’école primaire. Harcelés par les Chinois, les fusiliers marins japonais se résignent à répliquer et une guérilla urbaine se déclenche. En sous-effectif, les soldats de l’Empereur résistent en attendant les renforts, partageant généreusement leurs vivres avec les habitants, des Japonais ou des Chinoises victimes des destructions.

Ayant débuté par des œuvres plutôt ancrées à gauche et sur la lutte des classes, Hisatora Kumagai dériva graduellement vers l’exaltation du militarisme. En 1941, il quitta le cinéma pour créer une organisation nationaliste semi-religieuse et en devenir le gourou. Deux ans auparavant, il avait réalisé Shanhai rikusentai, pur film de propagande tourné dans un style semi-documentaire de bandes d’actualité avec un minimum d’éléments dramatiques. Si les scènes de combat sont parfois impressionnantes, l’absence d’intrigue et de personnages entrainent un certain ennui et un manque d’implication. Ce n’est pas un mal étant donné le côté ultra nationaliste de l’ensemble. Les spécialistes ont souvent remarqué l’étrangeté de la propagande humaniste des films de guerre japonais, à l’image de Terre et soldats (1939). Ce n’est pas le cas ici. Les Japonais sont gentils et sont contraints à se défendre des attaques des belliqueux et fourbes Chinois ; ils aident les locaux, qui ne soutiennent pas les troupes de leur pays ; les fusiliers marins sont braves et prêts à se battre jusqu’au dernier pour tenir leur position ; même la Chinoise rebelle incarnée par une jeune Setsuko Hara (belle-sœur de Hisatora Kumagai) pas franchement convaincante finit par être touchée par la droiture des Japonais. Shanhai rikusentai n’a donc qu’un intérêt historique et est clairement à éviter dans un autre cadre.


Livres
Libérées, délivrées ? Rapports de pouvoir animés de Mélanie Lallet (INA Editions, collection « Médias et Humanités », 2020), 262 p.
La sociologue des médias Mélanie Lallet se penche sur les représentations genrées dans les séries animées françaises de la fin des années 50 aux années 2010. Elle a sélectionné pour cela des titres ayant fait l’objet d’au moins deux versions et d’une diffusion supérieure ou égale à dix ans, additionnés d’un corpus secondaire de six séries choisies pour leur pertinence. Après deux chapitres théoriques sur la perception et le traitement de l’enfance et du genre en sociologie et dans les médias, elle entre dans le vif du sujet en divisant son étude en quatre périodes : l’ère du tout masculin de 1954 à 1974 ; le syndrome de la Schtroumpfette de 1975 à 1989 ; les prémices d’un renouveau malgré la persistance du conservatisme de 1990 à 2001 ; et l’émergence du girl power de 2002 à 2014. Elle termine sur une enquête ethnographique auprès de professionnel∙le∙s de l’animation.

Je n’ai jamais réfléchi au sexisme dans les dessins animés de mon enfance. Il était pourtant omniprésent et cet ouvrage éclaire son évolution au cours du temps. Mon attirance pour les séries japonaises ne m‘a pas empêché d’ingurgiter un paquet de françaises dont plusieurs sont abordées ici, notamment Babar, les Il était une fois…, Inspecteur Gadget, Les aventures de Tintin, Lucky Luke ou Les mystérieuses cités d’or. Mélanie Lallet adopte une approche sociohistorique déconstructiviste. Elle ne prétend pas connaître les conséquences des représentations sur les enfants, elle expose la situation en soulignant les biais. Elle pratique pour cela une analyse à la fois quantitative (examen du premier épisode de chaque série pour en tirer des statistiques générales) et qualitative (focalisation sur quelques notions emblématiques).
Le volet théorique est bref et ne m’a pas captivé. J’ai seulement noté les concepts de contre-stéréotypes (qui prend le contre-pied des stéréotypes habituels et peut avoir pour effet pervers de gommer les inégalités) et d’anti-stéréotypes (discours critique par rapport aux stéréotypes), que la chercheuse utilise par la suite. Le cœur du livre est en revanche passionnant et lisible, avec de nombreux exemples. Loin d’assister à une progression inéluctable, on voit que le sexisme diminue de manière non uniforme. Les améliorations sont plus dues aux nouveautés qu’aux reboots de vieux machins et il faut patienter jusqu’au début des années 2000 avec des productions destinées aux filles dans une case girl power dédiée pour s’extirper réellement des clichés. La troisième partie, trop succincte, élargit la problématique avec une enquête ethnographique. On constate les difficultés pour les professionnel∙le∙s de sortir des sentiers battus et, encore aujourd’hui, de proposer des thèmes non excessivement genrés et sexistes. Si ce n’est en rien surprenant, cela demeure désolant. Libérées, délivrées ? Rapports de pouvoir animés est en conclusion un bouquin enrichissant qui fait réfléchir et j’aimerais trouver un équivalent pour les animés japonais de ma jeunesse.


