samedi 1 juin 2024

Carnet de bord 25/05/2024-31/05/2024



Films vus en compagnie
Larceny, Inc. de Lloyd Bacon (1942)
Chalmers Maxwell dit Pressure vient de sortir de prison avec son collègue Jug. N’ayant guère envie d’y retourner, il souhaite se lancer dans un honnête commerce de courses de lévriers en Floride. Il a besoin pour cela de 25 000 dollars et requiert un prêt à une banque. Agacé par leur refus, il échafaude un plan pour cambrioler l’établissement et achète la maroquinerie attenante. Son objectif est de creuser un tunnel menant au coffre-fort. Il n’avait néanmoins pas prévu les voisins envahissants et le popularité de sa boutique.

Alors qu’Edward G. Robinson avait accepté la comédie Larceny, Inc. pour s’écarter de ses habituels truands durs-à-cuire, la Warner joua à fond sur ses succès passés pour la promotion, à l’exemple de l’affiche où point une mitraillette hors de propos. Hissé au rang de star en 1931 grâce à Little Caesar, Edward G. Robinson commença à se parodier dès 1933 avec The Little Giant. Il répéta l’expérience en 1935 avec The Whole Town's Talking, en 1938 avec A Slight Case of Murder et en 1940 avec Brother Orchid. Comme il reprenait à chaque fois dans la foulée des rôles de sale type, ces efforts pour casser son image s’avéraient inutiles. Sans être désagréable, Larceny, Inc. n’apporte rien de neuf. C’est bourré de seconds couteaux de la Warner de cette époque, avec également un Anthony Quinn trentenaire en brute inquiétante. A noter que Woody Allen copiera sans le revendiquer le concept de Larceny, Inc. dans Escrocs mais pas trop (2000).


Ghostbusters de Paul Feig (2016, SOS Fantômes)
Au moment où Erin est à deux doigts de décrocher un poste de titulaire en physique quantique à l'université de Columbia, elle découvre qu’un livre sur le paranormal qu’elle avait coécrit dans sa jeunesse est disponible sur Amazon. En allant demander à son ancienne amie Abby de le retirer de la vente, elle se retrouve embarquée dans une chasse aux fantômes. Tandis que les apparitions se multiplient dans New York, Erin et Abby, épaulées par Jillian et Patty, montent une agence spécialisée dans la capture de revenants.

Ce remake de Ghostbusters qui suit dans les grandes lignes le classique de 1984 en féminisant son casting était-il indispensable ? Probablement pas. Est-ce la purge annoncée par certains, souvent misogynes ? Non plus. Du côté positif, les actrices ont l’air de bien s’amuser, c’est pêchu et les effets spéciaux sont convaincants ; du côté négatif, à l’instar de l’original déjà très vulgaire, l’humour est lourd, régulièrement en dessous de la ceinture, avec une Kate McKinnon en roue libre plutôt pénible. C’est au final un gros blockbuster hollywoodien ni meilleur ni pire que la moyenne, vite consommé (moins de 2 heures, youhou) et vite oublié.


Films vus seuls
新女賭博師 壺ぐれ肌 [Shin onna tobakushi tsubogurehada] de Kenji Misumi (1971, Les nouvelles aventures de la joueuse)
Contrainte de rembourser les dettes de son protégé Tatsuzo qui a triché au jeu et a eu la main brisée, Ogin tient un camion-restaurant près d’un champ de courses. Un parrain de la famille Nanjo propose de l’engager et d’éponger son ardoise. Grâce à son talent, elle met les Nanjo sur le devant de la scène et elle bat en duel de cartes la représentante des Kuromon. Vexé, l’ambitieux boss de ces derniers décide de décrédibiliser Ogin et les Nanjo en s’arrangeant pour qu’ils soient accusés de tricherie.

La série des Onna tobakushi comprend dix-sept titres tournés entre 1966 et 1971 avec Kyôko Enami en Ogin la joueuse. Les histoires ne se succèdent pas forcément et le passé d’Ogin varie d’un épisode à l’autre. Shin onna tobakushi tsubogurehada est le dix-septième et ultime volet, le seul réalisé par Kenji Misumi (contre sept pour Shigeo Tanaka, deux pour Tarô Yuge et sept pour Yoshio Inoue). C’est également le seul à comporter une séquence de baston finale, avec Ogin maniant le katana, sans doute pour redynamiser une série en perte de vitesse. En 1971, l’âge d’or du ninkyo eiga était terminé, essoré par des années d’exploitation intensive des mêmes clichés. Shin onna tobakushi tsubogurehada n’ajoute malheureusement rien au genre, on a l’impression d’avoir vu chaque situation dix mille fois ailleurs, tout est extrêmement stéréotypé et je me suis ennuyé de bout en bout.


