samedi 4 janvier 2025

Carnet de bord 28/12/2024-03/01/2025



Films vus en compagnie
Snekker Andersen og Julenissen de Terje Rangnes (2016, Santa Swap: Merry Christmas Mr. Andersen)
Le charpentier Andersen est un fanatique de Noël. Il accorde une importance extrême à cette fête et essaye d’embarquer sa famille dans son enthousiasme. Alors que sa fille et son fils aînés souhaitent dévoiler le pot aux roses à leur petit frère, il fait tout pour entretenir le mystère, quitte à provoquer des catastrophes. Le soir du réveillon, en sortant de son atelier déguisé en père Noël, il tombe sur sa luge, dévale la colline et heurte un arbre. A son réveil, un individu qui dit être Santa lui offre d’aller porter les cadeaux à sa maison pendant qu’Andersen ira saluer la progéniture du vieil homme.

Snekker Andersen og julenissen est au départ une nouvelle pour enfants de 1957 écrite par Alf Prøysen très connue en Norvège. Elle a donné lieu à des ouvrages illustrés et à un roman-photo dessiné diffusé par la chaîne NRK tous les ans au moment de Noël depuis 1973. En dépit d’une courte durée (à peine 1h05 en enlevant le générique), le scénariste a dû étirer les scènes et étoffer le propos, l’histoire d’origine tenant sur quelques pages. Pour favoriser le côté nostalgique, Terje Rangnes a utilisé des décors et des costumes évoquant les années 50. Snekker Andersen og julenissen a cartonné en Norvège (selon les standards locaux). Pour un étranger en revanche, l’intrigue est trop mince et stéréotypée. Sans être désagréable, on a l’impression de regarder un téléfilm niais pour gamins. Une suite a été tournée en 2019, Snekker Andersen og Julenissen: Den vesle bygda som glømte at det var jul inspirée d’un autre livre d’Alf Prøysen, ce sera sans moi.


The Dead Don't Die de Jim Jarmusch (2019)
Dans la petite ville de Centerville, le quotidien des trois policiers se résume à patrouiller les rues et réprimander les voleurs de poule. Depuis quelques temps, le soleil ne se couche pas à l’heure normale, sans doute à cause de la fracturation hydraulique des pôles qui a modifié l’axe de rotation de la Terre. Un matin, deux corps en partie dévorés sont découverts dans un diner. Sous l’œil dubitatif de son chef Cliff Robertson, l’officier Ronnie Peterson soupçonne immédiatement une attaque de zombies. Dès la nuit venue, son intuition s’avère exacte, les morts envahissant la contrée.

J’avais un peu peur de ce The Dead Don't Die doté d’une piètre réputation, vilipendé notamment pour son aspect excessivement méta et désinvolte. Si la dernière demi-heure est effectivement ratée, avec une voix-off moralisante plutôt agaçante, le reste est moins pire qu’escompté. C’est en réalité plus un Jarmusch qu’un film de zombies en tant que tel, avec des historiettes vaguement reliées entre elles qui permettent de s’intéresser aux réactions de divers groupes face à l’invasion. C’est bourré de références à une poignée de classiques et surtout au cinéma de Jarmusch, dans un rythme nonchalant avec un casting quatre étoiles que le réalisateur s’amuse à dézinguer. A réserver aux amateurs de Jarmusch qui ne seront pas dépaysés.


REX 恐竜物語 [Rex: Kyôryû monogatari] de Haruki Kadokawa (1993, Rex: A Dinosaur's Story)
A Hokkaido, le paléontologue Akira Tateno déterre une coquille d’œuf de dinosaure dans une grotte au milieu de vestiges de l’ère Jômon. Déconcerté, il y retourne accompagné de son collaborateur, de sa fille Chie, d’un caméraman et d’un vieux aïnu qui connaît les lieux. Ils tombent sur des écrits originaires du continent perdu de Mu et sur un œuf de tyrannosaure en parfait état. Assisté de son ex-épouse embryologiste, Akira mène à bien le processus d’éclosion. Un petit dinosaure émerge et se prend d’affection pour Chie, qu’il considère comme sa mère.

