samedi 18 mai 2024

Carnet de bord 11/05/2024-17/05/2024



Films vus en compagnie
Werewolf by Night de Michael Giacchino (2022)
Le chasseur de monstres Ulysses Bloodstone vient de mourir. Sa conjointe organise une compétition pour déterminer à qui échouera la Pierre de sang, un puissant artefact qu’il détenait. Deux personnages se démarquent dans cette réunion de tueurs sanguinaires : Elsa, fille d’Ulysses, qui s’était éloigné de son père et est décidée à récupérer son héritage ; et Jack Russell, un individu mystérieux qui semble poursuivre son propre objectif.

Werewolf by Night est un téléfilm Disney spécial Halloween inclus dans le Marvel Cinematic Universe. Il met en avant des antihéros Marvel méconnus, notamment Jack Russell (alias Werewolf by Night) et l’Homme-chose créés au début des années 70. Le projet trainait dans les cartons depuis 2001 et fut finalement confié au compositeur Michael Giacchino. Werewolf by Night démarre lentement malgré sa brève durée de 52 minutes. A la fois trop court (des concepts sous-développés, des intrigues insuffisamment explorées) et trop long, on a l’impression que Disney ne savait pas sur quel pied danser et a opté pour un compromis insatisfaisant. Il y a une ambiance graphique et musicale intéressante, j’ai bien aimé l’Homme-chose, mais le résultat est bancal et ne m’a pas convaincu.


Talk to Me de Danny Philippou & Michael Philippou (2022, La main)
Mia a 17 ans et n’admet pas la perte de sa mère, décédée deux ans auparavant d’une surdose de somnifères. Les relations avec son père sont tendues et elle squatte chez sa meilleure amie Jade. Un soir, Jade, son copain Daniel, son petit-frère Riley et Mia se rendent chez Hayley et Joss, qui proposent régulièrement des séances d’occultisme. Grâce à une étrange main, leurs invités sont temporairement possédés par des morts. Mia et Daniel se prennent au jeu et deviennent rapidement accroc.

Talk to Me est la première réalisation des frères Philippou, deux jumeaux australiens animateurs d’une chaîne Youtube apparemment populaire. Sous des dehors classiques de jeunes mal dans leur peau et d’expériences ésotériques qui tournent à la catastrophe, Talk to Me déroule une histoire glauque centrée sur une ado égoïste et irresponsable. A l’inverse du modèle hollywoodien habituel, il n’y a pas de justifications des phénomènes, on est mis devant le fait accompli et on constate les dégâts engendrés par de mauvais choix. Un bon film de genre pour un pays qui s’était illustré dans les années 70/80 (la fameuse Ozploitation) et a un peu disparu des radars de l’horreur.


Films vus seuls
Circuito chiuso de Giuliano Montaldo (1978, Circuit fermé)
Un western spaghetti est projeté dans une salle de cinéma. Le public est épars, la plupart des spectateurs ne sont pas passionnés par le sujet et se vouent à d’autres occupations. Un individu en retard s’installe dans son siège juste avant le duel final et se prend une balle au moment où le héros à l’écran tire sur son adversaire. Une jeune fille hurle, la lumière se rallume, le cinéma est bouclé et la police arrive. L’inspecteur commence à interroger la quarantaine de témoins pour débusquer le coupable.

Circuito chiuso est un téléfilm italien produit par la RAI et vaguement inspiré de la nouvelle The Veldt de Ray Bradbury. C’est un whodunit mâtiné de surnaturel baignant dans une atmosphère gialloïsante sur fond de satire sociale (loin néanmoins de la critique portée par Sacco & Vanzetti (1971) du même Giuliano Montaldo). Plus le récit avance, plus le mystère s’épaissit. En dépit de longueurs, d’un budget réduit et d’une explication alambiquée, c’est original et bien mené, avec une truculente galerie de personnages.


