samedi 26 juillet 2025

Carnet de bord 19/07/2025-25/07/2025



Films vus en compagnie
Die Zürcher Verlobung de Helmut Käutner (1957, Rendez-vous à Zürich)
Juliane Thomas est une jeune écrivaine ambitieuse de Hambourg. Abandonnée par son amant, elle va se changer les idées chez son oncle dentiste à Berlin, où elle lui sert d’assistante. A cette occasion, elle croise deux hommes, le grincheux et alcoolique Büffel venu se faire arracher une dent, et son bel ami suisse le docteur Jean Berner. Juliane espère avoir une aventure avec ce dernier mais il repart rapidement à Zürich. Elle rédige un scénario romancé de cette rencontre, qu’elle envoie au studio Famosa Film. Elle est contactée et obtient une entrevue avec le fameux réalisateur Paul Frank, qui se révèle être Büffel.

Helmut Käutner fut un metteur en scène influent de l’Allemagne d’après-guerre. En 1954, il acquit une réputation mondiale avec le Prix international du festival de Cannes remporté par Le Dernier Pont. Ses comédies ne s’exportèrent en revanche pas et je n’avais jamais entendu parler de Rendez-vous à Zürich, adaptation d’un livre de Barbara Noack. Il comporte une distribution prestigieuse que ma méconnaissance du cinéma allemand m’empêche d’apprécier.
L’actrice principale, Liselotte Pulver (aperçue dans Un, deux, trois de Billy Wilder (1961)), est parfaite en affabulatrice indépendante et indécise. L’intrigue est plus libre que dans les équivalents hollywoodiens, il est clairement suggéré que les gens couchent hors mariage et ne se contentent pas d’aimables bisous. On se rapproche davantage des comédies screwball des années 30 que des gentilles comédies romantiques américaines des années 50. Le ton est enlevé, on ne s’ennuie pas et c’est globalement sympathique en dépit des différents love interest trop vieux, à croire qu’il n’y avait pas de star masculine de moins de 35 ans à l’époque.


Vi som går köksvägen de Gustaf Molander (1932, L'entrée de service)
Tenir ce blog ne m’empêche d’oublier que j’ai déjà vu certains films. J’ai ainsi regardé à nouveau Vi som går köksvägen, cette fois en compagnie. J’invite le lecteur à se reporter à ma critique d’août 2023.
J’ajouterai au second visionnage que j’ai été un peu sévère. Si ce n’est pas un chef d’œuvre, cela reste distrayant et les acteurices sont amusants bien qu’ils surjouent.


Bushman de David Schickele (1971)
A San Francisco en 1968, Gabriel, immigré nigérian, ne parvient pas à s’intégrer à la société américaine. Son visa arrive à expiration, il tente de trouver un boulot tout en multipliant les aventures avec des femmes noires ou blanches. Pour séduire, il joue de ses différences et se moque des clichés. Malgré la nostalgie de sa jeunesse qui l’assaille régulièrement, il ne souhaite pas rentrer dans un Nigéria dévasté par la guerre civile, où l’attendent son épouse et son enfant. Le tournage s’interrompt brusquement quand l’interprète de Gabriel, Paul Eyam Nzie Okpokam, est arrêté par la police et perd son visa.

