samedi 11 mai 2024

Carnet de bord 04/05/2024-10/05/2024



Films vus en compagnie
Penelope de Mark Palansky (2006, Pénélope)
A cause d’une malédiction lancée contre un de leurs ancêtres, la fille de la famille Wilhern, Penelope, naît avec un groin de cochon à la place du nez. Afin d’éviter un scandale, sa mère Jessica simule son décès et Penelope grandit cloitrée dans son manoir. Selon la légende, seul un mariage avec un noble lèvera le sortilège. Jessica organise donc régulièrement des rencontres entre Penelope et les fils de l’aristocratie, qui se soldent systématiquement par un échec cuisant et par une clause de confidentialité. Un jour, un prétendant s’échappe sans avoir signé de papier et divulgue dans la presse l’existence de Penelope.

Penelope est le premier film de Reese Witherspoon en tant que productrice pour sa compagnie Type A Films. Fan du scénario de Leslie Caveny, elle est à l’origine du projet et a été chercher Christina Ricci pour incarner Penelope. On est dans une logique de conte moderne, avec un récit qui prône la tolérance et l’acceptation de soi. Si c’est globalement sympathique, avec des images de synthèse moches, Peter Dinklage en journaliste fouineur et une apparition de Nick Frost, les quinze dernières minutes viennent malheureusement gâcher la fête avec un dénouement hollywoodien à contresens du discours véhiculé précédemment. Dommage.


子猫物語 [Koneko monogatari] de Masanori Hata (1986, Les aventures de Chatran)
Sept chatons naissent dans une ferme et explorent leur environnement. L’un d’entre eux, Chatran, est aventureux et aime jouer à cache-cache avec son ami le chien Pûsuke. Il se planque dans une caisse au bord de la rivière mais elle est emportée par le courant. Echoué sur une berge marécageuse, Chatran va devoir parcourir un long chemin rempli d’obstacles pour rentrer chez lui. Il pourra compter sur l’aide de Pûsuke qui l’a suivi.

Complètement oublié de nos jours, Les aventures de Chatran fut n°1 du box-office japonais en 1986 et obtint aux Etats-Unis les meilleures recettes de l'Histoire pour un long métrage japonais, record inégalé jusqu’au carton de Godzilla Minus One en 2023. Il fut traduit dans une multitude de langues, avec une version française diffusée dans les salles en 1988 et à la télévision en 1994. Dès sa sortie, des polémiques surgirent avec des allégations de cruauté animale. Aucun organisme de protection des animaux n’ayant été autorisé sur le tournage, on reste dans le domaine des suppositions. Il est toutefois difficilement concevable aux vues des images (Chatran dans une caisse au milieu de rapides, Pûsuke se battant avec un ours noir du Japon, Chatran attaqué par une horde de goélands en furie, Chatran tombant d’une falaise dans une mer déchaînée…) que tous les chats et chiens aient survécu. Le réalisateur fut accusé par son propre frère de nombreuses exactions, avec une vivisection pour faire pleurer un chaton, deux porcelets cousus l’un à l’autre, une anesthésie mortelle.... Masanori Hata étant un fameux documentariste animalier au Japon, apprécié des enfants et créateur d’une réserve de protection des animaux, ce sujet continue à susciter des débats.
La production s’est étalée sur quatre ans, il y a incontestablement un énorme travail effectué, les animaux sont mignons et attachants et la musique kitsch de Ryûichi Sakamoto trotte longtemps dans la tête. Impossible pourtant de ne pas s’épouvanter des situations intolérables vécues par les pauvres bêtes. Je l’ai regardé dans le montage japonais, l’américain ayant sensiblement remanié l’intrigue et coupé les passages choquants.


Bowling Saturne de Patricia Mazuy (2022)
A la mort de leur père, Guillaume demande à son demi-frère Armand de gérer le bowling familial. Répudié et abandonné dans sa jeunesse, celui-ci éprouve un fort ressentiment et refuse dans un premier temps. Il revient sur sa décision dans un esprit de revanche et commence à réorganiser l’endroit à sa façon, se mettant à dos les anciens camarades chasseurs de son géniteur décédé. Sexuellement frustré, Armand utilise par ailleurs le bowling comme terrain de drague. Un soir, il séduit une femme et ils montent à son domicile. Alors qu’ils sont en train de faire l’amour, la nature violente d’Armand explose soudain.

