samedi 3 mai 2025

Carnet de bord 26/04/2025-02/05/2025



Films vus en compagnie
Johnny Guitar de Nicholas Ray (1954, Johnny Guitare)
En prévision de l’arrivée prochaine d’une gare de train, Vienna a acquis un terrain dans une petite ville d’Arizona et ouvert un saloon contre l’avis des notables locaux, en particulier du riche John McIvers et d’Emma Small. Elle accueille régulièrement la bande de Dancin’ Kid, quatre individus accusés de tous les maux alors qu’ils affirment s’occuper uniquement de leur mine d’argent. A la demande de Vienna, un musicien goguenard nommé Johnny Guitar a en outre débarqué, suscitant l’hostilité de Dancin’ Kid. Quand la diligence est attaquée par des bandits masqués, Emma Small blâme immédiatement Dancin’ Kid et McIvers ordonne à Vienna de fermer son établissement dans les vingt-quatre heures.

Johnny Guitar est tiré d’un roman de Roy Chanslor dont les droits furent achetés par Joan Crawford. Elle les vendit à Republic Pictures, un studio spécialisé dans le western situé dans le haut du panier de la Poverty Row, à condition d’en être la star. La réalisation fut confiée à Nicholas Ray, qui avait quitté la RKO et entretenait une liaison avec Crawford. Emma devait être incarnée par Claire Trevor mais elle n’était pas disponible et Mercedes McCambridge fut engagée. La relation entre Crawford et McCambridge fut exécrable. Crawford se sentait menacée par cette femme plus jeune (elle avait 48 ans, un âge avancé pour une vedette hollywoodienne ; McCambridge avait 38 ans, à l’instar de Sterling Hayden) et était sorti un temps avec le mari de McCambridge. Celle-ci avait de son côté des problèmes d’alcoolisme qui contribuèrent à aggraver les tensions. Tandis que Johnny Guitar devait être centré sur les personnages masculins comme son titre l’indique, Crawford réclama des scènes supplémentaires et Philip Yordan fut appelé à la rescousse pour modifier le scénario. Il s’appuya sur la rivalité entre Crawford et McCambridge pour faire de Johnny Guitar un exemple rare de western opposant deux femmes fortes, avec des hommes relégués au rôle de spectateurs.
Difficile de savoir ce qu’aurait donné Johnny Guitar sans les exigences de Crawford. En l’état, le résultat est exceptionnel, un des plus beaux westerns du cinéma classique hollywoodien. Crawford et McCambridge bouffent l’écran, parfaitement épaulés par les habituels seconds couteaux du genre : Ernest Borgnine pré-Marty (1955), John Carradine, Royal Dano, Ward Bond… Même Sterling Hayden, acteur généralement monolithique au panel limité, est superbement exploité (il avait toutefois détesté le tournage et refusait d’en parler). La chanson Johnny Guitar, composé pour le film et interprétée par Peggy Lee, ajoute une touche de mélancolie qui renforce le propos. On peut aussi apprécier le sous-texte politique osé en plein maccarthysme, avec ces habitants haineux qui calomnient sans preuve, extirpent de fausses accusations et lynchent des innocents. Il est d’ailleurs cocasse de remarquer en leader de la foule Ward Bond, un conservateur réac qui, selon Philip Yordan, pensait jouer un gars sympathique.

