samedi 5 juillet 2025

Carnet de bord 28/06/2025-04/07/2025



Films vus en compagnie
War of the Worlds de Steven Spielberg (2005, La guerre des mondes)
Père divorcé, Ray Ferrier s’occupe peu de sa fille de dix ans Rachel et de son fils ado Robbie. Son ex-femme les lui confie pour le week-end et il se dispute rapidement avec eux. A la suite d’un étrange orage, la foudre s’abat une vingtaine de fois au même endroit sur la chaussée, le matériel électrique tombe en panne et les voitures arrêtent de fonctionner. Quand Ray voit des tripodes géants surgir du sol et massacrer la population, il attrape Rachel et Robbie, vole un des rares véhicules en état de marche et fuit la ville au plus vite.

J’avais un bon souvenir de ce War of the Worlds, un Spielberg particulièrement sombre curieusement mal noté sur imdb. Il faut dire qu’il s’écarte sensiblement des spectacles familiaux qui ont fait la réputation du réalisateur, on est loin des gentils aliens de Rencontres du troisième type (1977) et Rachel risque de rester davantage traumatisée que la petite Gertie dans E.T., l'extra-terrestre (1982).
Bien que le projet date au départ des années 90, on sent que le 11 septembre 2001 est passé par là, que ce soit dans la façon de filmer centrée sur un individu qui essaye de survivre dans le flot des destructions ; dans l’imagerie, avec la poussière qui recouvre Tom Cruise dans New York dévastée ; ou dans les thèmes, avec la menace terroriste extérieure qui frappe les Etats-Unis. Ray n’est pas un héros typique à la Cruise, il est brinquebalé par les évènements, prêt à commettre des actes terribles pour sauver ses enfants. Son comportement n’est franchement pas glorieux, sauf vers la fin où le naturel cruisien revient au galop. Le nihilisme de l’ensemble est également étonnant, avec une vision sinistre de l’humanité encline à verser dans l’individualisme devant les difficultés et un prochain auquel il ne faut pas se fier. Excepté un happy-end totalement hors de propos, c’est un excellent Spielberg sans temps mort, qui nous plonge promptement dans l’action et ne relâche pas la tension jusqu’à la conclusion.


عفريتة هانم [Afrita hanem] de Henry Barakat & Yusuf Maloof (1949, Mademoiselle diable)
Chanteur pauvre dans un théâtre, Asfour est épris de la fille du propriétaire, Aliya, une danseuse vénale qui sort avec un riche homme d’affaires. Pour gagner le droit de l’épouser, son père exige une dot conséquente. Persuadé que l’argent ferait son bonheur, Asfour est envoyé dans une grotte isolée par un vieillard qui lui promet une surprise. Il y découvre une lampe mystérieuse contenant un éfrit, Kahramana, qui fut follement amoureuse de lui au cours d’une incarnation antérieure. Aveugle à la cupidité d’Aliya, Asfour tente de parvenir à son objectif grâce aux pouvoirs d’une Kahramana récalcitrante à le précipiter dans les bras d’une autre.

Le cinéma égyptien connut son âge d’or des années 40 aux années 60, considéré comme la troisième plus grosse industrie cinématographique dans le monde durant les années 50. La comédie musicale était très populaire et comprenait d’immenses stars, notamment Farid al-Atrash (Asfour), un chanteur/compositeur qui joua dans 31 longs métrages. Il fut accompagné à sept reprises par Samia Gamal (Kahramana), une danseuse du ventre célèbre en France pour son rôle dans Ali Baba et les Quarante Voleurs (1954) avec Fernandel ; et à neuf reprises par Ismail Yasin (le meilleur ami d’Asfour), un acteur comique au jeu outrancier.
Afrita hanem est ponctué de nombreuses chansons, toutes interprétées par Farid al-Atrash dans un style traditionnel, à l’exception du dernier numéro occidentalisé. Samia Gamal offre deux belles séquences de danse. Son personnage mutin de Kahramana est charmant et on se demande ce qu’elle trouve au benêt Asfour. Le côté merveilleux fonctionne bien et l’humour aurait pu être amusant sans la présence d’Ismail Yasin. Il est digne des pires sidekicks grimaçants américains des années 30 à 60 type Red Skelton, chacune de ses apparitions est douloureuse et il m’a fortement gâché le plaisir. C’est dommage car le reste était sympathique.


Simone Barbès ou la Vertu de Marie-Claude Treilhou (1980)
Simone Barbès est ouvreuse dans un cinéma pornographique. Avec sa collègue Martine, elle conduit une faune hétéroclite vers une des quatre salles. Après le travail, elle se rend dans une boîte de nuit lesbienne pour y retrouver une copine serveuse. Lassée de poireauter, elle finit par rentrer chez elle à pied. Un homme lui propose de monter dans sa voiture pour la raccompagner. Elle accepte à condition de prendre le volant.

Simone Barbès ou la Vertu est une production Diagonale, un groupe autogéré fondé par Paul Vecchiali en 1976. Véritable école de cinéma par la pratique, chaque metteur·euse en scène collaborait aux œuvres des autres, avec une mutualisation des techniciens et des comédiens. Ancienne assistante de Vecchiali, Marie-Claude Treilhou passa à la réalisation en 1979 avec Simone Barbès ou la Vertu (sorti en février 1980), en s’inspirant des petits boulots qu’elle avait exercés et des clubs gays qu’elle avait fréquentés. Son film se divise en trois segments. Il n’y a pas vraiment d’action ou d’intrigue, on s’attarde sur des lieux marginaux peuplés de gens seuls en quête d’excitation et de compagnie. Les interprètes sont majoritairement amateurs ou inexpérimentés et ça se sent. Le bar lesbien a été reconstitué car cela coutait moins cher que de tourner dans un vrai.
Il n’est pas étonnant que Marie-Claude Treilhou se soit orientée vers le documentaire après Simone Barbès ou la Vertu, on discerne une volonté de montrer sans jugement une certaine réalité. En parallèle, une théâtralité se dégage, parfois forcée, à la fois dans les interventions des spectateurs du cinéma porno (dont Noël Simsolo avec un accent belge improbable) ou dans le nightclub où se succèdent numéros chantés et combat chorégraphié. Le troisième acte est le plus émouvant, une discussion en plan fixe entre Simone et le mec qui l’a invité dans sa voiture. On s’attend à un vieux pervers, c’est en fait un pauvre type renvoyé à sa solitude et bouleversé d’avoir soudain quelqu’un qui lui parle. On distingue dans les trois parties une inversion des schémas habituels, un female gaze de Simone qui porte un regard critique sur ce qui l’entoure. Assez déroutant, sonnant un peu faux à cause d’une qualité de jeu variable, Simone Barbès ou la Vertu se bonifie avec le recul (a contrario du film d’esbrouffe qui impressionne mais qu’on oublie aussitôt) et sa restauration de 2018 lui a redonné une visibilité méritée.
Ceci n’est pas un film d’Aki Kaurismäki


Flåklypa Grand Prix d’Ivo Caprino (1975, Grand Prix Pignon-sur-Roc)
Théodore Lajante est inventeur et réparateur de vélos. Il vit en haut d’un pic à côté du village de Pignon-sur-Roc avec ses amis Sonny l’oiseau et Ludvig la taupe. Ils mènent une existence simple et frugale, loin du tumulte de la civilisation, jusqu’au jour où Théodore apprend la réussite de son ancien apprenti Rodolphe Coupejarret, devenu champion automobile. Il comprend que Rodolphe lui a volé les plans d’un prototype qu’il avait conçu et décide de le défier dans le prochain Grand Prix. Mais comment trouver les fonds indispensables à la fabrication de son véhicule Il Tempo Gigante ?

N.B. : j’ai employé les noms français pour cette critique, qui tentent de retranscrire les jeux de mots de la VO.
Je n’avais jamais entendu parler de Grand Prix Pignon-sur-Roc, un des plus grands succès de l’Histoire du cinéma norvégien (5,5 millions d’entrées, probablement en incluant les ressorties, dans un pays qui comportait à l’époque 4 millions d’habitants), diffusé chaque année à Noël à la télévision et traduit dans quatorze langues. C’est l’unique long métrage entièrement en stop-motion d’Ivo Caprino, qui a nécessité trois ans et demi de travail pour une équipe de cinq personnes. Le récit est inspiré de l’univers du dessinateur Kjell Aukrust créé pour le magazine Mannskapsavisa dans les années 50. Les protagonistes et la voiture Il Tempo Gigante avaient au départ été pensés pour une émission de télévision. En raison du refus des responsables de la chaîne NRK de poursuivre le projet, Ivo Caprino utilisa le matériel pour construire un film de 90 minutes.
Techniquement, Grand Prix Pignon-sur-Roc est époustouflant. Difficile de croire qu’il date de 1975, il égale aisément des productions récentes de Wes Anderson ou des séries comme Rilakkuma et Kaoru. Les décors sont splendides, il y a plein de détails rigolos et la course qui occupe le dernier tiers est extrêmement dynamique. Ce n’est en revanche pas le cas de la première heure molle du genou, avec des clichés racistes et sexistes et un faux rythme. Ces soucis n’empêchent pas Grand Prix Pignon-sur-Roc d’être incontournable pour les amateurs d’animation et on ne peut que noter les similarités avec les Wallace & Gromit de Nick Park.


Parents de Bob Balaban (1989)
Dans les années 50, la famille Laemle du Massachusetts s’installe dans une paisible banlieue californienne. Le père, Nick, vient d’être muté à un poste important dans une usine de produits chimiques. La mère, Lily, est femme au foyer pendant que Michael, dix ans, arrive dans sa nouvelle école. C’est un enfant introverti et angoissé, qui fait régulièrement des cauchemars et craint Nick. Il regarde ses parents comme des bêtes curieuses et estime qu’ils lui cachent des choses, se demandant pourquoi ils s’acharnent à vouloir lui faire manger de la viande à tous les repas.

Parents est la première réalisation sur grand écran du comédien Bob Balaban. Mélange de satire et d’horreur, il s’inscrit dans un sous-genre populaire des années 70-80, le suburban gothic, qui montre de manière inquiétante les travers des banlieues américaines proprettes de la côte Ouest, à l’exemple de The Stepford Wives (1975), Halloween (1978) et Halloween II (1981), Les griffes de la nuit (1984), Blue Velvet (1986), Les banlieusards (1989) ou Edward aux mains d'argent (1990). La particularité de Parents est d’adopter le point de vue de Michael, un gosse flippé qui ne comprend pas le monde des adultes, parfaitement interprété par Bryan Madorsky dans son unique apparition au cinéma. Randy Quaid (Nick) est effrayant sans en rajouter et s’insère dans une atmosphère creepy portée par des séquences de rêves étranges et un rythme bizarre. Il ne se passe pas grand-chose, tout repose sur l’ambiance et on risque de rapidement s’ennuyer si on n’entre pas dans le trip. Ce n’est pas mon cas et j’ai plutôt accroché.


Films vus seuls
La furia de los karatecas d’Alfredo B. Crevenna (1983, The Fury of the Karate Experts)
Santo est invité au mariage de la fille de la jungle avec le prince Ching-Ka organisé par la reine Kungyan. La sœur de celle-ci, Queria, veut absolument empêcher la cérémonie et se venger de Santo. Grâce au pouvoir de la pierre de l’étoile qu’elle a réussi à conserver, elle parvient à hypnotiser Santo et à le mettre sous son contrôle. Elle l’envoie pour enlever la fille de la jungle.

La furia de los karatecas est la suite directe de El puño de la muerte (1982). C’est surtout le 51e et ultime Santo, qui décéda d’une crise cardiaque en 1984 à l’âge de 66 ans. Au début des années 80, les films de luchadores étaient passés de mode et ne déplaçaient plus les foules. La furia de los karatecas est d’ailleurs essentiellement une fantasy centrée sur le décolleté de la danseuse de cabaret Grace Renat. Contrairement à ce qu’annonce le titre et l’affiche, aucun karatéka à l’horizon, on a juste droit à quelques mouvements de kung-fu de la part de l’acteur qui incarne Ching-Ka. Le scénario est anarchique, ça part dans tous les sens sans un brin de cohérence, avec une conclusion inattendue (spoiler pour les deux du fond qui lisent cette critique : quasiment tout le monde meurt et la fille de la jungle se barre). Seul détail amusant : Santo sous emprise tape sur une femme et des gens sans défense. C’est maigre et c’est une triste fin pour le luchador le plus populaire de l’Histoire.
A noter l’apparition de René Cardona en scientifique qui traine dans le coin.


楳図かずお恐怖劇場 デスメイク [Umezu Kazuo Kyôfu gekijô - Desumeiku] de Taichi Itô (2005, Kazuo Umezu's Horror Theater: Death Make)
Dans un immeuble désaffecté dans lequel aurait disparu des fillettes il y a longtemps, le concepteur d’un site internet spécialisé dans le paranormal a réuni un groupe de médiums. L’objectif est de passer la nuit dans le lieu en espérant apercevoir des fantômes. Malheureusement pour eux, c’est un autre genre de créature qui les attend.

Compte tenu du synopsis tiré d’une brève nouvelle de Kazuo Umezu parue en 1985 (incluse dans le recueil Le vœu maudit publié par Le lézard noir) et des premières séquences multipliant les perspectives à travers des caméras de surveillance ou un caméscope, je me doutais de la présence au scénario de Chiaki Konaka. La mise en place est classique et efficace, avec des esquisses d’entités inquiétantes et un climat oppressant. Cela fonctionne environ une demi-heure jusqu’à ce qu’on commence à voir le monstre. Et là, à l’instar du troisième volet Madara no shôjo, la pauvreté des images de synthèse ruine la tension, avec en bonus un dénouement complètement raté. De façon générale, cette anthologie Kazuo Umezu's Horror Theater pâtit de son manque de moyens dans l’adaptation de textes horrifiques explicites qui auraient nécessité un minimum de budget. C’est au total décevant malgré quelques bonnes idées et un ou deux épisodes regardables.


Verwehte Spuren de Veit Harlan (1938, Sans laisser de traces)
Deux Canadiennes, Madeleine Lawrence et sa fille Séraphine, sont à Paris en 1867 durant l’exposition universelle. Madeleine, fiévreuse, aimerait se rendre à leur hôtel mais elles sont bloquées par la foule. Le docteur Fernand Morot, qui remarque leurs ennuis, leur ouvre un passage. Arrivées à destination, elles apprennent qu’il n’y a aucune réservation à leur nom. Madeleine parvient à obtenir une chambre de bonne pendant que Séraphine suit Fernand dans un autre établissement. Un malheur survient au cours de la nuit. Le lendemain matin, quand Séraphine vient retrouver sa mère, elle s’est volatilisée et personne ne semble se souvenir de sa présence.