巨人 大隈重信 [Kyojin Ôkuma Shigenobu] de Kenji Misumi (1963, Ôkuma Shigenobu le grand)
Kyojin Ôkuma Shigenobu suit la carrière du politicien Shigenobu Ôkuma de 1868 jusqu’au 1902. En 1868, au début de la restauration de Meiji, les Britanniques voulurent forcer le gouvernement japonais à abolir les persécutions religieuses contre les chrétiens. Envoyé pour négocier, Shigenobu Ôkuma réussit à les amadouer et établit sa réputation. Nommé ministre des Finances en 1870, il essaya de transformer en profondeur le pays mais se heurta aux conservateurs et aux intérêts corporatistes, amenant à sa démission en 1881. Ardent défenseur d’un système parlementaire démocratique, il prônait une réforme de la Constitution. Il estimait en outre que politique et éducation étaient liées et il créa l’université Waseda à Tôkyô.

Kyojin Ôkuma Shigenobu est un biopic commémorant le 125e anniversaire de la naissance de Shigenobu Ôkuma, figure politique majeure de l’ère Meiji. Nationaliste modéré, démocrate, pacifiste, fondateur d’une des plus fameuses universités japonaises, décédé en 1922 avant la montée du militarisme, c’est un héros consensuel. Misumi s’arrête opportunément en 1902 en évitant de mentionner son second mandat de Premier ministre de 1914 à 1916, où il fut poussé à la démission par un scandale autour d’un achat de votes de l’opposition.
Kyojin Ôkuma Shigenobu est très scolaire et révérencieux, montrant de façon chronologique les étapes importantes de la vie de Shigenobu Ôkuma. Dans le rôle principal, Ken Utsui, ancien diplômé de Waseda, manque de charisme et est entouré par des seconds couteaux qui ne brillent pas particulièrement. Bien qu’historiquement intéressant, c’est naïf et idéaliste, avec un Shigenobu Ôkuma irréprochable et toujours de bonne humeur. Ça ne passionnera probablement que les fans d’Histoire japonaise.


婦系図 [Onnakeizu] de Kenji Misumi (1962, La lignée d'une femme)
Le professeur Sakai attrape un adolescent, Hayase, qui tentait de lui dérober sa montre. Au lieu de le conduire à la police, il décide de l’élever et de l’éduquer pour un faire un homme respectable. Les années passent, Hayase est devenu enseignant à l’université. La fille de Sakai avec qui il a grandi, Taeko, est amoureuse de lui. Ce n’est pas son cas, il la considère comme une sœur et choisit de se mettre en couple avec une geisha sans se soucier du qu'en-dira-t-on et sans prévenir son père adoptif.

Onnakeizu est initialement une pièce de théâtre de 1907 de Kyôka Izumi, écrivain qui axait souvent ses intrigues sur l’opposition entre la liberté individuelle et la morale rigide de la société (il épousa lui-même une geisha contre la volonté de son maître). Ses œuvres ont été adaptées de nombreuses fois au cinéma, notamment par Mizoguchi (Le fil blanc de la cascade en 1933 et La cigogne en papier en 1935). Le Onnakeizu de 1962 critiqué ici est d’ailleurs transposé pour l’écran par Yoshikata Yoda, collaborateur régulier de Mizoguchi qui a rédigé les scripts de deux autres mélodrames de Kenji Misumi, Koto yûshû: Ane imôto (1967) et Namida gawa (1967).
Onnakeizu est représentatif du shinpa, une forme théâtrale inventée à la fin du XIXe siècle en réaction à un kabuki incapable de proposer des récits situés dans un cadre contemporain. Le shinpa se figea rapidement dans un style conservateur, avec des thèmes prévisibles et répétitifs et un jeu exagérément émotif. Il visait un public féminin et était fréquemment centré sur la souffrance d’une femme contrainte de se sacrifier, sur des amours impossibles ou sur des conflits familiaux. Le shinpa était détesté par les élites et le cinéma japonais moderne du début des années 20 se construisit en partie à l’encontre de ce courant. Si la première moitié de Onnakeizu ne tombe pas trop dans l’excès, la seconde est un pur mélodrame larmoyant avec une succession de malheurs invraisemblables. Ça chouine dans tous les coins et ça m’a lassé. J’ai largement préféré le plus subtil Yuki no moshô (1964), l’unique mélo de Misumi non scénarisé par Yoshikata Yoda.