光陰的故事 [Guang yin de gu shi] de Yi Chang, I-Chen Ko, Te-chen Tao & Edward Yang (1982, In Our Time)
In Our Time regroupe quatre segments autonomes sur la vie quotidienne à Taïwan dans les années 50 à 80 :
La tête de petit dragon de Tao Te-chen : Dans les années 50, Hsiao-mao, un garçon fan de dinosaures, est brimé par ses parents qui lui préfèrent son frère.
Désirs d’Edward Yang : Dans les années 60, une ado connait ses premières règles et s’amourache de l’étudiant qui loue une chambre dans la maison de sa mère.
La grenouille sauteuse de Ko I-chen : Dans les années 70, un étudiant essaye de persuader ses camarades de le laisser représenter l’école dans une compétition de natation.
Dîtes-moi votre nom de Yi Chang : Dans les années 80, un couple vient d’emménager dans un nouvel appartement. Alors que son épouse est partie au travail, le mari se retrouve bloqué sur le palier en slip et sans sa clé.
Pour relancer une production nationale en berne après les fastes années 60, le Central Motion Picture Corporation (CMPC), un organisme d’état au service de la dictature, décida de financer un long métrage à petit budget de quatre sketches délégués à des metteurs en scène prometteurs, avec des comédien·ne·s majoritairement non professionnel·le·s. Axés sur la réalité de tous les jours, ils montraient l’évolution de l’île à quatre périodes différentes, soulignant un progrès technologique qui convainquit le producteur Ming Che de l’intérêt du projet. In Our Time marqua le coup d’envoi du Nouveau Cinéma Taïwanais et le début de la carrière d’Edward Yang au cinéma. Les trois autres coréalisateurs n’eurent pas le même succès et disparurent des radars avec le déclin du Nouveau Cinéma Taïwanais à la fin des années 80.
Les quatre segments sont inégaux. Le meilleur est sans conteste Désirs d’Edward Yang, qui traite avec subtilité des premiers émois d’une adolescente. J’ai aimé également La tête de petit dragon, avec une ambiance un peu triste et une séquence de rêve amusante, bien qu’on ne comprenne pas vraiment pourquoi tout le monde s’acharne sur Hsiao-mao. La grenouille sauteuse et Dîtes-moi votre nom, situés davantage dans le registre comique, sont plus anecdotiques sans être désagréables. Au final, In Our Time mérite le coup d’œil.
A noter une erreur que m’a signalée une amie sur le titre chinois de la jaquette de l’édition Spectrum Films avec un mauvais copier/coller, 光陰故事 devenant 光陰故事.


Låt den rätte komma in de Tomas Alfredson (2008, Morse)
En 1982, Oskar habite seul avec sa mère dans les faubourgs de Stockholm. C’est un garçon renfermé et solitaire, harcelé à son école par trois sales gosses. Il voudrait se venger et s’imagine les poignardant dans la cour devant son immeuble. Il est surpris par Eli, une jeune fille déconcertante qui vient d’arriver dans le quartier avec un homme qui semble être son père. C’est en fait une vampire accompagnée de sa goule, contrainte de tuer des pauvres gens pour récupérer sa dose de sang. Elle se lie avec Oskar, peu habitué à recevoir l’attention d’un enfant de son âge.

Je n’avais pas revu Morse depuis sa sortie en France en février 2009. C’est une adaptation d’un roman de John Ajvide Lindqvist paru en Suède en 2004, qui abordait des thèmes difficiles comme l'intimidation, la drogue, le vol, la pédophilie, la prostitution ou l'assassinat. Pour le passage sur grand écran, Tomas Alfredson édulcora le récit pour se concentrer sur la relation entre Oskar et Eli dans une banlieue populaire. Ne voulant pas alourdir ni dévier son propos, il évacua totalement la pédophilie de la goule d’Eli, ce qui est une bonne chose je pense, rendant ce personnage tragi-comique plutôt que détestable. Cela donne une jolie variation du film de vampires qui change des clichés et dépeint avec finesse les malheurs d’Oskar.


Miséricorde d’Alain Guiraudie (2024)
Jérémie retourne dans son village natal de l’Aveyron pour assister à l’enterrement de son ancien mentor, le boulanger Jean-Pierre Rigal. Sa veuve lui offre de dormir chez elle pour une nuit, il accepte puis s’incruste, se baladant dans les environs en renouant avec de vieilles connaissances et en sympathisant avec le curé. Le fils des Rigal, Vincent, ex-meilleur pote de Jérémie, n’apprécie pas qu’il traîne autour de sa mère et le pousse violemment à partir. Jérémie refuse et la situation s’envenime.

Miséricorde, numéro 1 au top 2024 des Cahiers du cinéma, est vaguement inspiré de Rabalaïre d’Alain Guiraudie publié en 2021. L’histoire est étrange, Alain Guiraudie ne fournit pas les motivations des protagonistes, on les regarde évoluer sans savoir les raisons de leurs actes. Jérémie suscite le désir des autres sans forcément le souhaiter, plusieurs scènes se déroulent entre chien et loup, et le rêve finit par se mélanger avec la réalité. Il y a également un humour à froid qui surgit sans prévenir, avec un curé bonhomme ou un duo de gendarmes terre-à-terre. Le résultat est curieux, assez unique en son genre, bien servi par une distribution originale menée par Félix Kysyl dans son premier rôle important. C’est mon second Alain Guiraudie après L'inconnu du lac (2013), cela m’incite à explorer le reste de sa filmographie.