とむらい師たち [Tomuraishi tachi] de Kenji Misumi (1968, Les combinards des pompes funèbres)
A Ôsaka durant la préparation de l’Expo 70, les entreprises de pompes funèbres se livrent une concurrence acharnée. Pour trouver des clients, Ganmen traine du côté du bureau de déclaration des décès. Spécialisé dans les masques funéraires, il respecte les morts et fournit un service de qualité, à l’inverse des grandes compagnies de la filière. Constatant son implication, un riche industriel propose de le financer pour qu’il monte sa société. Epaulé par un conducteur de corbillard, un docteur sans diplôme et un fonctionnaire démissionnaire, Ganmen se lance sur le marché avec des méthodes innovantes.

Tomuraishi tachi est tiré du roman homonyme d’Akiyuki Nosaka, l’illustre auteur de La tombe des lucioles. Il ne faut cependant pas s’attendre à un drame, on est dans de la pure satire, genre auquel Misumi s’est rarement frotté. Ça m’a un peu évoqué le Kon Ichikawa du début des années 50, impression renforcée par la présence de Yûnosuke Itô en médecin pervers. L’histoire se déroule à Ôsaka, ce qui n’est sans doute pas anecdotique. Il existe au Japon une vieille rivalité entre Tôkyô la capitale actuelle, Kyôto l’ancienne capitale cœur des traditions et Ôsaka la reine du commerce. De nombreux clichés circulent sur les habitants d’Ôsaka, ils sont généralement dépeints comme tolérants et fêtards mais aussi vulgaires et cupides. Dans Tomuraishi tachi, tout le monde veut sa part du gâteau et le culte des ancêtres s’efface devant la quête du profit. Shintarô Katsu s’en donne à cœur joie dans le rôle de Ganmen, avec un surjeu pour une fois adéquat et des gags visuels cocasses. La dernière demi-heure s’engage dans un virage moraliste déconcertant et pas franchement convaincant, et l’ultime séquence laisse dubitatif. Nonobstant ce souci, c’est fort plaisant.


鞍馬天狗 [Kurama Tengu] de Teppei Yamaguchi (1928)
En 1863, les fidèles du shôgunat emmenés par le Shinsengumi et son chef Kondô Isami affrontent dans un duel sans merci les partisans d’une restauration du pouvoir impérial soutenus par le fameux Kurama Tengu. Sugisaku, un enfant acrobate ami de Kurama Tengu, apprend que celui-ci est tombé dans un piège, a été arrêté et va bientôt être exécuté. Il appelle les compagnons de Kurama Tengu à la rescousse et se rend lui-même à la prison pour l’aider à s’évader.

Kurama Tengu est initialement un feuilleton de l’écrivain Jirô Osaragi rédigé en 1924 pour le magazine Pocket. Il eut un succès immédiat et fut aussitôt porté sur grand écran. Les quarante-sept nouvelles et romans centrés sur le personnage parus entre 1924 et 1967 engendrèrent une soixante de longs métrages. Kurama Tengu fut incarné par une douzaine de comédiens dont Matsunosuke Onoe en 1925, Raizô Ichikawa en 1965 et surtout Kanjûrô Arashi entre 1927 et 1956, qui à lui seul joua dans les deux tiers des adaptations. La plupart des films ont disparu de nos jours et la version de 1928 critiquée ici est la première survivante, produite pour le studio Arashi Kanjûrô Productions fraichement créé après le départ de Kanjûrô Arashi de Makino Film Productions. Ce Kurama Tengu mentionne des épisodes antérieurs que les spectateurs de l’époque devaient connaître et qui ne sont pas indispensables à la compréhension. Le DVD japonais Talking Silents 5 offre un choix entre deux benshi, Midori Sawato et Shunsui Matsuda, et j’ai opté pour le second.
On est dans un chanbara destiné aux enfants, Sugisaku ayant une importance au moins égale à Kurama Tengu. Enfermé par ses ennemis, ce dernier n’apparaît pas avant une vingtaine de minutes (sur les soixante-dix restantes). C’est distrayant, avec de l’humour, des courses-poursuites et des combats pêchus. Comme expliqué en bonus par Tadao Satô, Kanjûrô Arashi venait de la danse et possédait un excellent jeu de jambes, qui lui permit de développer un style martial unique. Kurama Tengu se termine sur un cliffhanger et on ne pourra malheureusement jamais assister au dénouement, les bobines suivantes étant perdues.


