Films vus en compagnie
Belle Époque de Fernando Trueba (1992)

Gros succès en son temps, Belle Époque fut le second long métrage espagnol à gagner l’oscar du meilleur film étranger après Volver a empezar (1982) et lança la carrière d’une Penélope Cruz de 18 ans (avec Jamón, Jamón sorti trois mois auparavant). Belle Époque s’inscrit dans un contexte historique, pas celui de la Belle Époque contrairement à ce qu’indique le titre mais l’Espagne de 1931, quelques semaines avant la proclamation de la Seconde République. Cette toile de fond fut choisie en tant que symbole de l’espoir, une ère où tout paraissait possible, et pour rappeler l’esprit d’Une partie de campagne de Jean Renoir (1936). Ce n’est absolument pas une reconstitution historique et le tournage eut lieu au Portugal, dans les environs de Lisbonne, à la fois pour des raisons économiques et parce que les décors faisaient plus typiques qu’en Espagne.
Belle Époque célèbre la sensualité et la liberté de mœurs. Les quatre sœurs s’envoient en l’air avec qui elles veulent comme bon leur semble. Au milieu d’elles, Fernando est dépassé, enlisé dans ses principes. Le sexe est une activité agréable qui n’entraîne ni engagement ni punition, loin du moralisme du cinéma américain, une version dévergondée des quatre filles du docteur March qui décideraient toutes de coucher avec Laurie pour le fun. Belle Époque respire donc la joie de vivre et fait plaisir à voir.
Frygtelig lykkelig de Henrik Ruben Genz (2008, Terriblement heureux)

Terriblement heureux démarre comme un western moderne, avec un nouveau shérif qui arrive en ville et tente d’imposer la loi à des autochtones habitués à régler leurs problèmes entre eux. Ça se transforme progressivement en thriller sur un looser qui s’enfonce dans une spirale infernale à la façon de certains opus des frères Coen, avec des interprètes convaincants et un style relativement sobre qui colle au propos. Malheureusement, l’intrigue tourne autour des violences conjugales et je n’ai pas vraiment compris où le scénariste et le metteur en scène voulaient en venir. Est-on censé sympathiser avec des mecs qui tabassent/tuent des femmes ? Bien que j’ai détesté ces types, je ne suis pas persuadé que c’était l’intention quand je lis par exemple la critique de Slant Magazine qui conclut par ce paragraphe : « Je trouve que les frères Coen regardent de haut les gens de Blood Simple, avec détachement et un peu de mépris, alors que le réalisateur de Terriblement heureux Henrik Ruben Genz et le scénariste Dunja Gry Jensen ont l’air d’avoir plus d’empathie pour leurs personnages aux pieds d’argile. Ils donnent moins l’impression d’être des dieux de l’Olympe que des parents détendus mais aimants, qui rient en regardant leurs enfants se frayer péniblement leur chemin sans jamais les juger trop durement pour leurs faiblesses trop humaines ». Je suis désolé, moi je juge les auteurs de féminicides et ça ne me gêne pas qu’on les méprise. Terriblement heureux m’a laissé un sale goût en bouche et je ne saurais le conseiller.
Édouard et Caroline de Jacques Becker (1951)

La mince trame d’Édouard et Caroline a été coécrite par Jacques Becker et Annette Wademant, sa jeune amante d’à peine 22 ans (contre 44 pour Becker…). Elle s’est inspirée de leur ménage tumultueux (ils s’engueulaient apparemment en permanence sur le plateau) et de A la recherche du temps perdu de Proust pendant que Becker, ancien assistant de Renoir, y injectait une touche de La règle du jeu (1939) et de comédie de remariage à l’hollywoodienne. La dureté des relations sociales contraste toutefois avec les modèles américains, notamment le malaise généré par la différence de classe entre Edouard et les participants à la soirée. Les dialogues sont enlevés, le montage rythmé et la distribution est impeccable. Édouard et Caroline enthousiasma les rédacteurs des Cahiers du cinéma créés quelques mois auparavant, prouvant qu’il était possible de produire un film emballant sur le quotidien avec peu de moyens (il y a en gros deux décors). Seule ombre au tableau, malheureusement classique à cette époque, l’histoire minimise la violence conjugale et y trouve matière à rire. Cela n’empêche pas Édouard et Caroline d’être globalement distrayant et je compte récupérer Rue de l'Estrapade du même duo.
Meine teuflisch gute Freundin de Marco Petry (2018, Ma douce et odieuse amie)

