Films vus en compagnie
颱風 [Tai feng] de Lei Pan (1962, Typhoon)

Lei Pan est une figure inhabituelle du cinéma taïwanais, méconnu dans son pays. Originellement écrivain, il devint scénariste occasionnel avant de passer à la réalisation avec le propagandiste On Mount Hehuan (1958). Typhoon, son troisième film, était initialement un projet indépendant où sa conjointe, l’actrice Ling Wen, devait incarner l’aborigène Ah-Hung. En recherche de financement, il fut contacté par la Central Motion Picture Corporation, important studio d’Etat en quête d’un titre de qualité à présenter à l’Asia-Pacific Film Festival. Des retouches furent exigées et Ling Wen fut remplacée par Tang Pao-yun, une starlette maison future égérie du réalisme sain. Elle prit sa retraite après son mariage en 1967, avant de revenir sur les écrans en 1972 à la demande de Hsing Lee pour Execution in Autumn. Dans les rôles principaux, on retrouve Hung Mu, comédienne au physique atypique ici dans son dernier long métrage, et Ching Tang, abonné aux jeunes premiers fadassous qui adopte un look à la Toshirô Mifune. Il fit une belle carrière à Hong Kong.
Typhoon est tiré du roman éponyme de Lei Pan. Bien que tourné en mandarin, il évoque le cinéma en taïwanais par son noir et blanc (un choix esthétique de Lei Pan et non une contrainte économique), ses extérieurs à Taipei et Alishan, ses thèmes, sa liberté de ton et sa focalisation sur des outsiders peu recommandables. Le cinéma en mandarin préférait le confort des plateaux, qui offraient un meilleur contrôle, et se cantonnait généralement à des intrigues respectables peuplées d’individus proprets pétris de valeurs confucianistes. Il est d’ailleurs étonnant que Typhoon ait eu l’aval de la censure, peut-être à la faveur de sa conclusion bien-pensante. Elle ne m’a néanmoins pas choquée car elle n’est pas aberrante compte tenu du développement psychologique des personnages. Malgré un succès d’estime, Typhoon a rapidement été oublié à Taïwan avec le départ de Lei Pan à la Shaw Brothers et l’arrivée massive de la couleur, et c’est le Japon qui a subventionné sa restauration. En France, Carlotta l’a édité dans un superbe Blu-Ray avec en bonus un entretien passionnant avec la chercheuse Wafa Ghermani (à qui j’ai emprunté la plupart des éléments historiques cités précédemment). Typhoon est une œuvre assez unique, parfaitement interprétée et qui utilise admirablement ses décors naturels. Une jolie découverte, qui ne nécessite pas d’affinité avec la culture chinoise pour être savourée.
La prochaine fois je viserai le coeur de Cédric Anger (2014)

La prochaine fois je viserai le coeur est une transposition du livre Un assassin au-dessus de tout soupçon d'Yvan Stefanovitch et Martine Laroche. L’ouvrage était une fictionnalisation de l’affaire Alain Lamare, un gendarme criminel surnommé le « tueur de l’Oise » qui a sévi entre mai 1978 et avril 1979. Ne l’ayant pas lu, je ne sais pas dans quelle mesure l’adaptation est fidèle. Elle est totalement centrée sur Franck Neuhart, évacuant complètement le contexte ou ses motivations. La fascination qu’a exercé sur lui le serial-killer Marcel Barbeault, auteur de huit meurtres entre 1969 et 1976, n’est pas mentionnée, on se concentre sur son quotidien ou sur son aventure largement romancée avec son aide-ménagère Sophie. Guillaume Canet est convaincant et glaçant, et la gendarmerie en prend pour son grade, remplie d’homophobes vulgaires. En dépit de faiblesses, notamment les passages avec Sophie ou le traitement de l’homosexualité refoulée de Franck, La prochaine fois je viserai le coeur reste un intéressant polar à la française qui se démarque de ses équivalents américains.
दुविधा [Duvidha] de Mani Kaul (1973)

Duvidha est inspiré d’un conte éponyme rajasthani (État du nord-est de l’Inde) de l’écrivain Vijayadan Detha. Il mélange photos et prises de vue réelles sur fond de musique folk rajasthanie, avec une bande son postsynchronisée parfois expérimentale. Mani Kaul étire un mince récit dans des séquences fixes et colorées évoquant des tableaux, installant une atmosphère lyrique et contemplative. Il refuse la narration classique en répétant des plans ou en divulguant à l’avance la conclusion d’une scène à venir, avec un côté Nouvelle vague. Il se positionne dans le camp des oppressé·e·s, des femmes et des outsiders, condamné·e·s par la société à rentrer dans le rang. Attrayant sur le principe et doté de belles images, Duvidha s’est avéré être une rude épreuve après une semaine de boulot et ça n’a pas été facile de se maintenir éveillé malgré sa courte durée. A réserver aux amateurs d’esthétisme mou du genou.
Films vus seuls
The Scarlet Car de Joseph De Grasse (1917)

Je continue les Bluebird Photoplays avec un titre moins réputé que Shoes (1916). Il possède l’avantage rare d’être encore visible, ce qui est le cas d’uniquement 5 à 10% des films de cette compagnie. L’intérêt majeur de The Scarlet Car est la présence d’un Lon Chaney fortement vieilli en Paul Revere. Sous contrat à Universal depuis 1913, Lon Chaney apparut dans une vingtaine de productions de Bluebird Photoplays, dont seules quatre subsistent de nos jours. Il fut souvent dirigé par ses ami·e·s Joe De Grasse ou Ida May Park, à l’instar de The Scarlet Car. Il écrase par son charisme la tête d’affiche Franklyn Farnum (Billy Winthrop), comédien de westerns issu du théâtre et qui débuta au cinéma à presque 40 ans. La romance entre Billy et Beatrice est insipide, l’histoire est quelconque et il n’y a guère que les scènes avec Lon Chaney qui méritent le coup d’œil.
幽霊男 [Yûrei otoko] de Motoyoshi Oda (1954, The Ghost Man)

Yûrei otoko est initialement une enquête du détective Kôsuke Kindaichi écrite par Seishi Yokomizo en 1954. Elle est portée à l’écran par la Tôhô dès sa parution, le studio voulant probablement concurrencer la série des Kindaichi de la Toei commencée en 1947 avec Chiezô Kataoka dans le rôle principal. Dans Yûrei otoko, le fameux investigateur est joué par Seizaburô Kawazu, acteur indépendant de second plan. La Tôhô le réemploiera la même année dans Tômei ningen (1954), une version japonaise de l’homme invisible également réalisée par Motoyoshi Oda.
La trame de Yûrei otoko se rapproche de celle de Kyûketsu-ga (1956) et je me suis d’ailleurs demandé pendant un moment si je ne l’avais pas déjà vu. A l’image du Nobuo Nakagawa, un Kôsuke Kindaichi sérieux et hollywoodien débarque assez tardivement sans motif valable. Les assassinats s’enchaînent, c’est brouillon, sans aucune tension et j’avoue ne pas avoir compris pourquoi le méchant avait été attrapé. L’intrigue du livre a apparemment été charcutée dans les grandes largeurs et ça se sent. Je n’ai été surpris que par le nombre impressionnant de femmes nues montrées de dos ou de loin, chose étonnante aussi tôt dans les années 50, et par la violence des meurtres qui évoquent l’ero guro nansensu.
ゆうれい船 怒濤編 [Yûreisen Dotô-hen] de Sadatsugu Matsuda (1957, Ghost Ship Angry Wave)

Yûreisen est une adaptation en deux parties d’un roman de Jirô Osaragi, écrivain réputé adepte de la fiction historique. Il fut publié en feuilleton dans le journal Asahi Shimbun en 1956 et transposé dans la foulée. La Toei confia le projet à Sadatsugu Matsuda, un familier du genre mentionné en ces lieux dans mes critiques des Shingo et de Hatamoto taikutsu otoko (1958). Pour Jiromaru, elle choisit sa jeune star Kinnosuke Nakamura. Issu du kabuki et entré au studio en 1954, sa popularité explosa grâce au triomphe imprévu d’une série de cinq films tirés des Huit chiens de Satomi. Dans Yûreisen Dotô-hen, il est censé être un adolescent de 15 ans alors qu’il en a 25 et il surjoue l’ingénuité pour compenser. Le véritable héros que Jiromaru admire est en fait Samonosuke, brigand au grand cœur incarné par la vedette Ryûtarô Ôtomo.
Une des rares originalités de Yûreisen Dotô-hen est que Jiromaru est un blanc-bec qui assiste aux évènements sans totalement appréhender les enjeux et qui n’aide que modérément en raison de capacités limitées. Le vaisseau fantôme du titre surgit à la dernière minute, le fantastique et l’horreur annoncés sur la fiche imdb de sa suite sont absents, on est dans un classique jidai-geki historisant pas franchement novateur ni trépidant. J’espère que ça se remuera dans le deuxième volet.
ゆうれい船 后編 [Yûreisen Kisaki-hen] de Sadatsugu Matsuda (1957, Ghost Ship Second Chapter)

Ce chapitre 2 se démarque résolument du premier sorti en salles une semaine auparavant. On bascule dans un film de pirates, genre à la mode à la fin des années 50 dans lequel la Toei s’est illustrée à de multiples reprises, à l’exemple de Kaizoku bahansen (1960) chroniqué sur ce blog. Le méchant est joué avec délectation par Isao Yamagata, second couteau incontournable spécialisé dans les vilains qui fut à l’affiche d’environ 120 opus de la Toei entre 1953 et 1965. Proche du théâtre shingeki, il cofonda la compagnie Bunkaza en 1942, qu’il quitta en 1953 pour se consacrer au cinéma. De façon amusante, dans Yûreisen Dotô-hen, il interprétait un personnage positif, un ami de Samonosuke qui mourrait vers la fin. Il est de retour dans Yûreisen Kisaki-hen, cette fois en crapule, avec une cicatrice sur la lèvre à la place d’une moustache et d’un nez rouge.

Excepté la présence de Jiromaru et de ses camarades, Yûreisen Kisaki-hen n’a quasiment aucun rapport avec le précédent, qui est à peine évoqué. La copie que j’ai vue était malheureusement abominable et je n’ai pas pu apprécier la qualité des décors et des costumes, un des gros atouts en général de la Toei. S’il s’est avéré plus distrayant que Yûreisen Dotô-hen, cela reste de la production à la chaîne standard, il ne faut pas s’attendre à un truc révolutionnaire, tout est extrêmement convenu. A noter que le diptyque fut diffusé en vidéo sous les noms Yûreisen: Zempen et Yûreisen: Kôhen, signifiant littéralement partie 1 et partie 2. J’ai préféré mettre les titres et posters originaux.
Il tempo dell'inizio de Luigi Di Gianni (1974)

Il tempo dell'inizio est l’unique long métrage de fiction distribué au cinéma du documentariste Luigi Di Gianni, influencé apparemment par l’œuvre de Dreyer. Tourné en Yougoslavie, l’acteur croate Sven Lasta occupe le rôle de David Lamda et le français Jean Martin, vu dans La bataille d'Alger (1966), celui de l’assistant diabolique. Claudio Volonté, le frère de Gian Maria Volonté, incarne un infirmier dans une de ses ultimes apparitions à l’écran deux ans avant son suicide. Parabole des tentations autoritaristes de l’Italie d’après-guerre, Il tempo dell'inizio est austère et abscons, répétitif et sans concession pour le spectateur. En d’autres termes, c’est terriblement soporifique et bourré de références sociétales et religieuses qui me sont passées au-dessus. Je peux difficilement le conseiller.
The Sound of Fury de Cy Endfield (1950, Fureur sur la ville)

The Sound of Fury est un pur film noir de série B, tiré du roman The Condemned de Jo Pagano qui s’inspirait d’un fait divers des années 30 et qui avait déjà servi de base au Fury (1936) de Fritz Lang. Il est réalisé par Cy Endfield, juif communiste qui fuira en Grande-Bretagne l’année suivante pour ne pas témoigner devant le Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines. Il continuera à travailler sur des bandes à petit budget parfois injustement oubliées jusqu’à son coup d’éclat Zoulou en 1964, qui fera de Michael Caine une star. Frank Lovejoy en revanche est surtout connu de nos jours pour sa prestation dans I Was a Communist for the FBI (1951) et Lloyd Bridges, brièvement blacklisté, relança sa carrière en balançant des noms au Comité.
The Sound of Fury commence de façon ultra classique sur un pauvre type qui prend une mauvaise décision et est entraîné dans une spirale infernale. Frank Lovejoy (Howard) et Lloyd Bridges (Jerry) ne sont pas franchement charismatiques et on s’ennuie. Au bout d’une heure, Howard est arrêté et le récit se recentre sur le journaliste d’un torchon qui sensationnalise les crimes pour vendre ses articles. On bascule alors dans une critique des médias et de la violence. Les dix dernières minutes consistent en une effarante scène de foule déchaînée et justifient à elles seules le visionnage. A noter que The Sound of Fury ressortit sous le titre Try and Get Me.
살인나비를 쫓는 여자 [Salinnabileul ggotneun yeoja] de Kim Ki-young (1978, La femme qui poursuit le papillon mortel)

Difficile de résumer Salinnabileul ggotneun yeoja tant il saute du coq à l’âne et explore de nombreux arcs narratifs délaissés en cours de route. Après son chef d’œuvre The Housemaid (1960), mélodrame expressionniste et horrifique ahurissant pour l’époque (et toujours saisissant de nos jours), Kim Ki-young poursuivit dans les années 60 et 70 son investigation macabre des perversions et de la sexualité. Louvoyant avec la censure et tombant par moment dans la surenchère, il revisita The Housemaid encore et encore dans des espèces de faux remakes. Ses longs métrages furent peuplés de femmes fortes et de mâles frustrés ou impuissants, à l’instar de Salinnabileul ggotneun yeoja où Young-gul est incapable d’initiative. Le film comporte trois épisodes, le dernier étant lui-même divisé en moultes péripéties. Ils adoptent tous le point de vue de l’affabulateur Young-gul et on ne peut souvent distinguer la réalité de ses délires. L’interprétation est excessive, les situations invraisemblables et régulièrement grotesques. On a le sentiment que Kim Ki-young enchaîne ses séquences le plus rapidement possible, et qu’il abandonne subtilité et stylisation en chemin, lui qui privilégiait habituellement des plans recherchés. J’en ressors avec une impression de gros n’importe quoi chaotique, un équivalent coréen de Jesús Franco où on se dit qu’il y aurait pu y avoir de l’idée mais en fait non.
- Livres
L'anthologie A.B. Frost de A.B. Frost (Editions de l’An 2, 2023), 275 p.Cette anthologie bilingue français-anglais est composée d’une introduction de Thierry Smolderen, historien de la bande-dessinée, et des trois recueils publiés par Arthur Burdett Frost, pionnier de la BD américaine : - • Stuff & Nonsense (1884) inclut quatre brèves histoires ainsi qu’une soixantaine de poèmes absurdes rédigés par le frère d’A.B. Frost et illustrés chacun en deux cases.
- • The Bull Calf and other Tales (1892) est un regroupement de huit petits récits parus précédemment dans des périodiques, qui se moquent de façon cruelle des mésaventures de pauvres hères.
- • Carlo (1913) est une nouvelle d’une centaine de cases sur le quotidien d’un chien indiscipliné adopté par une famille aisée vivant à la campagne.
Voyage en Arcturus de David Lindsay (Denoël, collection « Présence du futur », 1992), 354 p.

Voyage en Arcturus fut un énorme bide à sa sortie en 1920, vendu à moins de 600 exemplaires. Il fut redécouvert dans les années 40, notamment par C. S. Lewis, l’auteur des Chroniques de Narnia, qui le conseilla à son ami J. R. R. Tolkien. C’est une espèce de récit de voyage exotique sur un astre imaginaire, chaque pays parcouru étant l’occasion de s’interroger sur les us et coutumes des habitants. La prose de David Lindsay est apparemment pénible en anglais et j’ai eu a priori raison de lire la traduction française qui ne m’a pas déplu (légèrement ampoulée et datée, rien de rédhibitoire).
Voyage en Arcturus est rempli de réflexions philosophico-religieuses qui ne m’ont guère passionné et j’ai eu du mal à voir où David Lindsay voulait en venir. Ce que j’ai capté m’a semblé excessivement manichéen ou idéologiquement douteux, bien que je ne sache si le romancier assume ou réprouve les points de vue changeant de son antihéros. Maskull mute en fonction de ses errances, empruntant les particularités physiques et psychologiques des locaux. Cela le prédispose à tuer sans pitié les gens qu’il croise et à questionner la bonté voire l’existence des dieux. Ces considérations m’ont parfois ennuyé et l’intérêt de Voyage en Arcturus réside selon moi dans son univers bizarre et coloré, qui m’a évoqué les contrées du rêve de Lovecraft. A cela s’ajoute les déambulations cauchemardesques d’un personnage pas complètement maître de ses actes, balloté par les évènements. Malgré ses défauts et une conclusion décevante, Voyage en Arcturus laisse son empreinte, et ses descriptions continuent de hanter la mémoire longtemps après la clôture du livre.
Articles
Au début des années 1910, le cinéma européen dominait les écrans japonais et suscitaient les éloges des critiques. Cependant, avec la Première Guerre Mondiale, la production sur le Vieux Continent diminua fortement et le Japon dut se tourner vers les Etats-Unis. Surprenamment, ce ne furent pas les œuvres de Griffith ou DeMille qui s’imposèrent mais les drames d’une branche récente d’Universal : la compagnie Bluebird Photoplays. Actif de fin 1915 au printemps 1919, elle distribua au Japon 140 de ses 162 films (seuls une dizaine sont encore visibles de nos jours), qui eurent un impact majeur sur une jeune génération de réalisateurs. Menés par un courant réformateur, ils voulaient débarrasser le cinéma japonais de ses archaïsmes et le hisser au niveau de ses homologues occidentaux. Les deux articles étudiés posent une problématique identique : pourquoi la Bluebird Photoplays a-t-elle exercé une telle fascination au Japon alors qu’elle n’a eu qu’un succès mitigé aux Etats-Unis, où elle a rapidement été oubliée ?
Filiale d’Universal, Bluebird Photoplays ne bénéficiait pas de gros budgets et ses stars, généralement façonnées de toute pièce, étaient transférées à la maison-mère dès qu’elles commençaient à être suffisamment connues. Elle mettait donc en avant l’excellence de ses scénarios et axait sa publicité sur l’aspect qualitatif, dénigrant les concurrents qui misaient tout sur leur tête d’affiche. Les drames sérieux prévalaient. Ils étaient fréquemment centrés sur de grands problèmes de société, à l’instar de Shoes (1916) qui fut positivement accueilli et servit de modèle par la suite. A partir de 1917, Bluebird Photoplays se mit à diffuser des serials et des courts métrages, perdit peu à peu sa spécificité, fut supplantée par une autre filiale d’Universal, Jewel, et ferma ses portes en 1919.
En 1916, Universal fut le premier studio américain à ouvrir une annexe dédiée à la distribution au Japon et put inonder un marché japonais en manque. L’image prestigieuse que Bluebird Photoplays se donnait trouva un écho favorable au Japon. Ses drames se rapprochaient de ceux produits en Italie, que le public nippon affectionnait et auxquels ils n’avaient plus accès à cause de la guerre. Ses héroïnes, moralement plus ambiguës que la pure Mary Pickford, plaisaient aux Japonais, et les intrigues rappelaient celles du théâtre shinpa, très à la mode dans les années 10. Ces trames simples étaient parfaitement adaptées à la narration des benshi, qui utilisaient à bon escient une atmosphère souvent poétique et une certaine lenteur. Pour les réformateurs, les films de Bluebird Photoplays avaient l’avantage de recourir à des histoires familières agrémentées de procédés techniques modernes (gros plans, intertitres sophistiqués, montage complexe, fermeture à l’iris…), permettant d’acclimater doucement à la nouveauté l’audience de l’archipel. Ces trois éléments, l’éclipse de l’Europe, des récits appréciés des spectateurs et la compatibilité avec les benshi expliquent pourquoi Bluebird Photoplays eut un telle portée, qui perdura dans le temps jusqu’à influencer le home drama et les Ozu et Naruse des années 20 et 30.
« Where Did the BlueBird of Happiness Fly? Bluebird Photoplays and the Reception of American Films in 1910s Japan » de Naoki Yamamoto (ICONiCS - International Studies of the Modern Image, 10, 2010, p.143-166)
« Enchanting the Hearts of Taisho Japan: Why did Japanese Audiences Fall for the Films of Bluebird Photoplays? » de Yuki Irukura (Waseda RILAS Journal, 8, October 2020, p.11-24)
« Enchanting the Hearts of Taisho Japan: Why did Japanese Audiences Fall for the Films of Bluebird Photoplays? » de Yuki Irukura (Waseda RILAS Journal, 8, October 2020, p.11-24)

Filiale d’Universal, Bluebird Photoplays ne bénéficiait pas de gros budgets et ses stars, généralement façonnées de toute pièce, étaient transférées à la maison-mère dès qu’elles commençaient à être suffisamment connues. Elle mettait donc en avant l’excellence de ses scénarios et axait sa publicité sur l’aspect qualitatif, dénigrant les concurrents qui misaient tout sur leur tête d’affiche. Les drames sérieux prévalaient. Ils étaient fréquemment centrés sur de grands problèmes de société, à l’instar de Shoes (1916) qui fut positivement accueilli et servit de modèle par la suite. A partir de 1917, Bluebird Photoplays se mit à diffuser des serials et des courts métrages, perdit peu à peu sa spécificité, fut supplantée par une autre filiale d’Universal, Jewel, et ferma ses portes en 1919.
En 1916, Universal fut le premier studio américain à ouvrir une annexe dédiée à la distribution au Japon et put inonder un marché japonais en manque. L’image prestigieuse que Bluebird Photoplays se donnait trouva un écho favorable au Japon. Ses drames se rapprochaient de ceux produits en Italie, que le public nippon affectionnait et auxquels ils n’avaient plus accès à cause de la guerre. Ses héroïnes, moralement plus ambiguës que la pure Mary Pickford, plaisaient aux Japonais, et les intrigues rappelaient celles du théâtre shinpa, très à la mode dans les années 10. Ces trames simples étaient parfaitement adaptées à la narration des benshi, qui utilisaient à bon escient une atmosphère souvent poétique et une certaine lenteur. Pour les réformateurs, les films de Bluebird Photoplays avaient l’avantage de recourir à des histoires familières agrémentées de procédés techniques modernes (gros plans, intertitres sophistiqués, montage complexe, fermeture à l’iris…), permettant d’acclimater doucement à la nouveauté l’audience de l’archipel. Ces trois éléments, l’éclipse de l’Europe, des récits appréciés des spectateurs et la compatibilité avec les benshi expliquent pourquoi Bluebird Photoplays eut un telle portée, qui perdura dans le temps jusqu’à influencer le home drama et les Ozu et Naruse des années 20 et 30.
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