En 1987, l’éditeur Kadokawa Bunko publia un livre en trois volumes de Masanori Hata intitulé REX kyôryû monogatari (littéralement L’histoire du dinosaure Rex). En 1993, le collectif CLAMP le transposa en un court shôjo manga. Dans la foulée, surfant sur le triomphe de Jurassic Park (1993), le producteur et metteur en scène occasionnel Haruki Kadokawa, président du puissant groupe Kadokawa, tourna rapidement une adaptation sur grand écran, se chargeant lui-même de la direction et du script (aidé de Shoichi Maruyama). La distribution fut confiée à la Shôchiku. Sorti en plein été malgré une intrigue se concluant durant la période de Noël, le succès fut immédiat, éreinté par la critique mais adoré par les enfants. Les dix semaines initiales d’exploitation étendues à seize pour répondre à la demande furent brutalement interrompues par un scandale : arrêté pour trafic de drogue, Haruki Kadokawa fut jeté en prison et le long métrage fut retiré de l’affiche. Cela n’empêcha pas Rex: Kyôryû monogatari de longtemps rester la plus grosse réussite commerciale de la Shôchiku.
Pour le rôle de Chie, Haruki Kadokawa alla chercher une jeune actrice de publicité, Yumi Adachi. Se hissant en 1994 au rang de vedette grâce au TV drama Homeless Child, elle eut par la suite des difficultés à s’imposer en tant qu’adulte, trop associée à son image d’enfant star aux yeux du public. Du côté des effets spéciaux, on retrouve le légendaire Carlo Rambaldi, le créateur de la marionnette de l’extra-terrestre dans E.T., l'extra-terrestre (1982). Sans disposer d’un budget comparable, il fournit un résultat honorable.
Rex: Kyôryû monogatari est divisé en trois parties égales d’environ 35 minutes : une mise en place jusqu’à l’éclosion de l’œuf ; l’apprentissage de Rex ; la fuite de Chie et le dénouement. C’est scientifiquement délirant, Akira énonçant des théories de plus en plus farfelues pour expliquer la disparition des dinosaures (le pompon étant « parce qu’ils étaient constipés »). L’inspiration Jurassic Park est lointaine, on est davantage dans un schéma E.T., l'extra-terrestre. C’est extrêmement crétin, ultra-prévisible, assez sexiste vis-à-vis de la mère carriériste. Ce n’est pourtant pas déplaisant, il s’en dégage une certaine naïveté et constitue un divertissant film de Noël familial. Et ce n’est pas tous les jours qu’on voit un dinosaure avec un costume de père Noël.


OMG! รักจังวะ..ผิดจังหวะ [OMG! Rak Jang Wa.. Pit Jang Wah] de Thitipong Kerdtongtawee (2022, OMG! Oh My Girl)
Très populaire auprès des garçons, la jolie June est détestée par les filles. Dans la fac, elle a la réputation d’être volage et tous les mecs rêvent de sortir avec elle. Sur les conseils de son meilleur ami Guy, un homme conscient des attentes des femmes grâce à l’éducation qu’il a reçu de ses trois sœurs, Phing aborde June qui accepte d’être sa copine. Guy se rend alors compte de son attirance pour elle, sans oser se déclarer pour ne pas contrarier Phing.

La première demi-heure de OMG! Oh My Girl se démarque par ses effets de montage dynamiques et une voix-off sarcastique. Ayant peu de références en comédie romantique thaïlandaise contemporaine, j’ai pensé à Fast & Feel Love (2022) pour son rythme enlevé et son humour décalé. Malheureusement, l’originalité s’évapore progressivement et les clichés s’amoncellent, le héros devenant horripilant et multipliant les mauvaises décisions. Si ses actes ne sont pas totalement récompensés, la conclusion laisse planer une ambiguïté malvenue, le spectateur ayant depuis longtemps cessé d’apprécier Guy. C’est dommage car le début était distrayant.


Nur über meine Leiche de Rainer Matsutani (1995, Tuez-moi d'abord)
Fred est coprésident d’une agence de rencontres avec son épouse Charlotte. Il se sert de sa position pour séduire des clientes esseulées et leur soutirer de luxueux cadeaux. Quand Charlotte l’apprend, Fred refusant de divorcer sans nuire à leur compagnie, elle engage un tueur à gages pour l’éliminer. A sa mort, le démon qui le conduit en enfer consent à un marché : Fred aura trois jours pour sauver trois femmes qui ont souffert à cause de lui. S’il réussit, il pourra continuer à vivre ; sinon, il passera l’éternité torturé dans une geôle du démon.