Bowling Saturne est un mélange de film noir et de tragédie grecque entre frères (préfigurée dès le titre puisque le dieu Saturne mangea ses enfants) sur fond de masculinité toxique. Sous des dehors stylisés, certaines images sont extrêmement dures, dont la scène clé où Armand bascule. La violence étant au centre de son récit, Patricia Mazuy n’a pas voulu la traiter hors champ, elle montre l’agression dans toute son horreur. Les interprètes sont excellents, que ce soit Arieh Worthalter en Guillaume ou Achille Reggiani (fils de Patricia Mazuy et petit-fils de Serge Reggiani) en Armand. L’ambiance est oppressante, renforcée par la pénombre du bowling, l’appartement postcolonial du père laissé en état, la menace diffuse portée par les chasseurs hostiles et la musique du groupe de drone doom Wyatt E.. Cela m’a donné envie de me pencher sur l’œuvre de Patricia Mazuy.


Pearl de Ti West (2022)
En 1918, Pearl habite avec ses parents dans une ferme à la campagne. Son mari est à la guerre, elle se morfond entre sa mère autoritaire et son père paraplégique. En pleine épidémie de grippe espagnole, elle a à peine le droit de se rendre en ville pour acheter des médicaments. Elle va parfois au cinéma avec l’argent des courses et rêve devant les girls. Sa belle-sœur lui annonce un jour qu’un concours de danse va avoir lieu à l’église. Pearl espère le gagner pour échapper à sa triste vie mais la situation va dégénérer.

Pearl est la préquelle de X (2022), réalisée dans la foulée en Nouvelle-Zélande dans les mêmes décors, durant le covid avec l’équipe d’Avatar : La Voie de l'eau (2022) qui était en pause à ce moment. Elle est coproduite et coscénarisée par Mia Goth, l’actrice principale. Initialement échafaudée pour apporter de la profondeur à la méchante de X, Ti West et Mia Goth transformèrent leur histoire en long métrage avec l’aval du studio A24. Ils ne furent cependant pas autorisés à tourner en noir et blanc et s’orientèrent à la place vers des couleurs saturées. Si X évoquait le slasher et Massacre à la tronçonneuse (1974), Pearl tire davantage vers un mélodrame effroyable mâtiné de Magicien d’Oz. On peut ainsi s’amuser à chercher les clins d’œil, avec Pearl/Dorothy qui rencontre successivement un épouvantail dans un champ, un projectionniste/magicien dans une cabine de projection verte, son père en fauteuil/homme de fer et sa belle-sœur à bouclettes peureuse/lion.
Pearl est très différent de X. Plus encore que Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (1962) suggéré par Ti West à Mia Goth, cela m’a fait penser à Hush...Hush, Sweet Charlotte (1964). Simple voire simpliste dans le fond, prévisible (préquelle oblige), Pearl se démarque par sa superbe photographie et la performance de Mia Goth, avec un climat étouffant et de réjouissantes références à l’âge d’or hollywoodien. Un objet intéressant qui se distingue du tout-venant de la production horrifique américaine.

Films vus seuls
Shake, Rattle & Roll de Ishmael Bernal, Emmanuel H. Borlaza & Peque Gallaga (1984)
Shake, Rattle & Roll est composé de trois récits :
• Dans Baso (Glass) d’Emmanuel H. Borlaza, trois ami⸱e⸱s utilisent un ouija dans une vieille bâtisse. Iels sont immédiatement possédé⸱e⸱s par des esprits tourmentés et revivent des évènements du passé.
Pridyider (Fridge) de Ishmael Bernal se soucie d’une famille qui a récemment emménagé dans une maison au loyer étonnamment bas. La cuisine est équipée, notamment par un inquiétant réfrigérateur.
Manananggal de Peque Gallaga plonge dans les légendes philippines. Un garçon joue une sérénade à une voisine sans savoir que c’est un manananggal, une créature maléfique capable de séparer son corps en deux.
Shake, Rattle & Roll marque les débuts de la plus longue série du cinéma d’Asie du Sud-Est, seize anthologies horrifiques entre 1984 et 2023. Le titre provient d’une chanson américaine homonyme des années 50 bien que je ne voie pas le rapport. Comme souvent dans ce type de film, les segments ont un charme variable. Baso est assez mauvais, c’est mou et sans aucune tension. Pridyider est d’une autre stature. Malgré un pitch complètement crétin et un budget minuscule, il instaure une atmosphère angoissante et creepy. Il a d’ailleurs été remaké en long métrage en 2012. Manananggal présente quant à lui un aspect folklorique original, avec un monstre fun et une intrigue sommaire et efficace. Shake, Rattle & Roll est donc une curiosité pour amateur de cinéma de genre alternatif fauché, avec une pellicule fortement dégradée qui mériterait une restauration.


黒の切り札 [Kuro no kirifuda] d’Umetsugu Inoue (1964, Black Trump Card)
Fukazawa est un influent chef d’entreprise véreux allié au crime organisé. Faute de pouvoir le mettre en prison, trois de ses victimes s’associent pour le faire tomber. Sous la houlette du cerveau de l’affaire, Negoro, le fils d’un suicidé et un yakuza dont le boss a été assassiné par les sbires de Fukazawa récoltent des preuves de corruption, quitte à user de moyens illégaux. Ils les envoient ensuite au procureur Osaki, un ancien camarade de fac de Negoro. Cela ne suffit pas et Negoro décide de durcir le jeu.

Kuro no kirifuda est le dixième volet de la série noire de la Daiei, le sixième avec Jirô Tamiya dans le rôle principal, le cinquième avec Yukiko Fuji et le quatrième avec Ken Utsui, ici à l’arrière-plan. C’est mon ultime épisode, le onzième ayant déjà été traité auparavant. Il est réalisé par Umetsugu Inoue, qui installe son habituelle ambiance cool et jazzy. Le trio mené par Jirô Tamiya est sympathique et on suit avec plaisir leur machination contre leur ennemi commun. Sans atteindre le niveau de La voiture d'essai noire (1962) ou du Train super-express noir (1964), Kuro no kirifuda se situe dans le haut du panier de cette série noire.


雪の喪章 [Yuki no moshô] de Kenji Misumi (1964, Brassard noir dans la neige)
En 1930 à Kanazawa, Taeko épouse le fils de la famille Sayama, Kunio. Le père vient de décéder et Kunio récupère la gestion de l’atelier de confection de feuilles d’or. Issu de l’université de Tôkyô, il semble différent des hommes de l’ancien temps et Taeko est fière de lui. Elle déchante rapidement en découvrant qu’il a une liaison avec Sei, leur servante, sous l’œil bienveillant de la mère de Kunio. Lorsqu’elle apprend que Sei est enceinte, elle tente de se suicider et est sauvée in extremis par leur employé Guntaro.

Yuki no moshô est adapté d’un roman de Mitsuko Mizuashi, native de Kanazawa qui déménagea à Ôsaka après la ruine de son père fabriquant de feuilles d’or. L’histoire débute à la manière d’un mélo stéréotypé avec la femme trompée, son mari lâche, la concubine et l’amant. Au bout d’une demi-heure, on s’écarte doucement du manichéisme attendu et des chemins balisés. Le malheur frappe indistinctement les protagonistes, chacun se débrouille comme iel peut avec ses forces et ses faiblesses. Misumi manie son sujet avec sobriété et ne se complait pas dans le pathos. Bien qu’il se focalise sur Taeko, il ne perd jamais de vue les trois autres personnages. La photographie de Setsuo Kobayashi, collaborateur récurrent de Kon Ichikawa, est superbe, utilisant magnifiquement les paysages enneigés.
Le casting est solide, porté par Ayako Wakao en Taeko. Remarquée à dix-huit ans par la Daiei, elle eut une riche carrière dans ce studio, jouant dans La rue de la honte (1956) de Mizoguchi ou Herbes flottantes (1959) d’Ozu. Elle fut l’actrice fétiche de Yasuzô Masumura, apparaissant notamment dans La femme de Seisaku (1965) et Irezumi (1966). Quand la Daiei fit faillite en 1971, elle se tourna sur la télévision et le théâtre. Yuki no moshô constitue en tout cas une belle surprise, qui confirme les qualités dramatiques de Misumi.