Little Women de George Cukor (1933, Les quatre filles du docteur March)
Durant la guerre de Sécession, Mme March s’occupe seule de ses quatre filles pendant que son mari aide sur le front. L’aîné Meg envie la riche famille chez qui elle travaille ; Jo, le garçon manqué, est libre et impertinente ; Amy est précieuse et coquette ; Beth, la benjamine, est timide, gentille et douce. Jo se lie d’amitié avec Laurie, le petit-fils de leur voisin, qui s’intègre rapidement dans la maisonnée. Jo voudrait que leur bonheur en commun dure toujours et voit d’un mauvais œil la romance entre Meg et John Brooke, le précepteur de Laurie.

Ce Little Women de 1933 est la plus ancienne adaptation cinématographique survivante (celles de 1917 et 1918 étant perdues), menée par une Katharine Hepburn peu expérimentée en Jo. C’est son quatrième long métrage, il obtint un grand succès et la fit connaitre auprès du grand public. Si elle dégage déjà énergie et charisme, son jeu n’est pas encore parfaitement maîtrisé. Jo étant censée avoir 15 ans au début du récit, Hepburn force un côté enfantin guère crédible du haut de ses 26 ans. Même souci pour Amy qui a normalement 12 ans quand s’ouvre le livre, incarnée par une Joan Bennett de 23 ans enceinte (détail dissimulé par d’amples costumes et des cadrages adéquats)… C’est un problème récurrent dans les transpositions de Little Women mais je l’ai trouvé ici plus flagrant que dans la version de 2019 qui commençait vers la fin et multipliait les flash-backs. La principale modification par rapport au texte de Louisa May Alcott est l’absence de dissensions entre les quatre sœurs, le scénario se focalisant sur l’harmonie familiale et le parcours de Jo, à l’inverse de Greta Gerwig qui insistait sur les tensions et s’attardait sur le périple d’Amy en Europe. De mémoire et bien que mon visionnage remonte, c’est la version de 1994 de Gillian Armstrong que j’ai préférée, plus dynamique et conflictuelle que celle de 1933, tout en étant plus fidèle au roman dans son développement que celle de 2019.


La diosa arrodillada de Roberto Gavaldón (1947, La déesse agenouillée)
Antonio est marié à Elena, une riche bourgeoise à la santé fragile. Il entretient en secret une aventure avec Raquel, une chanteuse de cabaret. Pris de remords, il rompt pour se consacrer à son épouse. Celle-ci lui demande pour leur anniversaire de mariage de lui offrir une statue. Antonio tombe sur un marbre modelé à partir du corps de Raquel qu’il achète immédiatement et qu’Elena installe au milieu de leur jardin. Ayant sous les yeux en permanence le symbole de son désir et de sa faute, Antonio décide d’agir pour régler définitivement son dilemme.

La diosa arrodillada est un mélodrame noirisant osé pour l’époque, que ce soit dans la représentation explicite de l’adultère, à travers la statue de nue réaliste ou par les costumes extravagants et sexy de Raquel, interprétée par la diva Maria Félix connue pour sa forte personnalité et objet de nombreux scandales (dont une liaison tumultueuse avec une directrice de cabaret française). Elle est accompagnée d’Arturo de Córdova en Antonio, encore une fois dans un rôle de séducteur volage ; de Rosario Granados en Elena ; et de Fortunio Bonanova en associé de Raquel, un acteur mexicain coutumier du cinéma hollywoodien (vu notamment dans Citizen Kane (1941), Double Indemnity (1944) ou Kiss Me Deadly (1955)). Comme d’habitude chez Roberto Gavaldón, la mort plane et la tragédie semble inéluctable. L’aspect mélodramatique est davantage présent que dans En la palma de tu mano et j’ai moins accroché. Cela reste solide dans le genre, du niveau des équivalents hollywoodiens de série A.