Nur über meine Leiche est le premier long métrage de Rainer Matsutani, qui se concentra plutôt sur la télévision par la suite. Il fit un score honorable au box-office avec presque 300 000 entrées, bénéficia de bonnes critiques et gagna plusieurs prix. En dehors d’Allemagne, personne n’en entendit parler, l’idée d’une comédie allemande n’étant guère vendeuse.
Ce fut une excellente surprise, une comédie romantique fantastique avec un humour noir cartoonesque et des marionnettes en animatronique. Le personnage principal est absolument abject mais, excepté dans les cinq dernières minutes avec un happy-end artificiel, Rainer Matsutani ne cherche pas à l’excuser et le maltraite joyeusement. Les trucages sont sympathiques, en particulier la mère réincarnée en dinde et un poisson mutant nommé Capitaine Némo. Comme quoi, on peut aussi rigoler avec les Allemands.


Inside Out 2 de Kelsey Mann (2024, Vice-versa 2)
Riley vient d’avoir 13 ans et la puberté pointe à l’horizon. A ses cinq émotions initiales (Joie, Tristesse, Colère, Peur et Dégoût) s’ajoutent quatre nouvelles : Anxiété, Envie, Embarras et Ennui. Elles débarquent au moment où Riley entame un stage de hockey et découvre que ses deux amies du collège n’iront pas dans le même lycée qu’elle. Devant cette situation déstabilisante, Joie ne sait comment agir, Anxiété prend le contrôle, envoie en prison les vieilles émotions et tente de modifier à long terme le caractère de Riley.

En 2015, Inside Out avait remporté un succès mérité en développant un univers original dans la meilleure tradition de Pixar. Sans tomber dans l’excès d’une partie de la presse qui l’avait hissé au rang de chef d’œuvre, j’avais apprécié ce film visuellement bluffant. J’avais des craintes vis-à-vis de cette suite, qui se sont avérées justifiées. Les deux intrigues, dans le monde réel et dans l’esprit de Riley, sont extrêmement conventionnelles : l’ado en quête de reconnaissance d’un côté ; la nouveauté qui chasse l’ordre établi puis se rend compte que gérer n’est pas si simple et qu’il convient de travailler en équipe avec les anciens de l’autre. Esthétiquement, rien de formidable non plus, on reprend les codes du 1 sans vraiment innover. Encore un Pixar franchement faible, il ne faudrait pas que ça devienne une habitude.


En las estrellas de Zoe Berriatúa (2018)
Victor est un metteur en scène raté qui navigue entre ses idées de longs métrages inachevés en trimballant son fils Ingmar. Ex-technicien des effets spéciaux, il ne s’est jamais remis du décès de son épouse qui s’est « noyée dans leur baignoire » huit ans auparavant. Alcoolique, affabulateur sans argent, il cherche désespérément des fonds pour un projet qu’il narre à Ingmar, dans l’espoir de payer son loyer et conserver la garde de son enfant.

L’amour du cinéma old school et des trucages à la main transpire indéniablement de ce second opus sur grand écran de l’acteur Zoe Berriatúa, fils du réalisateur/animateur/restaurateur Luciano Berriatúa. Il s’est amusé à imaginer plusieurs films dans le film, que ce soit un faux King Kong, un faux film de bébêtes des années 50 ou le scénario illustré que Victor raconte à Ingmar. On y retrouve un assemblage de techniques, animatronique, stop-motion, dessin animé ou matte painting. Je suis d’ailleurs tombé sur une intéressante interview du créateur de la partie stop-motion sur un site spécialisé. Zoe Berriatúa mélange également les genres, entre drame familial, comédie et horreur légère. Malheureusement, cette bonne volonté est desservie par une trame insipide centrée sur le schéma « Papa ! » et un personnage féminin cliché de la femme dans le frigo, présente uniquement pour montrer la tristesse du héros masculin qui doit surmonter sa mort pour avancer. A voir tout de même pour les beaux effets spéciaux.