白子屋駒子 [Shirokoya Komako] de Kenji Misumi (1960, Komako, fille unique de la maison Shiroko)
Komako est la fille unique d’un grossiste en bois fortuné. Sa famille voudrait l’unir à un bon parti mais elle est éprise en secret de leur commis Chûhachi. Aidée par une servante, les deux tourtereaux finissent par consommer leur liaison au risque de leur condamnation, les relations entre gens de classes différentes étant interdites. Tandis que Komako s’apprête à demander à son père d’adopter Chûhachi pour les autoriser à se marier, ce dernier est accusé de meurtre et envoyé en prison par les manigances de l’amant de la mère de Komako.

Shirokoya Komako est à l’origine un roman de Seiichi Funabashi paru en feuilleton en 1960-1961 et transposé par la Daiei alors que la publication était encore en cours. Le canevas est tiré d’un fait-divers, l’incident de Shirakoya, où une femme nommée Okuma tenta d’égorger son époux Matashirô avec l’assistance de sa domestique. Le film de Misumi s’éloigne sensiblement de l’affaire (en accord avec le livre ?), la transformant en mélodrame centré sur l’amour entre Komako et Chûhachi plutôt que sur le complot pour tuer Matashirô. Le résultat est pénible, avec une intrigue extrêmement mince cousue de fil blanc, un couple principal qui pleurniche continuellement et une voleuse improbable qui surgit à intervalles réguliers en deus ex machina. C’est pourtant scénarisé par Teinosuke Kinugasa, qu’on a connu plus inspiré.


Century of Cinema: 100 years of Japanese cinema / 日本映画の百年 (Nihon eiga no hyaku nen) de Nagisa Ôshima (1995, Cent ans de cinéma japonais)
100 years of Japanese cinema est un des ultimes travaux de Nagisa Ôshima, une commande du British Film Institute pour sa série Century of Cinema consacrée aux cent ans du cinéma dans divers pays. Pour cet épisode, Ôshima dresse un bref portrait du cinéma japonais de ses débuts aux années 90 à travers des photographies d’exploitation et des extraits de longs métrages. Il commente en offrant son point de vue subjectif.

J’ai eu vent de l’existence de ce documentaire dans l’ouvrage 100 ans de cinéma japonais et je l’ai regardé dans la foulée. Soyons clair, c’est mauvais et toute personne qui s’intéresse un peu à l’Histoire du cinéma japonais n’apprendra rien. Ôshima survole le sujet, néglige le rôle clé des studios qu’il abhorrait, met particulièrement en avant son œuvre et la Nouvelle vague dont il a été une figure majeure et oublie de mentionner ce qu’il n’apprécie pas. Les titres des films projetés ne sont pas précisés et on ne sait généralement pas ce qu’on est en train de voir à l’écran. A éviter.


千姫御殿 [Sen-hime goten] de Kenji Misumi (1960, Le palais de la princesse Sen)
La princesse Sen est la fille du shôgun Hidetada Tokugawa. Jeune veuve, elle habite avec sa suite dans un palais construit pour elle par son grand-père et mène une vie dissolue. De beaux hommes sont invités pour assouvir ses pulsions puis assassinés et jetés dans les marais autour de sa résidence. Les locaux protestent et le clan de son mari décédé lance une enquête en secret pour vérifier la réalité des rumeurs.

Sorti huit mois avant Shirokoya Komako, Sen-hime goten présente une distribution très similaire. Sen est incarnée par Fujiko Yamamoto, première miss Japon de l’Histoire en 1950, recrutée par la Daiei en 1953. Elle eut une carrière fulgurante, presque cent titres en dix ans. Elle fut fréquemment employée par Kon Ichikawa et Kenji Misumi, et un arrangement lui permit d’apparaître ponctuellement chez des compagnies concurrentes. En 1963, elle refusa son nouveau contrat qu’elle jugeait trop restrictif, provoquant la fureur du président de la Daiei, le mogul Masaichi Nagata. Jouant sur un accord signé entre les cinq grands studios japonais, il fit en sorte que Fujiko Yamamoto ne puisse être engagée ailleurs. Elle se rabattit sur la télévision et le théâtre et y rencontra un immense succès. Dans Sen-hime goten et Shirokoya Komako, elle n’est pas franchement convaincante, forçant sur le pathos. Côté masculin, ce n’est guère mieux, excepté Takashi Shimura en seigneur dans Sen-hime goten.
Si Sen-hime goten n’est pas aussi mauvais que Shirokoya Komako, c’est loin d’être formidable. Le montage est parfois lourdingue, notamment durant la scène d’amour entre Sen et son chevalier-servant, et le dernier tiers est longuet. Comme d’habitude c’est historiquement n’importe quoi et cela ne me gêne pas. En dépit de belles couleurs et de jolis costumes, on peut donc passer son chemin.