編笠権八 [Amigasa Gonpachi] de Kenji Misumi (1956, Gompachi au chapeau)
Remarqué pour ses qualités de bretteur, Gompachirô Shiga est invité par un seigneur local à effectuer une démonstration de son art en affrontant les samouraïs du clan. Il les vainc sans difficulté puis refuse une offre d’engagement, entendant garder son indépendance. Le soir sur le chemin du retour, il est attaqué par trois adversaires humiliés. Leur maître Jûbei Shindô s’interpose et est tué par erreur par Gompachirô, qui s’éclipse sans demander son reste. Pour échapper au blâme, les trois gredins accusent Gompachirô d’avoir assassiné lâchement Shindô et les filles de celui-ci prennent la route pour venger leur père.

Amigasa Gonpachi est le huitième film de Kenji Misumi, le plus ancien projeté lors de la rétrospective organisée par la Cinémathèque française. Doté d’un budget réduit, mettant en vedette un Raizô Ichikawa en plein boom, il dure 1h05 et fut diffusé en double programme du jour de l’an. C’est tiré d’une pièce de kabuki créée pour Kazuo Hasegawa, la star masculine n°1 de la Daiei (Raizô Ichikawa étant probablement la n°2). Pour tout caser en à peine une heure, l’histoire a été resserrée sur la romance entre Gompachirô et une des sœurs Shindô aux dépens des autres personnages et de la conclusion, bâclée. Ça ne m’a pas convaincu, n’ayant pas trouvé Raizô Ichikawa à l’aise dans sa double fonction de sabreur impassible et imbattable (on se comprend pas pourquoi il fuit des ennemis qu’il peut facilement occire) et d’amoureux éperdu.


Dream Demon de Harley Cokeliss (1988)
Diana vient d’emménager dans une nouvelle demeure en prévision de son mariage avec Oliver, un militaire héros de la guerre des Malouines. Elle a fréquemment d’affreux cauchemars sanglants en rapport avec la cérémonie ou liés à son futur conjoint. Harcelée par des journalistes en raison de la célébrité de son fiancé, elle est secourue par Jenny, une Américaine qui souhaite visiter la maison. Elle y a apparemment vécu quand elle était enfant mais n’en conserve aucun souvenir. Son arrivée accélère le rythme et la violence des songes de Diana, qui perd sa capacité à distinguer le rêve de la réalité.

Malgré les inévitables rapprochements avec la série des Freddy, Dream Demon, selon son réalisateur Harley Cokeliss, se focalise sur deux femmes qui surmontent leurs peurs en les confrontant. En termes d’atmosphère, il cherchait à reconstituer un surréalisme à la Cocteau, privilégiant les émotions à la logique. Les différents éléments ne s’imbriquent malheureusement pas toujours correctement, il y a des incohérences et un côté chaotique. Néanmoins, j’aime le concept de rêves enchevêtrés et je suis bon public sur ce sujet. J’ajoute que les effets spéciaux old school sont sympathiques et que les interprètes sont investi·e·s, avec un jeune Timothy Spall en répugnant photographe et la première apparition sur grand écran de Jemma Redgrave (Diana), la nièce de Vanessa Redgrave. C’est au final assez prenant, une agréable péloche d’horreur anglaise méconnue, avec un propos plutôt féministe et une belle alchimie entre les deux actrices principales.


The Premature Burial de Roger Corman (1962, L'enterré vivant)
Guy Carrell est obsédé par la mort, terrifié à l’idée de subir le sort de son père qui, d’après lui, était cataleptique et a été enterré vivant. Il consent tout de même à se marier avec Emily sur insistance de celle-ci, espérant que cela le détournera de ses pensées morbides. Ce n’est pas le cas et il se lance dans la construction d’un caveau. Son épouse se morfond de cette situation et demande de l’aide à Miles, un ami médecin.

The Premature Burial est la troisième des huit adaptations d’Edgar Allan Poe mises en scène par Roger Corman entre 1961 et 1965. Elle fut initialement produite en dehors de l’American International Pictures et c’est la seule sans Vincent Price, qui avait un contrat d’exclusivité avec ce studio (sans doute pour cela que je ne l’avais pas vu jusqu’à présent). Corman choisit à la place un Ray Milland vieillissant, qui accepta de sortir de sa retraite car il s’ennuyait. Il y a une jolie utilisation du Eastmancolor, avec de beaux costumes et une ambiance gothique convenable. Cela reste extrêmement routinier et comporte quelques longueurs. Une petite série B d’une honnête facture qui sera rapidement oubliée.