Films vus seuls
Santo frente a la muerte de Fernando Orozco (1972, Santo Faces Death)
Santo est envoyé en Colombie par Interpol pour démasquer le chef d’un gang de trafiquants de diamants, responsable du vol d’une émeraude d’une valeur de 150 000 dollars. Il est accueilli sur place par Victor Valle, un inspecteur de police local. Leur objectif est d’attraper les bandits lors de la revente de la pierre au docteur Igor, un riche étranger. Santo a toutefois été repéré à son arrivée et des assassins tentent de l’éliminer.

Ce premier Santo produit et dirigé par Fernando Orozco est catastrophique. Il est très mal monté, meublé par de molles bastons et doté d’une intrigue confuse dans laquelle Santo ne sert pas à grand-chose. Les seules curiosités sont les multiples matchs de luchadoras, les décors colombiens (coproduction hispano-mexicano-colombienne oblige) et l’ajout du parachutisme aux nombreuses compétences de Santo. C’est mince.


独立愚連隊西へ [Dokuritsu gurentai nishi-e] de Kihachi Okamoto (1960, Westward Desperado)
Le 463e régiment d’infanterie a été anéanti par l’armée chinoise. Son porte-drapeau a réussi à s’enfuir avec le drapeau impérial. Pour récupérer ce symbole convoité par leurs ennemis, les Japonais dépêchent une escouade qui est massacrée à son tour. Devant cet échec, le capitaine Oe décide de recourir au peloton Samonji, une bande de soldats indisciplinés officiellement tués au combat et emprisonnés pour vol d’uniformes.

Dokuritsu gurentai nishi-e est une fausse suite de Dokuritsu gurentai (Desperado Outpost, 1959), qui avait permis à Kihachi Okamoto de se faire remarquer. A l’instar de son prédécesseur, c’est une comédie d’action située durant la guerre contre la Chine, qui se moque de l’absurdité du conflit. Kihachi Okamoto considérait que le public n’avait pas compris Desperado Outpost, son outrance sarcastique et sa violence ayant été perçues au premier degré dans un esprit de vengeance antichinois. Pour contraster avec la brutalité de Desperado Outpost qui n’hésitait pas à décimer son casting, Westward Desperado comporte donc peu de victimes et accentue l’aspect ironique. Tous ses films de guerre à la Tôhô gardèrent néanmoins une certaine ambiguïté. Il fallut attendre sa diatribe antimilitariste Nikudan (1968, The Human Bullet), financée indépendamment, pour lever toute équivoque.
En dépit d’un humour lourdaud et de Chinois ridicules (c’est le cas des Japonais également mais les Chinois le sont davantage. En même temps, le commandant chinois est incarné par Frankie Sakai qui ignorait le concept de subtilité), Westward Desperado n’est pas désagréable, dans un genre qui n’était pas encore trop stéréotypé et réactionnaire. C’est dynamique et bien interprété, avec un scénario plus sophistiqué que les Heitai yakuza (1965), mené par le débutant Yûzô Kayama, le fils de Ken Uehara qui allait devenir un acteur/chanteur populaire.


Secretul armei secrete d’Alexandru Tatos (1989, The Secret of the Secret Weapon)
Un empereur travaille sur une arme secrète pour conquérir le monde. Pour se trouver un adversaire, il organise un tournoi dont le prix est la main de sa fille. Au cours des épreuves, celle-ci tombe amoureuse de Vaillant, un chevalier opposé à la tyrannie de son père. Offusqué, ce dernier se débarrasse du preux en le jetant dans un lac à proximité. Profitant de l’absence du souverain et de sa cour, le terrible Dragon enlève la princesse et se réfugie dans son château.

Secretul armei secrete fut un immense succès en Roumanie d’avant la chute de Ceaușescu, une fable anti-guerre parfois musicale inspirée de la commedia dell'arte. Entre la présentation de la première version du script en 1983 et la projection pour approbation à la censure en février 1989, six années s’écoulèrent, temps nécessaire pour faire accepter une proposition atypique sous une dictature communiste. Pendant ce long processus de validation, une partie du caractère satirique fut gommé.
La comédie est un genre difficilement exportable et très ancré dans son époque, il est dangereux de s’immiscer dans des terres inconnues. Pour le néophyte que je suis, Secretul armei secrete s’est avéré globalement pénible. Je n’ai pas accroché à son humour absurde et à son rythme hystérique qui enchaîne les séquences crétines. Si j’adore les Monty Python et le nonsense, c’est toujours périlleux et ça ne marche pas ici.


Séries
電脳コイル [Dennô koiru] de Mitsuo Iso (2007, Dennô coil), 26 épisodes
Dans la ville imaginaire de Daikoku, des lunettes de réalité augmentée permettent de visualiser et manipuler des hologrammes. Les enfants sont fans du dispositif et nombre d’entre eux possèdent des animaux familiers virtuels. La plupart des gamins recherchent des méta-bugs, des bugs du système servant de monnaie d’échange. Malheureusement pour eux, ces bugs sont traqués par les Sacchî, des logiciels anti-virus développés par l’administration du cyberespace pour éliminer les anomalies. Récemment arrivée à Daikoku, Yûko Okonogi découvre le fonctionnement de ce monde alternatif et les rivalités entre les élèves de sa classe. Elle se lie avec Fumie et devient membre de l’agence d’enquête Dennô Coil créée par sa grand-mère. Les deux jeunes filles se heurtent vite à Yûko Amasawa, une hackeuse surdouée prête à tout pour récupérer des kira-bugs, des méta-bugs instables et mystérieux.

Une fois n’est pas coutume, Dennô coil est initialement une série télévisée qui a ensuite été transposée en manga et en light novel. Ce devait être au départ un long métrage, finalement transformé en série par le studio Madhouse. L’univers est original, avec une réflexion poussée sur l’utilisation de la réalité augmentée à une période, en 2007, où cette technologie en était encore à ses prémices (d’autant plus novateur quand on sait que le projet date de 1999).
En dépit d’idées pertinentes et d’une mise en place intrigante, Dennô coil pâtit de multiples problèmes : à l’inverse de Serial Experiments Lain (1998) avec lequel il est parfois comparé, Dennô coil ne bascule jamais dans l’angoisse ou l’horreur, il effleure le domaine sans y plonger réellement, sans doute en raison du jeune public ciblé ; c’est excessivement bavard, il y a régulièrement des tunnels de dialogues soporifiques, on aurait clairement pu ramasser l’histoire sur 13 épisodes au lieu de 26 ; pour tenter de renforcer la vraisemblance de son récit, Mitsuo Iso l’a enrobé d’un jargon scientifique fumeux inventé pour l’occasion, qui embrouille le spectateur en permanence en rendant complexe des concepts ordinaires ; les enjeux sont souvent vaseux, avec une intrigue artificiellement alambiquée pour donner une impression de profondeur et des protagonistes dont on finit par se désintéresser. C’est dommage, il y avait du potentiel mais je ne recommanderais guère cette série qui aurait gagné à être condensée et simplifiée.


Livres
Le temps meurtrier de Robert Sheckley (Presses Pocket, collection « Science-Fiction », 1977), 255 p.
Thomas Blaine succombe dans un accident de voiture en 1958 et se réveille dans la peau d’un athlète musclé en 2110. Il apprend que la technologie de transfert des esprits d’un corps à un autre est effective, utilisée par de riches individus pour prolonger leur existence. Il est également possible d’atteindre sans risque l’au-delà où l’esprit vit éternellement. La résurrection de Thomas Blaine s’avère cependant être une erreur, ce n’était pas lui la personne visée à l’origine. Il va donc devoir s’éclipser prestement, aidé par une employée de Rex aux motivations obscures et par un zombi, un esprit occupant un cadavre pourrissant.

Le temps meurtrier est une longue nouvelle de 1958 étirée en 1959 pour devenir le premier roman de Robert Sheckley. On y retrouve des problématiques classiques chez cet auteur comme les écarts de point de vue entre des époques éloignées, des réflexions sur la mort et une chasse à l’homme. Malgré certains défauts, notamment des personnages féminins fades (la couverture racoleuse n'ayant aucun rapport avec le bouquin) et une intrigue davantage portée sur l’action que sur le développement psychologique des protagonistes, ça se lit agréablement grâce au ton léger de Sheckley et à l’accumulation de péripéties. Le livre a été adapté librement sur grand écran en 1992 sous le titre de Freejack pour un résultat apparemment catastrophique.

Filmer sous la contrainte – Le cinéma portugais pendant l’État nouveau de Salazar (1933-1974) d’Eurydice Da Silva (Peter Lang, collection « Mondes de langue portugaise » Vol. 2, 2022), 369 p.
Filmer sous la contrainte – Le cinéma portugais pendant l’État nouveau de Salazar (1933-1974) est divisé en trois grandes parties :
La mise en place d’un dispositif cinématographique couvre la période allant de la mise en place de l’Etat nouveau en 1933 à la fin des années 50, où furent établis le cadre législatif et les instances de contrôle. Après un rapide aperçu de la situation avant 1933, la chercheuse examine les normes que souhaitaient véhiculer la dictature, directement à travers des fictions de propagande ou indirectement dans un cinéma populaire dans lequel s’insinuait une idéologique latente.
En prenant pour illustration la version de 1943 d’Amor de perdição tirée du fameux roman éponyme du XIXe siècle, elle montre que la censure ne se limitait pas aux coupures sur le montage final mais commençait en amont, par un phénomène d’autocensure durant l’écriture du script puis par une révision du texte avant le tournage par une commission dédiée. Elle s’intéresse enfin au Fonds du cinéma national, un organisme de financement en position de monopole, capable d’édicter ses règles aux producteurs.

Mutations du paysage cinématographique national : vers l’émergence d’un Nouveau cinéma Portugais se penche sur l’apparition de nouveaux modes de production entre 1962 (année de sortie de Dom Roberto d’Ernesto de Sousa) et 1974 dans le contexte de l’avènement d’un nouveau cinéma national, le Cinema Novo. L’autrice brosse un bref portrait des précurseurs, Manuel Guimarães et Manoel de Oliveira, avant d’étudier les sources d’inspiration étrangères, en particulier la France et la Nouvelle Vague.
Pour s’émanciper de la supervision de l’Etat, une jeune génération se distingua de la vieille garde en se rabattant vers des modes de production et de financement alternatifs, assistée notamment par le réseau des ciné-clubs ou la Fondation Calouste Gulbenkian. La censure veillait toutefois et instaura des mesures complémentaires comme un système de classification qui permettait de restreindre l’accès en fonction de l’âge ou du type de salles (les salles arts et essais de Lisbonne et Porto pouvaient par exemple diffuser des titres interdits ailleurs). Le public ne suivit pas et les demandes de coupes continuèrent en parallèle, d’autant plus chez les indépendants où les scénarios n’étaient pas vérifiés au préalable. Ces coupes devaient être effectuées par les réalisateurs, les obligeant à internaliser le processus de censure. Après un espoir d’ouverture à la prise de pouvoir de Marcelo Caetano en septembre 1968, l’intégralité de la production repassa finalement sous le giron de l’Etat avec la loi du 5 décembre 1971 dite Loi du cinéma.

Les effets de la censure. De l’interdiction de dire, à la poétique du non-dit se concentre sur l’impact de la censure sur huit cas concrets. Eurydice Da Silva expose les échanges entre les producteurs, les metteurs en scène et la commission de censure sur Dom Roberto (1962), Os Verdes Anos (1963), O Trigo e o Joio (1965), Domingo à Tarde (1966), O Cerco (1970), Uma Abelha na Chuva (1971), Meus Amigos (1974) et O Mal-Amado (1974). Elle dévoile les méthodes de négociation et les faibles marges de manœuvre dans un système qui favorisait l’invisibilité de la censure, tout en restant bloqué sur de grands principes inamovibles. Elle se questionne sur les mobiles de la résistance de certains cinéastes, sur l’importance du non-dit et de l’ellipse, et sur l’influence que ces 48 années sous surveillance ont eu sur le cinéma portugais contemporain.
Filmer sous la contrainte – Le cinéma portugais pendant l’État nouveau de Salazar (1933-1974) est la transposition de la thèse d’Eurydice Da Silva soutenue en octobre 2019 et dirigée par Graça Dos Santos, une experte du théâtre portugais rédactrice en 2002 d’un ouvrage de référence (Le spectacle dénaturé : Le théâtre portugais sous le règne de Salazar, 1933-1968). Elle est parue chez Peter Lang, une maison d'édition académique suisse spécialisée au départ dans la publication de thèses de doctorat. Le livre est de bonne qualité, avec des photos nettes en noir et blanc et un papier assez épais. Le prix est en revanche prohibitif, 52,75 euros sur le site officiel.

