samedi 31 mai 2025

Carnet de bord 24/05/2025-30/05/2025



Films vus en compagnie
Straume de Gints Zilbalodis (2024, Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau)
Dans un univers postapocalyptique végétalisé, les humains ont disparu, laissant la Terre à la nature. Un chat noir vadrouille autour de son domicile, une vieille maison abandonnée, en se méfiant des animaux qui errent dans le coin. Un jour, l’eau commence à monter brusquement. Le chat se réfugie en hauteur et finit par être coincé. Il parvient à sauter dans un petit bateau qui dérive sur les flots. D’autres compagnons dans une situation similaire vont progressivement le rejoindre, des espèces différentes qui vont devoir apprendre à cohabiter et à s’entraider.

Flow est une prolongation du second court métrage du letton Gints Zilbalodis, Aqua (2012), qui portait déjà sur un chat confronté à une crue soudaine et qui grimpait dans une embarcation. Gints Zilbalodis avait à l’époque œuvré seul à son bureau, avec des dessins rudimentaires en partie en 2D. Flow est son premier travail en équipe, une collaboration avec des studios français et belges, avec un processus de création qui s’étira sur cinq ans et lui permit de développer sa réflexion sur une plus grande échelle. Le scénario est d’ailleurs une métaphore de ce partenariat, Gints Zilbalodis se projetant dans ce chat au départ individualiste obligé de coopérer.
Il n’y a aucun dialogue et l’anthropomorphisme est relativement limité, comparativement du moins aux standards de l’animation. Excepté pour le capybara, les vrais cris des animaux ont été utilisés (le capybara vocalise peu, Gints Zilbalodis et son ingénieur du son estimaient qu’il faisait des bruits trop bizarres et ont pris la voix d’un jeune chameau à la place). Le monde décrit est fantaisiste, que ce soit dans le mélange des espèces ou dans le fonctionnement de l’écosystème, on est davantage dans une nature luxuriante potentiellement dangereuse à la Miyazaki que dans un documentaire. Le style graphique inhabituel convainc rapidement et l’histoire simple assez convenue se suit agréablement. C’est une jolie réussite et je vais essayer de récupérer Away (2019) du même réalisateur.
A noter que Gints Zilbalodis a mis à disposition gratuitement sur sa chaîne Youtube ses cinq premiers courts métrages.


Vous n'avez encore rien vu d’Alain Resnais (2012)
Au décès du dramaturge Antoine, ses ami·e·s sont réuni·e·s dans sa vaste demeure pour la lecture de son testament. Ce sont tous des acteurs et actrices qui ont participé au moins une fois à une représentation de sa célèbre pièce Eurydice, adaptation moderne du mythe d’Orphée et d’Eurydice. Antoine a enregistré pour eux une vidéo avant de mourir. Il leur propose de regarder une captation de son Eurydice par une troupe de théâtre amateur et de décider s’il faut leur donner l’autorisation de la jouer. En voyant les images, iels sont replongé·e·s dans la pièce et se mettent à interpréter leur ancien rôle.

Vous n'avez encore rien vu est la fusion à la sauce Resnais de deux pièces de Jean Anouilh : Cher Antoine ou l'Amour raté (1969) pour le contexte et Eurydice (1942) pour le cœur de l’intrigue. C’est un prétexte pour édifier un récit à trois niveaux entre la nouvelle mise en scène de la jeune troupe, sa visualisation par des comédien·ne·s de deux générations et leur réinterprétation dans des décors théâtraux. Alain Resnais, toujours en quête de dispositifs narratifs inédits, s’amuse et sollicite sa bande d’habitués (manque André Dussolier qui devait avoir piscine), accompagnés de quelques nouvelles têtes. Malheureusement, le texte d’Anouilh est affreusement daté et sexiste et se révèle vite pénible. Le côté théâtre filmé montre également ses limites et je me suis ennuyé, combiné à une Sabine Azéma en roue libre franchement fatigante en Eurydice. C’est donc un gros raté bien qu’il faille reconnaître à Resnais son envie de continuer à explorer les questions de forme à 90 ans.


Films vus seuls
Santo en Oro negro de Federico Curiel (1977, Santo in Black Gold)
Une grosse entreprise pétrolière reçoit la visite d’un individu qui interrompt une réunion de la direction. Il exige au nom de son maître Aquarius le paiement d’une taxe de 50 cents par baril sans quoi son organisation sabotera leurs installations. A la fin de son discours, il saute par la fenêtre et s’écrase au sol, dévoilant un corps de robot. Santo est appelé à la rescousse et accepte d’aider la compagnie contre la création d’un fonds pour les enfants affamés. Il se rend à Porto Rico et démarre son enquête, assisté d’un inspecteur de police local et d’une chanteuse de cabaret agente du Conseil de sécurité mondial.

Santo en Oro negro est le troisième Santo du duo Jorge Camargo/Federico Curiel après les catastrophiques Misión suicida (1973) et Santo contra los secuestradores (1973). A l’instar de ce dernier, on retrouve Rossy Mendoza qui pratique cette fois le karaté (vite fait, de loin la nuit avec des coupes). C’est fauché, avec une intrigue très série d’espionnage des années 70. Santo met d’ailleurs des masques qui lui permettent de changer de visage comme dans Mission Impossible (il est à cette occasion incarné par d’autres acteurs dont le catcheur Ismael Ramírez, un pote de Santo). Santo en Oro negro sert aussi de dépliant touristique pour Porto Rico, un procédé classique dans les Santo tournés à l’étranger. Sans être bon, ce Santo est donc un cran au-dessus des deux navets commis précédemment par Camargo et Curiel.


道場破り [Dojo yaburi] de Seiichirô Uchikawa (1964, Samurai from Nowhere)
Pour ne pas devenir la maîtresse de son seigneur, Otae, la fille du conseiller en chef d’un riche domaine, s’enfuit avec le samouraï Ihei Misawa et se marie avec lui. Ils se cachent dans un village sans pouvoir quitter le territoire, les points de sortie étant contrôlés et nécessitant un laisser-passer. Pour l’obtenir, il faut soudoyer un officiel avec de l’argent qu’ils n’ont pas. Otae est obligée de travailler dans une auberge et Ihei vit de boulots précaires sous le nom de Hachiemon Ishikawa. Sa tendance à se mêler de ce qui ne le regarde pas et sa générosité excessive l’empêchent de cumuler un pécule. Il est dès lors contraint de défier des dojos et de participer à des tournois, activités dégradantes compte tenu de sa classe.

La Shôchiku n’a jamais été un studio spécialisé dans le chanbara, abandonnant ce genre à la Toei, la Daiei ou la Tôhô. On sent vite que Dojo yaburi se démarque du tout-venant des années 60 par son thème et ses interprètes. Le rôle principal est confié à Isamu Nagato, un habitué de la comédie qui occupe pour la première fois le haut de l’affiche. Son Ihei Misawa détonne par sa nonchalance, son air constamment amusé et sa gentillesse. Il est parfaitement épaulé par Shima Iwashita en Otae, une vedette des années 60 aperçue chez Ozu, Masahiro Shinoda, Masaki Kobayashi ou Kinoshita ; par Chieko Baishô, l’actrice fétiche de Yôji Yamada ; et par Tetsurô Tanba en mercenaire implacable. L’histoire se concentre sur les difficultés pour les rônins de trouver un gagne-pain et sur la misère du petit peuple qu’ils côtoient. Même les méchants qui traquent Ihei sont excusables, ils ne le font que pour décrocher une position stable. On a parfois l’impression de voir un chanbara des années 30 aux considérations sociales marquées. Ce Dojo yaburi mérite en tout cas le coup d’œil et je vais récupérer rapidement sa suite, Zoku Dojo Yaburi (1964).


Fährmann Maria de Frank Wisbar (1936, Maria le passeur)
Après quinze ans de dur labeur, un passeur a enfin économisé suffisamment pour acheter son bac à la mairie et être indépendant. La veille de la transaction, il meurt d’une crise cardiaque en transportant un individu inquiétant. La rumeur court qu’il a été tué par le diable et personne ne souhaite le remplacer. Maria, une apatride à la recherche d’un emploi, accepte la tâche. Peu de temps après sa prise de poste, elle secourt un homme blessé poursuivi par des cavaliers et en tombe amoureuse.

Ayant globalement apprécié Strangler of the Swamp (1945), le remake hollywoodien fauché de Fährmann Maria, j’étais curieux de comparer avec l’original, déjà réalisé par Frank Wisbar (crédité Wysbar). Il s'avère fort différent, moins horrifique, plus abstrait et avec davantage de moyens. La majorité a été tournée en extérieur en Basse-Saxe avec Sybille Schmitz, une star des années 30 que Goebbels détestait à cause de son style peu aryen et qui servit d’inspiration à Fassbinder pour Le secret de Veronika Voss (1982).
Le scénario de Fährmann Maria est conceptuel, un affrontement entre l’amour personnifiée par l’inconnu en fuite et la mort que Maria essaye de tromper. On est loin de la romance niaise de Strangler of the Swamp. Sans qualifier le film d’expressionniste, on sent les ultimes traces de ce mouvement dans les héros psychologiquement perturbés et dans certains plans, influence qui sera éradiquée par les nazis qui catégorisaient l’expressionisme dans les « arts dégénérés ». La copie survivante très détériorée ne fait pas honneur à la photographie qui semble excellente. C’est dommage car Fährmann Maria est assez réussi en dépit d’une sous-intrigue totalement inutile sur un musicien alcoolique.


El planeta de las mujeres invasoras d’Alfredo B. Crevenna (1966, Planet of the Female Invaders)
Marcos Godoy revient sur le ring en encaissant en coulisse un pot-de-vin d’un gangster pour s’allonger. Manquant à sa parole, il gagne le match et doit s’éclipser prestement. Dans une foire, il monte dans une attraction de soucoupe volante, suivi par les truands qui veulent lui faire la peau. Contre toute attente, la soucoupe s’envole, conduite par deux extraterrestres qui amènent les passagers sur la planète Sybilla, à la lumière aveuglante et au jour perpétuel. L’astre ne comporte qu’une vingtaine d’habitantes gouvernées par la vile reine Adastrea à laquelle s’oppose sa sœur jumelle Alburnia.

Dans les années 50-60 à Hollywood et au Mexique émergea un sous-genre de la SF où de belles femmes d’une autre planète tentaient de conquérir la Terre. J’ai critiqué sur ce blog un des exemples les plus emblématiques, Cat-Women of the Moon (1953), ainsi que l’obscur La nave de los monstruos (1960) qui mettait déjà en vedette la charismatique Lorena Velázquez en méchante. Elle est assistée ici par Elizabeth Campbell, sa comparse dans trois épisodes de la série des Luchadoras, et par Maura Monti vue dans Santo vs. la invasión de los marcianos (1967) et dans El tesoro de Moctezuma (1968).
La trame de El planeta de las mujeres invasoras est complètement débile et ne cherche pas à se justifier : pourquoi est qu’Adastrea et sa clique veulent venir sur Terre ? Pourquoi n’y a-t-il que des femmes entre 20 et 40 ans sur leur monde ? D’où proviennent leur technologie, leur nourriture, leurs vêtements moulants sachant que personne n’a l’air de travailler ? On ne le saura jamais. Les effets spéciaux sont rudimentaires, quelques maquettes dignes d’une série B des années 50, deux-trois décors simplistes et des accessoires en toc. Lorena Velázquez s’amuse dans son double rôle Adastrea/Alburnia, à l’image du reste du casting qui a bien conscience de l’inanité de la chose. C’est le principal intérêt de El planeta de las mujeres invasoras, outre son esthétique kitsch. A réserver aux complétistes du sous-genre et aux fans de Lorena Velázquez.
Je viens d’apprendre que c’était la suite de Gigantes planetarios (1966), faudra que je récupère ça. Ça me permettra peut-être de comprendre le pourquoi de l’ouverture noirisante de El planeta de las mujeres invasoras sur un boxeur déchu qui fraie avec des malfrats. Ou pas.


楳図かずお恐怖劇場 蟲たちの家 [Umezu Kazuo Kyôfu gekijô - Mushi-tachi no ie] de Kiyoshi Kurosawa (2005, Kazuo Umezu's Horror Theater: House of Bugs)
Selon Renji, du jour au lendemain, son épouse Ruiko a arrêté d’aller au tennis ou de voir ses amies. Elle reste depuis enfermée en permanence. Ruiko n’a pas le même point de vue. Elle explique à son cousin Naoya que Renji est extrêmement jaloux, qu’il l’appelle au téléphone toutes les heures pour vérifier qu’elle est à la maison, la séquestrant de facto chez elle, et qu’il la bat quand il a bu. Par peur de son mari, elle aimerait devenir un insecte. Qui dit la vérité ?

Kazuo Umezu's Horror Theater: House of Bugs est le premier volet de l’anthologie Kazuo Umezu's Horror Theater produit par la Shôchiku en 2005 pour fêter le cinquantième anniversaire du début de la carrière du mangaka spécialiste de l’horreur Kazuo Umezu. Il est tiré de la nouvelle La maison aux insectes, éditée en français par Le lézard noir (lu il y a longtemps, je ne m’en souviens pas des masses). Excepté vers la fin, Kurosawa instaure une ambiance pesante fondée sur l’indétermination, le spectateur ne sachant pas qui ment entre Ruiko et Renji. On ne bascule dans la terreur que dans les cinq dernières minutes, au cours d’une séquence malheureusement gâchée par des images de synthèse ridicules. Le dénouement est assez incompréhensible et Kazuo Umezu's Horror Theater: House of Bugs laisse une impression de gâchis, de bon concept mal exploité.


Pura sangre de Luis Ospina (1982)
Un riche vieillard est amené à l’hôpital. Atteint d’une maladie du sang, il a besoin pour survivre de transfusions régulières, de préférence du sang de garçons. Lorsque son fils découvre que ses deux chauffeurs et l’infirmière de son père tuent de jeunes hommes et les violent, il menace de les dénoncer s’ils n’obéissent pas à ses ordres. Il exige qu’ils fournissent à son père le sang frais nécessaire, ce qui les oblige à multiplier les meurtres et à prendre des risques.

Pura sangre est inspiré d’un fait divers qui secoua la Colombie dans les années 60-70, un serial killer qui massacra entre 30 et 40 adolescents dans les environs de Cali. L’affaire ne fut jamais élucidée, des rumeurs accusèrent un hypothétique bourgeois souffrant de leucémie. Luis Ospina, cofondateur de Caliwood, un groupe de réalisateurs qui gravitaient autour du ciné-club de Cali et de son magazine Ojo al cine, récupéra cette histoire en lui injectant une touche d’horreur vampirique. Il déploya une esthétique qualifiée de gothique tropical, ancrée dans une réalité urbaine brutale accablée par la chaleur dans laquelle la jeunesse est à la fois victime et bourreau. Il ajouta une critique sociale pas franchement subtile, les riches suçant littéralement le sang des pauvres et les exploitant dans des plantations de canne à sucre. Il dépeignit également le climat de violence dans son pays, les deux chauffeurs ayant été insensibilisés par leur participation à la guerre civile.
La photographie est poisseuse, imprégnée d’une sensation de malaise renforcée par une musique bizarre et oppressante. J’avoue que je suis mitigé, ça m’a évoqué un certain cinéma indépendant américain des années 80 type Henry : Portrait of a serial killer (1986), avec son style pseudo-documentaire qui montre passivement les actes atroces de psychopathes. Si la dénonciation est plus présente dans Pura sangre, ce n’est pas mon trip malgré l’indéniable attrait exotique que j'ai ressenti pour un cinéma que je ne connaissais pas.


The Cat and the Canary de Elliott Nugent (1939, Le mystère de la maison Norman)
Dix ans après son décès, la famille de Cyrus Norman est réunie pour l’ouverture de son testament dans sa demeure située dans un coin paumé du bayou près de la Nouvelle-Orléans. Une lettre scellée révèle l’identité de l’unique légataire, la charmante Joyce. Toutefois, au cas où elle mourrait ou deviendrait folle durant le mois suivant, une seconde enveloppe contient le nom d’un remplaçant. N’ayant aucun moyen de revenir en ville avant le lendemain, tout le monde est contraint de dormir dans l’inquiétante maison. Quand l’avocat essaye de prévenir Joyce du danger qui la guette, il disparaît soudainement.

The Cat and the Canary est un remake du film éponyme de 1927, lui-même tiré d’une pièce de théâtre de 1922 écrite par John Willard. Il met à l’affiche le comique ultra populaire Bob Hope. Il est accompagné de Paulette Goddard, trois ans après le succès des Temps modernes (1936) qui l’avait hissé au rang de star. The Cat and the Canary s’inscrit dans le genre des comédies horrifiques à la mode à la fin des années 30 et dans les années 40, dans le schéma classique de la Old Dark House que la version de 1927 avait contribué à établir. Fidèle à ses habitudes, Bob Hope est grimaçant et agaçant, bien qu’il soit moins pire que dans les quelques autres titres que j’ai pu voir avec lui. Il n’est que la co-vedette et ses excès sont compensés par le jeu relativement sobre de la sympathique Paulette Goddard. L’humour n’est pas terrible, l’épouvante est quasi-inexistante mais il n’y a pas de baisse de rythme et c’est assez distrayant. Je ne peux en revanche pas comparer avec The Cat and the Canary de 1927 car je n’en ai pas le moindre souvenir…


Fascination de Jean Rollin (1979)
En 1905 après un gros coup, Marc, le chef d’une bande de truands, tente de s’enfuir avec la marchandise en trahissant ses camarades. Poursuivi, il se réfugie dans un château en attendant la nuit, espérant s’échapper discrètement. Le lieu est habité par deux amantes peu farouches, Elisabeth et Eva, qui disent avoir congédié les domestiques. Afin de retenir leur hôte jusqu’au soir, Eva couche avec lui, suscitant la jalousie d’Elisabeth. Elles souhaitent apparemment sa présence sans que Marc en comprenne les raisons.

J’avais vu deux-trois Jean Rollin il y a longtemps dans une optique nanar et j’avoue ne pas m’en souvenir. Mes goûts ayant évolué depuis et compte tenu de l’aura dont bénéficie Rollin auprès d’un cercle d’amateurs de fantastique, je voulais lui redonner une chance en regardant son œuvre la mieux notée sur imdb, Fascination. Financé par un producteur de porno, Jean Rollin saupoudre son récit de scènes érotiques et engage Brigitte Lahaie dans son premier rôle non pornographique majeur. Tourné dans le château de la Motte à Château-Renard dans le Loiret, Fascination est pourvu d’une belle photographie, en particulier pendant les séquences nocturnes, et de jolies couleurs rehaussées par la splendide restauration récente. Pour le reste, il n’y a pas grand-chose à sauver. L’intrigue est ultra-mince, Rollin étire au maximum pour tenir 1h20. Les interprètes sont mauvais, avec un phrasé artificiel. Les critiques évoquent la poésie étrange, le féminisme en sous-texte, quelques images marquantes comme Eva dans une cape avec une faux… Mouaif, c’est surtout très mou du genou et je me suis franchement ennuyé.


