samedi 27 septembre 2025

Carnet de bord 20/09/2025-26/09/2025



Films vus en compagnie
Fly Me to the Moon de Greg Berlanti (2024, To the Moon)
En 1968, la NASA est sous pression pour atteindre l’objectif fixé par Kennedy en 1962 de poser le pied sur la Lune avant la fin de la décennie. Mené par le directeur des lancements Cole Davis, les ingénieurs travaillent d’arrache-pied pour la mission Apollo 11 avec des moyens financiers limités. Pour redorer leur image et débloquer des fonds, un conseiller spécial du président Nixon engage la publicitaire Kelly Jones et lui donne carte blanche. Experte en mensonges, elle se heurte rapidement à l’intègre Cole malgré l’attirance qu’ils ressentent l’un pour l’autre.

Fly Me to the Moon est une comédie romantique gravitant autour du programme Apollo 11, produite et interprétée par Scarlett Johansson (Kelly). Elle devait au départ être associée à Chris Evans et devait être dirigée par Jason Bateman. Le personnage de Cole échut finalement à Channing Tatum et la mise en scène à Greg Berlanti, le réalisateur du sympathique Love, Simon (2018). Je ne sais pas ce qu’aurait livré l’équipe prévue, en l’état c’est assez nase. Il n’y a aucune alchimie entre Scarlett Johansson et Channing Tatum, affublé en permanence de pulls moulants qui laissent apparaître son marcel. Leur histoire d’amour sonne faux, plaquée sur une intrigue axée sur les soucis de la NASA. Seule consolation en ces temps du tout numérique, le chat noir qui joue un rôle clé est un vrai chat et pas par un infame animal de synthèse (à l’inverse du renard moche du pourtant réussi The Green Knight (2021)).


미쓰 와이프 [Misseu waipeu] de Kang Hyo-jin (2015, Wonderful Nightmare)
Yeon-woo est une avocate sans scrupule, qui n’hésite pas à défendre de riches violeurs ou des industriels corrompus contre de grosses rémunérations. A la suite d’un accident de voiture, elle atterrit dans une succursale du Paradis. Ils se rendent compte qu’ils ont commis une boulette à cause d’une homonymie et que Yeon-woo n’aurait pas dû arriver là. En attendant qu’elle puisse réintégrer son corps dans le coma, elle s'incarne pendant un mois dans une mère au foyer dont l’âme a été rappelée trop tôt, obligée de supporter une famille aimante sans le sou.

Parfois, en récupérant des films au hasard, on a de bonnes surprises à l’instar de Die Reise nach Sundevit (1966, The Journey to Sundevit). Et parfois on tombe sur un Wonderful Nightmare pas franchement wonderful. Le pitch initial est amusant et l’introduction est plaisante. Dès la réincarnation de Yeon-woo, ça commence à se gâter et ça ne fait qu’empirer. C’est extrêmement mièvre, on est clairement dans du mauvais drama, avec des acteurices qui surjouent, des situations invraisemblables et une accumulation de clichés et de séquences prévisibles. Il existe un remake taïwanais de 2017, ce sera sans moi.


Restos do vento de Tiago Guedes (2022, Traces)
Dans un village du centre du Portugal au milieu des années 90, pour leur passage à l’âge adulte, les adolescents se cachent sous des masques et fouettent les jeunes filles qui circulent dans les rues. Quand l’un d’entre eux, Laureano, se dresse contre ses compagnons, il est frappé violemment et abandonné en sang. Vingt-cinq ans plus tard, Laureano occupe une maison reculée, constamment entouré par une bande de chiens. Les coups lui ont endommagé le cerveau, il est devenu simple d’esprit et reçoit ponctuellement l’assistance de Judite, qu’il avait protégé le jour de l’incident. Durant un soir de fête, une tragédie fait remonter le passé à la surface.

Restos do vento est le cinquième long métrage de Tiago Guedes, qui a également travaillé pour la télévision. C’est un drame désespéré, sans personnage positif excepté Laureano qui vit en dehors de la société. Il n’y a aucune musique, Tiago Guedes crée un climat de malaise à travers des rues désertes envahies par les chiens, l’étrangeté de Laureano et les magouilles dans lesquelles sont plongées les habitants. La photographie exploite les beaux paysages du Centre Nord du Portugal. La lenteur et le pessimisme excessif pourront rebuter, j’ai pour ma part trouvé cela intéressant et je vais tenter de voir le film d’horreur Coisa Ruim (2006) et la comédie surréaliste Tristeza e Alegria na Vida das Girafas (2019) du même réalisateur.


किल [Kil] de Nikhil Nagesh Bhat (2023, Kill)
Amrit et Tulika voudraient se marier mais Tulika n’ose en parler à son père, un riche industriel. Alors qu’elle revient d’une réception avec sa famille, son train est attaqué par une horde de bandits. Heureusement, Amrit et son pote Viresh, tous les deux commandos dans l’armée indienne, sont présents sur les lieux et commencent à défendre les passagers. Les assaillants sont toutefois trop nombreux et prennent rapidement le dessus.

Sur le papier, Kill n’est guère différent d’un Steven Seagal des années 90, une sorte de Piège à grande vitesse (1995) gore et bourrin. Il tire pourtant son épingle du jeu grâce à une technique impeccable et des séquences d’action impressionnantes dans des wagons reconstitués pour l’occasion. La trentaine d’acteurs a suivi une formation de trois mois (combats de rue pour les méchants, arts martiaux militaires pour les gentils) et les bastons ont été en partie improvisées avec les moyens du bord, dans des couloirs étroits, des couchettes, des toilettes… La photographie évolue avec l’accroissement de la violence, de plus en plus sombre et glauque. Nikhil Nagesh Bhat a eu la bonne idée d’opposer Amrit à une grande famille de brigands. Cela donne de l’importance au moindre sbire et explique leur motivation à se venger. Autre originalité, tandis que l’on suivait Amrit depuis le départ, Nikhil Nagesh Bhat modifie le point de vue dans le dernier tiers. Amrit se transforme en une espèce de croque-mitaine inhumain, on est dorénavant du côté des vilains qui paniquent face à une force inarrêtable. Les rares moments dramatiques sont par contre plutôt ratés. Ce n’est pas franchement grave, Kill remplit son contrat d’actionner ultra-dynamique condensé en 1h40, brièveté appréciable pour une production indienne.


The Watermelon Woman de Cheryl Dunye (1996)
Cheryl bosse avec son amie Tamara dans un vidéo-club de Philadelphie. Elle aimerait être réalisatrice et filme au hasard pendant son temps libre. Elle tombe un jour sur un drame des années 30 intitulé Plantation Memories, avec une actrice noire dans un rôle de gouvernante. Fascinée par sa performance, elle décide de consacrer un documentaire à cette inconnue nommée « The Watermelon Woman ». Pourvue de maigres informations, Cheryl se lance dans des recherches. En parallèle, elle rencontre Diana, une femme blanche avec qui elle se met en couple.

The Watermelon Woman est le premier long métrage dirigé par une lesbienne noire. En 1993, en explorant l’Histoire du cinéma noir américain, Cheryl Dunye remarqua que les femmes noires étaient rarement créditées au générique. Ne trouvant pas de comédienne homosexuelle noire dans le cinéma hollywoodien et l’approfondissement des recherches coûtant trop cher, elle créa une actrice fictive et fabriqua de faux documents d’époque avec l’aide du photographe Zoe Leonard. Pour le titre, elle s’inspira de Watermelon Man de Melvin Van Peebles (1970).
The Watermelon Woman rappelle par certains aspects Go Fish (1994), référence incontournable dans le milieu LGBT américain des années 90. Outre Guinevere Turner en Diana (et une apparition de V.S. Brodie, qui jouait Ely dans Go Fish), on retrouve la logique de tranches de vie d’un groupe de lesbiennes dans une grande ville de la côte Est, dans un style quasi-documentaire agrémenté d'expérimentations visuelles (alternances entre la caméra granuleuse 8 mm de Cheryl et le rendu 16 mm du récit principal). The Watermelon Woman propose en revanche une trame plus élaborée, avec une progression narrative et des enjeux. Cela permet d’aller au-delà des discussions parfois agaçantes entre Cheryl et Tamara et d’impliquer le spectateur. J’ai donc préféré The Watermelon Woman à Go Fish, et j'ai pu profiter de la superbe restauration effectuée par Criterion en 2023.


Films vus seuls
風雲城史 [Fûun jôshi] de Tôkô Yamazaki (1928, Castle of Wind and Clouds)
En rentrant chez lui après trois années de service à Edo, Shinhachi Aizawa apprend par son grand-frère malade qu’un complot vise à renverser leur seigneur. Inconscient de la gravité de la situation, celui-ci se vautre dans la débauche et a pris pour favorite contre son gré la fiancée de Shinhachi, Chigusa, qui avait promis d’attendre son bien-aimé. Dépité, Shinhachi est approché par les rebelles menés par le cousin du souverain, le fourbe Samonnasuke. Il refuse de collaborer et Samonnasuke décide de se débarrasser de lui en le faisant passer pour un traitre.

En 1926, la Shôchiku était déjà un des grands studios japonais. Spécialisée dans les histoires contemporaines (gendai-geki), elle était à la traine dans les jidai-geki. Elle contacta l’acteur/metteur en scène Teinosuke Kinugasa, qui venait d’essuyer l’échec de son film expérimental Kurutta Ichipeiji (1926, A Page of Madness), pour lui offrir un contrat de financement de deux jidai-geki par mois distribués par la Shôchiku. Pour répondre à la demande, Teinosuke Kinugasa fonda la compagnie Kinugasa Eiga Renmei. L’alliance se maintint deux années, au cours desquelles la Kinugasa Eiga Renmei tourna une trentaine de longs métrages. Ils contribuèrent à promouvoir une nouvelle recrue de la Shôchiku destiné à une belle carrière, Kazuo Hasegawa (Shinhachi).
Fûun jôshi dure à peine une heure et est réalisé par Toko Yamazaki, un employé de la Kinugasa Eiga Renmei qui disparut de la circulation avec la dissolution de l’entreprise en 1928. Il a été restauré dans les années 2010 par CINEMATEK, la Cinémathèque royale de Belgique, avec un accompagnement musical et sans la voix-off d’un benshi. Le scénario suit le cliché du brave gars contraint d’ignorer son amour par loyauté pour un vil maître amoral, l’opposition classique giri (obligation sociale) contre ninjô (sentiments personnels). Fidèle à l’esprit contestataire des chanbara de la fin des années 20, la conclusion étonne, avec un Shinhachi qui se barre dégouté au lieu de se suicider ou de mourir glorieusement. Visuellement, c’est assez bluffant, on sent la présence dans l’équipe technique de gens qui ont travaillé sur Kurutta Ichipeiji (notamment le directeur de la photographie Eiji Tsuburaya, futur concepteur de Godzilla). Ce fut au final une jolie découverte.


Ahí está el detalle de Juan Bustillo Oro (1940, You're Missing the Point)
Tous les soirs, Cantinflas s’incruste dans la cuisine de sa fiancée Paz, servante chez un couple de bourgeois composé de Cayetano et Dolores. Elle aimerait qu’il accède à un emploi stable pour qu’ils puissent se marier, idée qui horrifie le nonchalant Cantinflas. Pour continuer à manger gratos, il accepte cependant de tuer le chien enragé de la maison. Le soir même, Dolores reçoit la visite d’un maître-chanteur qui menace de donner des lettres compromettantes au jaloux Cayetano. Soupçonnant son épouse, celui-ci déboule avec la police et commence à fouiller la demeure. Quand il tombe sur Cantinflas planqué dans un placard, il pense avoir attrapé l’amant de sa femme. Pour se sortir du pétrin, Dolores prétend que Cantinflas est son frère disparu depuis des années, dont ils attendaient le retour pour toucher l’héritage.

Mario Moreno Reyes dit Cantinflas fut une énorme star de la comédie mexicaine des années 40-50. Ahí está el detalle fut son premier succès, dans lequel il crée son personnage de fainéant baratineur issu du petit peuple, capable d’embrouiller n’importe quel interlocuteur par son flux ininterrompu de paroles. A ses débuts, ses cibles étaient principalement les riches et les autorités, avant de s’embourgeoiser avec le temps. Ahí está el detalle est un vaudeville dans lequel aurait débarqué un Charlot jacasseur, avec une intrigue de plus en plus absurde. Je craignais un comique relou type Capulina, j’ai été agréablement surpris. Cantinflas a un jeu relativement sobre, l’humour est axé sur les dialogues et sur les quiproquos, pas sur des grimaces et des gags physiques. Je vais donc essayer de récupérer ses autres classiques, bien qu’il soit souvent difficile de dénicher des sous-titres pour les comédies populaires.

Операция «Ы» и другие приключения Шурика [Operatsiya 'Y' i drugie priklyucheniya Shurika] de Leonid Gaidai (1965, Opération Y et autres aventures de Chourik)
Opération Y et autres aventures de Chourik est une comédie soviétique divisée en trois sketches de trente minutes ayant pour héros l’étudiant Chourik :
Partenaire : Chourik a une altercation dans un bus avec un ivrogne qui refuse de céder sa place à une femme enceinte. La police intervient et l’individu récalcitrant récolte quinze jours de travaux communautaires. Il se retrouve par hasard sur le chantier de Chourik et décide de se venger.
Obsession : à quelques jours des examens, Chourik cherche désespérément des notes de cours pour l’aider à réviser. Il croise une jeune femme en train de consulter son cahier et regarde par-dessus son épaule. Les deux sont tellement plongés dans leur lecture qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font.
Opération Y : un directeur corrompu engage trois gars louches pour commettre un faux cambriolage dans son dépôt. Tandis que le local devait être gardé par une vieille dame, Chourik l’a remplacée à la dernière minute.
La comédie est un domaine toujours périlleux, qui nécessite en général une connaissance de la culture et de l’époque pour l’apprécier pleinement. J’ai ainsi mis des années à m’accoutumer à la comédie hongkongaise des années 70-80. Mes rares expériences soviétiques avaient été plaisantes mais se situaient dans les années 20, que ce soit La jeune fille au carton à chapeau (1927) ou Three Friends and an Invention (1937).
A la suite du succès du film à sketches Les hommes d'affaires (1962) tiré de trois nouvelles d’O. Henry, Leonid Gaidai voulut réaliser une histoire originale et opta pour un scénario composé de deux récits avec Chourik. Afin d’arriver à une durée raisonnable d’1h30, une troisième aventure fut ajoutée mettant en vedette le trio le lâche, l’imbécile et le professionnel déjà apparu dans deux courts métrages de Leonid Gaidai. Opération Y et autres aventures de Chourik fut un triomphe au box-office et engendra un second volet, La Prisonnière du Caucase ou les Nouvelles Aventures de Chourik (1967).
A ma grande surprise, Opération Y et autres aventures de Chourik s’est avéré fort distrayant. C’est du pur slapstick avec un humour absurde qui rappelle l’âge d’or des années 1910-1920. Il y a peu de dialogues, de nombreuses séquences ont été improvisées et cela fonctionne parfaitement. Partenaire est le plus élaboré sur le plan des gags physiques et le plus dynamique ; Obsession est lunaire, avec un Chourik proche d’un Harold Lloyd ; Opération Y parodie le film de casse avec une bande de bras cassés, version russe des Trois Stooges en moins pénible. Excepté un blackface de mauvais goût et un chat maltraité, c’est gentil et amusant et je pense voir La Prisonnière du Caucase ou les Nouvelles Aventures de Chourik.


大根と人参 [Daikon to ninjin] de Minoru Shibuya (1965, Radishes and Carrots)
Tokichi mène une vie bien rangée. En trente ans de carrière, il a progressivement grimpé les échelons dans sa compagnie et détient à présent un poste important. Son épouse s’occupe de lui et de la maison, trois de ses quatre filles sont mariées et la quatrième est fiancée au fils d’un de ses amis. Seul son frère Kosuki, un coureur de jupons dépensier, lui pose des problèmes. Un jour, Kosuki demande à Tokichi un million de yens pour rembourser de l’argent piqué dans la caisse de leur entreprise. D’abord réticent, Tokichi accepte. Mais le jour où il doit remettre les sous à Kosuki, il disparait sans prévenir sa famille.

En 1963, avec son comparse Kôgo Noda, Ozu commença l’écriture d’un scénario inspiré d’une nouvelle de Ryûnosuke Akutagawa centrée sur une dispute entre deux vieux camarades qui compromet le mariage entre leurs enfants. Ozu décéda avant d’avoir pu terminer, la Shôchiku reprit le projet sans Kôgo Noda qui ne souhaitait pas continuer. Elle le confia à Minoru Shibuya, un ancien assistant d’Ozu habitué de la comédie de mœurs.
A l’inverse de ce qu’il avait fait dans Kojin kojitsu (1961, A Good Man, A Good Day), Minoru Shibuya n’a pas essayé de copier son mentor et a conservé son style, ce qui aboutit à un résultat très différent du cinéma calme et subtil d’Ozu. L’humour est parfois vulgaire, avec pas mal d’allusions sexuelles, Chishû Ryû en rajoute, ça pleure et ça crie sans retenue. Pas de caméra basse ou de pillow-shot, remplacés une voix-off de Kosuki assez lourdingue qui disparaît heureusement rapidement. Outre les fidèles d’Ozu, la distribution comporte des stars à la mode, notamment Hiroyuki Nagato, un régulier de Shôhei Imamura ; ou Mariko Kaga, révélée l’année précédente par Fleur pâle de Masahiro Shinoda (1964). Le premier tiers est poussif, Minoru Shibuya semblant vouloir se démarquer d’Ozu à tout prix. A partir de l’évaporation de Tokichi, il trouve son rythme, les protagonistes gagnent en profondeur et le frère relou est relégué au second plan. Daikon to ninjin mérite donc le coup d’œil et permet aux amateurs d’Ozu de mieux appréhender l’apport du maître à travers cette variation sur ses thèmes.
Pour l’anecdote, le titre anglais est aussi noté Radishes and Carrots, Radish and Carrot ou The Radish and The Carrot. Les trois sont possibles puisque le japonais n’a par défaut ni singulier ni pluriel.


Sweeney Todd: The Demon Barber of Fleet Street de George King (1936)
En 1836 à Londres, le marin Mark est amoureux de la belle Johanna, mais il est pauvre et le père de sa bien-aimée refuse leur mariage. Il embarque dépité sur son bateau pendant que Johanna se morfond. Leur liaison a été révélée par le barbier Sweeney Todd, qui a des vues sur Johanna. Sous les dehors d’un brave commerçant, il tue et détrousse les voyageurs grâce à un habile mécanisme. Il est épaulé par Mme Lovatt, la boulangère, qui l’aide à se débarrasser des corps contre rétribution.

Tod Slaughter fut un acteur de théâtre anglais spécialisé dans les vilains ricanant de mélodrames victoriens. Il établit sa réputation en 1931 dans le rôle de Sweeney Todd, qu’il joua 2000 fois au New Theatre de Londres. Il reprit le personnage sur grand écran en 1936 et enchaîna les mélodrames horrifiques, des touches de bizarre et de macabre se greffant à de pures intrigues mélodramatiques. Ils étaient tournés avec des budgets réduits et entraient dans la catégorie des quota quickies. J’étais curieux d’en voir un pour la science en tant qu’ancêtre du cinéma d’horreur britannique, et j’ai choisi Sweeney Todd parce que je connaissais déjà la trame. Les interprètes ont un jeu tarte (pour Mark et Johanna) ou outrancier, en particulier Tod Slaughter avec son rire de méchant. C’est statique, on sent l’origine théâtrale avec une succession de scènes fixes. Les séquences dans la boutique sont clairement les meilleures, le reste n’a guère d’intérêt. C’est heureusement court, 1h16, et les excès de Tod Slaughter font passer la pilule. Pas sûr en revanche que je renouvellerai l’expérience.


Livres
L’envol de Kuniko Tsurita (Atrabile, 2021), 496 p.
L’envol est composé de vingt-neuf mangas de Kuniko Tsurita, majoritairement parus dans le magazine Garo entre 1965 et 1980 et présentés dans un ordre chronologique. Le recueil s’ouvre sur deux brèves histoires de SF, genre à la mode au milieu des années 60, et sur un essai sans parole sans doute trop avant-gardiste pour son temps (Femme, 1966). Kuniko Tsurita se tourna ensuite vers des watakushi mangas (manga du moi fortement autobiographique) parodiques puis vers des satires de la jeunesse bohème tokyoïte. Après une pause de presque un an où elle travailla en tant qu’assistante de Shigeru Mizuki pendant un mois, elle s’orienta à partir de 1969 vers des récits sombres influencés par Yoshiharu Tsuge, avec un style qui se complexifie et des expérimentations. Elle décèda de lupus en 1985 à l’âge de 37 ans.

J’avais globalement apprécié Jouer au loup, qui comprenait essentiellement des inédits de Kuniko Tsurita, et j’étais curieux de lire L’envol qui compile ses mangas les plus connus. Ils s’étalent sur une période plus longue et ont moins de cohérence car Kuniko Tsurita se cherchait durant ses débuts et explorait différents genres. J’ai été peu convaincu par ce qui date d’avant 1969, des textes assez humoristiques pauvres graphiquement. Si la noirceur précède le diagnostic de sa maladie en 1973, la détérioration de son état et ses séjours à l’hôpital accentuent son pessimisme. Je ne sais pas si les deux volumes publiés par Atrabile regroupent l’intégralité de son œuvre. Je ne peux en tout cas que les remercier d’avoir traduit en français cette autrice importante, une des rares à s’être frottée au gekiga à une époque où les femmes étaient assignées au shôjo.


Pas de lettre pour le colonel de Gabriel García Márquez (Grasset, collection « Les Cahiers Rouges », 2004), 127 p.
Dans un village reculé de Colombie, un vieux colonel attend le courrier chaque semaine avec impatience. Il espère depuis quinze ans l’arrivée d’une lettre et continue d’y croire en dépit du pessimisme de son épouse asthmatique. Leur fils Agustín est mort quelques mois plus tôt, abattu pour avoir distribué des tracts clandestins alors que le pays est sous la loi martiale. Il a laissé à ses parents un coq de combat, que son père entretient avec ses maigres moyens. Bien que vivant dans la misère, le colonel refuse de le vendre, par fierté et en l’honneur de la mémoire d’Agustín.

Ecrit en France en 1957, Pas de lettre pour le colonel fut publié en 1961 en Colombie. C’est un court roman sur l’attente, à la narration simple et linéaire, quasiment dépourvu du réalisme magique habituel de l’auteur. Gabriel García Márquez s’inspira de son grand-père, un ancien militaire qui ne reçut jamais la pension promise, et probablement de sa période de chômage en France en 1956. Il considérait que c’était son meilleur livre, déclarant même de façon provocatrice qu’il avait rédigé Cent ans de solitude pour que les gens se penchent sur Pas de lettre pour le colonel. Je n’irai pas jusque-là. Si Pas de lettre pour le colonel est un beau texte sur l’existence misérable d’un homme oublié, il n’a pas l’ampleur et la richesse de Cent ans de solitude. J’ai en outre été déçu par l’absence du réalisme magique que j’apprécie chez Gabriel García Márquez. Cela n’empêche pas Pas de lettre pour le colonel d’être un incontournable pour les amateurs de l’écrivain, qui possède l’avantage de la brièveté, à peine une centaine de pages en gros caractères.

British Horror Cinema dirigé par Steve Chibnall & Julian Petley (Routledge, collection « British Popular Cinema », 2002), 242 p.
British Horror Cinema est un recueil de treize articles universitaires dédiés au cinéma d’horreur britannique des années 1930 aux années 1990. Ils peuvent se diviser en trois catégories :
• Des essais historiques sur le développement de la censure, très sévère en Grande-Bretagne ; sur le rôle des critiques, qui n’ont généralement pas été tendres et ont contribué à la mauvaise réputation du genre ; un focus sur les années 30 et sur les prémices ; une Histoire du studio Amicus, un concurrent de la Hammer.
• Des textes sur des films ou des metteurs en scène spécifiques : une comparaison entre Les innocents de Jack Clayton (1961) et le roman Le tour d'écrou d’Henry James dont il est tiré ; une présentation du psycho-thriller, issu du succès de Psychose (1960), et des films centrés sur la sorcellerie et l’occulte ; une analyse de Death Line de Gary Sherman (1972, Le métro de la mort) et des opus de Pete Walker ; un entretien avec Clive Barker et avec l’acteur Doug Bradley.
• Des articles sociologiques ou sociétaux consacrés notamment aux fans féminines d’horreur, marginales au sein d’un public essentiellement masculin ; à la représentation de la folie féminine dans quatre longs métrages ; et un essai autobiographique du réalisateur Richard Stanley sur ses souvenirs du cinéma la Scala à Londres, spécialisé dans l’horreur.
British Horror Cinema a déjà vingt ans, âge non négligeable compte tenu de l’évolution de la perception du cinéma d’horreur chez les intellectuels depuis le début du XXIe siècle. Longtemps méprisé, le genre a été fortement réévalué et a ainsi droit à des encarts réguliers dans des journaux « sérieux » type Les Cahiers du cinéma ou Télérama, phénomène inenvisageable quand j’étais jeune. La censure en Grande-Bretagne s’est par ailleurs considérablement allégée au cours des années 2000, ce qui a permis au cinéma d’horreur britannique de renaitre de ses cendres. Il ne faut donc pas chercher dans British Horror Cinema un état des lieux contemporain. Les textes revenant sur les aspects historiques sont les plus enrichissants, en particulier celui sur les années 30 et sur la Amicus, qui a vécu dans l’ombre de la Hammer. Les études de cas n’apportent pas grand-chose, si ce n’est celle sur Pete Walker que je connais mal et la discussion avec Clive Barker. Le reste est également obsolète. Si British Horror Cinema était sans doute pertinent au moment de sa parution, il est aujourd’hui daté et son intérêt est mince pour un lecteur moderne.


Revues
Mad Movies n°396 – Septembre 2025
Le numéro de ce mois-ci consacre un bref dossier aux adaptations récentes de Stephen King, en jugeant durement la plupart des séries tirées de ses œuvres. Ils sont en revanche enthousiaste sur The Long Walk (2025), transposition apparemment réussie du roman Marche ou crève. Ils proposent en outre un long hommage à Jean-Pierre Putters décédé en juillet 2025, le fondateur de la revue Mad Movies qui fut longtemps son rédacteur en chef.

Du côté des nouveautés, je note Evanouis (2025), le dernier opus du réalisateur de Barbare (2022) en dépit d’une critique mitigée ; La tour de glace de Lucile Hadzihalilovic (2025) qui divise la rédaction, inspiré du conte La reine des neiges ; la comédie dramatique japonaise dystopique Happyend (2024) ; et le film d’animation canado-français La mort n'existe pas (2025), qui semble bien barré et techniquement original.
A part ça, Miroirs brisés de la néerlandaise Marleen Gorris (1984) ressort en salles, accompagné de Le silence autour de Christine M. (1982). J’avais vu il y a longtemps Le silence autour de Christine M. (1982) mais je n’en ai malheureusement aucun souvenir. Il y a enfin une interview de Walter Murch, monteur mythique qui a travaillé avec Lucas et Coppola.


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