Meine teuflisch gute Freundin est la transposition d’un roman de Hortense Ullrich. Je ne sais pas ce qu’il valait à l’origine ou qui est cette dame, l’intrigue semble en tout cas avoir été pensée par une bande d’enfants de chœur tentant d’imaginer des actions sataniques. Lilith est totalement inoffensive sauf avec les vilains, le diable est impressionné par un photomontage potache, du poil à gratter mis dans des vêtements ou des filles qui se déhanchent sur une scène. Oh là là, que c’est maléfique… A côté de ça, un Disney des années 70 est un summum d’impertinence. La réalisation est à l’avenant, avec des effets tape-à-l’œil faciles démodés et des acteurices pas franchement charismatiques. Si on est bien luné, l’aspect extrêmement niais peut être amusant ; sinon, on passera son chemin. On est à des années-lumière de l’humour noir de Nur über meine Leiche (1995) dans le genre comédie allemande fantastique démoniaque.
La noche avanza de Roberto Gavaldón (1952, La nuit avance)

A l’instar de La diosa arrodillada (1947) et En la palma de tu mano (1951), La noche avanza se focalise sur un séducteur volage avec une atmosphère noirisante, bien que la photographie de Jack Draper n’emploie pas autant les clairs obscurs que celle d’Alex Phillips. La différence est que Marcos Arizmendi est absolument détestable dès le départ, sans le côté moqueur d’Arturo de Córdova. Pedro Armendáriz, un immense acteur appelé le Clark Gable mexicain qui joua dans plusieurs John Ford, incarne un Marcos Arizmendi abject, qui affirme continuellement sa masculinité à travers un discours et un comportement violent. Il rabaisse les autres, ment, fanfaronne, menace… De façon générale, les mâles et les institutions sont vilipendées, avec notamment une police inefficace qui aide les criminels sans le savoir. L’histoire est inspirée d’une idée de l’écrivain et journaliste Luis Spota, retravaillée par le scénariste de gauche José Revueltas, qui a injecté une critique de la société mexicaine patriarcale où seuls comptent l’argent et la gloire.
Les interprètes sont impeccables, que ce soit Pedro Armendáriz (qui se suicida à 51 ans en 1963 pour ne pas mourir d’un cancer, probablement contaminé par les radiations lors du tournage de The Conqueror en 1956), Rebeca Iturbide en Rebeca ou José María Linares-Rivas en chef des gangsters. Pourtant, en dépit de ces qualités, La noche avanza est le Roberto Gavaldón que j’ai le moins aimé en raison d’un récit décousu, avec des protagonistes monolithiques qui manquent de profondeur. Il n’y a pas la sensation de chute inexorable, de fatalité qui se dégage habituellement des films de Gavaldón, cette mort qui plane en permanence. C’est dommage car il y avait un gros potentiel.
All of Us Strangers d’Andrew Haigh (2023, Sans jamais nous connaître)

All of Us Strangers est tiré d’un roman paru en 1987 de l’écrivain japonais Taichi Yamada, déjà adapté fidèlement à l’écran en 1988 par Nobuhiko Ôbayashi sous le titre Les désincarnés. Andrew Haigh s’est fortement réapproprié le récit en y injectant des considérations personnelles (ce qui était également le cas du texte initial, Yamada travaillant parfois pour la télévision et ayant perdu sa mère à dix ans). Il transforme ainsi le héros du livre, un homme divorcé en froid avec son fils, en un gay ayant grandi dans la Grande-Bretagne des années 80. Il y puise une réflexion sur l’homosexualité, sa perception par l’entourage et les stigmates laissées par les brimades. La partie moderne où l’homosexualité d’Adam est acceptée par Harry et la société est paradoxalement plus sinistre et froide que la maison des parents embellie par les regrets et la nostalgie du souvenir.
All of Us Strangers propose un fantastique subtil qui s’attarde sur la psychologie des personnages. Les quatre interprètes (Adam, son père, sa mère et Harry) sont excellents et j’étais content de revoir Jamie Bell dans un rôle inverse de celui de Billy Elliot (2000), incarnant cette fois le père et non le fils. A l’origine, Harry était une femme et le Ôbayashi se concluait de façon un peu ridicule à la manière d’un kaidan eiga des années 80. Andrew Haigh ne tombe pas dans ces excès et conserve sa logique jusqu’au bout, rendant All of Us Strangers bien plus émouvant. Une jolie réussite.
Films vus seuls
Misterio en las Bermudas de Gilberto Martínez Solares (1979, Mystery in Bermuda)

Selon Dave Wilt, ce Santo marque la fin d’une ère, un des derniers exemples d’un genre passé de mode qui n’était plus soutenu par les organes du cinéma mexicain contrôlés par l’Etat. Attention spoiler (pour mes cinq lecteurs) : Misterio en las Bermudas s’achève sur la disparition des trois catcheurs, partis vivre dans un monde meilleur. A part ça, l’intrigue est brouillonne, mélangeant imparfaitement une classique histoire de femme à protéger à un truc fumeux autour du triangle des Bermudes. C’est très fauché, avec plein de stock-shots mal intégrés, et les trois héros sont finalement peu présents, on s’attarde davantage sur les méchants ou sur des éléments annexes. Unique originalité, la karatéka Gaynor Kote en princesse Sobeida, une vraie artiste martiale ayant pour une fois été engagée (et qui est à peine employée). C’est insuffisant pour sauver ce faible Santo.
楳図かずお恐怖劇場 絶食 [Umezu Kazuo Kyôfu gekijô - Zesshoku] de Tadafumi Itô (2005, Kazuo Umezu's Horror Theater: Ambrosia)

Kazuo Umezu's Horror Theater: Ambrosia est le second épisode de l’anthologie Kazuo Umezu's Horror Theater. Il est tiré de la courte nouvelle Le jeûne publiée en 1983 et incluse en France dans le recueil Le vœu maudit paru chez Le lézard noir. Tadafumi Itô a conservé l’esprit shôjo du récit initial de six planches en étirant à l’extrême les situations pour arriver péniblement à une heure de métrage. Résultat : on a souvent l’impression de se coltiner un mauvais TV drama pour ado, c’est beaucoup trop long et le réalisateur n’exploite pas une partie des idées (par exemple la sœur morte). Si on ajoute à cela une certaine grossophobie, autant dire que c’est franchement dispensable.
Gigantes planetarios d’Alfredo B. Crevenna (1966)

Gigantes planetarios précède El planeta de las mujeres invasoras (1966) critiqué sur ce blog la semaine dernière. Marcos Godoy est ici au second plan, le vrai héros étant Daniel Wolf qui apparaissait dans la seconde moitié de El planeta de las mujeres invasoras. Le ton de Gigantes planetarios est plus sérieux que celui de sa suite, on est dans un scénario de SF de série B hollywoodienne des années 50, voire des années 30-40 façon Flash Gordon. La planète de la nuit éternelle (contre la planète du jour éternel dans El planeta de las mujeres invasoras, que d’originalité) s’apparente à l’empire romain, ses habitants à la technologie pourtant avancée sont en toge avec des casques ridicules et des épées, incohérence relevée par Daniel Wolf lui-même et évacuée par un personnage secondaire.
Comme d’habitude dans ce genre de film, le méchant est complètement crétin, raconte sa stratégie à Daniel Wolf et lui montre ses armes secrètes. Sans Lorena Velázquez, ni le côté pop de El planeta de las mujeres invasoras, Gigantes planetarios demeure une œuvre quelconque dans le paysage de la SF mexicaine de cette période. J’ai en revanche l’explication de l’ouverture noirisante de El planeta de las mujeres invasoras, compréhensible compte tenu de ce premier volet.
続道場破り 問答無用 [Zoku Dojo Yaburi: Mondo Muyo] de Yasushi Kikuchi & Kôki Matsuno (1964, Samurai from Somewhere)

Suite sur le papier de Dojo yaburi (1964), Zoku Dojo Yaburi n’a en réalité pas de rapport avec son prédécesseur sauf la présence en tête d’affiche dans des rôles totalement différents d’Isamu Nagato (Takanaka) et de Tetsurô Tanba (Shohei Masagi). Isamu Nagato joue encore un samouraï inhabituel, sorte de Droopy mélancolique au bord de la folie. Le récit n’est plus empreint de préoccupations sociales, même s’il conserve un ton désespéré renforcé par la profusion de scènes d’intérieur peu éclairées qui accentuent les ombres sur les visages. On est dans du chanbara psychologique, avec un mystère nasouille qui se résout par un long combat final filmé de manière étonnante (était-ce en raison de capacités limitées à l’épée d’Isamu Nagato ?). Sans être aussi bon que Dojo yaburi, Zoku Dojo Yaburi se démarque de la masse et reste fort recommandable.
Livres
À bord du négrier : Une histoire atlantique de la traite de Marcus Rediker (Points, collection « Histoire », 2017), 554 p.

Je commencerai par un regret concernant cette superbe étude : sa focalisation sur l’univers anglo-américain à l’exclusion des autres pays européens engagés dans la traite. Bien que je me doute que la situation était identique partout, j’aurais aimé avoir un panel plus éclectique. Je me demande ainsi à quel point le système de classes extrêmement rigide de la société britannique se retrouvait ailleurs et si les rudes conditions de vie des marins était similaire chez les Français ou les Portugais notamment.
Excepté ce léger bémol, À bord du négrier est absolument passionnant et glaçant. Tout en sachant que la traite était affreuse, je n’avais jamais lu d’ouvrage détaillé sur ce thème et je ne me rendais pas compte de son degré d’abomination. Marcus Rediker enchaîne les exemples, donne la parole quand c’est possible aux témoins de l’époque et dépeint avec minutie les différents aspects du voyage, du recrutement des marins récalcitrants sur les ports d’Angleterre (les navires négriers avaient la réputation de mouroirs et aucun être censé ne voulait y embarquer) à la vente en Amérique sur le pont du bateau, en passant par les longs mois de collecte des esclaves sur les côtes africaines et la traversée ponctuée d’exactions, de suicides, de révoltes et de maladies.
Loin du cliché de soumission qui leur est parfois associé, Marcus Rediker montre que les esclaves essayaient de se libérer dès le début de leur emprisonnement. Ces tentatives aboutissaient régulièrement à la mort, que ce soit par le refus de manger, par la noyade ou au cours d’une rébellion. Il analyse également l’économie mise en place pour assurer la traite, la collaboration de la police anglaise ou des aubergistes pour enrôler des marins saouls ou endettés, le concours des royaumes africains en guerre en quête de technologies européennes ou le besoin de main d’œuvre de l’agriculture américaine. Il évoque enfin le travail du mouvement abolitioniste à la fin du XVIIIe siècle et comment ils parvinrent à imposer leurs idées.
À bord du négrier n’est pas un livre de recherche, il ne propose pas d’avancées sur le sujet. Il résume l’état des connaissances pour des néophytes dans le but d’informer et de sensibiliser le grand public. C’est très lisible, les exemples permettent d’entrer dans le concret et d’impliquer le lecteur dans le récit. Il insiste de façon un peu simpliste sur la solidarité entre les opprimés et sur l’opposition entre les méchants capitalistes (capitaine et marchands) et les autres (équipage et esclaves) en minimisant les dissensions au sein de chaque groupe (rapidement mentionnées à propos des diverses ethnies chez les esclaves). Et il se répète par moments, en particulier dans le quatrième chapitre sur Olaudah Equiano, un ancien esclave Igbo devenu marin qui publia son autobiographie en 1789. Ces soucis mineurs n’empêchent pas À bord du négrier d’être une appréciable porte d’entrée dans cet enfer dantesque dont je ne m’imaginais pas l’horreur.
Ninja Sarutobi Sasuke de Shigeru Sugiura (New York Review Books, collection « New York Review Comics », 2024), 264 p.

Shigeru Sugiura fut une figure majeure du manga des années 30 à 70. Ignoré en Occident, seuls trois de ses livres ont été traduits : Doron Chibimaru : Le petit ninja en français, épuisé depuis longtemps ; Last of the Mohicans et Ninja Sarutobi Sasuke en anglais. Sa carrière se divisa en trois phases : des mangas comiques et éducatifs dans les années 30-40 influencés par le kôdan (un art traditionnel de la narration), dans la lignée de son mentor Suihô Tagawa ; une reprise de ses travaux antérieurs dans les années 50, dans un style proche de celui des années 30 avec une accentuation d’un humour nonsensique ; et une réinterprétation de ses classiques à partir de la fin des années 60 après une dizaine d’années de pause, avec l’addition de touches surréalistes pour un public adulte. Paru en 1969, Ninja Sarutobi Sasuke se situe au début de cette troisième phase.
Comme expliqué dans ma critique du Sarutobi d’Osamu Tezuka, le personnage de Sasuke Sarutobi fut créé dans les années 1910 en plein boom ninja dans la littérature jeunesse. Né en 1908, Shigeru Sugiura était enfant au moment de cette mode et reprit dans Ninja Sarutobi Sasuke les grandes caractéristiques de cet antihéros malicieux. Dans sa version de 1969, outre les références à la culture populaire américaine qui ont toujours imprégnées son œuvre, il ajouta des tableaux surréalistes de monstres affreux et des collages pop’art avant-gardistes qui marquèrent les artistes japonais pop de la période (ainsi que des clins d’œil à la musique japonaise des années 60 que le traducteur Ryan Holmberg a retranscrit par des extraits de chansons anglosaxonnes). Il fut par ailleurs repéré par les bédéastes underground américains, Art Spiegelman et Françoise Mouly lui commandant quatre planches pour leur magazine RAW en 1985. Le Sarutobi de Tezuka le cite explicitement dans certains gags, bien qu’il n’en possède pas la folie et que Tezuka apporte des considérations humanistes et dramatiques totalement absentes chez Shigeru Sugiura. Hayao Miyazaki déclara être fan de Shigeru Sugiura et Isao Takahata s’inspira de son manga 808 Tanuki pour Pompoko (1994).
Compte tenu de ces éléments, j’avais un a priori favorable. Je dois toutefois avouer que, si Ninja Sarutobi Sasuke était distrayant, il ne m’a pas impressionné. L’intrigue est rachitique, on est dans un sous-genre du kôdan centré sur un protagoniste se baladant sur les routes du pays et multipliant les rencontres. Chacune est prétexte à un déchaînement visuel de transformations bizarres effectuées par Sarutobi pour effrayer ses adversaires. J’admets le côté novateur mais la forme ne suffit pas pour moi, j’ai besoin de fond. Cela reste néanmoins une curiosité intéressante pour les amateurs de mangas inhabituels.
A noter que cette édition contient un article passionnant de Ryan Holmberg, qui contextualise l’ouvrage et aide à comprendre son importance.
Godzilla de Shigeru Kayama (Ynnis, 2021), 554 p.

Dans Godzilla, deux bateaux disparaissent sans laisser de traces dans des eaux apparemment calmes. Sur une île proche, les anciens racontent que c’est l’œuvre d’une terrible créature nommée Godzilla. Peu après, une bête gigantesque anéantit un village de pêcheurs. Un paléontologue envoyé sur place avec une équipe de scientifiques découvre des empreintes radioactives et aperçoit Godzilla durant la nuit. Le gouvernement japonais se mobilise pour l’arrêter mais ne peut rien contre sa puissance.
Dans Le retour de Godzilla, un aviateur s’écrase sur une petite île et est attaqué par Godzilla. Celui-ci est à son tour agressé par un dinosaure titanesque et le pilote parvient à s’en sortir. Les deux monstres se dirigent vers Ôsaka qui se met en état d’alerte.
Contrairement à ce qu’indique la couverture et le quatrième de couverture, ce roman n’est absolument pas à l’origine des films, c’est une novellisation parue en 1955 de Godzilla (1954) et du Retour de Godzilla (1955). L’ambiguïté provient de la naissance complexe du classique d’Ishirô Honda. Comme l’explique Fabien Mauro dans Kaijû, envahisseurs & apocalypse : L'âge d'or de la science-fiction japonaise, le producteur de la Tôhô Tomoyuki Tanaka commanda en 1954 à Shigeru Kayama un scénario d’animal préhistorique réveillé par des essais de bombes atomiques. Auteur spécialisé dans les histoires de monstres et de détectives, Kayama fournit un traitement de 400 pages inspiré du Monstre des temps perdus (1953), qui dénonçait le danger du nucléaire. Sa bête sans nom passait une bonne partie de son temps à chercher de la nourriture, ne détruisait quasiment rien et s’intéressait à l’héroïne à l’instar d’un King Kong. Kayama ajouta également une composante gothique, avec un mystérieux docteur vivant dans un château. Ce récit fut profondément retravaillé par Ishirô Honda épaulé par le scénariste Takeo Murata. S’il intègre quelques éléments de son manuscrit initial, le Godzilla de Shigeru Kayama chroniqué ici capitalise sur la popularité des deux longs métrages et en reprend ses grandes lignes.
Le livre de Shigeru Kayama n’eut pas un gros succès au Japon à l’époque. Il faut dire qu’il n’apporte pas grand-chose et donne parfois l’impression de décrire textuellement des scènes de Godzilla et du Retour de Godzilla. Certains aspects sont assez ridicules, en particulier le cri de Godzilla qui devient un simple « Groaaar ! », loin du fameux rugissement. Il manque dans tous les cas le formidable thème musical d’Akira Ifukube, indissociable de Godzilla. Pour l’amateur que je suis, qui s’est quand même tapé 32 des 33 Godzilla japonais et 4 des 5 américains, cela fut cependant une lecture agréable, qui m’a permis de me remettre en tête les deux premiers films que je n’ai pas vus depuis longtemps. Le héros du premier Godzilla, Shinkichi, m’a semblé moins tarte que dans mon souvenir bien qu’il reste éclipsé par le professeur Yamane (incarné par Takashi Shimura à l’écran) et par le taciturne Serizawa (Akihiko Hirata dans un rôle qui marqua à jamais sa carrière). Le style est fluide et dynamique, ça se lit vite et sans ennui. Sans être indispensable, cela vaut le détour pour les fans de kaijû, du moins pour la première novella Godzilla, Le retour de Godzilla étant en revanche franchement nase.
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