Livres
Legends of the Condor Heroes 3 – A Snake Lies Waiting de Jin Yong (MacLehose Press, 2020), 432 p.
Coincés sur un bateau en train de couler, Guo Jing, Zhou Botong et le Mendiant du Nord se retrouvent pris au dépourvu. Ils sont secourus par leur terrible ennemi le Venin de l’Ouest. Le prix à payer pour ce sauvetage est élevé, les trois compagnons sont séparés sans nouvelle les uns des autres. Après moult péripéties, Guo Jing et Lotus Huang sont réunis mais doivent se cacher de leurs adversaires. Persuadé que sa fille est décédée, le père de Lotus se lance à la recherche des maîtres de Guo Jing pour se venger.

Ce troisième volume de la tétralogie Legends of the Condor Heroes est plus dispersé que les précédents. Il multiplie les épisodes anecdotiques et les invraisemblances. Le summum est atteint durant un long segment occupant un quart du livre dans lequel Guo Jing et Lotus sont enfermés dans une pièce secrète d’une auberge abandonnée sans pouvoir bouger, capable seulement d’écouter et de voir partiellement ce qu’il se passe à côté. Vont alors se succéder des drames mettant en scène la quasi-totalité des personnages importants des deux premiers bouquins, qui se croisent par hasard. Le procédé est assez grossier et finit par lasser.
Je note aussi ce que j’appelle le syndrome Dragon Ball/Dragon Ball Z car c’est dans ces séries que je l’ai découvert : l’accroissement excessif des capacités des héros, qui deviennent de plus en plus balaises au point d’obliger l’auteur à augmenter d’autant la démesure du danger. SI Guo Jing n’en est pas encore à voler dans les airs en balançant des kaméhaméhas, ça dérive clairement.
Nonobstant ces soucis, A Snake Lies Waiting demeure fort plaisant, j’apprécie toujours le couple Guo Jing/Lotus Huang, le Mendiant du Nord ou le fantasque Zhou Botong. Jin Yong se débarrasse enfin d’un méchant qui m’agaçait et j’attends avec impatience de lire le quatrième et ultime tome.


La Controverse de Valladolid (pièce de théâtre) de Jean-Claude Carrière (GF Flammarion, collection « Étonnants Classiques », 2003), 128 p.
Dans les années 1540, le philosophe Juan Ginés de Sepúlveda et le prêtre Bartolomé de las Casas s’opposèrent à distance sur le statut des Amérindiens et sur la législation dans les colonies. Pour trancher la question, la roi Charles Quint demanda au pape d’organiser un débat. Il eut lieu en deux séances d’un mois chacune en août 1550 et mai 1551. Jean-Claude Carrière regroupe la polémique sur deux jours et demi en concentrant son récit sur trois protagonistes : Bartolomé de las Casas, Juan Ginés de Sepúlveda et un représentant du pape en arbitre. A la manière d’un tribunal, il laisse les deux concurrents exposer leur plaidoirie.

Je connais essentiellement Jean-Claude Carrière pour son travail de scénariste, notamment chez Luis Buñuel. La Controverse de Valladolid est à l’origine un roman, que Carrière a ensuite adapté en téléfilm puis en pièce de théâtre. Je n’ai pas lu le roman ni vu le film et je n’ai donc pas de point de comparaison. L’auteur prend évidemment parti pour le passionné défenseur des Amérindiens Bartolomé de las Casas contre le froid Juan Ginés de Sepúlveda et critique la position de l’église, quitte à distordre la réalité historique en conclusion (la controverse de Valladolid n’aboutit en fait sur rien de concret et n’eut presque aucune conséquence sur les orientations politiques de l’époque). La pièce est courte, sans baisse de rythme, avec des rebondissements et des échanges vifs pour maintenir l’intérêt du public. On sent les qualités de scénariste de Carrière qui ajoute des didascalies évocatrices, qui aident à visualiser les scènes. J’ai bien aimé et je vais récupérer les autres versions.
N.B. : L’édition GF Flammarion de la collection « Étonnants Classiques » propose une introduction qui contextualise l’œuvre, très utile quand on connait mal cette période.


Le voyage de Shuna de Hayao Miyazaki (Sarbacane, 2023), 160 p.
Shuna est le fils du roi d’une vallée pauvre. En se promenant, il aperçoit un jour un vieil étranger agonisant qu’il amène à une guérisseuse. Avant de mourir, l’homme a le temps de lui parler d’une graine jaune extraordinaire qui pourrait apporter la prospérité à sa communauté. Shuna part à sa recherche en dépit des réticences de sa famille. Sur son chemin, il va découvrir les horreurs de l’esclavage et l’existence d’une terre des êtres divins d’où provient la graine fabuleuse.

Le voyage de Shuna est tiré d’un conte tibétain intitulé Le prince qui devint un chien, publié en 1964 au Japon par l’éditeur Iwanami Shoten sous la forme d’un livre pour enfant dessiné par le peintre Jin Goto. Le prince qui devint un chien est au départ un conte étiologique sur l’origine de la culture de l’orge au Tibet, les contes étiologiques fournissant des explications fantaisistes sur des phénomènes dont on ignore la cause. Miyazaki y a ajouté des éléments du cycle de Terremer d’Ursula Le Guin qu’il n’avait pu adapter au cinéma, l’autrice refusant à l’époque de lui accorder les droits (elle revint sur sa décision dans les années 2000 et c’est Gorô Miyazaki qui effectua la transposition en 2006).
Commencé en 1980 et sorti en 1983, la création du Voyage de Shuna se superposa avec celle du manga Nausicaä de la Vallée du Vent (paru entre 1982 et 1994) et ça se sent. On discerne la même atmosphère, le même genre de dessins et d’univers postapocalyptique désolé. Shuna a un look similaire à Nausicaä et vit dans une vallée traversée par les vents. On remarque également la monture de Shuna, une espèce de cervidé appelée Yakkuru qui sera repris à l’identique dans Princesse Mononoké (1997). Comme précisé dans une intéressante postface du traducteur anglais Alex Dudok de Wit, Le voyage de Shuna, à l’instar du livre de 1964 (cf. extrait ci-dessous), est davantage un emonogatari qu’un manga, soit un roman abondamment illustré, le texte occupant ici une place réduite par rapport aux images.
Extrait du Prince qui devint un chien (犬になった王子), Iwanami Shoten, 1964.

Le voyage de Shuna est un incontournable pour les fans de Miyazaki, on y distingue déjà son style et ses principales préoccupations qui irrigueront les œuvres à venir. C’est d’ailleurs étonnant qu’il ait fallu attendre 2023 (2022 chez les anglophones) pour bénéficier d’une traduction. Cela vient sans doute de son histoire particulièrement sombre et de son manque d’ampleur comparé à Nausicaä de la Vallée du Vent auquel il ressemble par de multiples aspects. La négociation des droits a apparemment été complexe, le studio Ghibli refusant par exemple qu’il soit publié en France par un éditeur de manga.
Etant source d’inspiration de nombreux classiques de Miyazaki, Le voyage de Shuna donne forcément une impression de déjà-vu. Les emonogatari sont plus froids que les mangas dans la narration, et la tournure légendaire engendre des personnages un peu stéréotypés, loin du récit fouillé et épique de Nausicaä de la Vallée du Vent. Néanmoins, sans atteindre l’excellence de ses opus suivants, j’étais content de retrouver le Miyazaki des débuts que je préfère aux Miyazaki tardifs. S’il ne faut pas espérer tomber sur un chef d’œuvre oublié, c’est un ouvrage agréable aux superbes illustrations qui ravira les amateurs du réalisateur.


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