Films vus seuls
Santo y Blue Demon contra el Dr. Frankenstein de Miguel M. Delgado (1974, Santo and Blue Demon vs. Dr. Frankenstein)
Un docteur fou nommé Irving Frankenstein enlève des femmes et tente d’échanger leurs cerveaux. Il espère ainsi découvrir un moyen de ressusciter son épouse atteinte d’un cancer et cryogénisée. Ses essais échouent, il renvoie les corps zombifiés en ville pour terroriser les braves citoyens. Il souhaite en outre créer un surhomme en greffant le cerveau de Santo sur un colosse et ordonne à ses sbires de l’attirer dans un piège en kidnappant son amie Alicia. Alertés par sa police de sa disparition, Santo et Blue Demon se lancent à sa recherche.

Le duo Guillermo Calderón/Miguel M. Delgado ne s’est pas fatigué pour la trame de Santo y Blue Demon contra el Dr. Frankenstein, repompant allègrement celle de leur avant-dernier Santo en commun, Santo vs. la hija de Frankenstein (1972). Il est toutefois moins fun en dépit de la collaboration de Blue Demon. C’est très statique, y compris au cours des deux longs combats de catch en équipe (dix minutes chacun), filmés en plan fixe de loin dans un studio. Alicia est incarnée par Sasha Montenegro, déjà aperçue dans Asesinos de Otros Mundos (1973), Santo contra la magia negra (1973) et Anónimo mortal (1975), qui se spécialisa ensuite dans le cine de ficheras, un sous-genre de la sexploitation, et dans les comédies sexy. On retrouve par ailleurs l’éternel Carlos Suárez. Grâce à la critique de Dave Wilt, j’ai enfin capté la raison de sa présence quasi-systématique dans les Santo : c’était le manager de Santo.


丹下左膳 濡れ燕一刀流 [Tange Sazen Nuretsubame ittô-ryû] de Sadatsugu Matsuda (1961, Tange Sazen and the Princess)
La restauration du sanctuaire de Nikkô Tôshô-gû est normalement confié à un riche clan afin de l’affaiblir en drainant ses ressources mais cette année, de façon inattendue, c’est tombé sur le pauvre clan Yagyu. Le pot qui était censé mener à des fonds d’urgence s’étant révélé vide, ils doivent trouver d’autres sources de financement. Ils reçoivent l’aide du seigneur Bessho, en réalité un filou qui compte piquer dans la caisse puis les accuser. Genzaburô Yagyu, le frère cadet des Yagyu, a vent de ses manigances et essaye de contrecarrer ses plans. Par l’intermédiaire du voleur Yokichi, Bessho engage Tange Sazen pour éliminer Genzaburô.

Ce quatrième Tange Sazen avec Ryûtarô Ôtomo est une variation du premier où les Yagyu constatent dès le départ que leur pot ne contient aucun trésor, les obligeant à procéder différemment. Cet épisode est moins léger et dynamique que les précédents, Tange Sazen se prenant d’affection pour une aveugle et récoltant de l’argent pour la soigner. Yumiko Hasegawa récupère le rôle d’Ofuji qu’elle avait perdu dans le troisième volet, Hashizô Ôkawa interprète à nouveau Genzaburô, Isao Yamagata est cette fois l’honnête chef des Yagyu… Rien de neuf, pas désagréable sans plus.


Lelíček ve službách Sherlocka Holmesa de Karel Lamač (1932, Lelicek au service de Sherlock Holmes)
Par peur des anarchistes, le roi Fernando XXIII de Portorico n’ose se montrer depuis un an et la population commence à gronder. Son premier ministre demande au fameux Sherlock Holmes de dégoter un double du souverain qui se substituerait à lui pour les célébrations publiques. Le détective recrute à Prague un Tchèque perclus de dettes appelé Lelíček, un homme joyeux qui ne prend pas sa mission au sérieux. Il plait cependant beaucoup à la reine, qui pense que son mari s'est amendé et ignore qu’elle fricote avec un remplaçant.