David Schickele était un musicien qui enseigna l’anglais au Nigéria de 1961 à 1963 pour le compte du Peace Corps, une agence gouvernementale américaine dont la mission était de favoriser la paix et l'amitié dans le monde. En revenant aux Etats-Unis, il réalisa deux longs métrages : Give Me a Riddle (1966) sur le Nigéria des années 60 vu par un ancien membre du Peace Corps ; et son envers Bushman, sur un Nigérian aux Etats-Unis. Il donna le rôle principal à Paul Eyam Nzie Okpokam, un diplômé en arts dramatiques de l’Université d'État de San Francisco qu’il avait connu au Nigéria. Dans Bushman, il incarne une version légèrement romancée de lui-même. Tandis que le tournage n’était pas terminé, il fut accusé à tort d’un attentat, jeté en prison pendant un an puis renvoyé dans son pays en 1969. Achevé en 1971, Bushman fut diffusé dans quelques festivals avant de disparaitre des écrans. Restauré en 2022, il est sorti en salles en France en avril 2024.
Bushman est une accumulation de saynètes entre fiction et réalité, avec une photographie brute façon cinéma-vérité. Compte tenu des circonstances, il n’y a pas de conclusion et on bascule dans le documentaire durant le dernier quart d’heure. Le film vaut surtout comme témoignage d’une époque à travers le regard lucide de Gabriel/Paul Eyam Nzie Okpokam, noir africain en décalage à la fois avec les blancs et avec les noirs américains. Son destin fut néanmoins tristement représentatif de la situation des noirs aux Etats-Unis, maltraité par les flics, emprisonné alors qu’il n’a rien fait et cherchait à éviter les problèmes. Ces éléments permettent à Bushman de conserver sa force et sa pertinence cinquante-cinq ans plus tard, et c’est heureux qu’il ait pu être redécouvert.


ジャズ娘誕生 [Jazu musume tanjô] de Masahisa Sunohara (1957, Jazz musume tanjô)
En raison du décès de sa mère et de l’absence de son père qui les a abandonnés depuis longtemps, Midori élève seule ses jeunes frère et sœur. Pour subvenir à leurs besoins, elle vend dans la péninsule d’Izu de d’huile de camélia d’Ôshima. Avec ses collègues, elles vont de village en village en chantant sur les routes. Midori se dispute un jour avec une troupe de jazz ambulante et les défie dans une épreuve de chant. Remarquée pour sa voix, elle accepte de les accompagner car elle rêve d’aller à Tôkyô. Sa promotion rapide suscite toutefois des jalousies et le directeur se plaint du coût de sa fratrie qui n’a pas encore l’âge de travailler.

Chiemi Eri fut une des grandes stars de la chanson japonaise des années 50 à 80. Elle eut un parcours assez similaire à celui d’Hibari Misora, avec qui elle joua notamment dans la trilogie Musume, dans Hibari Chiemi no Yaji Kita Dochu (1962, Travels of Hibari and Chiemi: The Tumultuous Journey) et dans Hibari Chiemi no oshidori senryô gasa (1963, Travels of Hibari and Chiemi 2: The Lovebird's 1000 Ryo Umbrella). Ayant commencé à 14 ans par des spectacles sur les bases américaines, elle se focalisa au départ sur la musique étrangère, jazz et rock, avant de s’orienter vers des styles traditionnels en vieillissant.
Jazz musume tanjô est en plein dans sa période jazz, une production de la Nikkatsu destinée à la génération d’après-guerre. L’histoire n’a pas franchement d’intérêt et n’est qu’un prétexte aux numéros musicaux, qui monopolisent la seconde moitié du récit. On sent clairement l’influence de Stanley Donen et Vincente Minnelli, avec des références explicites à Chantons sous la pluie (1952) et Tous en scène (1953). Chiemi Eri chante bien, les numéros sont sympas et colorés (en konicolor), et c’est distrayant dans l’ensemble. Je ne peux donc que regretter la réalisation sans éclat de Masahisa Sunohara, un honnête faiseur oublié de la Nikkatsu spécialiste de la comédie. Ça aurait été autre chose avec un Umetsugu Inoue. Yûjirô Ishihara, en début de carrière, est en outre complètement sous-exploité, et la trame est particulièrement nase. Cela n’empêche pas Jazz musume tanjô d’être un exemple caractéristique du genre, qui rappelle la richesse d’un cinéma japonais populaire des années 50 rarement diffusé en Occident.


Nosferatu de Robert Eggers (2024)
Thomas Hutter s’est récemment marié avec Ellen, une femme fragile assaillie de cauchemars depuis son enfance. Pour obtenir une situation avantageuse dans le cabinet de notaire où il travaille, il accepte d’aller dans les Carpates pour faire signer un contrat de vente au comte Orlok, un riche excentrique. A son arrivée sur les lieux, Orlok le retient plusieurs jours et Thomas, fiévreux, éprouve des difficultés à distinguer les phases de songe et d’éveil. Pendant ce temps, Ellen est prise de crises d’épilepsie et de délires. La famille Harding chez qui elle est logée appelle le docteur Sievers. Rapidement dépassé par les évènements, celui-ci doit se rendre chez son mentor versé dans l’occultisme.

Nosferatu est un remake du classique Nosferatu le vampire de Murnau (1922), déjà repris par Werner Herzog en 1979 avec Nosferatu, fantôme de la nuit. Par rapport à ces modèles, Robert Eggers a recentré l’intrigue sur Ellen, qui devient le moteur du récit. Conformément à ses habitudes, il propose une photographie sophistiquée aux couleurs froides, avec des effets spéciaux majoritairement à l’ancienne et une ambiance glauque. Le rythme est lent, les scènes sont étirées au maximum, avec une durée totale de plus de 2 heures (contre 1h30 chez Murnau sur une trame globalement identique). Si l’esthétique est impressionnante bien que trop maniérée à mon goût, l’originalité n’est pas de mise. Chaque séquence a été vu mille fois ailleurs dans une des multiples versions officielles ou officieuses de Nosferatu ou Dracula. Tout est extrêmement prévisible et certaines des meilleures idées visuelles proviennent de Murnau (de Nosferatu le vampire ou de Faust, une légende allemande (1926)). Robert Eggers fait un bingo du film de vampire gothique et coche de nombreuses cases. Je me suis profondément ennuyé, regardant l’heure régulièrement. J’ai vu dans Nosferatu un exercice de style laborieux et froid, pas aussi pénible que The Lighthouse (2019) du même réalisateur mais aussi vain. Autant revoir le Murnau.


Films vus seuls
Las luchadoras contra la momia de René Cardona (1964, The Wrestling Women vs. the Aztec Mummy)
Au cours de fouilles archéologiques, cinq chercheurs ont ouvert une tombe et trouvé un ancien codex aztèque contenant les clés pour accéder à un trésor. A leur sortie, ils ont été attaqués par la bande du dragon noir, qui est parvenue à récupérer un bout du document. La partie restante a été donnée à l’oncle d’Armando Rios, le docteur Luis Trelles, qui appelle son neveu à la rescousse. Le professeur découpe le parchemin en trois morceaux et les confie à Armando Rios et sa fiancée Loreta Venus ; à Golden Rubi et son copain ; et à Chela, la fille d’un des membres décédés de l’expédition. Nos héros ignorent qu’ils sont surveillés par le chef du dragon noir, qui a dissimulé une caméra dans l’appartement de Luis Trelles.

Las luchadoras contra la momia est le second volet de la série des Luchadoras, toujours avec le duo Lorena Velázquez/Elizabeth Campbell. Il reprend dans les grandes lignes la trame de La momia azteca (1957, premier épisode d’une trilogie éditée en France par Bach Films en 2007). Il ajoute à cela un groupe de méchants « japonais », avec moult clichés orientalisants et yellow face. Malgré un budget non négligeable pour le genre et un maquillage de momie honorable, il y a pas mal de faux raccords et d’incohérences. Rien de mémorable, on est dans la moyenne des films de catch des années 60.


国際秘密警察 指令第8号 [Kokusai himitsu keisatsu: Shirei dai hachigo] de Toshio Sugie (1963, Interpol Code 8)
A Saigon, une compagnie japonaise attend la réponse à un appel d’offres pour la construction d’une raffinerie de pétrole. Elle est en position favorable jusqu’au jour où l’inspecteur en chef vietnamien qui les appréciait est brutalement assassiné dans la rue. De retour au Japon, le représentant de la société est enlevé à l’aéroport sous les yeux de son ami Ezaki. Envoyé à Nagoya en quête d’informations, celui-ci est à son tour kidnappé par des truands. Un agent de la police secrète internationale, Jirô Kitami, a heureusement infiltré le gang et va lui venir en aide.

Dès sa sortie au Japon en juin 1963, James Bond 007 contre Dr No (1962) généra l’enthousiasme du public. La Tôhô lança immédiatement une série de films d’espionnage, Kokusai himitsu keisatsu (= police secrète internationale), cinq aventures diffusées entre 1963 et 1967. En 1966, les troisième et quatrième volets furent remontés aux Etats-Unis par un jeune réalisateur nommé Woody Allen, qui en tira la comédie What's Up, Tiger Lily?. A l’inverse de certaines de ses suites, Interpol Code 8 est totalement premier degré.
La distribution est typique des films d’action de la Tôhô, aperçue notamment chez Kihachi Okamoto. Ezaki est ainsi incarné par l’acteur fétiche de ce dernier, Makoto Satô, et Jirô Kitami par Tatsuya Mihashi. On retrouve également Yôsuke Natsuki (Rats d'égout en uniforme, 1962), Kumi Mizuno (Blueprint of Murder, 1961) ou Hideyo Amamoto (second couteau abonné aux sales types). La direction a été confiée à Toshio Sugie, un metteur en scène prolifique et éclectique, déjà croisé sur ce blog pour sa comédie musicale Janken musume (1955, So Young, So Bright). Interpol Code 8 s’inscrit dans la mode internationale engendrée par James Bond 007 contre Dr No, avec ses histoires de trahison, d’espions infiltrés, de menaces mondiales et de gadgets. Sans être désagréable, il ne se démarque pas du tout-venant.


Der Tod des Flohzirkusdirektors oder Ottocaro Weiss reformiert seine Firma de Thomas Koerfer (1973, La mort du directeur de cirque de puces)
Ottocaro Weiss est directeur d’un cirque de puces ambulant fondé par son grand-père. Lorsqu’une vaporisation d’insecticide à côté de sa tente tue tous ses animaux, il est contraint de changer de concept. En voyant une fête célébrant le 500e anniversaire du village de Pestenacker (= champ de peste), il a l’idée de monter un spectacle sur les conséquences de la peste, vectrice selon lui de principes révolutionnaires. Moosbrugger, un économiste qu’il a rencontré, accepte de le lui prêter de l’argent. Ottocaro ignore qu’il est financé par un riche capitaliste, qui pense qu’une vraie épidémie entrainerait un souhaitable mouvement réactionnaire de la population.

Der Tod des Flohzirkusdirektors oder Ottocaro Weiss reformiert seine Firma est apparemment inspiré d’une pièce de Bertolt Brecht. C’est le premier long métrage du Suisse germanophone Thomas Koerfer, qui donna le rôle principal d’Ottocaro Weiss à François Simon. Fils de Michel Simon, François Simon fut essentiellement un acteur de théâtre avant de s’orienter vers le cinéma à la fin des années 60. Tourné en noir et blanc avec un budget réduit, Der Tod des Flohzirkusdirektors oder Ottocaro Weiss reformiert seine Firma présente une société suisse conservatrice qui traite avec mépris les marginaux. Le premier tiers, le plus intéressant d’après moi, montre la déchéance d’Ottocaro, confronté à l’indifférence de l’administration et des médias. La suite est une réflexion sur la récupération politique et la manipulation par les puissants à la recherche d’un bouc-émissaire. C’est très verbeux, assez statique, avec des procédés de distanciations brechtiens. J’avoue ne pas avoir été convaincu.


江戸の春 遠山桜 [Edo no haru Tôyamazakura] de Ryôhei Arai (1936, Edo Spring)
Kinshirô, le fils d’un riche seigneur, traine dans les bas-fonds d’Edo, s’acoquinant avec des prostituées et pariant ses économies dans des salles de jeu. Sans le sou, menacé d’être déshérité par son père, il demande à Monji, un ami chanteur de rue, de l’héberger pendant quelques jours. Ce dernier est poursuivi par une bande d’anciens associés malhonnêtes et essaye de se planquer. Les deux compagnons d’infortune s’installent dans une petite auberge et font profil bas.

Kagemoto Tôyama fut un hatamoto (garde officiel) du shôgun au XIXe siècle. Il occupa des postes de magistrat et gagna la sympathie de la population en s’opposant à des réformes anti-théâtres. Il devint dès la fin du XIXe siècle un héros de kabuki et de kôdan (un art traditionnel de la narration). Le cinéma et la littérature exploitèrent également le personnage, à l’image de ce Edo no haru Tôyamazakura de 1936 produit par la Nikkatsu.
Le film rappelle par de nombreux aspects les opus de Sadao Yamanaka focalisés sur le rude quotidien des habitants d’un quartier pauvre d’Edo. Ryôhei Arai réutilise d’ailleurs le duo comique incarné par Minoru Takase et Toba Yonosuke dans Le pot d'un million de ryô (1935), qui jouent ici deux marchands de nouilles concurrents. Ces rapprochements ne sont guère surprenants quand on remarque qu’Edo no haru Tôyamazakura a été écrit par Kinpachi Kajiwara, pseudonyme sous lequel se cachait un collectif de scénaristes de Kyôtô dont Sadao Yamanaka était membre.
Sans avoir la profondeur des œuvres de Sadao Yamanaka et en dépit d’un dénouement expédié, Edo no haru Tôyamazakura ne démérite pas. Les protagonistes sont amusants et les considérations morales sont bien amenées. La copie que j’ai récupérée était en outre étonnamment bonne, ce qui ne gâte rien. C’est donc un agréable jidai-geki humaniste typique des années 30, sous-genre qui disparut progressivement avec la militarisation de la société japonaise.


Два друга, модель и подруга [Dva druga, model i podruga] d’Aleksei Popov (1927, Three Friends and an Invention)
Deux camarades employés d’une usine de savon dans la campagne soviétique, Makhov et Akhov, fabriquent une machine à assembler des caisses. Leur objectif est d’éliminer le capitalisme local en rendant obsolète la vente de caisses par un commerçant. Celui-ci ne voit pas leur idée d’un bon œil et sabote leur invention avant sa présentation au comité. Ridiculisés, Makhov et Akhov réparent leur appareil, le prennent sur leur dos et vont en ville pour le montrer aux autorités. Le vil marchand va tenter de leur barrer la route.

Three Friends and an Invention s’inspire à la fois du style vif et joyeux de Buster Keaton, notamment de Our Hospitality (1923), et du duo de comiques danois Doublepatte et Patachon (Fy og Bi), très populaire dans les années 20. Le but d’Aleksei Popov, un prestigieux acteur et metteur en scène de théâtre, était de créer une comédie sur la vie de tous les jours, avec des protagonistes positifs et un humour charmant. Three Friends and an Invention fut un immense succès et fut même distribué aux Etats-Unis. Il tomba ensuite dans l’oubli et est aujourd’hui largement méconnu. C’est dommage car c’est une comédie slapstick fort réussie, avec des gags absurdes cocasses, un rythme enlevé et un montage dynamique. Makhov et Akhov parviennent à se sortir des difficultés avec des inventions improbables, le capitaliste est évidemment sournois et le surjeu des interprètes n’est pas trop agaçant. C’est un incontournable pour les amateurs du genre qui veulent explorer des horizons non hollywoodiens.


Crimen de doble filo de José Luis Borau (1965, Double Edged Crime)
Andrés Salas est musicien dans l’orchestre d’un théâtre. Fils d’un célèbre pianiste, il vit dans l’ombre de son père décédé, au grand dam de son épouse Laura. Un après-midi de pluie, ne voulant pas traverser la rue pour aller chercher des cigarettes au bar d’en face, il descend chez son voisin Antonio et découvre son corps assassiné. Il appelle la police et aperçoit en revenant un possible coupable. Par peur d’être impliqué, il ne dit rien au commissaire. Dans les jours qui suivent, il reçoit d’étranges coups de fils anonymes et a l’impression d’être traqué.

Crimen de doble filo est le second long métrage de l’ancien critique José Luis Borau, qui bascula dans un cinéma moins commercial dans les années 70. Crimen de doble filo est un classique thriller psychologique avec une touche de whodunit. A cause de son jeu sur la culpabilité d’Andrés et la manière de construire le suspense, il a souvent été comparé aux œuvres d’Hitchcock. Malheureusement, malgré une belle photographie, on est loin d’égaler ne serait-ce que les Hitchcock mineurs. Le personnage principal, Andrés Salas incarné par l’Argentin Carlos Estrada, manque de charisme et n’a guère d’intérêt. Son poursuivant n’est aucunement inquiétant, on ne tremble jamais pour Andrés, on s’ennuie en attendant que les évènements s’enchaînent. Aux deux-tiers du film survient un second meurtre pas du tout crédible. En découlent une enquête mollassonne et des révélations tirées par les cheveux. Moi qui suis d'habitude indulgent avec les whodunit, j’ai trouvé Crimen de doble filo franchement nase.


Séries
Moon Girl and Devil Dinosaur de Steve Loter (2023, Moon Girl et Devil le Dinosaure), saison 1
Lunella Lafayette est une ado géniale de 13 ans qui vit dans le Lower East Side à New York avec ses parents et ses grands-parents paternels. Pour tenter de sauver le quartier qui subit des coupures de courant à répétition, elle fabrique ce qu’elle pense être un générateur d’électricité à partir de plans téléchargés sur internet. Elle ouvre en réalité un portail interdimensionnel duquel surgit un dinosaure qui s’attache immédiatement à elle. Avec le soutien de sa camarade de classe Casey Calderon, elle décide de devenir une super-héroïne nommée Moon Girl, chargée de protéger le Lower East Side contre les méchants.

Moon Girl and Devil Dinosaur est une production Disney tirée du comics Marvel éponyme publié entre 2015 et 2019. Il offre une représentation assez juste d’un quartier populaire de New-York pas encore gentrifié, avec une super-héroïne locale noire pour enfants. Le public visé est jeune, les histoires sont gentilles et la progression narrative est faible : il n’y a quasiment pas d’enjeux ni d’intrigue globale, chaque épisode est autonome à quelques exceptions près. Le charme de Moon Girl and Devil Dinosaur se situe essentiellement au niveau graphique, notamment les combats qui déploient chacun leur propre esthétique en s’inspirant du style d’artistes de rue sur fond de musique généralement R&B composées par Raphael Saadiq. C’est une série qui passe le temps pour le goûter et je regarderai la saison 2 en espérant qu’ils développent un peu l’univers.


Livres
Paraître et prétendre : L’imposture du bushidō dans le Japon pré-moderne d’Olivier Ansart (Les Belles Lettres, collection « Japon », 2021), 176 p.
Olivier Ansart est spécialiste de l’Histoire des idées dans le Japon prémoderne. Dans Paraître et prétendre : L’imposture du bushidō dans le Japon pré-moderne, il examine le rôle du bushidô dans la société de l’ère Edo (1603-1868). Contrairement à une opinion à la mode depuis la remise en cause systématique des traditions immémoriales engendrée par l’ouvrage de référence d’Eric Hobsbawm L’invention de la tradition paru en 1983, il estime que le bushidô n’est pas une création tardive datant de la fin de l’ère Meiji mais une recréation. Il montre en effet qu’un code de conduite des guerriers existait déjà avec une autre doctrine et dénomination dès la mise en place de la féodalité au cours du shogunat de Kamakura (XIIe au XIVe siècle). C’est durant l’ère Edo que le mot bushidô vit son utilisation se répandre, avant de disparaitre puis de renaitre de ses cendres à la fin du XIXe siècle.
Le bushidô du XVIIe-XVIIIe siècle était fort différent de sa version contemporaine à la gloire de l’Empereur, valorisée par la littérature et le cinéma. Il reposait sur deux piliers, la loyauté envers son maître et l’honneur pour soi et sa famille. Si ces principes étaient cohérents à une époque de guerres, où les seigneurs employaient les guerriers pour asseoir leur position et les récompensaient avec le butin, la longue période de paix instaurée par le shogunat Tokugawa les rendit obsolètes. Chacun fut assigné au rang de sa famille au moment de la bataille de Sekigahara (1600). Les guerriers se recyclèrent en administrateurs, leurs armes furent conservées en tant que capital symbolique qu’une majorité d’entre eux ne savaient pas manier, leur loyauté devint abstraite et se transforma en obéissance vis-à-vis de maîtres pour qui ils étaient généralement inutiles. Leur statut privilégié n’eut plus de raison d’être et le bushidô servit à justifier l’existant, à la fois auprès des autres classes et d’eux-mêmes.

Olivier Ansart a effectué un énorme travail de recherche dans les sources primaires, des textes du XIIIe au XIXe siècle, afin de démonter la vision établie du bushidô et des samouraïs de l’ère Edo. La première surprise est l’importance numérique des guerriers, qui représentait en moyenne 7% de la population, avec des pics à 25% dans certains domaines. Il n’y avait pas d’emploi pour une telle masse d'individus, la plupart étaient oisifs ou devaient trouver des sources de revenus annexes. Le nombre d’échelons était en outre impressionnant, avec une hiérarchie alambiquée et quasi-totalement figée. Dans ces conditions, la vie d’une samouraï de rang inférieur n’avait aucune valeur pour son seigneur et un des uniques moyens de prouver sa loyauté et son honneur dans le sens ancien était la mort volontaire, le seppuku. Seule une minorité recourrait à une telle extrémité, la majorité préférait vivre dans l’imposture ou se lancer dans de futiles querelles privées au nom d’une réputation souvent factice fondée sur des généalogies truquées.
Ce livre passionnant et exigeant porte un coup à l’image des samouraïs. Olivier Ansart développe des notions parfois complexes, avec un riche vocabulaire susceptible d’égarer le néophyte. Cela vaut toutefois la peine de s’accrocher car son argumentation tient la route, bouleversant la conception traditionnelle encore véhiculée de nos jours par la culture populaire japonaise. Autant dire que je ne verrai plus les samouraïs de la même manière, qualifiés en caricaturant légèrement de bandes de fonctionnaires ou de parasites hypocrites, illusionnés par un système de normes et de rituels sclérosé.


Carnet du Pérou – Sur la route de Cuzco de Fabcaro (Six pieds sous terre, collection « Monotrème », 2021), 96 p.
En 2013, Fabcaro publia chez l’éditeur Six pieds sous terre Carnet du Pérou – Sur la route de Cuzco, qui racontait son road trip au Pérou en 2012 entrepris à la suite d’une discussion avec une Péruvienne originaire de Cuzco. Peu habitué à se rendre à l’étranger, ce séjour d’une quinzaine de jours en autocar à la rencontre des locaux l’ébranla et l’amena à réfléchir sur son passé et son travail. Petit à petit, le doute s’immisce chez le lecteur alors que s’enchaînent les images d’Epinal et les introspections méta : Fabcaro a-t-il mis les pieds au Pérou ?

Carnet du Pérou – Sur la route de Cuzco est l’album qui a fait connaître Fabcaro du grand public, deux ans avant Zaï Zaï Zaï Zaï. Il bossait dans le milieu de la BD depuis une dizaine d’années, il estimait tourner en rond et voulait se renouveler. A travers un faux carnet de voyage, il se questionne sur son métier, varie les techniques de dessins et se moque de lui-même. Je ne savais pas que c’était bidon au départ, le quatrième de couverture présentant le truc très sérieusement. Je me suis interrogé quelques minutes sur ce ramassis de clichés avant de comprendre que c’était heureusement pipeau. L’intérêt provient des digressions autour du récit central et non de l’aspect voyage. Cela donne une BD insolite, qui nous montre les coulisses de façon amusante, un anti Guy Delisle qui cultive l’auto-dérision et parodie les stéréotypes du genre.


Macario de B. Traven (Libertalia, collection « Bibliothèque étrangère », 2018), 70 p.
Macario est un pauvre coupeur de bois, qui vit dans une vieille hutte délabrée avec son épouse et ses onze enfants. Tous les jours, il se prive pour que sa famille puisse manger davantage et a constamment faim. Il rêve d’engloutir une dinde entière à lui seul et répète ce souhait quotidiennement comme une litanie. Sa femme économise sans lui dire sur leurs maigres revenus et parvient à acheter une dinde. Elle la prépare discrètement pendant la nuit et lui offre au petit matin au moment de partir au travail. Fou de joie, Macario s’isole dans la forêt et s’apprête à déguster son festin quand surgit le Diable, puis Dieu et la Mort, chacun lui réclamant un morceau.

Le troisième convive est une nouvelle de B. Traven parue en 1950. Son adaptation au cinéma par Roberto Gavaldón (à noter la grosse boulette du traducteur de cette édition Libertalia qui écrit Gallardón) en 1960 lui fournit un coup de projecteur et elle fut republiée sous le titre Macario. B. Traven est une figure étrange de la littérature mexicaine. De date et lieu de naissance inconnus, il clama être américain en dépit de son accent allemand prononcé et de son anglais approximatif. Comédien au théâtre et anarchiste en Allemagne au début des années 20, il émigra au Mexique en 1924 et y passa le reste de son existence. Spécialiste des récits d’aventures sur fond de thèmes prolétariens, il gagna une réputation internationale avec la transposition de son roman Le trésor de la Sierra Madre par John Huston en 1948.
Macario se situe dans le domaine du merveilleux. Il reprend assez fidèlement le conte des frères Grimm La Mort comme parrain (KMH 044) en le déplaçant dans le Mexique colonial. Il supprime juste la fin dans une grotte remplie de bougies représentant les vies humaines, conclusion qui fut réintégrée par Roberto Gavaldón. J’ai beaucoup aimé cette nouvelle mais mon jugement est faussé car j’appréciais déjà le conte d’origine et je suis un immense fan du film. En lisant Macario, j’avais à l’esprit le visage et le phrasé trainant de l’acteur Ignacio López Tarso, et j’étais content de retrouver cette histoire simple et poétique. C’est en tout cas extrêmement court et ça vaut la peine de tester pour se faire sa propre opinion.


Revues
Les Cahiers du cinéma n°821 – Juin 2025
J’ai reçu ce numéro de juin avec quasiment un mois de retard, d’où cette critique tardive. Le dossier mensuel est consacré aux séries, que je ne regarde plus depuis longtemps en dehors de quelques dessins animés. Je n’ai ainsi pas connu l’âge d’or de HBO et n’avais pas remarqué la fin d’une ère avec l’arrivée des plateformes de vidéos à la demande type Netflix, qui ont généré un passage à la mini-série ultra-formatée. Les Cahiers reviennent sur ces évolutions, notamment à travers des entretiens avec des showrunners américains ou français.

Excepté cet intéressant dossier, pas grand-chose à se mettre sous la dent. Je n’ai rien noté dans les sorties ou ressorties, et j’ai sauté l’article sur l’après-Cannes, qui ne me passionne pas plus que les trucs sur l’avant-Cannes.


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