青葉城の鬼 [Aobajô no oni] de Kenji Misumi (1962, Le démon du chateau de Sendai)
Afin de consolider le pouvoir des Tokugawa, les conseillers du shogun souhaitent diviser les domaines et affaiblir les puissants daimyos. Ils s’arrangent pour que le seigneur Tsunamune Date du Sendai soit arrêté sous prétexte de débauche et remplacé par son fils de deux ans. Dans le clan Date, les dissensions surgissent entre les partisans de Tsunamune et les opportunistes menés par Hyôbu Date, l’oncle de Tsunamune. Kai Harada, un important vassal, perçoit la main du shogunat derrière ces manigances et sait qu’il faut agir dans la durée et avec précaution. Contre toute attente, il simule un soutien à Hyôbu.

Shûgorô Yamamoto est un romancier japonais célèbre en Occident pour les transpositions de ses œuvres par Kurosawa (Sanjuro (1962), Barberousse (1965) et Dodes’ka-den (1970)). Spécialiste de la fiction historique, critique de l’autorité avec une inclination pour les perdants, il écrivit Les sapins demeurent entre 1954 et 1958 pour réhabiliter Kai Harada, un traitre fameux au cœur de l’incident de Date en 1671. La tentative de destruction du clan Date par le shogunat est un évènement bien connu des Japonais, en particulier dans les années 50/60 où il était régulièrement traité sur petit et grand écran, par exemple dans Hatamoto taikutsu otoko (1958) ou indirectement dans Mito Kômon manyûki (1958).
Aobajô no oni fut assez logiquement la seule adaptation de Les sapins demeurent au cinéma. Difficile en effet de résumer plus de 1000 pages en un long métrage de 1h40, surtout quand on essaye de caser la majorité des personnages, quitte à les croiser deux minutes de-ci de-là (en comparaison, avec le même matériel, la série TV de 1970 comporte 52 épisodes de 45 minutes). Résultat, c’est excessivement dense, bavard et confus. On enchaîne les discussions entre courtisans, une bonne partie des protagonistes semble inutile et on se perd entre les sous-intrigues. Kazuo Hasegawa déroule dans son rôle classique de sage intègre contraint de masquer son jeu. Le reste du casting est noyé dans la masse, sauf peut-être Shigeru Amachi en rônin fourbe et cruel. Dans le style complots politiques en costume avec des myriades d’individus, je préfère largement les adaptations de Gu Long par Chor Yuen. On ne comprend pas tout mais au moins c’est fun et dynamique à l’inverse du compassé Aobajô no oni.


千羽鶴秘帖 [Senbazuru hichô] de Kenji Misumi (1959, Les carnets secrets de Senbazuru)
Alors qu’elle est en train de subtiliser un compas dans une resserre, Mitsue est surprise par une voleuse qui lui arrache l’article des mains et s’enfuit. Cette dernière est rapidement alpaguée par un troisième larron, Hanjiro, qui la dévalise puis se carapate avec le butin. L’objet au centre des attentions contient un secret permettant d’inculper le gouverneur Onuma, qui détourne de l’or à son profit. Si le but de Mitsue, fiancée à une victime d’Onuma, est clair, les intentions d’Hanjiro sont obscures, s’amusant des déconvenues de chacun.

Le scénario de Senbazuru hichô n’a d’original que le nom. Bien qu’il ne soit pas tiré d’un livre, il ressemble à des dizaines de films de l’époque, notamment aux Bored Hatamoto de la Toei et autres torimonochô (genre mélangeant la fiction historique à une enquête policière). Ces cycles étaient des véhicules à la gloire d’un acteur et c’est ici Raizô Ichikawa qui s’y colle. Plus jeune que les piliers comme Kazuo Hasegawa ou Utaemon Ichikawa, il injecte sa fougue et son impertinence avec un héros hâbleur et invincible, qui a toujours un coup d’avance sur ses adversaires. La trame est banale, bourrée d’incohérences, et ça ne tient la route que grâce au charisme de Raizô Ichikawa et à une sympathique méchante interprétée par Sachiko Hidari, la prostituée du Détroit de la faim (1965) de Tomu Uchida. C’était globalement distrayant et j’aurais sans doute tout oublié dans quelques jours.


