samedi 22 mars 2025

Carnet de bord 15/03/2025-21/03/2025



Films vus en compagnie
ピンクレディーの活動大写真 [Pinku redi no katsudo dai shashin] de Tsugunobu Kotani (1978, Pink Lady's Motion Picture)
Le groupe Pink Lady, composé de Mie et Kei, doit prochainement tourner son premier film. Le producteur Senkichi Shirakawa n’a pas encore d’histoire et planche sur le sujet avec le réalisateur Shinpei Akazawa et le scénariste Hiroshi Aota. Ce dernier visualise une romance traditionnelle dans laquelle Mie et Kei seraient amoureuses du même homme sans le savoir. De son côté, Shirakawa veut absolument caser des extra-terrestres. Il suggère que Mie et Kei soient dresseuses dans un cirque et apprivoisent un alien. Enfin, Akazawa imagine un western, avec Mie et Kei en chanteuses de saloon.

Deux amies d’enfance, Mie (Mitsuyo Nemoto) et Kei (Keiko Masuda), formèrent en 1976 le duo Pink Lady. Jusqu’à leur séparation en 1981, elles furent immensément populaires, enchaînant les tubes et réunissant 100 000 spectateurs dans un concert géant à Tôkyô en 1978 (dont des morceaux sont régulièrement diffusés au cours de Pinku redi no katsudo dai shashin) et 200 000 fans à Ôsaka en 1979. Elles eurent une brève carrière américaine, avec un show TV de six épisodes sur NBC en 1980. Pinku redi no katsudo dai shashin est leur unique long métrage trouvable sur internet. Le second, Pîman 80 (1979), n’est apparemment jamais sorti sur support physique.
On sent que la mince trame à sketches a été conçue autour des titres de chansons connues de Pink Lady. Elles sont essentiellement extraites de concerts impressionnants par les moyens déployés, avec des costumes et des chorégraphies très années 70. La musique n’est pas désagréable, de la pop japonaise à la ABBA (Pink Lady reprit d’ailleurs That’s Me de ABBA en 1978 pour leur album America! America! America!). Le reste est en revanche médiocre, avec des interprètes en roue libre et des segments inégaux, le plus distrayant étant la partie western avec des personnages aux noms de bouffe pour justifier l’insertion de leur tube Pepper Keibu (= inspecteur Poivre, ici un shérif mais on n’est pas à une approximation près).


Tirlittan de Maunu Kurkvaara (1958, Tweet, Tweet)
Projeté dans une rivière par une tempête, Tirlittan échappe de justesse à la noyade. En rentrant chez elle, elle constate que sa maison est détruite et que ses parents ont disparu. Elle ramasse l’ocarina de son père et part sur les routes. Partout où elle s’arrête, des ennuis surviennent et elle se demande si elle ne serait pas mieux seule dans la nature.

Tirlittan est tiré d’un fameux livre pour enfants d’Oiva Paloheimo publié en 1953. C’est une espèce de conte sur une fillette en pyjama devenue soudainement orpheline, à l'image de l’auteur séparé de sa mère à sa naissance et dont le père mourut quand il avait huit ans. L’adaptation de Maunu Kurkvaara, un cinéaste influencé par la Nouvelle vague française qui travaillait généralement avec une équipe réduite, fit un flop, mal reçue à la fois par la critique et par Oiva Paloheimo. Ses détracteurs estimaient qu’elle ne véhiculait pas l’aspect onirique du récit et que les dialogues sonnaient faux. N’ayant pas lu le texte d’origine, je n’ai pas de point de comparaison. Il est vrai cependant que les interactions ne sont pas convaincantes (notamment celles avec la vieille dame, incarnée par la grand-mère de Maunu Kurkvaara, ou avec les gens du cirque) et le traitement naturaliste a tendance à diminuer le merveilleux. Ce n’est toutefois pas inintéressant, avec un rythme lent assez déroutant et de beaux passages dans la forêt.
Ce fut l’unique apparition de Tarja Airaksinen (Tirlittan), écolière qui faisait du théâtre et qui joue correctement.


Mrs Dalloway de Marleen Gorris (1997)
Clarissa Dalloway est une dame de la haute société londonienne mariée à Richard Dalloway, un politicien important. Alors qu’elle organise une réception prévue pour le soir même, elle repense à l’été qui a précédé son mariage, dans son manoir familial à la campagne. Elle flirtait avec son amie Sally, hésitait à épouser Peter Walsh et avait préféré la sécurité avec Richard. En parallèle, nous suivons les angoisses de Septimus Warren Smith, un ancien soldat de la Première Guerre Mondiale traumatisé.

Mrs Dalloway est tiré du roman éponyme de Virginia Woolf paru en 1925. Il y a une jolie reconstitution, les interprètes de la partie sur Clarissa sont plutôt bons et le résultat aurait pu être convenable avec un montage différent. Marleen Gorris alterne en permanence le passé et le présent de Clarissa, usant d’incessants flashbacks parfois très brefs, qu’elle ponctue des mésaventures de Septimus. Le lien entre ces deux histoires est ténu, les hallucinations de Septimus cassent l’ambiance et on ne voit pas trop ce que ça apporte, pas aidé par le jeu exagéré de Rupert Graves en Septimus. C’est seulement en conclusion qu’on comprend le truc, j’avoue m’être dit « tout ça pour ça… ». Cela fonctionne peut-être dans le bouquin mais pas à l’écran.
A noter que Mrs Dalloway a également inspiré The Hours (2002), qui se penche sur l’écriture du livre par Virginia Woolf et sur son influence sur deux femmes à deux époques.


Ed and Rooster's Great Adventure de Lucy Fazely (2021)
Rooster est un goéland à bec cerclé immature supervisé par Ed, un adulte vantard qui veut lui apprendre à draguer. En fouillant sur un ordinateur portable, Rooster lit une formule magique permettant de créer des portails vers des univers parallèles. Il en ouvre un et s’y précipite, suivi par un Ed réticent. Ils s’embarquent sans le savoir dans un grand voyage qui va les amener dans des lieux où ils sont irrésistibles, où la nourriture est gratuite, où les goélands n’existent pas ou dans lesquelles ils ont des corps de femelles ou de mouettes atricilles.

Ed and Rooster's Great Adventure est une découverte de M. Martin, qui a généreusement payé trois euros pour que nous puissions profiter de cette rareté. En dépit de son budget rachitique et de sa réalisation minimaliste (des goélands filmés dans le Michigan et en Floride doublés par d’obscurs acteurs), Ed and Rooster's Great Adventure m’intriguait. Au pire, je serais content de regarder des goélands pendant 1h16.
Dans les faits, cela s’est avéré soporifique. Outre un côté extrêmement amateur que franchement je pourrais faire mieux avec un logiciel de montage pro, les dialogues sont pénibles, jamais amusants et assez beaufs. Les images sont par ailleurs terriblement statiques, elles consistent essentiellement en des goélands posés qui bougent à peine. Pour avoir régulièrement observé des laridés, ça n’aurait pas été compliqué de faire plus dynamique. L’équipe n’a même pas été capable d’identifier correctement les espèces, appelant mouette tridactyle une mouette atricille. Pour donner un aperçu du niveau, l’émission La Vie privée des animaux avait davantage de tunes et était plus marrante… Les deux-trois bonnes idées et les mauvais effets spéciaux sympathiques ne suffisent pas. Lucy Fazely avait auparavant tourné la websérie Seagull Stories (2019), disponible sur Youtube, ce sera sans moi.
Une remarque pour terminer. La fiche imdb indique des informations douteuses, avec une durée de 1h30 et une année de sortie en 2025. En réalité, Ed and Rooster's Great Adventure dure 1h16 (j’ai demandé la modification sur imdb) et date de 2021.


Los colonos de Felipe Gálvez (2023, Les colons)
En 1901 au Chili, José Menéndez est un puissant propriétaire qui possède tout le Sud du pays. Il charge un ancien soldat anglais, le lieutenant MacLennan, de trouver une route sûre et rapide pour conduire ses moutons jusqu’à l’océan Atlantique. Il exige au passage de nettoyer le territoire des indiens, qui constituent selon lui une menace inacceptable. Pour l’assister, MacLennan réclame Segundo, un excellent tireur métis qui connait les environs. Sceptique, Menéndez leur adjoint un mercenaire américain tueur d’indiens.

