samedi 8 juin 2024

Carnet de bord 01/06/2024-07/06/2024



Films vus en compagnie
Moulin Rouge! de Baz Luhrmann (2001, Moulin Rouge !)
Christian, un poète et romancier anglais, débarque à Paris en 1899 dans l’espoir de se joindre au mouvement bohème. Son voisin s’avère être Henri de Toulouse-Lautrec, qui l’engage pour écrire leur prochaine revue Spectacular Spectacular. Pour convaincre le propriétaire du Moulin-Rouge d’acheter leur projet, Toulouse-Lautrec s’arrange pour que Christian décroche un rendez-vous avec Satine, la diva du cabaret.

Oh là là, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas infligé un spectacle aussi pénible. Je m’attendais à un gros machin hollywoodien un peu nul type The Greatest Showman (2017), pas à deux heures de torture visuelle et auditive. Il n’y a rien à sauver, entre un montage frénétique à la MTV de la pire époque, des remix discutables, des interprètes mal dirigés et sans aucun charisme (un comble quand on a Nicole Kidman et Ewan McGregor sous la main) et une intrigue fade au possible. C’est mon premier Baz Luhrmann, ce sera peut-être mon dernier.


雄呂血 [Orochi] de Buntarô Futagawa (1925, Orochi)
Heisaburo Kuritomi est un samouraï pauvre, élève du fameux calligraphe Matsuzumi Eizan. A la réception organisée pour célébrer l’anniversaire de son maître, il est insulté par le fils d’un homme puissant et s’énerve. En raison de son rang inférieur, tout le monde se ligue contre lui et il est menacé d’expulsion à la prochaine incartade. Le dérapage survient rapidement lorsqu'il entend des propos déplacés sur la fille de Eizan qu’il idolâtre. Il attaque sans hésiter les médisants et la faute retombe sur lui. Banni de la ville, il devient un rônin errant.

Au sommet de sa gloire, la star Bandô Tsumasaburô créa en 1925 son propre studio. Orochi est sa deuxième production, pour laquelle il débaucha ses anciens collaborateurs de Makino Film, Rokuhei Susukita au scénario et Buntarô Futagawa à la réalisation. Pourvus d’un budget réduit, ils privilégièrent les prises de vue en extérieur. La même année était édictée la loi de préservation de la paix qui limitait la liberté d’expression en interdisant de critiquer l’Etat ou la propriété privée. Son idéologie rebelle quasi socialiste valut à Orochi de subir les foudres de la censure. L’équipe dut modifier le titre initial « Scélérat » en « Serpent », couper environ un cinquième du métrage et retourner plusieurs passages.
Orochi s’écarte radicalement des films kabukiesques à la mode durant les années 10. Sur le fond, il se focalise sur un rônin écrasé par le système dans une société corrompue ; sur la forme, Bandô Tsumasaburô court, tranche, se débat à la manière de Douglas Fairbanks, loin des mouvements lents et nobles de Matsunosuke Onoe. La scène de combat finale est longue et spectaculaire, avec de vraies tuiles lancées sur l’acteur qui n’avait pas de doublure. L’originalité d’Orochi est difficile à appréhender de nos jours car il a bouleversé en profondeur le genre et inspiré ses successeurs. Une version restaurée de 1h41 (contre 1h14 pour celle que j’ai regardée) est sortie en 2023 au Japon, avec des séquences inédites, une vitesse de projection révisée et une nouvelle musique (celle offerte par le DVD de la collection Talking Silent étant assez moyenne). J’espère qu’elle sera un jour disponible chez nous avec des sous-titres.


Films vus seuls
逆流 [Gyakuryû] de Buntarô Futagawa (1924, Backward Flow)
Mikisaburô travaille d’arrache-pied pour rétablir l’honneur de sa famille. Il est amoureux de la fille de son maître d’armes, la belle Misao, mais ses sentiments ne sont pas partagés, celle-ci préférant le riche Genzaburô. Ebranlé par le décès de sa vieille mère renversée par le cheval d’un notable, Mikisaburô apprend de surcroit que sa sœur a été abusée par Genzaburô. Son sang ne fait qu’un tour et il se précipite au mariage de Genzaburô et de Misao pour dénoncer les vilenies de son rival. A cause de son humble statut, personne ne l’écoute et il est refoulé.