Autant l’ouvrage suivant d’Eurydice Da Silva, Cinéma et dissidence : les ciné-clubs portugais pendant la dictature de Salazar, est pointu et universitaire, autant Filmer sous la contrainte ne nécessite aucune connaissance préalable. C’est le premier bouquin détaillé sur le sujet en français, largement plus abordable que O cinema sob o olhar de Salazar (instructif mais rébarbatif) ou que Portuguese Film, 1930-1960: The Staging of the New State Regime de Patricia Vieira (parfois aride dans mon souvenir).
D’une lecture aisée, il nous plonge dans les méandres de la censure et permet de mieux appréhender le cinéma portugais sous Salazar. L’autrice a accompli un impressionnant travail dans les archives, déterrant des documents inédits qui aident à comprendre des mécanismes qui se voulaient invisibles. Les parties qui décrivent la façon dont les films ont été transformés par la censure, les négociations entre les producteurs et les censeurs, les changements apportés pour se conformer aux dictats, sont passionnantes. J’ai ainsi découvert que la commission interdisait l'usage du surnaturel sur les écrans portugais, expliquant l’absence avant le 25 avril 1974 d’un fantastique prospère en Espagne voisine. Filmer sous la contrainte – Le cinéma portugais pendant l’État nouveau de Salazar (1933-1974) est donc un incontournable pour qui s’intéresse au cinéma portugais et à la censure en général. C’est vraiment regrettable qu’il soit si cher, le limitant aux spécialistes.


Nekojiru Udon de Nekojiru (IMHO, 2022), 468 p.
Nyako et son petit frère Nyatta vivent dans une cité où cohabitent humains et chats qui parlent (sauf Nyatta qui ne dit que « nya »). Leur père dépense tout l’argent de la famille pour s’acheter de l’alcool, au grand désespoir de leur mère. Les deux enfants croisent sur leur route des individus étonnants qu’ils n’hésitent pas à maltraiter, leurs aventures se terminant régulièrement dans la violence.

Nekojiru Udon est paru dans Garo entre juin 1990 et octobre 1995. Il marque les débuts de la mangaka Chiyomi Hashiguchi sous le pseudonyme de Nekojiru. Les histoires ont été ensuite republiées en trois volumes, regroupés en français par IMHO dans cette intégrale.
De nombreux épisodes de Nekojiru Udon sont des transcriptions dessinées de rêves de Chiyomi Hashiguchi, raison de l’ambiance bizarre et onirique. C’est souvent cruel et sanglant, dans un style simple et mignon contrastant avec la méchanceté des évènements dépeints. Chaque récit est totalement indépendant du précédent, il n’y a pas de progression narrative ni d’évolution des personnages. Bien que je regrette un peu cet aspect, cela demeure dans l’ensemble amusant et varié, chaque chapitre développant ses idées étranges. Comme d’habitude, aucun ajout éditorial d’IMHO qui se contente de traduire du japonais.


Revues
L'oiseau Magazine – Rapaces de France n°26 – Hors-série 2024
J’ai plus accroché à ce numéro de Rapaces de France que le précédent, il est moins focalisé sur les statistiques locales et davantage sur les comportements et les dynamiques des populations. Le gros dossier sur le Harfang des neiges m’a permis de mieux connaître l’écologie de cet oiseau fascinant. Je ne sais pas si je le verrai un jour compte tenu de son habitat extrême, avec de la chance peut-être. J’ai également apprécié les articles sur l’expansion du Balbuzard pêcheur dans notre pays, sur l’arrivée du Busard pâle ou sur les rapaces de Guyane, qui me donne envie de visiter cette région.

De façon générale, la situation des rapaces est plutôt réconfortante dans le contexte actuel. Ils font partie des rares espèces dont le statut s’est fortement amélioré ces dernières décennies après avoir touché le fond dans les années 60. Cela prouve que des actions de protection régulières et bien menées portent leurs fruits. Espérons que cela continuera à l’avenir et qu’ils puissent servir de modèle pour d’autres espèces menacées.


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