Vlasta Burian fut un comique tchèque extrêmement populaire dans les années 30. Il avait de multiples cordes à son arc et pousse deux fois la chansonnette dans Lelíček ve službách Sherlocka Holmesa. Son humour gentil et simple était bâti sur l’improvisation et la parodie. Venu du théâtre, il travailla régulièrement avec le prolifique Karel Lamač et avec Martin Fric, un acteur/réalisateur qui incarne ici Sherlock Holmes. Ce même Martin Fric joue également dans la version française de Lelíček ve službách Sherlocka Holmesa intitulée Le roi bis (1932), avec Pierre Bertin en Fernando XXII/Lelíček. La reine est interprétée par une jeune Lída Baarová de 18 ans dans une de ses premières apparitions. Elle restera dans l’Histoire comme la maîtresse de Joseph Goebbels durant deux ans, affaire qui faillit causer le divorce du ministre de la propagande et nécessita l’intervention directe de Hitler pour empêcher de ternir la réputation de son subordonné.
Le scénario est inspiré du Prisonnier de Zenda, un classique livre d'aventures d'Anthony Hope qui avait déjà été porté à l’écran à plusieurs reprises. Sans être exceptionnel, avec un humour daté, Lelíček ve službách Sherlocka Holmesa demeure distrayant. Il y a quelques passages amusants et un rythme assez soutenu, je ne me suis pas ennuyé.


魔界転生 [Makai tenshô] de Kinji Fukasaku (1981, Samouraï réincarnation)
En 1638 dans le domaine de Shimabara (actuelle préfecture de Nagasaki), les troupes du shôgun écrasent une révolte de chrétiens qui protestent contre leur oppression. 37 000 rebelles et sympathisants sont décapités. Son esprit ne pouvant reposer en paix, leur leader, Shirô Amakusa, renaît tel un phénix. Il renie Dieu qui ne les a pas protégés malgré leurs prières et conclut un pacte avec le Diable. Doté de pouvoirs maléfiques, il ressuscite quatre compagnons de route pour l’aider à renverser le shôgunat : Gracia Hosokawa, une chrétienne assassinée sur ordre de son époux ; Miyamoto Musashi qui rêve d’affronter Munenori Yagyû, le maître d’armes du shôgun ; Inshun Hôzôin, un moine pervers expert en maniement de la lance ; et Kirimaru, un ninja de Iga qui souhaite se venger du massacre de son village. Ils vont trouver sur leur route Jubei Yagyû, le fils de Munenori Yagyû, bien décidé à les arrêter.

Makai tenshô est initialement un roman de Futaro Yamada publié en feuilleton dans le magazine Osaka Shimbun entre décembre 1964 et février 1965. Fidèle à ses habitudes, l’auteur y détourne des personnages et des évènements historiques pour les intégrer à une intrigue fantastique. Une réimpression en 1978 remit le livre sur le devant de la scène et Kadokawa Pictures finança une adaptation distribuée par la Toei. Ce fut la première d’une longue liste de transpositions au cinéma (1981 et remake en 2003), au théâtre (en 1981, 2006, 2009, 2011, 2018 et 2021), en manga (cinq séries différentes), en vidéo en 1996, en animé en 1998 et en jeu vidéo en 2003.
Makai tenshô était une grosse production avec un casting impressionnant comprenant Sonny Chiba, Ken Ogata, Tomisaburô Wakayama, Tetsurô Tanba ou Hiroyuki Sanada. La direction devait revenir à Hideo Gosha mais il fut arrêté pour possession illégale d’armes à feu et Haruki Kadokawa se rabattit sur Kinji Fukasaku. Celui-ci révisa amplement le script en diminuant la violence et le sexe (conservant un peu de nudité gratuite, faut pas déconner) et en se focalisant sur les duels. Le film eut un énorme succès, avec un public majoritairement féminin à l’inverse des attentes.
Je n’ai jamais été fan ni de Kinji Fukasaku ni de Sonny Chiba et Samouraï réincarnation n’était donc pas pour moi en théorie. Cela s’est confirmé dans l’ensemble. Si l’idée est originale, avec un mélange historico-fantastique intéressant sur le papier, Kinji Fukasaku n’en fait pas grand-chose. On saute rapidement d’une scène à une autre, les protagonistes manquent de profondeur, le méchant queer est raté et j’aurais sans doute tout oublié dans quelques semaines.
A noter une boulette sur le titre japonais indiqué sur le wikipedia français, erreur propagée sur des sites francophones. Ils ont mis 魔界天正 à la place de 魔界転生 en utilisant les kanjis 天正 pour Tenshô (nom d’une ère allant de 1573 à 1592) au lieu de 転生 qui signifie réincarnation. A leur décharge, 転生 devrait se lire tensei (prononciation courante de comme dans sensei), je ne sais pas pourquoi les distributeurs ont transcrit ça en tenshô en rômaji.