En 1923, Bandô Tsumasaburô est recruté par Makino Film. D’abord cantonné aux rôles de méchants et de seconds couteaux, il obtint sa chance grâce notamment à son ami le scénariste Rokuhei Susukita, qui habitait dans la même pension que lui. Influencé par les textes théoriques de Norimasa Kaeriyama, Rokuhei Susukita introduisit un point de vue psychologique, avec des héros frustrés et révoltés très différents de leurs prédécesseurs. Il trouva en Bandô Tsumasaburô la figure tourmentée au style réaliste adaptée à ses récits. Gyakuryû est la première œuvre survivante du duo, dont il ne reste que 28 minutes (sur six bobines, soit la moitié si on considère qu’une bobine équivalait à 10 minutes). Il développe déjà un nihilisme qui allait infuser le jidai-geki de la deuxième moitié des années 20. La conclusion est particulièrement noire et violente et c’est dommage qu’il ne subsiste que des morceaux.


無宿者 [Mushuku mono] de Kenji Misumi (1964, Sur la route à jamais)
Ipponmatsu est un vagabond à la recherche de l’assassin de son père, tué dans une embuscade cinq ans auparavant. Il soupçonne un certain Kuroki Hanbei, dont le fils a croisé sa route par hasard et qui le suit depuis. Ipponmatsu pense avoir trouvé une piste dans une bourgade de bord de mer régie par une horde de bandits, qui forcent les habitants à aller travailler sur l’île de Sado. Tout concorde à désigner le cerveau du trafic comme l’individu qu’il traque.

Mushuku mono est sans doute un des Misumi les plus westerniens avec son étranger qui débarque dans un village sous le joug d’un clan de méchants. Il y a également un côté Yojimbo (1961), Ipponmatsu étant brièvement engagé par ses futurs ennemis et affrontant leur garde du corps. Narrativement, rien de palpitant, on sent venir la révélation à deux kilomètres et les protagonistes sont stéréotypés. Formellement en revanche, Misumi s’en donne à cœur joie, utilisant au mieux l’écran large et multipliant les cadrages audacieux. Raizô Ichikawa fait le boulot et le résultat n’est pas désagréable.


Baba Yaga de Corrado Farina (1973)
Une nuit en rentrant à son appartement, la photographe Valentina est à deux doigt d’être renversée par une voiture. La conductrice, une femme inquiétante qui dit s’appeler Baba Yaga, s’excuse et la ramène chez elle. Dès lors, des évènements troublants se succèdent. Les gens que Valentina prend en photo tombent inconscients et elle se met à souffrir de cauchemars où apparaît Baba Yaga.

Valentina est l’héroïne d’une série de bande-dessinées érotiques italiennes (des fumettis) de Guido Crepax publiées entre 1965 et 1993. Inspiré visuellement de Louise Brookes, c’est un personnage cérébral éloigné des clichés de ce type de productions. Dans Baba Yaga, elle est incarnée par Isabelle de Funès, la nièce de Louis de Funès, qui fut mannequin et essaya de percer au cinéma. Doté de qualités plastiques, avec un érotisme léger et quelques séquences découpées à la manière de cases de BD, Baba Yaga pêche par sa lenteur et son climat politique daté. Il demeure à la surface des thèmes abordés et n’ose pas basculer complètement dans la bizarrerie. Si ça ne mérite probablement pas son 5.7 sur imdb, ça n’est pas exceptionnel et je l’aurai vite oublié.


桜の代紋 [Sakura no daimon] de Kenji Misumi (1973, Un flic hors-la-loi)
Okumura enquête sur le clan Seijin-kai, un influent gang de yakuzas aux méthodes violentes. La police tente de le dissoudre, aidée par des familles de mafieux traditionnelles. Lorsque des membres du Seijin-kai achètent un stock d’armes volées dans une base américaine et assassinent des policiers qui les contrôlaient, Okumura y voit une occasion inespérée d’atteindre ses objectifs. Il doit pour cela attraper le responsable du crime et le pousser à avouer.

Sakura no daimon est un des derniers films de Misumi. Il fut produit par Katsu Production, la société de Shintarô Katsu, sur une idée originale de son frère Tomisaburô Wakayama (qui joue également le rôle principal). On y retrouve les acteurs habituels de ce studio, déjà présents dans des Zatoichi, des Baby Cart ou des Hanzo the razor. Niveau réalisation, Misumi s’écarte de ses beaux plans longs et travaillées de l’époque Daiei pour privilégier des cadrages serrés et un montage rapide, sur fond de musique funky et de gerbes de sang. On est dans du polar noir et nihiliste, proche de ce que pouvait proposer Hollywood à la même période avec L'inspecteur Harry (1971) ou Un justicier dans la ville (1974). L’intrigue est assez classique, c’est bien mené dans le genre mais le cinéma d’exploitation des années 70 n’est pas ma tasse de thé.


Séries
The Ghost and Molly McGee de Bill Motz & Bob Roth (2021-2022, Molly McGee et le fantôme), saison 1
Une fille de 13 ans nommée Molly McGee arrive avec ses parents et son frère cadet dans la triste ville de Brighton. Elle découvre que leur maison est hantée par Scratch le fantôme. Au lieu d’être effrayée, elle est ravie et le revenant désemparé lance une malédiction pour l’impressionner : tant que les McGee ne quitteront pas la demeure, Molly et Scratch seront liés. Au grand désespoir de Scratch, Molly se réjouit de cette opportunité d’être en permanence avec lui et court le présenter à sa famille.

The Ghost and Molly McGee est une série animée Disney de deux saisons de 20 et 21 épisodes d’une vingtaine de minutes. Ils sont généralement divisés en deux histoires indépendantes centrées sur le quotidien de Molly et de Scratch. Sans être foncièrement désagréable, c’est clairement trop enfantin pour moi, tout le monde est gentil et ça se finit toujours bien. Outre une trame extrêmement légère, avec une progression narrative quasi nulle durant les deux tiers des épisodes, The Ghost and Molly McGee fait preuve d’un sérieux manque de fraicheur avec son ado optimiste et extravertie confrontée à un autre univers façon Star vs. the Forces of Evil, Amphibia ou The Owl House. Je ne regarderai pas la saison 2 dont je me suis contenté de lire le résumé. Etant donné le complétiste forcené que je suis, on comprend l’ampleur de ma déception.


Livres
A pied sur le Tôkaidô d’Ikkû Jippensha (Philippe Picquier, collection « Picquier poche », 2016), 394 p.
Yajirobei et Kitahachi sont de joyeux compagnons, deux habitants d’Edo qui parcourent le Tôkaidô, une route très fréquentée reliant Tôkyô à Kyôto avec une extension jusqu’à Ôsaka. Amateurs de saké, de nourriture et de grivoiserie, ils profitent de leur pérégrination pour tester les mets et auberges régionales, couchant parfois avec des prostituées ou tentant sans succès de violer des voyageuses de passage. Leurs méfaits se retournent systématiquement contre eux mais ils ne perdent pas leur bonne humeur et leur amour des jeux de mots.

Au début du XIXe siècle au moment où a été écrit ce roman, le Tôkaidô était un axe de circulation majeur emprunté chaque année par des millions de Japonais. A pied sur le Tôkaidô est pensé comme une sorte de guide de voyage humoristique, mêlant aux aventures de Yaji et Kita des listes de spécialités locales, d’adresses remarquables et de sites touristiques réputés. Composé initialement d’un seul livret publié en 1802, l’énorme popularité de l’ouvrage amena Ikkû Jippensha à ajouter sept chapitres parus entre 1803 et 1809 ainsi qu’un prélude expliquant les raisons pour lesquelles Yajirobei et Kitahachi partirent sur la route. L’auteur ne s’arrêta pas en si bon chemin et sortit dans la foulée une suite, Zoku Hizakurige, douze nouveaux chapitres rédigés entre 1810 et 1822.
A pied sur le Tôkaidô vaut surtout pour son importance historique dans la culture japonaise. Le duo Yajirobei et Kitahachi, abrégé en Yaji et Kita ou Yajikita, a été utilisé dans de nombreuses œuvres de fictions, en littérature, manga ou cinéma. On peut trouver deux exemples représentatifs sur ce blog, en héros ou en version féminisée. Il y a tellement de films avec eux qu’un sous-genre nommé Yajikita-mono a été créé. Si on excepte cet aspect culturel, A pied sur le Tôkaidô n’a pas grand intérêt. J’ai davantage apprécié l’introduction et les notes de bas de pages du traducteur Jean-Armand Campignon que le texte, enchaînements d’anecdotes souvent graveleuses et de jeux de mots difficilement intelligibles pour un Occidental du XXIe siècle.


Eisbahn de Tsuchika Nishimura (Le lézard noir, 2019), 160 p.
Eisbahn comporte huit brefs récits publiés entre 2011 et 2017 dans divers magazines japonais. Ils sont focalisés sur des êtres angoissés et solitaires qui peinent à s’affirmer dans le Japon contemporain.

Si j’avais été enthousiasmé par La concierge du grand magasin, Au revoir Mina m’avait déçu. Malheureusement, Eisbahn se situe dans la veine du second, la continuité en moins puisque les nouvelles n’ont aucun rapport entre elles. Le style varie de l’une à l’autre et j’ai fréquemment eu du mal à voir où Tsuchika Nishimura voulait en venir, en particulier dans sa plus longue histoire, Les joueurs, sur un lycéen harcelé et empêché d’aller aux toilettes. Il me reste encore un volume traduit chez cet éditeur, j’espère que ce sera meilleur.


Revues
Cinéma 55 n°6 – Juin-juillet 1955
La revue Cinéma fondée en 1954 portait à l’origine le titre Cinéma 55. Son sixième numéro fut consacré au cinéma japonais, sur lequel il existait peu de documentation en langue occidentale (le premier livre sur le sujet est en français et date de 1956, les anglophones ayant dû attendre 1959 avec le classique d’Anderson et Richie). Il est composé d’une succincte Histoire du cinéma japonais de 1896 à 1955 ; d’un gros plan sur Akira Kurosawa, réalisateur incontournable depuis le succès de Rashômon (1950) ; une courte biographie de dix metteurs en scène notables ; une présentation de quelques acteurs et actrices, des genres majeurs et de films remarquables ; et enfin des chiffres sur la production, l’exploitation, l’importation de longs métrages au Japon ainsi que des classements effectués par des journalistes japonais.

La lecture de The Japanese Film: Art and Industry - Expanded Edition m’a poussé à récupérer les premiers écrits sur le cinéma japonais. Ils proposent une approche parfois différente de celle employée par des analyses récentes, moins influencés par la politique des auteurs et plus ancrés dans l’actualité de l’époque. Dans les points saillants de ce fascicule, je relève, dans le résumé historique rédigé en partie par un Japonais en 1937, l’importance accordée au grand tremblement de terre du Kantô de 1923. Ce cataclysme est, selon le critique, la source de l’âge d’or du jidai-geki, la destruction des studios de Tôkyô ayant entraîné la mainmise de ceux de Kyôto. C’est également la raison du nihilisme et de la dureté du cinéma de la fin des années 20, et de la montée des idées socialistes et communistes dans le pays. Je constate par ailleurs l’utilisation du terme ken-geki plutôt que chanbara, l’absence d’Ozu et l’amusante comparaison de discussions de critiques français sur le cinéma japonais et japonais sur un film français : chacun trouve les œuvres de l’autre trop longues, pas toujours compréhensibles mais pourvues de jolies couleurs.


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