Verwehte Spuren est la transposition d’une pièce radiophonique inspirée d’une légende urbaine, le mythe de la chambre d'hôtel disparue. Créée par des articles de journaux américains de la fin du XIXe siècle, elle est centrée sur les mésaventures d'une jeune Anglaise dont la mère aurait disparu lors de l’exposition universelle de 1889 à Paris. De multiples adaptations ont été produites, plus (Si Paris m’était conté en 1950) ou moins (Une femme disparaît en 1938) fidèle au récit initial.
L’originalité de cette version allemande, outre de se situer en 1867 et non en 1889, est de donner un coup d’avance au spectateur par rapport à l’héroïne. On sait en effet dès le départ que c’est un complot, que Séraphine n’est pas folle et qu’on lui cache la vérité. Sachant que Verwehte Spuren emploie la fine fleur du cinéma nazi, avec Veit Harlan à la mise en scène (célèbre pour son infame Juif Süss (1940)) et la star Kristina Söderbaum en Séraphine, cette modification tueuse de suspense et de tension devait avoir sa raison d’être. Était-ce pour souligner les obligations des autorités contraintes de prendre des décisions difficiles face à l’adversité et pour le bien-être du peuple ? Quoi qu’il en soit, Verwehte Spuren est bien inférieur à Si Paris m’était conté. Sans être désagréable, la révélation précoce de la manipulation le handicape fortement. Par ailleurs, Kristina Söderbaum a un jeu trop larmoyant et n’a pas le charisme de Jean Simmons, tandis que Philip Dorn en Fernand n’a pas la classe de Dirk Bogarde. L’aspect propagandiste est en tout cas très léger, on ne pourrait pas se douter a priori que c’est un film nazi et il y a même de la nudité gratuite (féminine évidemment…).


影の車 [Kage no kuruma] de Yoshitarô Nomura (1970, The Shadow Within)
Yukio Hamajima travaille dans une agence de voyages de Tôkyô. Marié depuis dix ans, sans enfant, la relation avec son épouse est froide, elle est toujours occupée par ses activités et ils se parlent à peine. Il croise par hasard dans le bus une vieille connaissance de sa ville natale, Yasuko Yoshida, avec qui il renoue rapidement. Veuve avec un garçon de six ans à charge nommé Ken, elle vend des polices d’assurance et vit dans une maison en banlieue. Ils entament une liaison, Yukio promettant de divorcer d’ici peu. Il est toutefois mal à l’aise avec Ken, le soupçonnant de lui en vouloir. Il se rappelle qu’à un âge identique il haïssait profondément l’amant de sa mère et souhaitait sa mort.

Kage no kuruma est le titre d’une compilation de nouvelles de Seichô Matsumoto publiées en 1961 dans le magazine littéraire féminin Fujinkôron. Le long métrage est tiré de Senzai kôkei (= vision potentielle) et est réalisé par Yoshitarô Nomura, un fan de l'auteur qui porta à l'écran une douzaine de ses œuvres (dont les fameux Le vase de sable (1974) et L’été du démon (1978)). Si l’interprétation est impeccable, que ce soit Shima Iwashita en Yasuko, Gô Katô en Yukio ou le gosse Hisato Okamoto qui eut une brève carrière, l’intrigue est poussive. On sent que le matériel d’origine était insuffisant, on met une bonne heure à entrer dans le vif du sujet, avec des redondances sur fond de drame sentimental et de musique sirupeuse. Un format court aurait été plus adéquat, à l’image des adaptations conçues pour deux séries télévisées d’une trentaine de minutes en 1971 et 1988.


Darna de Joel Lamangan (1991)
La jeune Narda rencontre un ange de lumière qui lui donne une perle magique. En l’avalant, elle devient Darna, une super-héroïne invincible capable de voler. Quinze ans plus tard, Narda est journaliste et se transforme en Darna pour bastonner les méchants. Dominico Lipolico, un suppôt de Satan, est envoyé aux Philippines pour subtiliser la perle. Pour l’épauler dans sa tâche, il pervertit un top model en la changeant en méduse avec des cheveux-serpents et une institutrice qui se métamorphose en manananggal.