鞍馬天狗 恐怖時代 [Kurama Tengu: Kyôfu jidai] de Teppei Yamaguchi (1928, The Frightful Era of Kurama Tengu)
Des bandits sévissent à Edo et terrorisent la population. Saigô Kichinosuke, le chef du mouvement contre le shogunat, a convoqué ses alliés pour mettre un terme à cette situation. Seul Kurama Tengu est volontaire pour enquêter sur les malfrats. Il découvre qu’un individu louche se fait passer pour lui et ses pas le mènent jusqu’à une maison hantée.

Les différents volets de Kurama Tengu n’ont pas toujours de rapport entre eux. En dépit d’un casting similaire au Kurama Tengu de 1928, The Frightful Era of Kurama Tengu n’est pas sa continuation, plutôt une alternative également réalisée par Teppei Yamaguchi (sur qui je n’ai aucune information). Une bonne partie de la pellicule a disparu, il n’en reste aujourd’hui que 38 minutes. Parmi les scènes encore visibles, celle dans la maison hantée est esthétiquement réussie et évoque les films de fantômes des années 50. Le combat est dynamique et la perte de ces séries des années 20 est regrettable.
A noter que Kurama Tengu porte un masque curieux. Selon Tadao Satô, les justiciers masqués étaient à la mode au début des années 20 grâce au succès du serial The Purple Mask (1916) d’Universal (studio souvent assimilé au Japon à sa filiale très appréciée Bluebird Photoplays) et de The Mark of Zorro (1920) avec Douglas Fairbanks. Le problème du masque est qu'il cache le visage de la vedette et il fallait donc trouver une astuce, d’où cet attirail bizarre.


鼠小僧次郎吉 [Nezumi kozô Jirôkichi] de Kenji Misumi (1965, Jirôkichi le rat)
A Edo, durant le règne d’Ienari Tokugawa, le héros Nezumi Kozô vole les riches et redistribue aux pauvres. De son vrai nom Jirôkichi, il se dissimule en journée sous les traits d’un brave boutiquier. Une nuit, attrapé par la milice, il est secouru par le rônin Shinkuro Kotani et s’échappe in extremis. Le destin des deux hommes va dès lors s’entrecroiser. S’ils poursuivent le même objectif de renversement d’un système injuste, Jirôkichi rejette la violence tandis que Shinkuro souhaite éradiquer les profiteurs.

Nezumi Kozô est un cambrioleur qui a existé et a sévi une dizaine d’années avant d’être exécuté en 1831. Capturé avec une faible somme d’argent sur lui, sa légende de Robin des bois japonais s’est construite après sa mort à travers des chansons populaires et des pièces de kabuki. En réalité, il n’y a aucune preuve qu’il partageait son butin avec les démunis, il le dépensait sûrement en jeu, alcool et prostituées. En 1931-1932, le romancier Jirô Osaragi publia dans le magazine littéraire Kodan Club la fiction historique Nezumi kozô Jirôkichi. Elle fut rapidement transposée à l’écran, en 1932 par la Shôchiku et en 1933 par la Nikkatsu.
La version de 1965 de Kenji Misumi est la troisième, avec Yoichi Hayashi dans le double rôle de Jirôkichi et Shinkuro Kotani. Acteur de kabuki issu d’une famille prestigieuse, il eut une brève carrière au cinéma. Les moyens sont conséquents, avec une reconstitution d’un bidonville, de jolis costumes et la ribambelle des traditionnels seconds couteaux de la Daiei. Nezumi kozô Jirôkichi véhicule par ailleurs une certaine charge contestatrice, qui irrigue sa deuxième moitié. Elle était probablement manifeste dans le texte d’origine et devait sans doute être plus virulente dans la mouture de 1933 de Sadao Yamanaka. Malgré une performance de Yoichi Hayashi assez figée qui ne m’a pas convaincu, Nezumi kozô Jirôkichi est supérieur au tout-venant, avec une mélancolie inhabituelle dans ces grosses productions.