Livres
La cité des hommes-de-fer - Chroniques de la lune rouge 4 de Jean-Pierre Fontana & Alain Paris (Fleuve noir, collection « Anticipation », 1987), 185 p.
Enlevé par un appareil volant juste avant que ses ennemis l’achèvent, Sarkô est emmené dans les îles des maîtres des hommes-de-fer. Une assemblée convoquée pour le juger lui annonce qu’il est coupable de la destruction d’une précieuse récolte de spores et d’avoir hâté l’éclosion des œufs des oiseaux-rom. Condamné à être soumis au traitement, il est enfermé dans une tour imprenable. Une nuit pourtant, la porte de sa cellule s’ouvre et son ami Joskren, qu’il avait perdu de vue depuis la traversée du fleuve Mazon, l’aide à s’évader.

On s’approche doucement de la conclusion dans ce quatrième volet des Chroniques de la lune rouge, où Sarkô est réuni à des compagnons qu’on pensait disparus. On retrouve le rythme haletant du Temple du dieu Mazon, avec des péripéties qui s’enchaînent sans temps mort sur fond d’intrigues politiques entre les seigneurs des îles. Il reste encore beaucoup de mystères en suspens et le dernier volume promet d’être trépidant.

Moomin et la comète de Tove Jansson (Le lézard noir, collection « Le petit lézard », 2008), 155 p.
Moomin et la comète est une BD qui comporte six histoires :
Les Moomins citoyens modèles : Réprimandés par un membre de la ligue « Citoyenneté et devoir », les Moomins veulent devenir respectables et cherchent des emplois.
Moomin et la comète : C’est la panique dans la vallée des Moomins car une comète va s’écraser d’ici peu.
Moomin et la queue en or : Pour soigner la queue de Moomin qui a perdu sa pilosité, maman Moomin utilise une vieille recette familiale. Le lendemain, la touffe a repoussé avec des poils en or et il devient célèbre.
L’hiver des Moomins : Tandis que les Moomins souhaitent hiberner, ils sont sans cesse dérangés par des visiteurs.
Moomin fait de la voile : Too-Ticki construit un bateau avec les Moomins. Ils embarquent ensuite pour une expédition en mer.
Cafouille est amoureux : Cafouille est trop timide pour avouer à Mymlan qu’il est amoureux d’elle. Moomin décide de le conseiller.
A une époque, je ne notais pas avec minutie les livres que je terminais et je doute par moment en piochant un bouquin dans ma bibliothèque. Ayant déjà lu La comète arrive et vu son adaptation animée japonaise de 1992, j’avais forcément quelques hésitations devant Moomin et la comète. Ce n’est heureusement pas une redite.
Je préfère les romans des Moomins à leurs bandes-dessinées, séries de strips qui se succèdent pour former de petits récits anecdotiques. Publiées dans le journal anglais The Evening News entre 1954 et 1975, elles ne développent pas autant les personnages et véhiculent moins de charme et de poésie. Tove Jansson ne s’y trompa pas : secondée par son frère Lars dès 1957, elle lui confia entièrement la direction des opérations en 1960 pour se concentrer sur ses romans. A l’instar des autres volumes, Moomin et la comète n’est pas désagréable mais j’en suis sorti légèrement déçu.

100 ans de cinéma japonais de Collectif (La Matinière, 2018), 272 p.
En 2018, pour fêter le 150e anniversaire du début de l’ère Meiji et le 160e anniversaire de l’ouverture des relations diplomatiques entre le Japon et la France, de nombreux évènements furent organisés en France. Parmi ceux-ci, la Cinémathèque française et la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) élaborèrent une rétrospective conjointe de 119 films tournés entre 1925 et 2018 intitulée « 100 ans de cinéma japonais ». Elle fut composée de quatre sections :
• « Le cinéma d’avant 1945 : naissance d’une industrie, éclosion d’une modernité » à La Cinémathèque française, 27 courts et longs métrages d’Orochi (1925) à La fille de l’usine de briques (1946).
• « La magie du 4K à travers les grands classiques » à la MCJP, 23 chefs d’œuvre restaurés de Rashômon (1950) à La ballade de Narayama (1983).
• « Une histoire insolite du cinéma japonais » à La Cinémathèque française, 32 opus oubliés de Les enfants de la ruche (1948) à Pistol Opera (2001).
• « Japon aujourd’hui » à la MCJP et à La Cinémathèque française, 35 productions récentes de Eureka (2001) à Hanalei Bay (2018) + House (1977) et Love Letter (1995).
Commençons par le point qui fâche : qu’est-ce que c’est que ce titre 100 ans de cinéma japonais pour une rétrospective lancée en 2018 ? Certes, avant 1918, le cinéma japonais n’était guère considéré par les intellectuels qui lui reprochaient son manque de modernité. Il n’empêche, il était déjà bien actif, la Nikkatsu fut créée en 1912 et, dans les années 10, la star Matsunosuke Onoe cartonnait sur les écrans. J’aurais pu accepter si le premier film projeté datait de 1918. Ce n’est pas le cas et je ne comprends pas d’où sortent ces 100 ans.
100 ans de cinéma japonais présente le souci habituel des ouvrages collectifs, soit une disparité dans la qualité des textes. Dans l’ensemble, c’est intéressant. J’ai apprécié l’approche historique d’un des principaux intervenants, Clément Rauger, qui n’est pas seulement le fils de et montre l’étendue de ses connaissances. Les critiques japonais sollicités sont également pertinents en général, fournissant des détails que j’ignorais parfois. C’est moins vrai de certains de leurs équivalents français assignés aux classiques, qui s’attardent sur la forme plutôt que sur le contexte et le fond, n’apportant pas grand-chose de neuf.
Sur les années 2000, excepté deux notes d’introduction assez vaines probablement extraites de dossiers de presse, 100 ans de cinéma japonais propose de brefs entretiens avec les réalisateur·rice·s. Au total, c’était une lecture plaisante qui nécessite selon moi une familiarité avec le cinéma japonais de patrimoine pour en profiter pleinement. J’ai vu pour ma part les trois-quarts des titres évoqués avant 2010 et environ un tiers après 2010. Je récupère ainsi une liste raisonnable de péloches à regarder pour les prochains mois. Si j’étais parti de zéro, cela aurait été plus compliqué et frustrant.

Darwin n'est pas celui qu'on croit – Idées reçues sur l'auteur de L'Origine des espèces de Patrick Tort (Le cavalier bleu, collection « Idées reçues », 2010), 188 p.
Patrick Tort, le fondateur de l’Institut Charles Darwin International, démonte une série d’idées reçues sur les travaux de Charles Darwin à travers quatre thèmes :
Le transformisme de Darwin : Patrick Tort souligne que la sélection naturelle est une théorie scientifique qui n’est pas uniquement une redite du lamarckisme. Elle ne tombe pas dans l’anthropomorphisme ni ne se limite au hasard, et Darwin n’a jamais écrit que l’homme descendait du singe.
Sélection naturelle et sélection sociale : il faut distinguer le darwinisme biologique, issu des livres de Darwin, du darwinisme social que d’autres ont inventé. Darwin n’a pas érigé en dogme la loi du plus fort, n’a pas transposé la logique capitaliste à la nature ni prôné l’eugénisme.
Le supérieur et l’inférieur : De la même manière, Darwin n’était ni raciste, ni esclavagiste, ni sexiste et n’avait rien contre les unions mixtes.
Religion, morale, évolution : Darwin n’était pas agnostique, il était athée.
Patrick Tort maîtrise visiblement son sujet et prend la peine de toujours revenir aux sources, citant largement les textes de Darwin. Les différents chapitres énoncent clairement leur problématique et démolissent indubitablement les clichés. Je ne saurais pourtant recommander ce bouquin en raison de son style complexe, alambiqué et péremptoire, avec des phrases faisant régulièrement plus de dix lignes et un vocabulaire très technique. J’avoue avoir du mal à savoir qui est le cœur de cible, trop difficile d’accès pour les néophytes qui gagneraient à mieux appréhender les thèses de Darwin, n’apportant rien de neuf pour les gens comme moi qui s’intéressent depuis longtemps à la biologie évolutionniste et au naturaliste britannique. Sur la vie de Darwin, je conseillerais The Kiwi's Egg: Charles Darwin and Natural Selection de David Quammen. Et sur ses théories, autant lire directement L'origine des espèces, dans la belle traduction complète et commentée de Thierry Hoquet, ou du Stephen Jay Gould, excellent vulgarisateur néo-darwiniste.



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