Séries
古見さんは、コミュ症です。 [Komi-san wa, komyushō desu.] de Ayumu Watanabe (2021-2022, Komi cherche ses mots), 24 épisodes
A la rentrée, tout le monde dans la classe de seconde 1-1 est subjugué par la grâce et l’élégance d’une des élèves, Shôko Komi. Elle semble être d’une beauté froide, ne répond pas aux sollicitations et personne n’ose l’aborder. En réalité, elle souffre d’un grave trouble de la communication et elle est incapable de parler aux gens. Seul Hitohito Tadano, un garçon ordinaire ignoré par ses camarades, remarque son embarras et réussit à discuter avec elle par écrit. Il va l’aider à se faire des ami·e·s et à s’ouvrir aux autres.

Komi-san wa, komyushō desu. est au départ un manga paru dans le magazine Weekly Shōnen Sunday entre mai 2016 et janvier 2025, soit 37 volumes en format livre au total. Il a été adapté en TV drama en 2021 puis en animé en deux saisons de douze épisodes en 2021 et 2022. Ces 24 épisodes couvrent l’année de seconde, correspondant à environ dix tomes (le manga se terminant quant à lui à la fin du lycée). Ils comportent une grosse dizaine de personnages importants et un paquet de secondaires, sans créer une impression de surcharge ou d’insuffisance de caractérisation. Le duo principal composé de Komi et de Hitohito, souvent accompagnés de Najimi, un·e exubérant·e lycéen·ne non binaire, est sympathique. L’humour est gentil, la romance est légère, on suit leurs aventures avec plaisir bien qu’il n’y ait pas une progression narrative délirante, il faut le reconnaître. La saison 1 pose les bases de l’univers et présente les membres essentiels du groupe ; la saison 2 développe les relations et introduit des nouveaux amusants (en particulier Makoto Katai, une sorte d’équivalent masculin de Komi à l’apparence de brute). C’est en résumé une série distrayante qui me donne envie de récupérer le manga à l’occasion. Dommage que l’animé se soit arrêté là sans aller jusqu'au bout.


Livres
Rouge bonbon de Kiriko Nananan (Casterman, collection « Sakka », 2008), 160 p.
Rouge bonbon consiste en dix-huit brefs récits de quelques pages centrés sur la vie quotidienne et les relations avec les hommes de Japonaises du début des années 2000. Narrés à la première personne, ils montrent le point de vue de femmes modernes tantôt cyniques, tantôt romantiques, dépressives, résignées ou sereines, dans un style introspectif avec un graphisme simple et épuré.

Rouge bonbon a été publié au Japon en 2007. C’est mon troisième manga de Kiriko Nananan après Blue et Strawberry shortcakes. Le premier proposait une longue histoire, le second s’attardait sur quatre héroïnes. Rouge bonbon multiplie au contraire les saynètes, l’autrice se contentant d’esquisser une idée avant de passer à une autre. Cela lui permet de dresser un portrait de la société japonaise selon l’angle d’adultes entre 20 et 40 ans majoritairement déçues de l’amour, qui n’arrivent pas à atteindre le bonheur et à se fixer. Il s’en dégage un certain désenchantement et une mélancolie pas désagréable. Le format ultra-court empêche toutefois de vraiment entrer dedans et le dessin est encore plus rudimentaire que dans les deux titres précédents. Il manque d’un fil conducteur, il aurait sans doute mieux valu se concentrer sur un nombre réduit de situations à l’image de Strawberry shortcakes que j’avais trouvé meilleur.


L’imposture scientifique en dix leçons de Michel de Pracontal (Points, collection « Points Sciences », 2005), 382 p.
En dix leçons, le journaliste scientifique Michel de Pracontal brosse un panorama des différents types de tromperie autour de la science, que ce soient les élucubrations de charlatans ou les fraudes de chercheurs.
Leçon 1. Les Vraies Questions, tu poseras
Leçon 2. Ton créneau, avec soin tu choisiras
Leçon 3. La science officielle, tu conspueras
Leçon 4. Des médias, avec art tu useras
Leçon 5. Les faits, tu manipuleras
Leçon 6. L’Histoire, tu réécriras
Leçon 7. Dieu et ses saints, tu honoreras
Leçon 8. Esprit et démons, tu invoqueras
Leçon 9. Des pièges du langage, tu abuseras
Leçon 10. Réfutable, point ne seras
L'imposture scientifique en dix leçons de 2005 est une réactualisation d’une première édition de 1986. Les critiques lui avaient reproché à l’époque d’être trop généraliste dans sa définition de l’imposture, de mettre sur le même plan des canulars, des erreurs, des manipulations, des fraudes et des supercheries. On saute ainsi des tours de passe-passe d’Uri Geller, un escroc qui prétendait tordre des petites cuillères par la pensée, aux créationnistes, à l’affaire du sang contaminé, à l’homme de Piltdown, à la médium Eusapia Palladino, à la controverse de Baltimore ou aux travaux de Jacques Benveniste sur la mémoire de l’eau. Certains exemples n’occupent qu’un paragraphe, d’autres un chapitre entier.
C’est parfois confus et j’aurais des difficultés à résumer les leçons, bien qu’elles gagnent en cohésion au fur et à mesure. Michel de Pracontal emprunte régulièrement à Stephen Jay Gould dans des versions abrégées qui ne m’ont pas appris grand-chose étant donné que j’avais lu les textes d’origine. J’ai par ailleurs moyennement aimé l’humour lourdingue de l’auteur, avec des jeux de mots vaseux qui finissent par desservir le discours (du genre caser le mot « hémorroïdes » à chaque chapitre avec des notes de bas de pages insistantes sur le sujet, super…). Pour autant, en dépit de ces défauts, L'imposture scientifique en dix leçons est globalement plaisant, c’est de la bonne vulgarisation qui aide à comprendre le périmètre et les limites de la science. La leçon sur la découverte du virus du sida et l’affaire du sang contaminé, que Michel de Pracontal a couvert en tant que journaliste, est passionnante. Il réussit en outre à expliquer simplement des théories complexes, ce qui est appréciable quand on aborde des trucs comme la physique quantique. C’est donc un ouvrage recommandable dans l’ensemble, plus agréable que Alterscience : Postures, dogmes, idéologies d’Alexandre Moatti qui portait sur un thème similaire.


Revues
Mad Movies n°392 – Avril 2025
Plusieurs dossiers et entretiens intéressants dans ce numéro de Mad Movies. Je passe rapidement sur les interviews de Gareth Evans et Xavier Gens en prévision de la sortie de Ravages, les previews ce n’est pas mon truc. Cela leur fournit en revanche une excuse pour consacrer un gros article aux films d’action des années 2020, avec pas mal de titres que je ne connaissais pas, et réaliser une interview de Cynthia Rothrock, probablement la seule star d’action occidentale ayant travaillé dans le cinéma hongkongais de la grande époque des années 80. A part ça, le toujours excellent Fabien Mauro propose un dossier sur Kamen Rider pour l’édition par Roboto Films d’un coffret Blu-Ray regroupant huit Kamen Rider diffusés au Japon dans les salles entre 1972 à 1988. Et Mad Movies profite de la ressortie en 4K restaurée de Requiem for a Dream (2000) pour discuter avec Darren Aronofsky.

Du côté des nouveautés, je suis intrigué par Gazer (2024) sur une femme atteinte de troubles de la perception du temps ; par Revelations (2025), le dernier Yeon Sang-ho qui semble avoir retrouvé un peu de la niaque du Dernier train pour Busan après une série d’opus décevants ; et par Dead Talents Society (2024), une comédie taïwanaise horrifique dispo sur Netflix. En patrimoine, un article sur Dark Night of the Scarecrow (1981) me permet de noter quelques téléfilms américains des années 70-80 dont je n’avais jamais entendu parler comme Don't Be Afraid of the Dark (1973), Bad Ronald (1974), Satan's Triangle (1975) et surtout Someone's Watching Me! (1978) d’un certain John Carpenter. Je remarque également le film d’animation L’histoire du soldat (1984), assez expérimental.


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