Chikuma san de Tsuchika Nishimura (Le lézard noir, 2023), 120 p.
Chikuma est employée de bureau, chargée d’entrer des chiffres dans un ordinateur toute la journée. Pendant ses brèves pauses, elle s’isole pour bouquiner mais est régulièrement dérangée. Alors qu’elle s’imagine lire tranquillement dans un parc, un individu la recrute comme modèle pour son tableau. Chikuma réalise qu’il existe une multitude de métiers inhabituels. S’enchaînent de courts récits de deux pages montrant Chikuma dans des boulots bizarres.

Chikuma san est le dernier manga de Tsuchika Nishimura traduit en français qui me restait à lire. Parmi les trois précédents, j’avais apprécié La concierge du grand magasin, beaucoup moins Au revoir Mina et Eisbahn. Chikuma san se place entre les deux, plus sympathique qu’Au revoir Mina et Eisbahn bien qu’il n’offre pas d’intrigue, avec une forme primant ostensiblement sur le fond. Tsuchika Nishimura ne s’en cache pas dans les notes à la fin du volume, ses remarques se concentrant sur le style et le dessin, les professions dépeintes servant de prétexte à des essais graphiques. On est davantage dans le domaine de l’illustration que du manga. Pour ma part, j’ai besoin d’une histoire, les jolies planches ne me suffisent pas, et Tsuchika Nishimura n’est pas pour moi à l’exception de La concierge du grand magasin où il a développé une réelle trame.


La révolution Garo, 1945-2002 de Claude Leblanc (IMHO, 2023), 277 p.
En 1964, un nouveau magazine de mangas voit le jour. Appelé Garo, il est publié par Nagai Katsuichi et repose sur les épaules de Sanpei Shirato, un auteur populaire issu des librairies de location (kashihon ya) et spécialisé dans les ninjas. Durant 38 ans, Garo va connaître une existence mouvementée. Initialement axé sur Kamui Den, série historique et contestataire de Sanpei Shirato, il va ouvrir ses pages à une jeune génération refusée par les circuits commerciaux. Ils vont bouleverser le monde du manga au Japon et leurs noms sont aujourd’hui célèbres à l’instar de Shigeru Mizuki, de Yoshiharu Tsuge et de son frère Tadao Tsuge, de Maki Sasaki ou de Teruhiko Yumura.

J’avais déjà entendu parler de Garo dans les éditions françaises des œuvres de Shigeru Mizuki, Yoshiharu Tsuge, Shôhei Kusunoki, Shin'ichi Abe ou Yoshihiro Tatsumi. J’ignorais en revanche les différents courants qui l’avaient traversé et son influence sur le long terme, pas limitée aux années 60.
A l’image de Le Japon vu par Yamada Yôji, Claude Leblanc fait superbement revivre les affres de Garo, dans un style lisible et fluide. On découvre ainsi comment un magazine créé par Sanpei Shirato pour favoriser des mangas politisés visant à sensibiliser le public aux luttes collectives contre le gouvernement a basculé dans une certaine avant-garde individualiste, d’abord portée par Yoshiharu Tsuge puis par des illustrateurs. Proposant en parallèle du gegika ultra sombre, Garo s’orienta vers l’érotisme à partir des années 80. Chaque époque est détaillée par Claude Leblanc, il synthétise clairement une aventure complexe qui nécessiterait quasiment un ouvrage par décennie. Seuls petits reproches, les rares autrices, dont la pionnière Kuniko Tsurita, ne sont que rapidement évoquées, et les vingt dernières années, moins marquantes, sont survolées. Cela s’explique aisément par la richesse de la matière et n’empêche pas La révolution Garo, 1945-2002 d’être une lecture indispensable pour les amateurs de mangas et de culture japonaise.


L’ère des gladiateurs de Frederik Pohl & Cyril M. Kornbluth (Presses Pocket, collection « Science-Fiction », 1989), 192 p.
Charles Mundin est un avocat criminaliste sans le sou, qui enchaîne les dossiers mineurs et a accepté d’être candidat aux municipales pour satisfaire un notable local. Celui-ci le recommande un jour à Don et Norma Lavin, les enfants du fameux inventeur des maisons individuelles personnalisables GML. A la mort de leur père, iels ont hérité d’actions représentant 25% du capital de l’entreprise, soit 3,5 milliards de dollars. Le problème est que Don ne sait plus où sont les titres, sa mémoire ayant été conditionnée pour oublier l’information. Aidé par un avocat morphinomane et par des habitants de Belly Rave, un quartier défavorisé de la ville, Mundin va tenter de résoudre l’affaire.

Je n’avais pas aimé les deux romans de Frederik Pohl que j’avais lu, Homme plus et La grande porte, et je n’attendais rien de L’ère des gladiateurs. Surprise, c’est meilleur qu’escompté, en raison peut-être de l’influence de Cyril M. Kornbluth. Contrairement à ce que laisse supposer son titre, L’ère des gladiateurs n’est pas centré sur les jeux du cirque, mentionnés au début du récit et relégué au second plan. C’est essentiellement une satire de la société de consommation américaine, de son système judiciaire et financier. C’est daté années 50 avec une touche de sexisme mais le ton est amusant et enlevé, il n’y a pas de temps mort et les péripéties se suivent avec plaisir. On est loin de la hard science-fiction, ça m’a rappelé du bon Fredric Brown. Je vais récupérer du coup les trois autres collaborations entre Pohl et Kornbluth, qui semblent du même acabit.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire