samedi 29 mars 2025

Carnet de bord 22/03/2025-28/03/2025



Films vus en compagnie
May December de Todd Haynes (2023)
La comédienne Elizabeth Berry va prochainement tourner dans un biopic consacré à un scandale qui s’est déroulé vingt-quatre ans auparavant. Gracie Atherton-Yoo, mariée, 36 ans, avait été condamnée pour sa liaison avec un garçon de 13 ans, Joe Yoo, qu’elle avait ensuite épousée. Elizabeth se rend à Savannah en Géorgie pour rencontrer Gracie, Joe et leur famille. Elle multiplie les entretiens et s’immisce dans leur intimité, mettant Gracie mal à l’aise et forçant Joe à repenser à cette époque avec des yeux d’adulte.

May December, expression anglaise qui désigne une relation entre partenaires ayant une grosse différence d’âge, s’inspire d’un célèbre fait divers qui avait choqué les Etats-Unis en 1997, lorsqu'une enseignante de 34 ans était tombée enceinte d’un de ses élèves de 12 ans. C’est Nathalie Portman, coproductrice un temps pressenti pour s’occuper de la réalisation, qui apporta le projet à Todd Haynes. Celui-ci choisit judicieusement de se pencher non sur le début de cette union mais sur ses conséquences à long terme et sur la façon dont ses protagonistes la perçoivent avec le recul.
Tandis que les affiches et la campagne promotionnelle jouent sur l’opposition entre Nathalie Portman en Elizabeth et Julianne Moore en Gracie, le personnage le plus intéressant est Joe Yoo, parfaitement interprété par Charles Melton. Sa manière de remettre progressivement en cause le discours de Gracie est crédible et subtilement présentée. L’intrigue parallèle avec Elizabeth la manipulatrice m’a en revanche gonflé, du sous-Bergman (Todd Haynes reconnaît l’influence de Persona (1966)) mélangé à du sous-Losey (May December emploie la bande-originale du Messager (1971)). Quelques scènes sombrent dans le ridicule, sur fond d’une musique de Michel Legrand très années 70. Je ressors donc avec une impression mitigée.


時代屋の女房 [Jidaiya no nyôbo] de Azuma Morisaki (1983, Time and Tide)
Une femme espiègle entre avec un chat dans la boutique de Yasu, un antiquaire taiseux et célibataire. Elle l’incite à recueillir l’animal, appelé Absinthe en raison de son miaulement rauque qui évoque la voix de buveuses d’absinthe, et s’incruste chez lui par la même occasion. Elle dit se nommer Mayumi et refuse de lui donner davantage d’informations. Ils forment rapidement un couple joyeux apprécié dans le quartier. Une ombre plane toutefois sur leur histoire : de temps en temps, Mayumi disparaît durant quatre jours sans fournir de justification.

Jidaiya no nyôbo est tiré d’un roman populaire de Tomomi Muramatsu publié en 1982 et adapté dans la foulée par la Shôchiku. Le film est connu au Japon pour la présence de Masako Natsume, qui incarne Mayumi et Misato (qui apparaît dans la deuxième moitié). Spécialisée au départ dans les jeunes filles timides et critiquée pour la faiblesse de son jeu, elle effectua un virage à partir de 1982 qui lui permit de convaincre ses détracteurs. Jidaiya no nyôbo reste un de ses rôles les plus marquants. Atteinte d’une leucémie, elle mourut d’une pneumonie en 1985 à l’âge de 27 ans. Ce décès prématuré, la simplicité d’un script qui s’attache au quotidien d’un quartier calme de Tôkyô et l’utilisation du tube Again de Naomi Chiaki pour la bande originale ont contribué au succès durable de Jidaiya no nyôbo, encore aimé des Japonais de nos jours. Jidaiya no nyôbo eut une suite, Jidaiya no nyôbo 2 (1985), avec une distribution complètement différente, Masako Natsume étant à l’hôpital et la Shôchiku préférant tout changer.
Jidaiya no nyôbo comporte quelques problèmes de rythme, avec un enchaînement de saynètes centrées sur Yasu et son ami interprété par Masahiko Tsugawa, l’acteur fétiche de Jûzô Itami. Il y a par moments des réflexions sexistes et des remarques d’un goût douteux. Ces soucis sont compensés par une vision originale des relations, avec le pote de Yasu qui ne s’offusque pas quand il surprend son amante au lit avec un autre, et une inversion du cliché de l’épouse qui attend son homme. C’est ici Yasu qui attend avec angoisse le retour de Mayumi sans oser lui demander des comptes de peur de la perdre. Il se dégage de l’ensemble une certaine mélancolie qui fait de Jidaiya no nyôbo un titre recommandable, sans même mentionner le chat Absinthe au miaulement inimitable.


Pelo malo de Mariana Rondón (2013, Pelo Malo, cheveux rebelles)
Junior, neuf ans, habite avec sa mère Marta dans un quartier pauvre de Caracas. Son père est décédé après la naissance de son petit frère et Marta doit s’occuper seule des deux enfants en essayant de retrouver un travail. Junior rêve d’avoir des cheveux lisses à la place de sa tignasse quasi-crépue et de devenir chanteur. Il se heurte à l’homophobe Marta, qui le rabroue en permanence sans lui manifester aucun signe d’affection.

Pelo malo est mon premier film vénézuélien. Bien qu’il ait été financé en partie par le CNAC (l’équivalent vénézuélien du CNC) et qu’il ait réalisé un score honorable au box-office local, il se rattache à la catégorie des films de festival, qui proposent au public intellectuel occidental de découvrir le rude quotidien et l’intolérance des citoyens d’un pays lointain. Marta n’a personne à qui parler, son statut de femme célibataire avec deux garçons à charge la pénalise dans sa recherche d’emploi, elle reporte avec une extrême cruauté sa frustration sur un fils qu’elle ne comprend pas et dont le comportement va contre ses principes. C’est dur, parfois un peu sordide, et le festivalier est content : il s’est rincé l’œil au cours de deux scènes de sexe explicite, il a constaté que la vie n’est pas facile pour les femmes et les homosexuels, et qu’on n’est quand même mieux chez soi. De mon côté, je suis dubitatif (et un brin de mauvaise foi). Sur un sujet proche, j’avais largement préféré Tomboy (2011), qui traitait plus subtilement des questionnements sur le genre pendant l’enfance.


Perinbaba de Juraj Jakubisko (1985)
Perinbaba, la dame de l’hiver sauve le jeune Jakub des griffes de sa sœur la Mort. Elle le recueille dans sa grotte d’où elle contrôle le vent et la neige, et l’enjoint à l’assister. Dans ce lieu magique, Jakub ne vieillit pas et peut observer tout ce qu’il se passe sur Terre. Il remarque une douce fillette, Alžbetka, qu’il regarde grandir durant des années. Persécutée par sa belle-mère et sa belle-sœur, elle mène une existence de domestique chez son père le maire du village. Après une quinzaine d’années chez Perinbaba, Jakub parvient à s’enfuir. Une fois dehors, il devient aussitôt adulte et décide de rejoindre Alžbetka.

Dame Holle est un fameux conte des frères Grimm (KMH 24) dont il existe de multiples variations. Perinbaba s’en est inspiré en divisant l’héroïne du conte d’origine en deux protagonistes : Jakub, qui vit un temps avec Perinbaba ; et Alžbetka, qui subit la méchanceté de sa belle-famille. Le scénario a été coécrit par Ľubomír Feldek, un poète slovaque, et des artistes réputés ont contribué à la direction artistique. Le rôle de Perinbaba a été confié à l’Italienne Giulietta Masina, l’actrice de Fellini vedette de La strada (1954).
Ce beau monde œuvre à un joli film pour enfants, une des meilleures adaptations de conte que j’ai pu voir jusqu’à présent. Les effets spéciaux sont simples mais appropriés, dans de superbes paysages enneigés, les interprètes intégralement doublés dégagent une naïveté qui sied aux personnages et la musique renforce l’ambiance féérique. A l’inverse de beaucoup de productions d’Europe de l’Est de cette époque, il n’y a pas de temps mort. Perinbaba remporta un franc succès en Tchécoslovaquie et gagna de nombreux prix. C’est dommage qu’il ne soit pas plus connu en France.


The Monk and the Gun de Pawo Choyning Dorji (2023, Le moine et le fusil)
En 2006 au Bhoutan, le roi abdique et déclare que les premières élections démocratiques auront lieu prochainement. Afin de préparer la population, des fonctionnaires sont chargés d’organiser une élection fictive d’entrainement. Lorsqu’un lama bouddhiste du village d’Ura apprend la nouvelle, il demande à son disciple de lui procurer une arme à feu. La tâche s’annonce ardue dans un pays où les armes sont rares, d’autant que le seul vieux fusil du coin est convoité par un collectionneur américain.

Jusqu’en 1999, la télévision et internet étaient interdits au Bhoutan. Il n’y avait guère de cinéma national, le premier long métrage datant de 1989 et le suivant de 1999. Depuis cette période, plusieurs opus sont tournés chaque année. En 2022, L'École du bout du monde de Pawo Choyning Dorji (2019) fut le premier film bhoutanais à être nominé aux oscars. Grâce à cette prouesse, The Monk and the Gun put bénéficier d’un financement international et d’une large distribution (il est ainsi sorti en salles en France en juin 2024).
Chose surprenante compte tenu de cette maigre Histoire, les acteurices, tous amateurs, sont étonnamment convaincants. La photographie et le montage sont très classiques, profitant des magnifiques décors naturels du Bhoutan. Le récit est un enchaînement de gentilles péripéties dans un esprit bon enfant et un ton léger. Rien de révolutionnaire donc, The Monk and the Gun est une comédie plaisante venue d’une contrée inhabituelle, qui mérite le coup d’œil pour le dépaysement.


La cage dorée de Ruben Alves (2013)
Maria et José Ribeiro sont en France depuis 35 ans. Ils habitent dans la loge de Maria, concierge, avec leurs deux enfants majeurs Pedro et Paula. José est chef de chantier dans l’entreprise de Francis Caillaux, indispensable mais pas reconnu à sa juste valeur. Il reçoit un jour une lettre l’informant que son frère est décédé et qu’il hérite d’un immense vignoble de vin de Porto à la condition qu’il rentre au Portugal. Bien qu’ils taisent la nouvelle, elle se répand rapidement dans leur dos. Leur entourage et leurs employeurs vont alors tout faire pour les retenir en France.

Je n’avais curieusement jamais vu La cage dorée, gros succès populaire en France (1,23 millions d’entrées) et au Portugal (760 000 entrées, numéro 1 au box-office 2013 dans le pays), où il eut même droit à un remake télévisé produit par la SIC. J’en avais pourtant entendu dire du bien et je savais qu’il évitait le syndrome Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? (2014) centré sur le point de vue des bons Français (jusque dans son titre). A l’inverse, La cage dorée a été réalisé par Ruben Alves, un Français d’origine portugaise qui s’est inspiré de ses parents et de la communauté dans laquelle il a grandi. Il a tenu à l’authenticité en sélectionnant des interprètes Portugais ou Franco-Portugais, y compris dans la figuration. L’humour n’est pas méchant ou offensant, Ruben Alves garde l’équilibre, on sent son implication et son attachement aux gens décrits. On est du côté de Maria et José, pas des Caillaux ou du syndic de l’immeuble. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si La cage dorée a cartonné au Portugal, on est loin d’un Emilia Pérez (2024) avec son Mexique de pacotille qui a énervé les locaux.
Maria et José, incarnés par les vétérans Rita Blanco et Joaquim de Almeida (surtout connu en France pour sa carrière hollywoodienne), sont excellents. Le reste du casting est variable, avec un jeu pas toujours subtil. La conclusion se déroule dans un paysage sublime, dans la Quinta dos Malvedos dans la vallée du Douro, à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau du village de ma grand-mère. Le scénario est prévisible, on est dans un feel-good movie avec des situations convenues. Cela fonctionne toutefois grâce à la sincérité de l’ensemble. Et je ne vais pas trop me plaindre, c’est tellement rare de voir la communauté portugaise représentée à l’écran de façon non caricaturale, il faut en profiter.


Films vus seuls
Santo contra la magia negra de Alfredo B. Crevenna (1973, Magie noire à Haïti)
Santo est envoyé à Haïti par Interpol pour enquêter sur des gisements d’uranium et empêcher que les travaux du professeur Jordán, qui effectue des recherches sur un explosif dévastateur, ne tombent entre les mains de l’ennemi. Il est accueilli par Jorge, un agent d’Interpol fiancé à la fille de Jordán. Sur le chemin, ils sont attaqués par des zombies insensibles aux balles mais effrayés par une croix. Santo soupçonne une prêtresse vaudou d’être derrière ces agissements bien qu’il ne parvienne pas à découvrir son identité.

Santo contra la magia negra a été tourné à Haïti et le producteur Jorge García-Besné, le grand-père de Viviana García-Besné (2009), tient à le montrer. Les images de fêtes, de danses, de carnaval ou de cérémonies vaudou occupent presque le tiers du métrage. Même si ce ne sont pas des stock-shots, cela reste excessif et c’est vite lassant. A cela se greffent des combats mollassons et une intrigue linéaire pas trépidante. Ce Santo se situe donc dans la moyenne basse, sans rien de franchement mémorable.

ユメ十夜 [Yume jûya] de collectif (2006, Ten Nights of Dreams)
Yume jûya dépeint dix rêves tirés du recueil de nouvelles Dix nuits de rêves de Natsume Sôseki publié en 1908, auxquels ont été ajoutés un bref prologue et épilogue. Chaque segment possède sa propre distribution et son propre style :
• Première nuit (Akio Jissôji) : Choyé par son épouse, un écrivain perd la notion du temps.
• Deuxième nuit (Kon Ichikawa) : Un samouraï essaye d’atteindre l’illumination.
• Troisième nuit (Takashi Shimizu) : Un père rêve qu’il abandonne son enfant.
• Quatrième nuit (Atsushi Shimizu) : Des gosses disparaissent mystérieusement dans un village.
• Cinquième nuit (Keisuke Toyoshima) : Masako est réveillée par un étrange coup de fil. Un inconnu l’attend dans sa salle à manger.
• Sixième nuit (Suzuki Matsuo) : La foule se précipite pour admirer le sculpteur Unkei en pleine création.
• Septième nuit (Yoshitaka Amano & Masaaki Kawahara) : Un homme solitaire erre sur un bateau manœuvré par des monstres géants aveugles.
• Huitième nuit (Nobuhiro Yamashita) : Un garçon ramène chez lui un ver gigantesque trouvé dans une rizière.
• Neuvième nuit (Miwa Nishikawa) : Une femme prie pour son mari envoyé au front.
• Dixième nuit (Yûdai Yamaguchi) : Le beau Shotaro tue les femmes moches jusqu’au jour où il tombe dans un piège.
Ces dix sketches bizarres sont très difficiles à résumer. Ils sont pour la plupart fort éloignés des nouvelles décrites dans la notice wikipedia et dont j’avais lu l’adaptation apparemment fidèle de Yôko Kondô.
C’est globalement raté, d’absolument navrant à pas terrible, et souvent incompréhensible. Paradoxalement, les cinéastes tentent de rationaliser les histoires en les présentant explicitement en tant que rêve de Natsume Sôseki, procédé qui n’apporte rien. Il n’y en a que deux épisodes que j’estime intéressants : la première nuit, dans laquelle l’ambiance onirique est correctement retranscrite, avec un jeu sur la temporalité et l’artificialité des décors ; et la dernière nuit, complètement délirante, avec un humour extrêmement crétin et des effets spéciaux gore joyeusement kitchs. Deux sur dix, c’est maigre compte tenu des talents qui étaient réunis.


Mistik de H. Tjut Djalil (1981, Mystics in Bali)
Catherine Kean est une anthropologue américaine venue en Indonésie pour étudier la magie noire locale, le leak, afin d’écrire un livre sur le sujet. Elle est assistée par Mahendra, avec qui elle a bientôt une liaison. Il réussit à lui faire rencontrer une maîtresse leak qui accepte de prendre Catherine comme élève. Mais l’apprentissage d’une discipline maléfique a un coût, que Catherine va devoir payer.

La tête volante avec ses entrailles attachées est un monstre classique du folklore d’Asie du Sud, appelé leyak en Indonésie. Elle s’attaque généralement aux femmes enceintes desquelles elle aspire et dévore le fœtus. J’avais déjà croisé son équivalent philippin, le manananggal, dans Shake, Rattle & Roll (1984). Dans Mistik (aussi titré Mistik: Punahnya rahasia ilmu iblis leak ou Leák), elle est intégrée à une intrigue confuse sur une profane qui se frotte à des puissances occultes. L’héroïne est incarnée par Ilona Agathe Bastian, une touriste allemande qui visitait le pays. Elle joue comme une patate, pas franchement aidée par le néophyte Yos Santo (Mahendra), à peine meilleur. Leur romance sonne faux, le scénario n’étant de toute façon pas le point fort de Mistik.
Mistik est l’adaptation du roman Leák Ngakak de Putra Made paru en 1978. A cette période, le gouvernement indonésien favorisait les films à petit budget destinés à l’exportation, y voyant une source de devises. H. Tjut Djalil, un ancien journaliste auteur de nouvelles qui avait réalisé Benjamin Spion 025 en 1974, se chargea de la transposition. Il bénéficia du support d’El Badrun, un concepteur d’effets spéciaux qui venait de terminer The Queen of Black Magic (1981). Tandis que la majorité des productions se déroulaient à Java, Mistik est imprégné du folklore de Bali, à la fois dans les masques, les costumes, les danses et les mythes, utilisant un prêtre hindou et non musulman. En raison probablement d’une stricte censure, il n’y a pas de sexe. Les personnages féminins sont négatifs et dangereux, leur sorcellerie déstabilise une société protégée par un prêtre respectueux des traditions. Le péril vient également de l’étranger, que ce soit à travers Catherine ou à travers un Mahendra occidentalisé qui a oublié ses racines. En conclusion, Mistik vaut surtout pour son exotisme et pour ses mauvais trucages sympathiques.
Je n’ai malheureusement trouvé que la version anglaise, dotée d’un doublage assez catastrophique. Je n’ai pas non plus pu récupérer une affiche indonésienne et j’ai dû me rabattre sur la jaquette du DVD de Mondo Macabro que j’ai légèrement retouchée.


Il demonio de Brunello Rondi (1963, Le démon dans la chair)
Dans un petit village du sud de l’Italie, Purificata, une jeune paysanne traitée en paria, est obsédée par son ex-amant Antonio qui va en épouser une autre. Elle lui jette un sort puis le maudit le jour de sa nuit de noces, sans résultat. Lorsqu’elle dit avoir aperçu près de la rivière un garçon décédé, les habitants tentent de la lyncher en la qualifiant de sorcière. Elle prétend ensuite avoir conversé avec le diable. Désespérés, ses parents l’amènent à un faux prêtre qui abuse d’elle et à un vrai prêtre qui l’exorcise.

Il demonio explique en ouverture qu’il s’inspire de faits réels et d’études ethnologiques du professeur Ernesto De Martino. Tandis que l’on pourrait s’attendre à un film voyeuriste et sensationnaliste dans la lignée du mondo qui proliférait en 1963, il reste remarquablement sobre, sans nudité ni violence explicite, avec quelques acteurs secondaires non professionnels et un style proche du néoréalisme. Loin de prendre les croyances pour argent comptant, il dénonce le traitement réservé à une pauvre femme un peu simplette par une bande de cul-terreux superstitieux. Le pire du lot est Antonio, dont les actes sont dictés par un mélange de peur, de mauvaise conscience et de volonté de se débarrasser d’une ancienne conquête devenue gênante. Il demonio est par ailleurs un précurseur du folk horror et sa scène d’exorcisme rappelle le classique L’Exorciste de Friedkin de 1973. Je suis étonné de ne jamais en avoir entendu parler (je l’ai téléchargé par hasard) et il gagnerait à être connu.


Livres
Je suis un chat de Natsume Sôseki (Gallimard, collection « Connaissance de l'Orient », 1989), 419 p.
Un jeune chat errant débarque un beau jour dans la maison de Kushami, un professeur d’anglais marié et père de trois fillettes. D’abord chassé par la bonne, il est finalement accepté sans que personne ne prenne la peine de lui donner un nom. Pendant presque deux ans, le chat va commenter de façon narquoise le quotidien de Kushami et de son entourage, se moquant de leurs vaines discussions, de leurs défauts et de la société tokyoïte alors que s’achève la guerre de 1904-1905 contre la Russie.

Je suis un chat est au départ une nouvelle satirique publiée en janvier 1905 dans la revue littéraire Hototogisu. Devant le succès rencontré, Natsume Sôseki fut incité à écrire une suite, dix chapitres additionnels parus entre février 1905 et août 1906. Ils furent reliés pour constituer un roman en trois volumes, le premier de Natsume Sôseki. Je suis un chat est fortement autobiographique. Natsume Sôseki était un professeur d’anglais peu populaire auprès des élèves, avait trois filles au début de la rédaction et avait recueilli un chat errant à l’été 1904. Comme Kushami, il souffrait de maux d’estomac (il mourut d’un ulcère à l’estomac en 1916 à 49 ans) et s’énervait facilement.
Je suis un chat n’a pas vraiment d’intrigue, il est composé d’épisodes de la vie du chat et de Kushami, et des nombreux échanges à bâtons rompus entre ce dernier et ses amis, en particulier le fantasque Meitei, le chercheur en physique Kangetsu et le mystique Dokusen. Aigri, paresseux, Kushami a une haute opinion de lui-même et se plaint en permanence. Le chat, vaniteux et arrogant, porte un regard sans complaisance sur les humains, à la fois sur le cercle intellectuel de son maître et sur les bourgeois à travers une famille de riches voisins mesquins et vindicatifs. Cet ensemble dresse un portrait cocasse du Japon de 1905 et permet de se plonger dans cette époque. Néanmoins, bien que certaines réflexions du chat ou certains dialogues soient amusants, c’est beaucoup trop long et l’absence d’enjeux finit par lasser. Natsume Sôseki a clos son histoire au bout d’un moment car il en avait marre, il aurait pu s’arrêter plus tôt ou plus tard sans que ça ne change rien. Le dernier chapitre est d’ailleurs interminable, on sent l’influence du rakugo avec son récit comique étiré entre plusieurs interlocuteurs dans lequel on attend la chute. Je suis un chat était mon premier livre de Natsume Sôseki, je ne suis pas complètement convaincu mais cela a suscité ma curiosité et je vais explorer la bibliographie de cet auteur.
A noter qu’il existe deux adaptations au cinéma : une version de 1936 de Kajirô Yamamoto que je n’avais pas aimé ; et une autre de 1975 de Kon Ichikawa que je n’ai pas vue.


Paddington Takes the Test de Michael Bond (Harper Collins, collection « The Classic Adventures of Paddington Bear – The Complete Collection », 2019), 154 p.
Dans ce onzième volume, Paddington passe un test de conduite, tente de grimper dans un hamac, visite un manoir, fait du repassage, pose pour un cours de peinture, enferme M. Curry dans un sauna et assiste à un spectacle de Noël.

Paddington Takes the Test n’apporte rien de neuf, avec des nouvelles prévisibles qui donnent une impression de déjà-vu. Trois d’entre elles comportent M. Curry selon un schéma à chaque fois similaire, Michael Bond tourne en rond et manque d’inspiration. Encore quatre tomes, ce sera difficile d’être moins original, c’est toujours ça.


La Terre avant les dinosaures de Sébastien Steyer & Alain Bénéteau (Belin, collection « Bibliothèque scientifique », 2009), 206 p.
Les dinosaures ont toujours été les stars incontournables de la préhistoire. Apparus il y a environ 250 millions d’années, ils ont dominé la Terre à partir du Carnien dans le Trias supérieur il y a 230 millions d’années jusqu’à l’extinction de la plupart de leurs espèces à la fin du Crétacé il y a 65 millions d’années. Les premières formes de vie terrestre sont pourtant bien plus anciennes, remontant à presque 400 millions d’années. Elles ont peuplé le Gondwana et la Laurussia puis la Pangée avant l’arrivée des dinosaures et méritaient un coup de projecteur. Le paléontologue français Sébastien Steyer détaille l’évolution de la vie sur le sol de notre planète en se concentrant sur les vertébrés tétrapodes. Il démarre son étude par leurs ancêtres sarcoptérygiens et la conclut peu après la crise Permien-Trias, la pire de la préhistoire qui élimina 96% des espèces marines et 70% des vertébrés terrestres.

J’aime la préhistoire depuis que je suis enfant et j’ai longtemps voulu être paléontologue avant que je me rende compte que le boulot consistait surtout à examiner des vieux cailloux. Comme tout le monde, et ce avant même Jurassic Park (1993), je m’étais focalisé sur les dinosaures et les autres gros machins que j’assimilais aux dinosaures alors qu’ils n’en étaient pas (à l’instar des ptérosaures, des mosasaures, des plésiosaures ou des dimétrodons, parfois fort éloignés des dinosaures). La Terre avant les dinosaures vient réparer une injustice et mettre en lumière un tas de genres taxonomiques inconnus du grand public.
Ce fut une lecture à la fois enrichissante et agréable. A part quelques passages techniques vers le début, l’ouvrage est très abordable et abondamment illustré. Sébastien Steyer dresse un panorama général qui brosse de façon claire les étapes clés de l’évolution des vertébrés tétrapodes et de leur environnement, en fournissant des exemples pratiques d’animaux amusants ou bizarres. Il décrit également la méthodologie scientifique nécessaire pour aboutir à ces découvertes en mentionnant régulièrement les débats et incertitudes qui persistent sur certains sujets. Les photos de fossiles aident à comprendre la réalité du terrain et les nombreux dessins, forcément subjectifs, permettent de visualiser concrètement les espèces. C’est donc un excellent livre de vulgarisation que je recommande à toute personne intéressée par la préhistoire.


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