Les Selknam (aussi appelés Onas) était un peuple autochtone qui habitait le Sud de la Patagonie chilienne et argentine. Sans se relater à des évènements historiques précis, Los colonos dépeint leur extermination entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Felipe Gálvez divise son film en deux parties : la première, qui occupe les trois quarts, se concentre sur l’expédition de MacLennan et les tourments de Segundo, tiraillé entre deux mondes, dans une ambiance western spaghetti moderne avec des paysages désolés, des antihéros taiseux et un chapitrage qui claque ; la seconde, qui se déroule sept ans plus tard dans des intérieurs sombres, opte pour un angle politique et cède la place à la parole.
Los colonos est le premier long métrage du monteur Felipe Gálvez. La photographie est superbe et le thème osé, le sujet étant rarement abordé au Chili et la famille Menéndez continuant à être influente dans la région. Felipe Gálvez a voulu adopter le point de vue des meurtriers afin de dénoncer les excès et la violence injustifiable. Il dresse un tableau au vitriol de la situation et tombe dans la facilité, avec des protagonistes ultra-manichéens (excepté Segundo qui reste malheureusement au second plan) et des scènes très brutales à la limite du sordide. Je ressors donc avec un sentiment mitigé, je pense qu’il y aurait eu moyen de faire autrement.


Watermelon Man de Melvin Van Peebles (1970)
Jeff Gerber est un vendeur d’assurances blanc. Il vit avec son épouse Althea et ses deux enfants dans un quartier respectable de banlieue, fait quotidiennement la course avec le bus et s’arrête dans un café où il traite avec condescendance un serveur noir avant d’aller au travail. Grande gueule, doté d’un humour raciste et misogyne, tout le monde le déteste. Il se dispute régulièrement avec Althea, qui soutient les révoltes raciales en cours et qui se sent délaissée. Une nuit en allant aux toilettes, Jeff constate avec horreur qu’il est devenu noir.

N.B. : pour les non anglophones, le mot watermelon (= pastèque) renvoie à un stéréotype raciste datant du XIXe siècle. Après la guerre de Sécession, de nombreux noirs acquirent une indépendance économique en cultivant des champs de pastèque. Les Sudistes blancs retournèrent ce symbole en attribuant aux noirs un amour immodéré de la pastèque, associant le fruit à la saleté, l’immaturité et la paresse.
Watermelon Man fut écrit au départ par Herman Raucher, un scénariste blanc, pour se moquer de ses amis libéraux qui dissimulaient un fond raciste. Intéressé mais effrayé par le script, la Columbia confia le projet à un réalisateur noir indépendant, Melvin Van Peebles, qui venait de se faire remarquer avec La permission (1967). Le studio songeait à un acteur blanc en blackface du type Jack Lemon pour le rôle principal avant que Melvin Van Peebles les convainque fort heureusement de sélectionner un comédien noir populaire, Godfrey Cambridge. Il modifia également la conclusion en supprimant l’inoffensif « ceci n’était qu’un rêve » par quelque chose de plus revendicatif. Il se heurta de façon générale à Herman Raucher, qui avait conçu une aimable satire, tandis que Melvin Van Peebles avait des arrière-pensées politiques qui transparaissent notamment dans les chansons qu’il a composé lui-même. Ce fut son seul opus hollywoodien, il refusa un deal avec Columbia et employa l’argent recolté pour produire Sweet Sweetback's Baadasssss Song (1971), emblème de la blaxploitation indépendante (assez douloureux à regarder de nos jours).
Ces tensions entre le matériau d’origine et les intentions de Melvin Van Peebles sont palpables, avec une mise en place lourdingue desservie par un Godfrey Cambridge en roue libre. Au bout d’un moment, le ton change, le jeu de Godfrey Cambridge perd sa loufoquerie et gagne en mélancolie. L’humour devient acerbe, avec des attaques contre la police, les voisins proprets, le patron opportuniste ou la femme de Jeff confrontée à ses contradictions. Althea est parfaitement interprétée par Estelle Parsons, qui réussit à rendre le personnage à la fois léger et triste. Watermelon Man mérite donc de s’accrocher au-delà de sa première demi-heure poussive.


Films vus seuls
Santo contra los secuestradores de Federico Curiel (1973, Santo vs. the Kidnappers)
Santo est envoyé en Equateur par Interpol pour délivrer Pedro, un ancien faussaire kidnappé par des malfrats. Ces derniers veulent l’obliger à fabriquer des faux billets afin de déstabiliser les économies d’Amérique du Sud. Arguant d’une série de matchs de catch dans le pays, il rencontre la sœur de Pedro, Elsa, une chanteuse de bar. Santo est repéré, des bandits tentent de l’intimider et d’enlever Elsa.

Oh que ce Santo était pénible, peut-être pire encore que Misión suicida du même duo Jorge Camargo/Federico Curiel. Un peu comme Santo contra Capulina (1969), Santo contra los secuestradores est en réalité un show d’un comique à la mode, l’équatorien Ernesto Albán, créateur du personnage d’Evaristo Corral y Chancleta. Il est accompagné d’Elsa incarnée par Rossy Mendoza, une danseuse de cabaret sexy qui se spécialisera dans le cine de ficheras, un sous-genre de la sexploitation apparu en 1975.
Santo sert de faire-valoir dans une intrigue quasi-inexistante, prétexte à enchaîner les numéros de danse d’Elsa (constitués essentiellement de zooms sur son corps qui se trémousse avec une caméra secouée dans tous les sens) et les scènes humoristiques avec Evaristo. C’est extrêmement mal filmé, avec un combat de catch en plans serrés pour qu’on ne se rende pas compte que ça a été tourné dans un studio avec dix figurants. A fuir.
A noter que quand Santo va dans un night-club, il commande une limonade.


コアラ課長 [Koara kachô] de Minoru Kawasaki (2005, Executive Koala)
Keiichi Tamura est un koala cadre dirigeant à Rubbles Pickles, le leader japonais des pickles. Il travaille sur un projet de rapprochement avec Bae Foods, une entreprise coréenne de kimchi. Bien qu’il sorte avec la jolie Yoko, il ne parvient pas à oublier son ex-femme Yukari, disparu mystérieusement il y a trois ans. Il ne se souvient d’ailleurs pas vraiment de cette période, excepté des flashs de jours heureux. Lorsque Yoko est sauvagement assassinée, la police soupçonne Tamura et l’inspecteur Ono se rend dans le village natal de celui-ci pour se renseigner.

Minoru Kawasaki s’est fait connaître en 2004 avec The Calamari Wrestler, une péloche fauchée dans laquelle un catcheur professionnel se transforme en calmar géant. Il poursuit cette veine animalière avec Koara kachô où, outre un koala humanoïde, apparaissent un lapin blanc en costard, une grenouille employée de superette et surtout Momo, un écureuil volant de compagnie. Il n’y a clairement pas de tunes, la plupart des interprètes sont débutants ou viennent de la télévision, avec une esthétique assumée de TV drama et un scénario totalement débile quoique cohérent. Et pourtant, hors quelques longueurs vers la fin, ça fonctionne grâce à son absurdité revendiquée et à l’honnêteté de la chose. Minoru Kawasaki ne ment pas sur sa marchandise, on a un koala en col blanc, des meurtres sanglants, de la romance et une enquête policière. Je n’ai donc pas été déçu et je compte récupérer d’autres opus de ce réalisateur.

La première rencontre de Tamura le koala et de Momo l'écureuil volant


La marca de Satanás de Chano Urueta (1957, The Mark of Satan)
Une nuit au cours d’un incendie, un individu masqué attaque la vieille Doña Carmen à la hache et kidnappe sa fille Olga. Un an plus tard, Doña Carmen, cachée sous un voile à cause de ses brûlures, est persuadée qu’Olga est décédée. Elle a emménagé chez son gendre Ricardo et conserve précieusement la hache avec laquelle elle a été agressée par crainte d’une malédiction. Elle a convoqué un ex d’Olga et sa fille cadette Maria pour des révélations. Sur le chemin, Maria est accostée par un homme séduisant, El charro, qui décide de l’aider.

La marca de Satanás est une curieuse fausse suite d'El jinete sin cabeza (1957). On y retrouve une distribution identique dans des rôles différents, avec une intrigue confuse et un fantastique davantage présent. Même le héros Luis Aguilar change de nom, El jinete devenant El charro. Il est toujours accompagné de sa bande de trois mariachis et de son acolyte peureux, pousse toujours la chansonnette et porte son masque noir qui dissimule son visage. On ne sait en revanche pas ce qu’il fait là, ni pourquoi il met cette cagoule. Le reste est à l’avenant, on a du mal à comprendre les motivations des protagonistes et on finit par décrocher un peu. C’est dommage car c’est bien joué, avec une ambiance horrifique réussie et deux-trois bonnes chansons (paradoxalement, ce ne sont pas celles de Luis Aguilar que j’ai préférées). J’espère que le troisième volet se tiendra mieux.


ガリバーの宇宙旅行 [Garibaa no uchû ryokô] de Yoshio Kuroda (1965, Gulliver's Travels Beyond the Moon)
Ted, un jeune vagabond, est à deux doigts d’être renversée par une voiture lorsqu’il alerté par une voix venue d’une poubelle. Elle appartient à un soldat de plomb qui lui conseille de garder espoir. Ted, le chien Mack et le soldat débarquent par hasard chez le savant Gulliver, qui accepte de les emmener sur la planète bleue de l’espoir. Ils sont interceptés sur leur trajet par des robots intelligents, qui ont été chassés de la planète par des comparses vindicatifs.

En 1956, la Toei racheta le studio d’animation Nichidô Eiga et le renomma Toei Dôga (ou Toei Animation en anglais). Sa première production en 1958 fut Le serpent blanc, tiré d’une légende chinoise, qui donna envie à Hayao Miyazaki de travailler dans l’animation. Il eut un énorme succès au Japon et fut diffusé à l’étranger. Garibaa no uchû ryokô est leur dixième long métrage, lointainement inspiré des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Escomptant des ventes à l’international, ils étaient alignés à l'époque sur un modèle à la Disney : ils visaient un public enfantin, enchaînaient les chansons (j’en ai décompté cinq), mettaient systématiquement en avant des animaux mignons dont des mascottes avec des rôles importants (ici Mack le chien et Kuro le corbeau).
D’après l’animateur Yasuo Ôtsuka, Hayao Miyazaki, intervalliste récemment embauché, suggéra la conclusion où un robot se transforme en humain. L’idée est jolie mais n’est pas franchement cohérente dans le contexte et le scénario demeure simpliste. Techniquement, c’est d’un bon niveau, l’animation est fluide et le montage est maîtrisé. Il faut cependant avouer que c’est gentillet et mollasson selon les standards actuels, et que l'intérêt est surtout historique.


Livres
The Honjin Murders de Seishi Yokomizo (Pushkin Vertigo, 2019), 189 p.
En 1937 dans un village de la préfecture d’Okayama, Kenzo, le fils aîné de la riche famille Ichinayagi anciennement propriétaire d’un honjin, épouse Katsuko, une roturière orpheline de la région. Le soir de la nuit de noces, un affreux bruit de koto résonne dans l’annexe où dort le couple. Un cousin de Kenzo, l’oncle de Katsuko et un serviteur se précipitent. Après avoir enfoncé la porte, ils découvrent les cadavres ensanglantés des mariés. Les soupçons se portent rapidement sur un individu louche à trois doigts aperçu dans les environs. Méfiant, l’oncle de Katsuko appelle son ami Kosuke Kindaichi à la rescousse.