Вельд [Vel’d] de Nazim Tulyahodzhayev (1987, The Veldt)
Un couple commence à craindre l’installation qu’ils ont mis en place pour leurs enfants, Peter et Wendy. Composée d’une grande pièce tapissée d’écrans, elle permet de s’immerger dans un paysage. Peter et Wendy ont une prédilection pour la savane africaine, avec des lions dont les rugissements hantent la maison et qui donnent l’impression de pouvoir jaillir des murs. Pendant ce temps, un vieillard et son épouse rêvent de revoir leur fils, disparu il y a quarante ans.

Le scénario de The Veldt mélange la nouvelle homonyme de Ray Bradbury à The Martian. S’y ajoutent des éléments inquiétants extraits de The Dragon, The Pedestrian, Marionettes, Inc. et Dandelion Wine. Présenté comme le premier film d’horreur soviétique (à tort, Viy (1967) détenant peut-être ce privilège), il fut produit par Uzbekfilm et réalisé par Nazim Tulyahodzhayev. Celui-ci s’était fait une réputation trois ans auparavant avec le court métrage d’animation Budet laskovyy dozhd (1984), déjà inspiré de Bradbury. Les effets spéciaux pâtissent d’un budget extrêmement limité, Uzbekfilm ne roulant pas sur l’or, et la copie qui circule est d’une piètre qualité. En dépit de ces défauts, The Veldt dégage quelque chose. Il irradie une atmosphère lugubre de fin du monde dans des décors en ruine, avec une oppression renforcée par la narration chaotique mêlant les histoires de Bradbury. C’est déstabilisant et cela vaut le coup d’œil pour les amateurs de cinéma de genre atypique.


女系家族 [Nyokei kazoku] de Kenji Misumi (1963, La famille matrilinéaire)
Un riche grossiste veuf d’Ôsaka décède brutalement. Dans son testament, il lègue ses biens à ses trois filles, Fujiyo l’aînée, Chizu la cadette et Hinako la benjamine. Il leur révèle par ailleurs l’existence de sa maîtresse, Ayano, en les priant d’être généreuses avec elle sans autre obligation. S’estimant lésée par la répartition, Fujiyo proteste. Afin de parvenir à un compromis, l’exécuteur testamentaire et commis en chef, Uichi, décide de décaler d’un mois la remise de l’héritage. Chacune des sœurs se lance alors dans de savants calculs et négociations pour tirer son épingle du jeu, sous la houlette du filou Uichi.

Nyokei kazoku est adapté d’un livre de Toyoko Yamasaki publié en feuilleton en 1963 dans l’hebdomadaire Shûkan Bunshun. Fameuse romancière native d’Ôsaka, Toyoko Yamasaki écrivit plusieurs bouquins sur des familles marchandes de sa ville. Ancienne journaliste au quotidien de centre-gauche Mainichi Shimbun, ses intrigues se focalisaient en général sur les problèmes sociaux, la corruption et l’injustice. Son œuvre la plus célèbre au Japon est Shiroi Kyotô, sur la vie de deux médecins de l’hôpital universitaire d’Ôsaka. Loin du « drame familial bouleversant » annoncé par la Cinémathèque française (qui ne l’avait sans doute pas encore vu quand ils ont rédigé leur programme), Nyokei kazoku est en réalité une satire se moquant de l’amour de l’argent de la bourgeoisie. Personne n’est épargné, sauf Ayano dans une certaine mesure.
Le casting est excellent, porté par Machiko Kyô en grande sœur vénale et Ganjirô Nakamura en Uichi truqueur et menteur. Ayako Wakao a un rôle moins prévalent en maîtresse martyrisée par Fujiyo, Chizu et leur tante. A noter la présence de Jirô Tamiya en amant de Fujiyo, qui interprètera un des docteurs dans la transposition de Shiroi Kyotô de 1966 puis à la télévision. Nyokei kazoku constitue donc une nouvelle bonne surprise dans la filmographie de Kenji Misumi, employé par la Daiei dans une multitude de genres et pas uniquement pour les chanbaras appréciés en Occident.