Livres
Japanese Film History Studies – Recalling the Treasures of Japanese Cinema édité par The Friends of the Silent Films Association sous la supervision de Matsuda Film Productions (Urban Connections, 2003), 193 p.
Japanese Film History Studies – Recalling the Treasures of Japanese Cinema décrit cinquante films muets japonais disparus et un supposé disparu retrouvé en 1994 dans des archives russes. Pour chacun d’entre eux est fourni : un encart détaillant le studio de production, l’année, le titre en kanji, rômaji et anglais, le genre, le nombre de bobines, le distributeur, la date de sortie, le scénariste, le réalisateur, le directeur de la photographie et les principaux interprètes ; un résumé de l’intégralité de l’histoire ; et des commentaires contextualisant l’œuvre, avec des critiques de l’époque et son éventuel classement par la revue Kinema Junpô.

J’avais été déçu par The Benshi – Japanese Silent Film Narrators, qui listait cinquante longs métrages muets sans les resituer ni expliquer leur intérêt ou leur importance. Je ne devais pas être le seul à déplorer cette omission car Japanese Film History Studies – Recalling the Treasures of Japanese Cinema corrige le tir. Il offre de nombreuses précisions passionnantes et inédites en langue occidentale sur des titres rares. On voit ainsi la variété du cinéma muet japonais, notamment du jidai-geki qui connut dans les années 20 et au début des années 30 un âge d’or. Cela donne un peu l’impression que la plupart des modèles classiques surexploités par la suite ont été inventés à ce moment-là. Un livre incontournable qui fait d’autant plus regretter la perte de la quasi-totalité du muet japonais.


Moi, la mort et Kappa de Shigeru Mizuki (Cornélius, collection « Pierre », 2011), 312 p.
De retour à sa maison après son escapade dans le royaume souterrain, Sampei enchaîne les aventures. Il croise un maître de la voie du pet en route pour les jeux pétolympiques, est capturé par le Dieu des arbres, séduit par une belle revenante, piégé par le messager de la Mort avant de partir à Tôkyô rencontrer sa mère accompagné de la petite Sorcière.

Ce troisième et ultime volume se différencie à nouveau des deux précédents. Il démarre sur un ton léger puis prend une tournure de plus en plus sombre. Le dernier chapitre, Le village des chats qui constitue la moitié du bouquin, est étonnamment noir, avec une conclusion mélancolique inattendue. Si Mon copain le kappa était sympathique mais enfantin et insouciant, la série gagne en profondeur au fur et à mesure et c’était une plaisante lecture.


Le jardin de Suldrun de Jack Vance (Presses Pocket, collection « Science-Fiction », 1985), 512 p.
La femme de Casmir, ambitieux roi de Lyonesse, donne naissance à une fille nommée Suldrun, au grand désespoir du souverain qui voulait un garçon. Le bébé est confié à une nourrice venue de la proche campagne, qui lui raconte les fables et légendes des temps anciens. Suldrun est une enfant silencieuse et solitaire. A la moindre occasion, elle se réfugie dans un jardin isolé en bord de falaises. Quand elle atteint l’âge de 14 ans, elle refuse de se marier avec l’homme choisi par son père et est enfermée dans le jardin jusqu’à sa mort. Un jour, un beau prince est rejeté sur le rivage. Suldrun descend le secourir et les deux jeunes gens tombent amoureux.

Le jardin de Suldrun est le premier tome du cycle de Lyonesse, écrit par Jack Vance entre 1983 et 1989. C’est une trilogie de fantasy située dans des îles mythiques au large de la Bretagne durant le Moyen Âge. Bourré de références à la mythologie arthurienne, le livre se présente comme la chronique historique d’une multitude de royaumes divisés par des machinations politiques. La magie existe dans cet univers et les créatures féériques peuvent à tout moment jouer de mauvais tours.
J’escomptais quelque chose davantage ancré dans le merveilleux. Jack Vance préfère s’attarder sur les intrigues et les conflits entre domaines ennemis. C’est parfois un peu longuet, certains passages auraient clairement pu être raccourcis. Le style est plus sérieux et descriptif que ce à quoi l’auteur nous avait habitué, on n’est pas dans la malice d’un Cugel l'astucieux. J’ai néanmoins été embarqué par le récit et surpris par la disparition rapide d’un personnage clé. Les péripéties s’enchaînent et on finit par se prendre au jeu.


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