Ayant lu tous les Seishi Yokomizo parus en français (pas difficile, il n’y en a que trois : Le village aux huit tombes, La hache, le koto et le chrysanthème et La ritournelle du démon), je bascule sur les traductions américaines de Pushkin Vertigo, qui a édité les trois romans mentionnés précédemment et trois inédits en français.
The Honjin Murders est la première aventure de Kôsuke Kindaichi, qui marque sa rencontre avec l’inspecteur Isogawa. Elle fut publiée sous forme de feuilleton d’avril à décembre 1946 dans le magazine Hôseki. Seishi Yokomizo écrivait des romans policiers depuis les années 30 mais avait dû faire une pause durant la guerre, le genre n’était guère apprécié des autorités nationalistes. Juste après la guerre, il inventa le détective Kôsuke Kindaichi, un homme négligé et légèrement bègue qui résout ses enquêtes par déduction. Il devint le héros de la majorité des œuvres de Seishi Yokomizo, apparaissant dans soixante-dix-sept récits.
The Honjin Murders est un meurtre en chambre close conscient de son statut, Kôsuke Kindaichi citant fréquemment des exemples classiques centrés sur ce procédé. L’intrigue est plus linéaire et moins tordue que les Seishi Yokomizo que j’avais pu lire jusqu’à présent. Le nombre de protagonistes est restreint, à peine une dizaine, et ils sont listés au début (sans doute un ajout de Pushkin Vertigo car les deux autres volumes de la collection que j’ai acquis comportent cet élément). Le style est agréable, avec un narrateur omniscient qui cède parfois la place à des personnages secondaires. Je n’ai pas retrouvé le problème de tournures un peu trop simples qui m’avait gêné dans La ritournelle du démon, cela venait donc probablement bien d’un choix de traduction. Le contexte est intéressant, on voit le Japon campagnard d’avant 1945 divisé en classes rigides et imprégné du poids des traditions familiales qui repose sur les épaules de l’aîné. C’est pour l’instant le Seishi Yokomizo que j’ai préféré, dommage qu’il n’existe pas en français.
The Honjin Murders a été adapté deux fois au cinéma (et trois fois à la télévion) : une version de 1947 introuvable de Sadatsugu Matsuda ; et une de 1975 de Yoichi Takabayashi, qui a modernisé l’histoire en la plaçant dans les années 70 (ça coutait moins cher). De mémoire, cette actualisation n’est pas très heureuse et Akira Nakao ne m’a pas convaincu en Kôsuke Kindaichi.


Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro (Six pieds sous terre, collection « Monotrème », 2017), 72 p.
A la caisse d’un supermarché, un auteur de bande-dessinées n’a pas sa carte du magasin. Selon ses dires, il l’aurait oublié dans son pantalon sale. Acculé par un vigile, il saisit un poireau. Le vigile menace de faire une roulade arrière. L’homme n’a d’autre choix que de s’enfuir. Recherché activement dans le pays, il se réfugie en Lozère, loin de tout moyen de communication.

Je dois avouer que je n’y connais rien en BD française et que je n’avais jamais entendu parler de Zaï Zaï Zaï Zaï, qui semble pourtant être une référence adaptée sur grand écran en 2022 (pour un résultat apparemment catastrophique, comme le laisse présager la bande-annonce).
Zaï Zaï Zaï Zaï eut une influence non négligeable sur la carrière de Fabcaro, qui passa soudainement de l’ombre à la lumière. Bon gré mal gré, il adopta dès lors régulièrement le procédé de la case fixe avec un style épuré basé sur des photos, dans une logique de plan fixe cinématographique. Il fit école, une frange de la BD française s’inspirant de sa technique, souvent par facilité.
Zaï Zaï Zaï Zaï propose un humour absurde assez réjouissant, couplé à une vision acerbe de notre société de consommation intolérante. Il se moque de la police, des médias, du racisme ordinaire, sans se départir de son ton léger nonsensique. Une belle réussite qui me pousse à creuser l’œuvre de Fabcaro.


Le monde de Miyazaki de Susan Napier (IMHO, collection « Cinéma », 2021), 368 p.
Dans Le monde de Miyazaki, l’universitaire américaine Susan Napier, spécialiste de l’animation japonaise, revient sur la carrière d’Hayao Miyazaki de son arrivée à Toei Animation en 1963 au Vent se lève en 2013. A travers les nombreuses interviews du réalisateur publiées au Japon, elle détaille la création de ses onze longs métrages et de son manga Nausicaä de la Vallée du Vent, en se focalisant sur les parallèles entre sa jeunesse, son idéologie et son univers. Après trois chapitres introductifs sur ses débuts, elle consacre un chapitre par film (+ un pour Nausicaä de la Vallée du Vent).
Susan Napier a effectué un impressionnant travail de compilation et d’analyse pour livrer un ouvrage enrichissant, qui permet de mieux appréhender le monde de Miyazaki. Par rapport à ses bouquins de recherche, elle a simplifié son style et limité ses observations psychanalytiques, bien qu’elle conserve une manie de surinterpréter les intrigues de Miyazaki au prisme de son enfance et de sa relation avec ses parents.
Le monde de Miyazaki n’est néanmoins pas exempt de défauts. Tout d’abord, elle commet des erreurs. Quelques exemples :
• Elle dit que Princesse Mononoke (1997) est le « premier [film] de l’œuvre de Miyazaki diffusé en Occident » (p.14). C’est une vision très américano-centrée. En France, Porco Rosso (1992), doublé par Jean Réno, sortit en juin 1995 et cumula presque 170 000 entrées. Mon voisin Totoro (1988) bénéficia aussi d’une diffusion en salles en décembre 1999 (374 452 entrées), un mois avant Princesse Mononoke (688 663 entrées, chiffres tirés de jpbox-office).
Momotaro, le divin soldat de la mer (1944), « qui dure plus de deux heures, est le premier long métrage d’animation japonais ». Momotaro, le divin soldat de la mer dure 1h14 : la pellicule étant rationnée en 1944, rares étaient les titres qui dépassaient 1h30 (et je pense qu’aucun n’atteignit deux heures, c'est pour ça que j'ai immédiatement tiqué).
• Elle répète à deux reprises (p.204 et 217) que les paroles du Temps des cerises renvoient directement à la Commune de Paris. C’est faux puisque la chanson a été écrite en 1866 et que la Commune date de 1871.
Combiné à un maniement discutable de certains termes (pillow-shot associé à Ozu et difficilement généralisable ; shôjo qu’elle utilise comme équivalent de fille, ce qui est littéralement exact mais étrange car le mot n’est habituellement pas employé de la sorte), cela génère une sensation d’amateurisme qui mine le propos.
Elle défend par ailleurs mordicus absolument tout ce qu’a fait Miyazaki, usant constamment de superlatifs et minimisant les critiques qui lui ont été adressées (qu’elle mentionne cependant, il faut le souligner). Cela donne l’impression de parcourir une hagiographie plus qu’une biographie. Ses rapports compliqués avec son entourage et ses proches collaborateurs sont survolés, elle indique juste qu’il s’est éloigné de Takahata et que les relations avec son fils étaient devenues « de la chair à tabloïd » (p. 347) sans expliquer de quoi il en retourne. Elle effleure enfin trop rapidement certains aspects de son œuvre, ses courts métrages ne sont pas examinés, ses mangas le sont à peine et elle n’évoque que brièvement son travail pour la télévision : la série Sherlock Holmes notamment, pour laquelle il a réalisé six épisodes, n’est pas citée, de même que la série Lupin III alors qu’elle dédie un chapitre au Château de Cagliostro (1979).
En dépit de ces problèmes, Le monde de Miyazaki reste un apport intéressant à la compréhension de la filmographie de Miyazaki et sa lecture aisée le rend abordable au plus grand nombre.


Revues
Mad Movies n°391 – Mars 2025
Pour la sortie du slasher canadien In a Violent Nature de Chris Nash, qui rénove le genre avec un style déconcertant où la caméra est placée en permanence derrière le tueur, Mad Movies consacre un dossier à la situation du slasher depuis les années 2010. Si je connais la plupart des titres évoqués, j’ai découvert deux-trois trucs qui pourraient me plaire : Le veilleur de nuit (1994), Detention (2011) et The Town That Dreaded Sundown (2014, il me semble avoir vu l’original de 1976).

Au niveau des nouveautés, je remarque le cambodgien Tenement (2024), pas forcément terrible mais qui vient d’un pays inhabituel ; The Monkey (2025), transposition d’une nouvelle de Stephen King ; Legends of the Condor Heroes: The Gallants de Tsui Hark (2025), même si je dois lire au préalable le bouquin en quatre parties qui traine en anglais dans ma bibliothèque ; et en patrimoine, Le plombier de Peter Weir, un téléfilm australien de 1979 potentiellement dangereux. Je signale pour finir une longue interview de Ti West, ça me rappelle que je n’ai toujours pas récupéré MaXXXine (2024), faudra corriger ça.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire