samedi 29 juin 2024

Carnet de bord 22/06/2024-28/06/2024



Films vus en compagnie
Hundreds of Beavers de Mike Cheslik (2022)
Quelque part dans les paysages enneigés du nord des Etats-Unis, Jean Kayak vend le cidre tiré des pommes de son verger. Après une fête arrosée, la citerne sur laquelle il danse s’effondre, fragilisée par le grignotage des castors. Elle roule jusqu’à sa maison et explose, détruisant l’intégralité de sa propriété. Sans ressource, Jean est contraint de survivre dans la nature hostile. Incapable au départ de capturer quoi que ce soit, il s’améliore progressivement. Son objectif est d'abattre suffisamment de castors pour gagner la main de la fille du marchand de fourrures dont il est amoureux.

J’ai découvert cette pépite grâce à la critique élogieuse de M. Martin et je ne peux qu’abonder dans son sens. Hundreds of Beavers est un mélange formidablement réussi de slapstick et d’humour cartoonesque digne des Warner des années 40, dans une ambiance à la The Gold Rush (1925) de Chaplin. Le cachet artisanal, loin de nuire, ajoute une couche de système D profondément sympathique. Tourné en noir et blanc pour un budget de 150 000 dollars, avec des chansons écrites par le père du réalisateur, Hundreds of Beavers regorge d’inventivité, chaque séquence étant prétexte à une avalanche de gags bêtes et rigolos. Le scénario n’est pas en reste et monte en puissance, avec un dernier tiers complètement délirant. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu une comédie aussi enthousiasmante.


Avant l'aube de Raphaël Jacoulot (2011)
En rentrant d’une commission pour son père Jacques, directeur d’un luxueux hôtel de montagne, Arnaud tue accidentellement un homme sur la route. Avec l’aide de Jacques, ils cachent le corps et dissimulent les preuves. A leur retour, ils sont surpris par Frédéric, un employé en stage de réinsertion récemment sorti de prison. Il a immédiatement des soupçons et Jacques, pour l’amadouer, commence à le traiter avec une bonté condescendante.

L’originalité d’Avant l'aube réside dans l’addition d’une intrigue policière à un drame bourgeois chabrolien sur la fascination d’un pauvre pour le mode de vie des riches. Ce pan se déploie tardivement avec l’arrivée de l’inspectrice Poncet jouée par Sylvie Testud, une sorte de Columbo féminin faussement étourdie et maladroite qui se balade avec son chien. Le côté râleur insupportable de Bacri est utilisé d’une manière inhabituelle. Au lieu d’en exploiter la veine comique, Raphaël Jacoulot le présente comme toxique pour son entourage, imposant aux autres une personnalité qui ne laisse guère de place au compromis. Si j’aurais préféré que l’enquête ait davantage d’importance, Avant l'aube demeure intéressant dans son propos et habilement mené dans l’ensemble.


Films vus seuls
陸軍中野学校 [Rikugun Nakano gakko] de Yasuzô Masumura (1966, L'école militaire de Nakano)
En 1938, Jirô, jeune officier diplômé, est recruté par l’école des espions de Nakano, un nouvel organisme de formation élitiste qui ambitionne de rattraper le retard du Japon dans le domaine. Cet engagement oblige Jirô à quitter son ancienne vie et à renoncer à sa fiancée Yukiko avec qui il comptait se marier. Il disparaît soudainement et celle-ci se lance à sa recherche. Pendant qu’il suit une préparation intensive avec ses camarades de promotion, elle est embauchée par le bureau de l’état-major et continue à fouiner.

Rikugun Nakano gakko est le premier des cinq épisodes de la série consacrée à l’école militaire de Nakano. Cet établissement créé en 1938 était spécialisé dans l’espionnage, le contre-espionnage et les techniques militaires non conventionnelles. 2 500 étudiants furent entraînés et envoyés aux quatres coins du monde, particulièrement en URSS et dans les colonies européennes. Rikugun Nakano gakko fut mis en scène par Yasuzô Masumura, qui se focalisa sur les éléments dramatiques à travers le personnage de Yukiko et les difficultés psychiques et morales engendrées par l’apprentissage. Cela lui permit d’éviter une trop forte glorification de cet endroit emblématique de la dictature militaire. Une réflexion sur le dilemme à travailler pour ce gouvernement autoritaire surgit même brièvement avant d’être évacuée par un discours sur la nécessité de lutter contre les méchants européens colonisateurs et encourager les peuples à se libérer (ce qui est plutôt risible quand on sait la façon dont les Japonais ont agi sur ces territoires). Jirô est incarné par un Raizô Ichikawa monolithique dans une de ses rares prestations hors jidai-geki.
Alors que j’escomptais un film d’action vaguement chauvin, Rikugun Nakano gakko a constitué une bonne surprise. L’histoire est étonnamment sombre et assez complexe, avec une multitude de protagonistes. Loin du sous-James Bond attendu, le métier d’espion n’a rien de glamour, on n’aimerait pas être à leur place. En dépit d’aspects propagandistes, il n’y a pas d’idéalisation, Yasuzô Masumura insistant sur la déshumanisation que provoque le nationalisme. Je suis curieux de voir les prochains volets bien que je craigne une chute de la qualité.


警察日記 [Keisatsu nikki] de Seiji Hisamatsu (1955, Journal d'un policier)
Dans une petite ville de la préfecture de Fukushima, les affaires courantes se succèdent au commissariat. Un individu est accusé du vol d’une statue dans un temple, deux enfants abandonnés sont trouvés dans la rue, une paysanne vendue à une entreprise est interceptée à la gare… Membres de la communauté, les policiers font de leur mieux pour soigner les maux de la population et maintenir un ordre bienveillant.

Keisatsu nikki m’a rappelé Uguisu de Shirô Toyoda (1938), pareillement situé dans un poste de police campagnard et composé d’incidents anecdotiques traités par une équipe de flics amusants et compréhensifs. En creusant un peu, il s’avère que les deux opus sont tirés de récits d’Einosuke Itô, un écrivain venu de la littérature prolétarienne qui se recycla dans le roman rural. Publié en 1952, Keisatsu nikki fut adapté par la Nikkatsu et confié à Seiji Hisamatsu, un réalisateur indépendant de série B qui se chargea également de la suite Zoku Keisatsu Nikki (1955). A noter que Keisatsu nikki comporte la première apparition de Joe Shishido sur grand écran.
Zoku Keisatsu Nikki a les mêmes défauts que Uguisu, axé sur les policiers davantage que sur les pauvres qu’ils accueillent. Le moralisme est toutefois nuancé ici par l’humour, les forces de l’ordre ne démontrant pas une franche efficacité. Il marqua les esprits en son temps, numéro 6 du top 10 de 1955 de la revue Kinema Junpô. Yôji Yamada le cite dans Niji o tsukamu otoko (1996), où un agent explique que Zoku Keisatsu Nikki a déterminé son choix de carrière. Sans être désagréable et malgré une belle distribution, c’est quelconque et je regarderai le second uniquement par complétisme.


瞼の母 [Mabuta no haha] de Tai Katô (1962, Liens de sang)
Chutaro est un yakuza itinérant à la recherche de sa mère qui l’a abandonné lorsqu’il avait cinq ans. Homme au grand cœur, il aide son ami Hanjiro à se venger du clan Iioka. Ils réussissent à blesser et tuer plusieurs adversaires avant de s’enfuir. Hanjiro retourne dans sa famille pendant que Chutaro va à Edo dans l’espoir de tomber sur sa mère. Les rescapés du gang Iioka ne l’entendent pas de cette oreille et se lancent sur leurs traces.

Mabuta no haha est initialement une pièce de kabuki de Shin Hasegawa rédigée en 1930, vaguement inspirée de la vie de l’auteur abandonné par sa mère à l’âge de huit ans et qui la retrouva 47 ans plus tard. Œuvre fondatrice du matatabi-mono, elle fut rapidement transposée au cinéma en 1931 par Hiroshi Inagaki avec Chiezô Kataoka dans le rôle de Chutaro. Cette version de 1962 en couleur de la Toei est la troisième après celle en noir et blanc de la Shintôhô en 1955 avec Tomisaburô Wakayama. Chutaro est cette fois interprété par Kinnosuke Nakamura, une des stars populaires de la Toei à l’époque, et la mise en scène échoue à Tai Katô.
Le Mabuta no haha de 1962 fait pâle figure comparé à celui d’Hiroshi Inagaki de 1931, très innovateur en son temps sur le plan technique, avec une force lyrique et un Chiezô Kataoka ultra charismatique. Tai Katô se contente du service minimum, loin du réalisme et de la profondeur psychologique qu’il est capable de déployer. C’est platement photographié, les personnages sont stéréotypés et Kinnosuke Nakamura a tendance à diminuer l’impact émotif avec son surjeu. J’ai du mal à comprendre l’excellente réputation dont bénéficie ce Mabuta no haha.


Pridyider de Rico Maria Ilarde (2012, The Fridge)
Partie vivre avec sa tante aux Etats-Unis quand elle était enfant, Tina rentre aux Philippines pour renouer avec ses racines et réfléchir à son existence. Elle revient dans sa maison natale sans savoir ce qu’il est advenu de ses parents. Un drame horrible s’est apparemment produit dans la demeure vingt ans auparavant mais personne n’a voulu lui en détailler la teneur. Dès son arrivée, elle se met à avoir des cauchemars et des visions, et la voisine lui apprend que sa mère était folle. Heureusement, le beau James, un ancien camarade de classe, est là pour l’aider à démêler les fils du passé.

Pridyider est un remake du court éponyme inclus dans le film à sketches Shake, Rattle & Roll (1984). Doté d’un pitch complètement crétin, son atmosphère étouffante et creepy m’avait convaincu. Ce n’est pas le cas de cette version contemporaine d’1h30. Le manque de budget est flagrant, la photographie numérique évoque une télénovela et les images de synthèse piquent les yeux. Le scénario est affreusement étiré, c’est mou et les rares séquences censées susciter l’angoisse sont risibles. Autant revoir l’original. A noter que la mère de Tina est jouée par Janice De Belen, l’héroïne dans la mouture de 1984.


カラフル [Karafuru] de Keiichi Hara (2010, Colorful)
En débarquant dans une sorte de purgatoire, une âme est accueillie par un garçon nommé Purupura qui affirme être son guide. Il lui propose de revenir à la vie en intégrant le corps d’un adolescent récemment suicidé, Makoto Kobayashi. L’âme se réveille dans la peau du lycéen sans posséder la moindre information. Elle doit faire profil bas pour ne pas éveiller les soupçons en face des parents et du frère aîné. Agacée de cette situation, elle passe sa colère sur Purupura, qui apparaît périodiquement pour prendre des nouvelles, et sur la mère de Makoto.

Karafuru est le second long métrage d’animation de Keiichi Hara, si on excepte ses adaptations sur grand écran de Crayon Shin-chan. Dans ma critique de Kagami no kojô (2022), je disais : « Keiichi Hara réalise en général de jolis animés plein de bons sentiments, prévisibles et trop longs ». C’est encore une fois une description adéquate, bien que Karafuru soit moins superficiel et cliché que Kagami no kojô. Compressé en 1h30 avec un dénouement innovant, ça aurait pu donner un truc correct.


Hannibal de Ridley Scott (2001)
A la suite d’une opération anti-drogue qui a mal tourné, Clarice Starling est réprimandée par sa hiérarchie et sauvée de la sanction grâce à l’intervention du millionnaire Mason Verger. Défiguré par Hannibal Lecter des années auparavant, celui-ci éprouve un mélange de fascination et de répulsion pour son ex-tortionnaire et collectionne les objets lui ayant appartenu. Il met l’enquêtrice sur la piste d’un ancien gardien de l’asile, qui lui fournit des enregistrements de conversations entre elle et Lecter. Ce dernier envoie en parallèle une lettre à Clarice, où il se moque de ses déconvenues.

Je n’ai jamais été fan du Silence des agneaux (1991) et je n’avais pas senti le besoin de regarder Hannibal. Il était cependant sur une liste Mad Movies et mon complétisme a triomphé. Ridley Scott est un professionnel et livre le produit attendu, en modifiant la conclusion par rapport au bouquin pour ne pas choquer les spectateurs et les admirateurs du premier. Jodie Foster a préféré décliner et Julianne Moore récupère le rôle principal. L’intrigue n’est pas passionnante, il n’y a aucune tension et ça n’apporte rien à l’univers du Silence des agneaux.


ほとりの朔子 [Hotori no Sakuko] de Kôji Fukada (2013, Au revoir l'été)
Avant de retenter son examen d’entrée à l’université, Sakuko prend quelques jours de vacances avec sa tante Mikie dans une petite ville au bord de la mer. Alors qu’elle est censée étudier, elle procrastine et traine dans les rues. Elle sympathise avec Takashi, un ex-lycéen timide qui a quitté l’école et travaille dans le love hotel de son oncle, un vieil ami de Mikie.

Il ne se passe pas grand-chose dans Hotori no Sakuko, centré sur une jeune femme à la croisée des chemins qui va apprendre à se connaître en observant ses semblables. S’inspirant fortement de Rohmer, Kôji Fukada adopte le format carré qu’affectionnait le Français et donne à Hotori no Sakuko un titre international dans notre langue, Au revoir l'été. Malgré l’apparente spontanéité des comédien⸱ne⸱s, le scénario est très écrit, y compris dans les répliques mal dites ou dans les erreurs. Le résultat m’a laissé une impression mitigée. C’est bien photographié et interprété, avec une langueur volontaire qui m’a ennuyé. A l’image de ce que j’ai vu de Rohmer, j’ai trouvé Hotori no Sakuko assez vain, ce n’est pas un style qui me convient.


Séries
笑う標的 [Warau hyôteki] de Motosuke Takahashi (1987, Laughing Target), 1 OAV
Durant leur enfance, Azusa et son cousin Yuzuru ont été fiancés afin de maintenir la pureté de la lignée de la famille Shiga. Les années s’écoulent, Yuzuru est devenu un adolescent populaire. Amateur de tir à l’arc, il sort avec Satomi, une camarade de classe, et ne s’estime pas obligé par la promesse prononcée par ses parents. Ce n’est pas le cas d’Azusa qui a été coupée du monde, hantée par un esprit malfaisant. A la mort de sa mère, le père de Yuzuru la ramène chez eux.

Warau hyôteki est une des trois OAV tirées de nouvelles de Rumiko Takahashi regroupées dans les recueils Rumic World (inédits en français, seule la compilation ultérieure Rumic World – 1 or W a été publiée chez nous). C’est une romance horrifique dirigée par Motosuke Takahashi, également réalisateur des deux autres épisodes que je n’ai pas encore récupérés. L’animation est datée années 80 mais d’une qualité correcte pour une OAV. L’intrigue manque de peps et de tension, une OAV vite vue vite oubliée.


Livres
Madouc de Jack Vance (Presses Pocket, collection « Fantasy », 1990), 443 p.
La princesse Madouc grandit dans le château de Lyonesse, peu encline à se plier aux convenances et aux bonnes manières en dépit des réprimandes de ses gouvernantes et de la reine. Quand le roi Casmir apprend qu’elle n’est pas sa petite fille, il se tait pour ne pas compromettre ses chances de la marier à un bon parti qui pourrait lui apporter un soutien politique. A l’inverse, dès que Madouc comprend que sa mère est une fée, elle court la rencontrer pour connaitre l’identité de son père. La question reste malheureusement sans réponse et elle doit se lancer dans une quête pour découvrir la vérité.

Madouc est l’ultime volet de la saga de Lyonesse, qui retrace l’ascension du prince Aillas et de son entourage, opposé à l’ambitieux Casmir et à de vils magicien·ne·s. Dans Madouc, quasi exclusivement axé sur la princesse espiègle, Jack Vance bascule enfin dans le merveilleux que j’attendais, avec une ambiance de contes et un ton plus insouciant. En y réfléchissant, je trouve intéressant la façon dont Vance construit ses péripéties. Il installe progressivement une situation puis déroule tranquillement ses conséquences jusqu’à une conclusion souvent étonnamment expéditive. Il n’y a pas de faux suspense, le méchant est éliminé en deux temps trois mouvements et on passe à la suite. Madouc est en tout cas le meilleur de la trilogie, après un second volume légèrement inférieur, et achève en beauté ce cycle palpitant.

Le corbeau qui tenait en son bec un outil et autres nouvelles histoires naturelles de Jean Deutsch (Seuil, collection « Science ouverte », 2014), 219 p.
Le corbeau qui tenait en son bec un outil et autres nouvelles histoires naturelles est composé de douze articles de vulgarisation scientifique centrés sur la théorie de l’évolution :
Histoire du corbeau qui tenait en son bec un outil : Les corbeaux de Nouvelle-Calédonie sont capables d’utiliser plusieurs types d’outils avec des traditions locales culturellement établies.
Histoire d’Astyanax, le poisson aveugle : La perte des yeux chez les poissons Astyanax s’accorde bien aux principes darwiniens de sélection nature et pas au non-usage lamarckien.
Histoire des genoux du chameau et de la mouche à quatre ailes : L’environnement n’est toutefois pas neutre et favorise certaines caractéristiques latentes chez les espèces. A l’exemple de la callosité chez le chameau, elles peuvent se développer selon les conditions extérieures.
Histoire du blé en herbe : Le message génétique n’est pas uniquement porté par l’ADN, il faut prendre en compte la structure de la chromatine dans lequel il est empaqueté. L’épigénétique correspond à cette discipline qui étudie les changements dans l’activité des gènes sans bouleversement de la séquence d’ADN.
Histoire des rotifères bdelloïdes, des animaux sans sexualité : Les rotifères bdelloïdes sont de animaux minuscules qui se reproduisent par clonage. Ils évoluent non par descendance avec modification mais par acquisition de gênes venus d’ailleurs via un parasite. Ils s’imposent donc en contre-exemple à la théorie classique.
Histoire du scarabée à cornes : Il convient de distinguer le génotype (le contenu du message génétique) et le phénotype (l’ensemble des traits observables), qui dépend également de l’environnement. Avec un même assortiment de gênes, des conditions environnementales différentes entrainent une variété de réponses adaptatives, à l’image de la taille des cornes du scarabée.
Histoire de la planaire sans tête : Les organismes simples ne sont pas forcément primitifs, ils sont parfois secondairement simplifiés à l’instar des planaires. Les expériences sur ces étranges créatures permettent en outre de souligner l’importance de l’ARN, qui pourrait jouer un rôle dans la transmission d’informations.
Histoire des papillons Heliconius : L’espèce n’est pas un concept figé, c’est une transformation continue remplie de stades intermédiaires. En conséquence, il n’est pas toujours possible de définir nettement la séparation entre espèces et sous-espèces comme le prouve les incertitudes de catégorisation des papillons du genre Heliconius.
Histoire de Xenos, un étrange insecte : La classification fondée sur l’analyse génétique présuppose un taux d’évolution constant entre espèces. Ce n’est pas la réalité et cela engendre des problèmes d’assignation en raison de la logique d’attraction des longues branches, des espèces différentes qui ont toutes deux fortement évoluées étant regroupées par erreur. L’ordre des strepsiptères a ainsi longtemps été rangé avec les diptères alors qu’il s’est avéré proche des coléoptères.
Histoire d’Homo floresiensis, le hobbit : Si les faits en science sont souvent indiscutables, ce n’est pas le cas de leur interprétation. En employant des données identiques, des chercheurs ont estimés qu’Homo floresiensis était un nouvel hominidé tandis que d’autres croyaient que ce n’était qu’une dégénérescence d’Homo sapiens.
Histoire merveilleuse de l’araignée sauteuse : Contrairement à ce que pensent les créationnistes, la vision humaine ou celle des araignées sauteuses est le résultat de la sélection naturelle, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Histoire de la linaire prodigieuse et de la souris à pattes blanches : Les deux types de fleurs de la linaire et les mutations des souris fournissent des illustrations supplémentaires de phénomènes épigénétiques : c’est le changement de la structure de leur chromatine qui déclenche l’expression de certains gênes plutôt que d’autres.
Jean Deutsch était un généticien français, vulgarisateur scientifique qui publia vers la fin de sa vie des recueils d’articles sur le modèle des Réflexions sur l'histoire naturelle de Stephen Jay Gould. Le corbeau qui tenait en son bec un outil et autres nouvelles histoires naturelles est le second volume après Le ver qui prenait l’escargot comme taxi et autres histoires naturelles, que j’avais lu il y a pas mal d’années et dont je ne me souviens pas vraiment. Chaque chapitre débute par une anecdote et se conclut par une série de références bibliographiques pour ceux qui souhaitent approfondir. Jean Deutsch est plus technique que Stephen Jay Gould et il est par moments nécessaire d’avoir un bon bagage en biologie pour suivre le raisonnement dans le détail. Ce n’est néanmoins pas grave si l’on rate quelques éléments, c’est la logique d’ensemble et l’appréhension des thèses évolutionnistes qui compte.
J’ai beaucoup apprécié l’Histoire des rotifères bdelloïdes et surtout l’Histoire de la planaire sans tête. Je ne connaissais pas les planaires, ce sont des animaux totalement hallucinants. Ils n’ont aucun appareil respiratoire, aucun appareil circulatoire, pas de rein, pas d’anus, et leur bouche est en plein milieu du corps. Quand on coupe un planaire en deux, ça donne deux planaires plus petits. Celui qui se reconstitue à partir du morceau sans cerveau régénère un cerveau qui possède la mémoire de l’entité initiale. Cerise sur le gâteau, si un planaire mange un planaire, il récupère la mémoire de sa victime. C’est assez génial. Ce fut une lecture enrichissante et je vais de ce pas acheter le troisième et ultime volet, La méduse qui fait de l’œil.


Le cinéma japonais de Shinobu & Marcel Giuglaris (Editions du Cerf, collection « 7e art », 1956), 245 p.
Selon The Japanese Film: Art and Industry - Expanded Edition de Joseph L. Anderson & Donald Richie, Le cinéma japonais de Shinobu et Marcel Giuglaris fut le premier livre en langue occidentale consacré au cinéma japonais. Il y avait eu auparavant des articles ou des numéros spéciaux, à l’image du n°6 de la revue Cinéma 55 à l’été 1955, mais aucun ouvrage de référence analysant en profondeur ce cinéma que l’Occident avait découvert en 1951 avec le lion d’or surprise de Rashômon (1950) au festival de Venise. Shinobu et Marcel Giuglaris étaient un couple de Franco-Japonais vivant à Tôkyô. Ce n’étaient pas des spécialistes de cinéma, Marcel Giuglaris était un journaliste et écrivain. Ils ont sollicité l’aide et les conseils d’amis japonais et sont allés s’entretenir avec des professionnels pour rédiger ce bouquin de 200 pages qui comporte : une préface orientalisante et complètement à côté de la plaque du philosophe et critique Jean d’Yvoire ; une présentation de la situation du cinéma japonais au début des années 50 ; un long historique allant de 1896 à 1955 ; les dernières évolutions en 1955 ; et un panorama des réalisateurs, acteurs et actrices majeur·e·s.

Le cinéma japonais manque clairement de rigueur. Les deux auteur·e·s ne sont pas des experts et ça se sent. Il faut prendre tout ce qui est dit avec des pincettes, j’ai repéré de nombreuses erreurs et je ne le recommanderais pas à un novice. Il regorge cependant d’anecdotes passionnantes permises par l’ancrage de Shinobu et Marcel Giuglaris dans le pays et par leur proximité avec des figures clés du cinéma de l’époque. Ce n’est pas souvent qu’on peut « entendre » l’opinion des spectateurs de Rashômon à la sortie (qui n’avaient rien compris et se demandaient ce que les Occidentaux avaient pu lui trouver) ; connaître les œuvres prisées par la population en 1955 ; ou lire les remarques du président de la Daiei sur la stratégie d’exportation vers laquelle s’était tourné le studio, le seul qui n’avait pas de réseau de salles et qui fut contraint de chercher un marché en dehors du Japon. Le cinéma était perçu comme une entreprise et les vedettes, salarié·e·s sous contrat pour la plupart, étaient modestes : la superstar Hideko Takamine dut ainsi justifier au public son train de vie en détaillant ses dépenses quotidiennes pour prouver qu’elle ne jetait pas d’argent par les fenêtres. En dépit de ses limites, j’ai donc apprécié cet opuscule qui m’a conforté dans mes réflexions.


Revues
Mad Movies n°383 – Juin 2024
En hommage à Roger Corman décédé en mai 2024, Mad Movies propose un gros dossier bourré d’entretiens de personnes avec qui il a travaillé, que ce soit des petits jeunes à qui il a donné leur chance (Lewis Teague, Joe Dante, John Sayles ou Monte Hellman), l’ancien chef du service marketing de New World Pictures, la compagnie de Corman, ou la documentariste Alex Stapleton qui mit en scène en 2011 Corman's World: Exploits of a Hollywood Rebel. Même si je n’ai pas appris grand-chose de neuf, c’était assez intéressant et ça me pousse à récupérer deux-trois titres que je n’ai peut-être pas vus.

Au niveau des sorties, rien de plus que ce que j’avais déjà pointé dans Les Cahiers de ce mois, excepté Szürkület, une adaptation hongroise de 1990 du roman La promesse (qui inspira aussi The Pledge (2001)). Je note par ailleurs une certaine honnêteté de Mad Movies, qui s’étend depuis des mois sur le tournage de Sous la Seine et livre au final une critique mesurée, avec des avis de la rédaction très mitigés.


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