舞妓と暗殺者 [Maiko to ansatsusha] de Kenji Misumi (1963, La courtisane et l'Assassin)
Shinjiro Kuki est un loyaliste, un partisan de l’empereur qui affronte les sbires du shôgunat. A l’inverse de ses camarades, il descend d’une famille misérable de paysans et espère que la restauration du pouvoir impérial changera la société. Une nuit, blessé et séparé de ses compagnons lors d’une attaque, il se réfugie dans une maison de geishas et est sauvé par la jeune Hinagiku. Elle est également de basse extraction et ils se lient d’amitié. Shinjiro continue en parallèle ses assassinats ciblés et constate amèrement que son supérieur les exploite à son profit.

Maiko to ansatsusha est un récit original de Kaneto Shindô, qui enchaînaient les scénarios entre deux réalisations. Il surfe sur la mode du chanbara contestataire du début des années 60, avec des samouraïs défavorisés qui se battent contre le système et l’autorité. S’y ajoute ici une romance entre gens de même condition bien que de classes différentes. Hinagiku est incarnée par Miwa Takada, aperçue dans Aobajô no oni (1962, son premier film), Nyokei kazoku (1963) ou Nihiki no yôjimbô (1968). Actrice de la Daiei abonnée aux ingénues au cœur pur, elle devint une star de la télévision après son départ du studio en 1968. En 1982, elle effectua un choquant retour sur grand écran avec une scène de sexe torride dans le roman porno Lady Karuizawa.
Le point fort de Maiko to ansatsusha n’est pas tant l’intrigue, prévisible excepté son étonnante conclusion, que la superbe photographie contrastée en noir et blanc de Shôzô Honda, épaulée par un découpage efficace. Ramassé sur 1h15, on ne perd pas de temps, Misumi nous plonge immédiatement dans l’action. Les machinations politiques importent peu, au final ce sont les pauvres qui trinquent. Cela reste superficiel, on n’est pas chez Masaki Kobayashi ou Tadashi Imai, mais ces éléments donnent une consistance à l’histoire d’amour entre Shinjiro et Hinagiku et hisse Maiko to ansatsusha au-dessus de la moyenne.


兇状流れドス [Kyôjo nagare dosu] de Kenji Misumi (1970, L'épée errante)
Ginji est un yakuza vagabond au grand cœur, qui aide les personnes qu’il croise sur son chemin. Délivrant une femme des griffes de crapules, il se retrouve mêlé à une lutte larvée entre deux gangs : le clan Takizawa, mené par un boss old school qui gère un chantier et veut simplement travailler en paix ; et la bande de Muto, des scélérats qui tentent d’étendre leur territoire.

Plus d’un an avant sa faillite, la Daiei était déjà en difficulté et cela se sent dans ce Kyôjo nagare dosu au budget réduit. Misumi cache l’impécuniosité comme il peut, multipliant les plans serrés ou usant du brouillard pour masquer l’absence de décor. Niveau scénario ce n’est guère mieux, on est dans un ninkyo eiga extrêmement cliché, j’ai vu ça vingt fois ailleurs (notamment à la Toei, le spécialiste du genre). Pour remplacer Raizô Ichikawa qui venait de décéder, la Daiei emprunta à la Toei Hiroki Matsukata. Il interprète Ginji à la façon d’un Ken Takakura rigolard, c’est le seul intérêt de ce produit quelconque et standardisé.


Livres
Le désert des cendres - Chroniques de la lune rouge 5 de Jean-Pierre Fontana & Alain Paris (Fleuve noir, collection « Anticipation », 1992), 185 p.
Alors qu’il pensait s’être débarrassé de la créature qui contrôlait son corps, Sarkô se rend compte qu’elle est toujours vivante et tombe malade. Zamiago, le seigneur de l’île du fou, le soigne et semble l’avoir guéri. Soulagé, Sarkô rejoint enfin son épouse et son fils qui avaient été enlevés dans les grandes zunes. Mais le malheur le poursuit et il doit s’exiler, rapidement pourchassé par ses anciens amis.

Cinq ans séparent la rédaction du Désert des cendres du tome précédent tandis que les volumes 1 à 4 étaient sortis dans un intervalle de deux ans. Est-ce que les auteurs ont eu des problèmes à conclure ? Ils font en tout cas le vide dans cet ultime épisode, n’hésitant pas à éliminer des personnages clés. Ça commence très fort avec un évènement choc que je n’avais pas vu venir. Le reste du livre a du mal à se relever de ce point d’orgue balancé dès le départ. Pour compenser, Jean-Pierre Fontana et Alain Paris partent dans une fuite en avant en multipliant les révélations et les péripéties incroyables. Cela ne m’a pas convaincu et ce dénouement me laisse une impression mitigée. Il n’empêche que ce fut une série plaisante, clairement pas de la grande littérature, uniquement un agréable divertissement qui n’a rien à envier à nombre de bouquins d’heroic fantasy plus réputés.


The Benshi – Japanese Silent Film Narrators édité par The Friends of the Silent Films Association sous la supervision de Matsuda Film Productions (Urban Connections, 2001), 172 p.
Après une introduction d’une quinzaine de pages rappelant le rôle des benshi dans le cinéma muet japonais, The Benshi – Japanese Silent Film Narrators présente cinquante films muets tournés entre 1922 et 1937. Pour chacun, la feuille de gauche fournit le titre japonais en alphabet latin, le titre anglais, l’année et la compagnie de production, le réalisateur, le scénariste, le directeur de la photographie, les principaux interprètes et un résumé de l’intrigue ; la feuille de droite donne des exemples de phrases mémorables dites par les benshi durant la projection. Suivent les fiches biographiques de vingt-sept benshi (vingt-six hommes et une femme), un bref descriptif de sept salles importantes et un aperçu des actions de l’association The Friends of the Silent Films. Celle-ci a coédité l’ouvrage et effectue un travail de sauvegarde de l’art des benshi à travers une revue et l’organisation périodique de séances commentées par des benshi contemporains.

Pour quelqu’un comme moi qui a déjà beaucoup lu sur les benshi et les premières décennies du cinéma japonais, The Benshi – Japanese Silent Film Narrators n’apporte pas grand-chose de neuf. Les fiches sur les films, qui constituent le cœur du texte, dispensent certes des renseignements précieux sur des opus obscurs pour lesquels les recherches sur internet s’avèrent parfois succinctes. Il manque néanmoins une contextualisation historique, les pages s’enchaînent sans que l’on discerne une logique d’ensemble ou les tendances qui ont structurées le cinéma de cette époque. Mes critiques sont à relativiser par rapport à l’âge de la publication, les informations disponibles en 2001 étant plus limitées que de nos jours. En l’état, il y a mieux sur le sujet.


Mon copain le kappa de Shigeru Mizuki (Cornélius, collection « Pierre », 2010), 320 p.
Sampei vit seul avec son grand-père dans une maison isolée dans les montagnes. L’école et le village se trouvent à dix kilomètres, qu’il doit parcourir à pied tous les matins. Ses camarades se moquent de lui car il ressemble à un kappa. Un jour, il s’endort dans son bateau sur la rivière et est entraîné loin de chez lui. Pendant son sommeil, des kappas montent dans son embarcation et, le prenant pour un des leurs, l’emmènent dans leur royaume sous-marin.

Mon copain le kappa est le premier tome des aventures de Sampei et de son ami le kappa. Il y rencontre divers yôkai et croise régulièrement la route d’un tanuki malicieux. Il s’attire l’inimitié d’un envoyé de la mort, qui finit par vouloir le tuer pour remplir son quota de macchabés. L’ambiance est enfantine, avec un nombre un peu élevé pour moi de blagues de prout et de caca. Si ça n’est pas du niveau de NonNonBâ, mon Shigeru Mizuki préféré (avec son autobiographie), cela demeure sympathique.


Articles
« The Early Development of the Gendaigeki Screenplay: An Introduction, 1908-1917 » de Joanne R. Bernardi (茨城大学教養部紀要 [Bulletin of College of General Education of Ibaraki University], 21, 1989, p.113-126)
« The Early Development of the Gendaigeki Screenplay: Kaeriyama Norimasa and the Jun’eiga Undô » de Joanne R. Bernardi (茨城大学教養部紀要 [Bulletin of College of General Education of Ibaraki University], 22, 1990, p.55-74)
« The Early Development of the Gendaigeki Screenplay: Kurihara Tômas, Tanizaki Junichirô, and Taikatsu’s “Americanism” » de Joanne R. Bernardi (茨城大学教養部紀要 [Bulletin of College of General Education of Ibaraki University], 24, 1992, p.157-186)
Ces trois articles portent sur la naissance du concept de scénario et de script dans le cinéma japonais des années 10 et 20. Avant 1909, il n’y avait rien. Quand le réalisateur ne se contentait pas de filmer une représentation théâtrale, il improvisait durant le tournage à partir d’une vague trame. Shôzô Makino, le père du cinéma japonais, avait ainsi l’habitude de crier ses instructions aux interprètes, qui faisaient ce qu’on leur demandait sans comprendre. L’histoire était composée après coup et distribuée aux benshi, qui comblaient les lacunes par leur bagou. En 1909, des départements scénarios furent créés. Il fallut toutefois attendre 1918 pour que surgisse le premier script. Il fut rédigé par Norimasa Kaeriyama pour son innovant Sei no kagayaki sorti en 1919, qui comportait également des actrices à la place des onnagata, des intertitres et des effets de caméras (notamment des gros plans). Les critiques furent néanmoins déçus du résultat, trop proche des drames shinpa qu’ils abhorraient.
Le premier à intégrer parfaitement les nouveautés dans un cadre moderne de comédie fut Tômas Kurihara, un Japonais formé à Hollywood par Thomas H. Ince. Pour mettre en scène Amachua kurabu (1920), il s’appuya sur un scénario de Jun'ichirô Tanizaki, un script bien découpé et une troupe d’acteurs et d’actrices correctement entraîné⸱e⸱s. Ce fut le premier titre japonais qui plut à l’intelligentsia et soutint la comparaison avec les concurrents américains et européens.

Le contenu de ces articles a été repris et développé dans le livre de Joanne R. Bernardi Writing in Light: The Silent Scenario and the Japanese Pure Film Movement paru en 2001. Je l’ai lu il y a longtemps et je ne m’en souviens pas. « The Early Development of the Gendaigeki Screenplay: An Introduction, 1908-1917 », écrit en 1989, est assez généraliste. Pour les deux suivants, Joanne R. Bernardi a nettement amélioré ses connaissances et s’est concentrée sur deux figures clés de la fin des années 10. Les études sur cette période sont complexes : en l’absence de films, tous perdus, on ne peut que conjecturer, se fier aux documents existants et aux témoignages. Le problème est qu’ils émanent exclusivement des intellectuels modernisateurs qui détestaient le cinéma japonais traditionnel, arriéré selon eux par rapport aux modèles occidentaux. Quoi qu’il en soit, si Joanne R. Bernardi et Aaron Gerow ont par la suite proposés des ouvrages détaillés et passionnants sur ces questions, ces trois papiers ont l’avantage d’être synthétiques, courts et gratuits, et offrent une bonne approche (ou un bon aide-mémoire dans mon cas) de ce sujet fascinant.


Revues
Les Cahiers du cinéma n°809 – Mai 2024
Comme à l’accoutumé, je me moque du dossier annonçant Cannes 2024. Déjà que le bilan de Cannes ne m’intéressera pas, discuter sur ce qu’on est susceptible de voir est selon moi une perte de temps. Pas franchement enthousiasmé non plus par le grand entretien avec Cate Blanchett, où je n’ai rien appris. L’interview de Joan Le Boru, la compagne de Quentin Dupieux qui est sa directrice artistique et sa cheffe décoratrice depuis 2012, est en revanche éclairant, à la fois sur l’importance de ces métiers et sur ce qu’elle apporte aux œuvres uniques de Dupieux.

A part ça, un énième dossier sur Godard, que j’ai survolé vu mon estime limitée pour le personnage ; des sorties dans l’ensemble peu emballantes, sauf La morsure (2024), film de genre à la française qui se revisite le thème du vampire ; et un article sur la rétrospective en cours au Forum des Images sur le cinéma hongkongais, qui m’a fait découvrir trois longs métrages.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire