samedi 22 juin 2024

Carnet de bord 08/06/2024-21/06/2024



Films vus en compagnie
緑はるかに [Midori haruka ni] de Umetsugu Inoue (1955, The Green Music Box)
Ruriko est une adolescente solitaire qui attend avec inquiétude des nouvelles de son père, le professeur Kimura, un scientifique envoyé à Hokkaidô un an auparavant. Elle se languit en admirant la belle boite à musique verte offerte par ce dernier et en rêvant qu’elle visite la Lune. Un soir, un homme demande à Ruriko et à sa mère de le suivre pour rejoindre Kimura, apparemment gravement malade. C’est en réalité un espion qui les enlève pour faire pression sur le professeur afin d’obtenir les secrets de ses recherches.

Midori haruka ni est au départ un roman illustré pour enfants écrit par Makoto Hôjô et dessiné par Jun'ichi Nakahara, paru dans le Yomiuri Shimbun entre avril et décembre 1954. Il fut adapté par la Nikkatsu alors qu’il était en cours de publication, qui chargea Jun'ichi Nakahara des costumes. Il participa en outre avec Makoto Hôjô au casting de Ruriko. Une jeune fille de 14 ans, Ruriko Asaoka, fut choisie parmi 2300 candidates. Elle devint une star et joua dans près de 160 films (elle incarne notamment Lily dans six épisodes de Tora-san). Le studio confia la réalisation à Umetsugu Inoue, un spécialiste de la comédie musicale qui avait lancé la carrière de Izumi Yukimura en 1954 et venait d’être recruté par la Nikkatsu.
Midori haruka ni est assez chaotique. Narrativement, c’est bourré d’incohérences et ça vise clairement un public enfantin, à l’inverse du texte davantage dramatique et destiné aux adolescentes. Les chansons sont souvent sans rapport avec l’intrigue, les méchants sont grotesques et certains acteurs sont franchement mauvais. L’influence du Magicien d’Oz (1939), sorti au Japon en décembre 1954, est patente, Ruriko/Dorothy prenant la route avec ses trois compagnons. Un peu trop gentillet et bancal pour moi. A noter que Midori haruka ni est le premier long métrage en konicolor, procédé qui sera employé au Japon dans la seconde moitié des années 50.


Vincent doit mourir de Stéphan Castang (2023)
Vincent est graphiste dans une petite boîte à Lyon. Tandis qu’il est assis à son bureau, un stagiaire le frappe soudainement et sans raison à coups d’ordinateur portable. Quelques jours plus tard, un collègue lui poignarde le bras avec un stylo. A chaque fois, les assaillants sont incapables de dire pourquoi ils ont agi de la sorte. Les incidents se multiplient, Vincent remarque que toute personne qui croise son regard est susceptible de le brutaliser dans la minute. Craignant pour sa vie, il décide de s’exiler dans la maison de campagne de son père.

Vincent doit mourir mélange allègrement genres et références, passant du thriller paranoïaque à l’horreur, de l’action à la romance avec des touches d’humour noir. Il cite Romero, Carpenter ou Hitchcock avec un générique d’intro à la Saul Bass. Le scénario initial rédigé avant le covid limitait le phénomène des agressions à Vincent. Stéphan Castang le retravailla durant l’épidémie en généralisant le principe et en le rendant incompréhensible, à l’image de la confusion qui entourait la maladie. La mise en place est très réussie, avec une tension qui atteint rapidement des sommets. Elle retombe par la suite, en particulier quand arrive l’héroïne interprétée par Vimala Pons. Le ton change et j’ai moins accroché à cette seconde moitié. Cela tient cependant la route grâce à une distribution solide menée par un Karim Leklou de nouveau impressionnant. Malgré des imperfections et un côté comédie romantique qui ne m’a pas totalement convaincu, Vincent doit mourir est une preuve supplémentaire de la qualité du cinéma de genre français contemporain, qui propose des concepts originaux et enthousiasmants.


Swiss Army Man de Daniel Kwan & Daniel Scheinert (2016)
Echoué sur une île déserte après un naufrage, Hank préfère se suicider plutôt que de mourir de faim et de soif. Alors qu’il s’apprête à se pendre, il aperçoit sur la plage le corps d’un homme et se précipite à ses côtés. Il est malheureusement décédé et accablé de flatulences si puissantes qu’elles lui permettent d’avancer dans l’eau à la manière d’un bateau à moteur. Hank le chevauche et ils dérivent vers une terre plus clémente, en bordure d’une forêt qui pourrait les ramener à la civilisation. Hank commence à s’attacher au mort, qu’il nomme Manny et qui s’avère doté de facultés étonnantes.

Swiss Army Man est le premier long métrage des Daniels, Daniel Kwan & Daniel Scheinert, les réalisateurs de Everything Everywhere All at Once (2022) qui paraît sobre en comparaison. Je ne sais pas comment ils ont pu vendre leur projet à A24, qui ont eu un certain courage pour accepter de produire ce machin. Cela débute comme un buddy movie mâtiné de survival entre Paul Dano et le cadavre péteur/couteau suisse de Daniel Radcliffe avant de se transformer en une espèce de comédie romantique chelou et arty avec un humour scato. C’est souvent creepy et gênant, parfois drôle même si les blagues de prout n’ont jamais été ma tasse de thé et qu’il y a des longueurs. C’est quoi qu’il en soit un objet inclassable et une expérience fascinante pour qui aime les trucs barrés.


Énorme de Sophie Letourneur (2019)
Claire est une pianiste célèbre qui effectue des concerts dans le monde entier. Elle est sous la coupe de son mari Frédéric qui gère son quotidien, parle à sa place et organise les tournées. Cela semble lui convenir et elle peut se consacrer totalement à sa musique. De retour du Japon, Frédéric assiste à un accouchement dans l’avion et prend le bébé dans ses bras. Il a une révélation et décide soudain d’avoir un enfant avec Claire. Celle-ci étant opposée à ce plan qui bouleverserait leur routine, il trafique sa pilule et la met enceinte sans qu’elle le sache.

Dans le dossier sur la comédie contemporaine en France des Cahiers du cinéma de juin 2024, il y a une interview de Sophie Letourneur qui souligne la singularité de son œuvre et de sa méthode fondée sur l’improvisation. Cela m’a donné envie de voir Enorme, qui ne m’attirait guère sur le papier en raison de son sujet hasardeux. J’aurais dû jouer la prudence, mes craintes ont été confirmées. Non seulement le stratagème de Frédéric est affreux mais la gravité de ses actes, punissable de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, n’est à aucun moment réellement prise en compte. La méchante c’est Claire qui ne veut pas de gosse et se laisse marcher sur les pieds, le désir d’enfant est sacralisé et Frédéric gagne sur toute la ligne. Un article de RTBF résume les nombreux problèmes que comporte Énorme, qui ne m’a pas amusé.


Primer de Shane Carruth (2004)
Deux ingénieurs, Aaron et Abe, se livrent à des recherches le soir après le boulot dans l’espoir de découvrir de nouveaux concepts technologiques. En travaillant sur un réducteur de poids électromagnétique, ils génèrent par hasard une mini boucle temporelle entre l’instant où ils allument leur appareil et celui où ils l’éteignent. Abe construit une version stable de leur invention pouvant accueillir deux personnes, créant ainsi une machine à remonter le temps.

Je n’avais bizarrement jamais vu Primer, film de boucle réputé exigeant qui possède une communauté de fans. Shane Carruth (le réalisateur/scénariste/chef-opérateur/compositeur/monteur/acteur principal) a un background de mathématicien et d’ingénieur, une très haute opinion de lui-même et a voulu ancrer le voyage dans le temps dans un environnement réaliste sur fond d’intrigue alambiquée, le tout pour 7000 dollars. La mise en place est interminable, les dialogues souvent abscons parce que holàlà c’est sérieux la science, et c’est compliqué de capter les tenants et aboutissants. J’ajoute que j’en ai rapidement eu marre de ces deux héros qui s’écoutent parler, et utilisent le voyage dans le temps pour boursicoter et stopper un incident dans une fête. Plutôt que de me taper un second visionnage, j’ai préféré regarder en diagonale une vidéo qui propose une illustration des évènements avec de jolis schémas. Au moins ça ne dure qu’1h17, je n’ai pas perdu trop de temps (puisque je ne peux pas le récupérer en remontant en arrière).


Films vus seuls
開心鬼 放暑假 [Kai xin gui: Fang shu jia] de Clifton Ko (1985, Happy Ghost II)
Sam Hong est la réincarnation du fantôme suicidé d’un lettré de la dynastie Ching. Il a hérité de super pouvoirs qu’il contrôle mal et qui lui pourrissent la vie depuis son enfance. Nommé professeur dans une école pour filles, il est confronté à un groupe de rebelles, les Méchantes, qui est à l’origine de la démission de sept enseignants. L’affabilité et la patience de Sam vaincront-elles les réticences de ses élèves ou sa maladresse le poussera-t-elle vers la sortie ?

Si Happy Ghost II reprend la logique de son prédécesseur d’un individu doté de capacités surnaturelles qui aide des étudiantes, il s’écarte du thème du revenant qui a donné le titre à la série. On retrouve dans le rôle principal Raymond Pak-Ming Wong et un humour gentil porté par des actrices novices qui obtiennent ici une opportunité pour se faire remarquer. Ce sont notamment les débuts sur grand écran de Fennie Yuen, qui interprète également plusieurs chansons du film et qui apparaîtra dans Swordsman (1990), Une balle dans la tête (1990) ou Tai Chi Master (1993).
Happy Ghost II est inférieur au premier volet. Les situations sont convenues et la trame tient en deux lignes, avec une progression lente centrée sur l’exploitation intensive de deux-trois idées. Sans être désagréable, avec des blagues toujours bienveillantes, ça sent le réchauffé.


กล่อง [Klong] de Chatrichalerm Yukol (1998, The Box)
Un comique à succès raconte son histoire dans un one-man-show. Il s’appelle Jued et a longtemps été un homme malchanceux, maltraité par ses voisins et sa femme. Un policier lui extorquait régulièrement de l’argent, il était battu, humilié et n’arrivait pas à rencontrer un producteur pour vendre ses chansons. Résolu à se suicider, il enchaînait les échecs. Un soir, en chemin pour se jeter du haut d’un pont, il s’assied à côté d'un macchabée en possession d’une mystérieuse boite. Il la vole et sa vie change radicalement.

Chatrichalerm Yukol est un réalisateur majeur du renouveau du cinéma thaïlandais. A la fin des années 70, la Thaïlande imposa une lourde taxe aux longs métrages importés. Cela généra un boycott d’Hollywood et l’explosion de la production locale. Grâce à son statut de prince de la famille royale, Chatrichalerm Yukol put aborder des sujets sensibles et mit en scène des œuvres sociales engagées. The Box est son ultime opus dans cette veine avant de basculer en 2001 dans des fresques historiques épiques. La narration est atypique, alternant entre le one-man-show de Jued et son quotidien peu reluisant. Cela permet à Chatrichalerm Yukol de critiquer à la fois un public qui n’hésite pas à rire du malheur des autres et la mesquinerie des Thaïlandais obsédés par la fortune et la réussite. Le résultat est étrange, avec un humour noir thaïlandais dont je ne suis pas coutumier. J’ai trouvé cela intéressant bien que je ne sois pas sûr d’avoir toutes les clés et que certains sous-textes me sont probablement passés au-dessus.


大阪物語 [Ôsaka monogatari] de Kôzaburô Yoshimura (1957, Une histoire d'Osaka)
Incapable de payer ses impôts, une pauvre famille de paysans doit fuir sa terre. Ils se réfugient à Ôsaka où ils découvrent une combine pour ramasser du riz tombé de sacs déchargés sur les quais. Dix ans plus tard, ils ont amassé un pécule et ont ouvert une boutique de thé. Le père, Ninpei, est devenu extrêmement avare et oblige son épouse, son fils Kichitaro et sa fille Onatsu à mener une existence frugale. Celle-ci est amoureuse de Chuzaburo, le commis en chef, et n’ose rien avouer par peur de la réaction de Ninpei, qui compte la marier à un riche marchand.

Le scénario d’Ôsaka monogatari fut initialement écrit par Kenji Mizoguchi en compilant des nouvelles de Saikaku Ihara, un fameux auteur du XIXe siècle connu pour ses récits sur les bourgeois d’Ôsaka et les quartiers des plaisirs. Au décès de Mizoguchi, le projet fut repris par son collaborateur habituel Yoshikata Yoda et confié à Kôzaburô Yoshimura, souvent comparé à Mizoguchi pour ses poignants portraits de femmes. Il s’entoura de vieux briscards de la Daiei comme Ganjirô Nakamura et Chieko Naniwa, de la star Kyôko Kagawa ainsi que des vedettes montantes Raizô Ichikawa et Shintarô Katsu.
Ôsaka monogatari est une satire pas franchement subtile de l’avarice des commerçants d’Ôsaka, un cliché fréquemment utilisé dans la littérature et le cinéma japonais. Ninpei est particulièrement caricatural et le film est sauvé par ses personnages secondaires, notamment par le fils Kichitaro qui s’avère plus complexe que je l’escomptais. Cela reste assez facile, à l’image de la plupart des scripts de Yoshikata Yoda dont je ne suis décidément pas fan.


風流深川唄 [Fûryû Fukagawata] de Sô Yamamura (1960, Deep River Melody)
Isaburo, le tenancier du prestigieux restaurant Fukagawatei dans le quartier Fukagawa à Tôkyô, promet la main de sa fille Osetsu à son chef Chozo contre l’avis de la famille qui dénigre le statut social du cuisinier et souhaiterait une alliance avec un marchand aisé. La situation se complique quand la justice menace de saisir le Fukagawatei si Isaburo ne rembourse pas un prêt de 18 000 yens consenti à un politicien communiste qui l’avait aidé sept ans auparavant. Le riche Kunizo propose de fournir les fonds en échange d’un mariage avec Osetsu mais Isaburo refuse de la vendre contre son gré. De son côté, Chozo est incité par son entourage à se retirer afin de préserver le restaurant.

Acteur à la carrière foisonnante, Sô Yamamura fut également réalisateur dans les années 50 de six longs métrages qui eurent du succès en leur temps. A l’instar des œuvres de Shin Saburi, autre comédien metteur en scène, ces titres sont aujourd’hui oubliés et difficilement trouvables. Fûryû Fukagawata est son dernier opus, produit par la Toei. C’est une adaptation d’une célèbre pièce de théâtre shinpa de Matsutarô Kawaguchi qui emploie le thème galvaudé de l’amour impossible. Sô Yamamura, engagé à gauche, renforce l’importance de la différence de classe, critique les traditions datées et transforme le bienfaiteur en activiste communiste. Il injecte une philosophie humaniste qui rappelle le style de Heinosuke Gosho. Si c’est parfois larmoyant et qu’Hibari Misora ne me convainc définitivement pas dans ses rôles dramatiques, c’est adroitement mené, avec un dénouement surprenant pour une histoire de ce genre.


虹をつかむ男 [Niji o tsukamu otoko] de Yôji Yamada (1996, The Rainbow Seeker)
Après une énième bagarre avec son géniteur, Ryô fuit la maison et débarque par hasard à Hikari, une bourgade située dans la préfecture de Tokushima dans l’île de Shikoku. A la recherche d’un boulot, il tombe sur une annonce dans un antique cinéma dirigé par Katsu, un homme fantasque amateur de vieux films. Bien qu’il n’offre pour salaire que le gîte et le couvert, Ryô accepte de le seconder, conquis par son enthousiasme. Il découvre les dessous de la gestion d’une salle peu fréquentée qui peine à boucler les fins de mois.

Début 1996, Kiyoshi Atsumi, la star des Tora-san, est gravement malade (il décèdera le 4 août). Pour la première fois depuis 1969, il n’y aura pas de Tora-san en décembre pour les fêtes. Avec Toshiyuki Nishida, l’interprète principal de Gakkô (1993) et Gakkô II (1996), et Hidetaka Yoshioka, le neveu de Tora (Mitsuo) dans la franchise, Yôji Yamada crée un succédané. Ryô/Mitsuo se dispute avec son père (comme dans Tora-san, ses parents sont incarnés par Chieko Baishô et Gin Maeda) et s’installe dans un coin paumé du Japon. Katsu/Tora divertit Ryô et les habitants avec son bagout. Incapable d’exprimer ses sentiments, il ne réussit pas à conclure avec la femme qu’il aime. Selon Claude Leblanc, Niji o tsukamu otoko était une commande du studio et Yôji Yamada recycla des éléments prévus pour le Tora-san annulé à cause du cancer de Kiyoshi Atsumi.
Echec commercial au Japon, Niji o tsukamu otoko s’essouffle dans sa seconde moitié et donne une forte impression de déjà-vu. La passion pour le cinéma, notamment européen, de Yamada est indéniable et sa joie de raconter irrigue le récit, avec de nombreux extraits de classiques. Ce n’est pourtant pas suffisant. En dépit de la maîtrise de Yamada, de son habituel humanisme et de l’hommage à Kiyoshi Atsumi disparu quatre mois plus tôt, Niji o tsukamu otoko reste mineur et n’apporte pas grand-chose à la longue carrière de Yamada. Il existe un deuxième volet sorti en 1997 que je n’ai pas encore pu récupérer.


Séries
Samuel d’Émilie Tronche (2024), 21 épisodes
En 2006 dans une ville tranquille de banlieue parisienne, Samuel est un garçon de 10 ans qui décrit son quotidien dans son journal intime. Il est en CM2 et a le béguin pour la grande Julie, à qui il n’ose se déclarer. Il jalouse Dimitri, le beau gosse de la classe, et s’amuse avec son copain Corentin. Bérénice est amoureuse de lui, Samuel la rejette dans un premier temps avant de sympathiser avec elle.

Samuel est écrit, dessiné et réalisé par Émilie Tronche, qui double également tous les personnages de cette populaire série diffusée sur Arte. Composée de 21 épisodes d’une durée de 3 à 5 minutes, elle est centrée sur Samuel, gamin normal d’une école banale. Émilie Tronche s’est inspirée de ses souvenirs pour scénariser des tranches de vie, replongeant dans sa jeunesse. Ce n’est toutefois pas une autobiographie, elle y a injecté une grosse dose de fiction et a choisi un garçon pour héros pour faciliter son détachement. La musique tient un rôle prépondérant, chaque épisode est généralement structuré par un tube qu’affectionne la créatrice (qui a parfois dû modifier son script quand les droits de la chanson visée n’étaient pas disponibles). La danse, qu’Émilie Tronche a pratiqué, occupe aussi une place importante. Pour inventer les chorégraphies, elle se filmait puis reproduisait ses mouvements.
Le succès de Samuel est mérité, c’est une jolie série sur l’enfance, courte et simple, souvent rigolote et touchante. A l’inverse de ce que dit Émilie Tronche qui estime que tout le monde peut s’identifier, je ne me suis pas retrouvé dans ces mômes proprets, blancs et typiquement français d’un établissement extrêmement calme des fades années 2000. Cela n’a en rien entamé mon intérêt, ce qui prouve la valeur de Samuel qui ne joue pas uniquement sur la fibre nostalgique mais déploie de belles qualités de narration et d’animation, en particulier dans le dix-huitième épisode, La fièvre, sans doute le meilleur.


Livres
Souvenirs d’un futur radieux de José Vieira (Chandeigne, collection « Brûle-frontières », 2024), 140 p.
Dans cet ouvrage autobiographique, le documentariste José Vieira raconte sa jeunesse dans le bidonville de Massy et la rupture qu’a constitué pour sa famille l’immigration en France. Si sa mère, une fois installée dans un pavillon de banlieue au bout de plusieurs années dans le froid et la boue, finit par apprécier leur existence dans l’hexagone et comprendre l’émancipation de ses enfants, son père ne s’adapta jamais, perturbé par la perte de son autorité et de ses valeurs.

Pour quelqu’un comme moi qui connait le travail de José Vieira, Souvenirs d’un futur radieux n’apporte pas de révélations, tous les sujets abordés ayant déjà été traités précédemment. C’est néanmoins un bon résumé, dans un style fluide et agréable, et une lecture recommandée à ceux qui s’intéressent à l’immigration ou qui pensent que les Portugais étaient de gentils étrangers bien intégrés accueillis à bras ouvert par la population. Seul petit regret, l’absence des combats de José Vieira à l’âge adulte, que ce soit sa participation à la Marche pour l'égalité et contre le racisme ou à Convergences 84, qui l’amenèrent à tourner son premier documentaire, Week end en Tosmanie (1985). J'espère que cela fera l'objet d'un autre livre un jour.


La perle verte de Jack Vance (Presses Pocket, collection « Fantasy », 1991), 473 p.
Les choses se compliquent en Ulfland du Sud pour le nouveau roi Aillas : les barons locaux poursuivent leurs querelles ancestrales sans tenir compte de ses alertes pendant que le roi Casmir tente d’envenimer la situation en finançant traitres et espions. Les Skas ne sont pas en reste et attaquent un château reculé de la région. En parallèle, la mystérieuse perle verte générée par la mort de Faude Carfilhiot refait surface et sème le chaos.

Ce second tome du cycle de Lyonesse est moins mélancolique que son prédécesseur, davantage porté sur l’action excepté dans son dernier quart longuet centré sur Glyneth. Cela continue à être plus politique que merveilleux et Aillas est clairement le protagoniste principal. J’ai en tout cas dévoré ce bouquin addictif et j’attends le troisième avec impatience.


Les corbeaux de la mi-automne de Tran-Nhut (Philippe Picquier, collection « Picquier poche – L’Asie en noir », 2014), 430 p.
Durant la fête de la mi-automne, un petit garçon est affreusement assassiné, noyé dans les eaux de la rivière. Au même moment, le temple bouddhique de la Pluie Miséricordieuse est saccagé, un vandale coupant les multiples bras de la déesse Marici et détruisant les toilettes à la masse. Il n’y a aucune piste dans les deux affaires et le mandarin Tân est fort embêté, d’autant qu’un conseiller du seigneur Trinh est actuellement en déplacement dans sa ville et fouine un peu partout.

Les corbeaux de la mi-automne est l’ultime volume des enquêtes du mandarin Tân. A ma grande satisfaction, l’autrice revient enfin à ce qui faisait le charme de la série après le décevant Le banquet de la licorne. On retrouve le trio Tân, le lettré Dinh et le docteur Porc, accompagnés du sbire Khoa doté d’un curieux pouvoir. Les personnages secondaires sont intéressants et l’enquête se suit avec plaisir. Je remarque par ailleurs une progression psychologique de Tân, aboutissement des aventures vécues dans les tomes précédents. C’est une bonne conclusion qui permet de terminer sur une note agréable.


Charlie Chan Hock Chye : une vie dessinée de Sonny Liew (Urban Comics, collection « Urban Graphics », 2018), 320 p.
Charlie Chan Hock Chye est un dessinateur fictif de BD né en 1938 à Singapour. A travers des flash-backs et des extraits de ses œuvres, il raconte sa carrière. Malgré les évolutions de son style qui s’est toujours conformé aux standards à la mode des comics et des mangas de son époque, il n’a jamais accédé à la gloire qu’il espérait. Sous des apparences de divertissement, son travail s’ancre dans l’Histoire et la politique, et ses récits plongent dans les grands évènements qui ont secoué l’île pendant sept décennies.
Sonny Liew est un dessinateur de comics singapourien d’origine malaisienne de 49 ans qui bosse essentiellement en tant qu’illustrateur pour de gros éditeurs américains. Paru en 2015 à Singapour, Charlie Chan Hock Chye : une vie dessinée acquit une soudaine notoriété lorsque le National Arts Council géré par le ministère de la Culture retira la bourse de 8000 dollars qu’il avait attribué à cause de contenus sensibles qui discréditeraient l’autorité et la légitimité du gouvernement. Cela généra un effet Streisand, les ventes explosèrent et le livre fut publié aux Etats-Unis l’année suivante puis traduit en français en 2018.
Cela faisait longtemps qu’une BD ne m’avait pas autant enthousiasmé. C’est excellent à la fois sur le fond et sur la forme :
• sur le fond, c’est une présentation claire et documentée (avec des précisions complémentaires à la fin du bouquin) de l’Histoire de Singapour des années 40 à nos jours selon un angle critique de gauche. Les grandes figures nationales ne sont pas épargnées et la réaction du ministère de la Culture n’est pas étonnante ;
• sur la forme, Sonny Liew parodie les grandes tendances de la BD populaire aux Etats-Unis et au Japon, passant d’un dessin à la Tezuka à une planche façon EC Comics, super-héros, Mad ou Pogo.
Le tout est parfaitement lié par l’attachant Charlie Chan Hock Chye, sympathique looser engagé. J’ai lu les 300 pages d'une traite et je le recommande fortement.

Revues
Les Cahiers du cinéma n°810 – Juin 2024
Le dossier de ce mois est consacré à la comédie contemporaine en France et aux Etats-Unis, avec une focalisation sur les actrices. N’étant pas au point sur le cinéma français récent, j’ai appris l’existence de titres qui pourraient me plaire et que je vais tenter de récupérer. C’était globalement intéressant en dépit d’une énormité énoncée dans l’article introductif de Nicolas Pariser, qui estime qu’il n’y a eu pas de déclinaison féminine des acteurs-réalisateurs-comiques type Max Linder, Chaplin ou Keaton. Or, il y a au moins un exemple fameux, Mabel Normand, et je pense que l’ouvrage Slapstick Divas: The Women of Silent Comedy fournit d’autres cas plus marginaux.

Pas grand-chose en revanche du côté des sorties. Il y a beaucoup de longs métrages évoqués mais rien ne m’intrigue, excepté Furiosa : une saga Mad Max (2024) qu’il faudra que je voie même si je n’avais pas accroché à Mad Max : Fury Road (2015). En patrimoine enfin, je note les trois films noirisants argentins des années 50, Que la bête meure (1952), Le vampire noir (1953) et Un meurtre pour rien (1956).


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