Darna est une super-héroïne de comics philippins créée en 1950 par Mars Ravelo au scénario et Nestor Redondo aux dessins. C’est un mélange de Superman pour les pouvoirs (elle bosse même dans un quotidien et porte des lunettes façon Clark Kent) et de Wonder Woman pour le look. Personnage extrêmement populaire aux Philippines, ses aventures ont été transposées à de multiples reprises sur grand écran. Cette version de 1991, la treizième, est dirigée par Joel Lamangan, un ancien acteur et activiste qui expose fréquemment dans ses œuvres les problèmes sociaux et politiques des Philippines. Ce n’est pas le cas ici. Darna est incarnée par Nanette Medved, une figure atypique du cinéma philippin. Russo-chinoise née à Hawaï, elle arriva dans le pays enfant et y fut mannequin puis actrice. Mariée à un millionnaire en 1999, elle stoppa sa carrière et devint une femme d’affaires philanthrope combattant la pollution aux plastiques.
Darna n’est objectivement pas bon. Outre des effets spéciaux catastrophiques, l’histoire est complètement crétine et remplie d’incohérences. S’ajoute à cela un humour douloureux et des comédiens souvent à la ramasse. Pour autant, on ne s’ennuie pas. Les péripéties s’enchaînent sans queue ni tête, avec un total premier degré rafraichissant. On se rapproche ainsi de l’essence du nanar, un mauvais film sympathique, en faisant la part des choses entre ce qui relève des spécificités du cinéma philippin de l’époque et ce qui est risible en soi quel que soit le contexte.


Livres
L’histoire de Hong Kiltong de Ho Kyun (Gallimard, collection « Connaissance de l'Orient », 1994), 126 p.
Au XVe siècle durant le règne de Sejong le Grand, le ministre Hong a un fils avec une de ses servantes. A cause des principes confucianistes rigides de la société, l'illégitimité de cet enfant nommé Hong Kiltong l'empêche d’appeler son père « père » et de passer des concours prestigieux en dépit de ses grandes qualités. Echappant à une tentative d’assassinat sur ordre d’une concubine de son géniteur, Hong Kiltong décide de partir sur les routes et devient chef d’un groupe de bandits. Il sème rapidement la panique chez les fonctionnaires corrompus, qui demandent au roi de l’arrêter.

N'y connaissant rien à la littérature coréenne, autant commencer par ce qui est considéré comme le premier roman coréen. Il fut en effet écrit par un politicien coréen lettré de bonne famille vers 1608-1613, en alphabet coréen (le hangeul, créé au XVe siècle mais dont l’emploi ne se généralisa qu'au XXe siècle aux dépens de l’alphabet chinois), et se déroulait en Corée et non en Chine. L’inspiration reste néanmoins chinoise, une biographie pseudo-historique d’un héros remarquable, bourrée de valeurs confucéennes et influencée par le classique Au bord de l'eau pour sa partie centrale.
La différence fondamentale de L’histoire de Hong Kiltong avec Au bord de l'eau est sa brièveté, une soixantaine de pages en gros caractères. Le texte est accompagné d’une passionnante préface du traducteur Patrick Maurus. Il contextualise l’ouvrage pour permettre au lecteur de comprendre sa conception et son importance. Il a ajouté par ailleurs de nombreuses notes de bas de pages (renvoyées à la fin du bouquin), qui aident à mieux appréhender les subtilités culturelles de cette période. Je recommande donc cette édition Gallimard de la collection « Connaissance de l'Orient » pour apprécier pleinement ce court roman débordant d’aventures et de surnaturel.

Histoires singulières du quartier de Terajima de Yu Takita (Seuil, collection « Mangaself », 2006), 204 p.
Histoires singulières du quartier de Terajima se divise en trois parties :
• Un tiers est consacré à deux récits semi-autobiographiques situés dans le quartier de Terajima, dans le Tôkyô des années 30-40 où Yu Takita a grandi.
• Une trentaine de pages illustrent les déconvenues tragi-comiques d’un samouraï pauvre obligé de se plier aux desiderata de ses supérieurs.
• La dernière moitié enchaîne les saynètes sur le Japon des années 60-70, sur la peine de mort, les villes bondées, les manifestations étudiantes ou des amoureux agaçants dans une ambiance souvent absurde.
Pionnier du watakushi manga (manga du moi fortement autobiographique), Yu Takita s’est fait connaitre avec ses Histoires singulières du quartier de Terajima focalisées sur un garçon appelé Kiyoshi pendant la guerre. Elles parurent de 1968 à 1970 dans le magazine Garo puis dans Bessatsu Shôsetsu Shinchô en 1972. Doté d’un style simple et d’un humour proche du rakugo, Yu Takita fut apprécié des intellectuels et collabora à des revues littéraires.
Contrairement à ce qu’indique le titre du recueil, seules les deux premières nouvelles sont tirées des Histoires singulières du quartier de Terajima. Les autres proviennent de diverses publications non précisées. Le travail éditorial est inexistant, aucune source, contextualisation ou présentation de Yu Takita n’est fournie. C’est d’autant plus regrettable que c’est une œuvre difficile d’accès. J’avoue être resté dubitatif, ne comprenant pas où l’auteur voulait en venir. Le dessin est quelconque, avec des personnages aux traits disharmonieux. Je n’ai pas été emballé par cette plongée dans l’univers de Yu Takita.

Politiques du flamant rose – Vers une écologie du sauvage de Raphaël Mathevet & Arnaud Béchet (Wildproject, collection « Le monde qui vient », 2020), 142 p.
Les politiques de protection du flamant rose en Camargue sont généralement considérées comme un succès, ayant permis de préserver une espèce en danger de disparition en France. Politiques du flamant rose revient sur ce long programme à travers trois chapitres :
• Un aperçu de la biologie du flamant rose ;
• L’histoire de sa présence en Camargue des années 60 à nos jours en soulignant les impacts de sa protection sur le paysage, les conflits qui ont surgi et les questionnements sur le modèle de conservation employé ;
• Une réflexion sur les moyens utilisés et sur l’opération de renaturation (= actions d'aménagement destinées à réduire le degré d'anthropisation) en cours qui bouleverse les traditions.
Politiques du flamant rose est le fruit du travail de deux chercheurs : Raphaël Mathevet, écologue et géographe au CNRS ; et Arnaud Béchet, écologue à la Tour du Valat, un centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes dans lequel il dirige une étude sur les flamants roses. Les deux premières parties sont globalement descriptives et abordables, permettant d’appréhender la situation et la façon dont les flamants ont été secourus par un interventionnisme incessant et une refonte artificielle des salins, en collaboration avec la compagnie chargée d’exploiter les marais. La troisième partie est théorique, portant sur le réensauvagement. Les auteurs prônent une politique plus naturelle, laissant la place aux perturbations cycliques et aux altérations des milieux qu’elles vont entrainer. Les conséquences seront probablement négatives sur la nidification des flamants en Camargue et sont susceptibles d’engendrer une résistance des populations locales, qui ont fait du flamant l’emblème de la région. Selon la perspective évolutionniste en revanche, un retour à la nature devrait éviter de rendre les oiseaux dépendant des constructions humaines et renforcer leur résistance aux changements.
Tout en comprenant les arguments avancés, cette section m’a moins emballé, pénalisée par un style aride et des redondances. Je suis en outre dubitatif sur l’idée de ne stigmatiser personne et d’écouter tous les acteurs. Si c’est un bel objectif sur le papier, je ne suis pas persuadé qu’une entreprise accepte sans contrainte de perdre les lieux qu’elle exploite, que des politiciens sacrifient un symbole à court terme pour un bénéfice à long terme, ou que des particuliers consentent à modifier leurs habitudes décennales au profit d’un concept encore expérimental. J’espère cependant me tromper. Politiques du flamant rose propose donc une réflexion intéressante mais tombe dans une complexité excessive dans le troisième chapitre qui constitue sa raison d’être. Il perd ainsi le grand public qu’il souhaitait convaincre, qui risque fort de décrocher alors qu’il avait été parfaitement amené sur le terrain par les limpides analyses des deux premières parties.


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