Films vus en compagnie
شطرنج باد [Shatranj-e Baad] de Mohammad Reza Aslani (1976, L'échiquier du vent)

Censuré en 1979 par le régime islamique iranien récemment arrivé au pouvoir, L'échiquier du vent fut longtemps considéré perdu. Il a été redécouvert par hasard en 2014 dans une brocante et restauré dans la foulée. C’est esthétiquement magnifique, que ce soit la photographie, les costumes ou les décors. Mohammad Reza Aslani montre la décadence de la bourgeoisie, la fin d’une ère façon Le guépard (1963) avec une pesanteur quasi-fantastique, en particulier dans une longue scène cauchemardesque évoquant l’expressionnisme allemand des années 20. Il y a également un côté tragédie grecque, avec ses haines entre parents et un chœur de lavandières qui commente les malheurs des riches. La musique étrange renforce l’ambiance oppressante et c’est une œuvre assez fascinante. Attention toutefois, c’est extrêmement lent et cela risque de rebuter les spectateurs peu habitués au cinéma d’auteur mou du genou.
Keluarga Cemara de Yandy Laurens (2018, Cemara's Family)

Keluarga Cemara fut un soap opera télévisé très populaire en Indonésie, inspiré d’un bouquin d’Arswendo Atmowiloto écrit dans les années 70. Le show dura neuf ans, de 1996 à 2005, comportant 412 épisodes. Cette adaptation de 2018 reprend les grandes lignes avec une couche de modernité : smartphones, concours de danse, métier uberisé… Elle bénéficie de critiques positives sur imdb et dans les journaux indonésiens. Pour un néophyte du cinéma indonésien, c’est globalement pénible. Une ribambelle de calamités s’accumulent sur ces braves gens, qui vont être soutenus par la communauté et parvenir à accepter leur nouvelle vie. C’est affreusement guimauve, platement filmé, avec des interprètes de qualité variable et une bande originale sirupeuse. Pour un œil extérieur non affecté par la nostalgie, ça n’a guère d’intérêt.
I Am Not a Serial Killer de Billy O'Brien (2016)

I Am Not a Serial Killer est tiré du premier livre d’un cycle de romans consacré à John Wayne Cleaver, un jeune perturbé confronté à des serial killers surnaturels. L’introduction du fantastique dans un environnement morne et réaliste est correctement amenée, en dépit d'une conclusion excessive qui casse la tension en dévoilant trop la créature. L’intrigue est centrée sur le duo formé par Max Records, le gamin énervant de Max et les Maximonstres (2009), et Christopher Lloyd en papy apparemment paisible. Le regard empathique porté sur la vieillesse est inhabituel dans l’horreur adolescente etI Am Not a Serial Killer s’est avéré plaisant.
Bedrooms and Hallways de Rose Troche (1999, Des chambres et des couloirs)

Bedrooms and Hallways est le second long métrage de Rose Troche, quatre ans après Go Fish (2004). Tourné en Grande-Bretagne, il se concentre sur une romance gay. Il ne comporte pas les aspects arty expérimentaux qui m’avaient agacé dans Go Fish, et ne se disperse pas comme The Safety of Objects (2001). Il se focalise essentiellement sur Leo, avec quelques apartés sur son coloc extraverti et son amant pervers joué par Hugo Weaving. C’est une comédie enlevée qui se moque de la masculinité et des certitudes en matière de sexe. Les réunions du groupe d’hommes sont réjouissantes et le casting est impeccable, rempli d’acteurs qui allaient bientôt percer. Je le recommande chaudement.
Petit Paysan de Hubert Charuel (2017)

Hubert Charuel est le fils d’un couple d’agriculteurs (qui apparaissent dans le film en père de Pierre et en contrôleuse laitière). Il a tourné Petit Paysan dans la ferme familiale située à Droyes, à une soixantaine de kilomètres de Troyes. Particulièrement marqué par la crise de la vache folle survenue quand il était gosse, il a inventé une maladie, la FHD, qui provoque une psychose similaire. La vie à la campagne n’est pas idéalisée, Pierre navigue sur des sites complotistes, ses potes sont des chasseurs relous et tout le monde est sur les nerfs, fatigué et usé. A ce drame social rural, Petit Paysan ajoute une atmosphère de thriller. Cela ne fonctionne pas parfaitement, pas aidé par un héros antipathique. Je ressors donc avec une impression mitigée.
Transit d’Hugo Dos Santos (2022)

La résidence Frontières, organisée chaque année par le musée de l’histoire de l'immigration et le Grec (Groupe de Recherches et d'Essais Cinématographiques), propose à un lauréat une bourse pour réaliser un film sur l’immigration. Transit est le fruit du concours de 2021, ce qui explique la présence récurrente des masques chirurgicaux en extérieur.
Je me suis forcément senti concerné, possédant de nombreux points communs avec Hugo Dos Santos. Nous sommes nés à un an d’écart, j’ai comme lui été élevé par une mère célibataire d’origine portugaise qui travaillait beaucoup et par mes grands-parents qui s’occupaient de moi la majorité du temps. J’étais également entouré d’immigrés de diverses nationalités et j’ai été un des rares de mon quartier à aller au lycée général (certes pourri et en ZEP), mes amis d’enfance étant relégués dans les sections techniques. La grosse différence est que ma famille est arrivée en 1947, avant la vague des années 60-70, et s’est installée en province. Elle n’a pas connu les bidonvilles mais les préfabriqués, la maison sans salle de bains louée par des compatriotes puis l’équivalent des HLM pour les étrangers (les HLM étant réservés aux Français).
Hugo Dos Santos se situe clairement dans la lignée de José Vieira, jusque dans son amour des portraits. C’est la génération suivante, celle d’après les baraques qui a grandi dans la France mitterrandienne. On y retrouve un intérêt pour l’Histoire de la communauté portugaise et pour ceux qui leur ont succédé. Entre le bidonville des années 70, la cité des années 80-90 et les réfugiés tibétains de nos jours, Hugo Dos Santos trace un panorama complet des lieux. C’est limite trop dense, il y avait presque la matière à trois métrages et j’aurais parfois souhaité avoir davantage d’informations. Je comprends néanmoins le contexte, le format relativement court impose de trancher et, pour une quasi-première œuvre, c’est une belle réussite. Transit est disponible gratuitement sur Vimeo, qui n’offre malheureusement pas de sous-titres français (excepté durant un témoignage en anglais) alors qu’ils annoncent une VOSTFR.
Films vus seuls
The Crime Doctor's Warning de William Castle (1945)

Encore un whodunit au scénario faiblard pour ce quatrième épisode des Crime Doctor. Le jeune premier est toujours aussi tartouille, interprété par un Coulter Irwin qui ne percera jamais. Il est dirigé par un William Castle en début de carrière, qui n’emploie aucun des gimmicks qui feront sa célébrité. J’espère que ça va s’améliorer parce que cette série est décevante pour l’instant.
その後の蜂の巣の子供たち [Sono ato no hachi no su no kodomotachi] de Hiroshi Shimizu (1951, Ce que sont devenus les enfants de la ruche)

Sono ato no hachi no su no kodomotachi est la suite de Hachi no su no kodomotachi (1948, Les enfants de la ruche en français), un des opus les plus réputés de Hiroshi Shimizu rapproché à tort du néoréalisme. Spécialiste des films avec des gosses dès les années 30, Shimizu quitta la Shôchiku après la guerre et recueillit une dizaine d’orphelins qu’il confia à Tadamoto Okubo, un metteur en scène au chômage. En 1948, il créa sa société de production Hachinosu Eiga et tourna Les enfants de la ruche en extérieur avec les enfants, qui participèrent également au processus de fabrication du métrage. Le financement fut apporté par un propriétaire foncier des environs et le succès fut au rendez-vous. Shimizu réunit la même équipe pour Sono ato no hachi no su no kodomotachi et pour Daibutsu-sama to kodomotachi (1952, Les enfants du Grand Bouddha).
Sono ato no hachi no su no kodomotachi est à la frontière du documentaire et de la fiction. Il s’ouvre sur une discussion sur le contenu des Enfants de la ruche et sur les évènements à la Ruche les trois dernières années. Il bascule ensuite dans la semi-fiction, alternant entre le quotidien des enfants et les touristes indésirables. On constate que le bénévolat égoïste n’est pas un phénomène récent, les volontaires cherchant davantage à se donner bonne conscience qu’à vraiment aider. Sans atteindre l’excellence de son prédécesseur, Sono ato no hachi no su no kodomotachi est un agréable complément et j’aimerais récupérer Daibutsu-sama to kodomotachi.
Santo en el museo de cera de Alfonso Corona Blake & Manuel San Fernando (1963, Santo in the Wax Museum)

Santo en el museo de cera est encore produit par Alberto López. Doté d’un budget honnête, il est correctement photographié, avec des maquillages et des décors décents. L’intrigue est inspirée de L'homme au masque de cire (1953), grevée d’incohérences et d’idées débiles. Le pompon revient à la machine permettant de contacter Santo à tout moment qui, entre de mauvaises mains, se transforme en dispositif à espionner le lutteur masqué. Pas franchement folichon.
P.-S. : dans le troisième match de Santo, son adversaire est annoncé par le speaker comme étant Français. Il s’agit en fait de l’Espagnol Benny Galant.
OTSUYU 怪談牡丹燈籠 [Otsuyu: Kaidan botan-dôrô] de Masaru Tsushima (1998, The Haunted Lantern)

J’ai déjà abordé le kaidan Botan Dôrô, traditionnelle histoire japonaise de fantômes, dans ma critique de la mouture de 1968 de Satsuo Yamamoto. Par rapport à la variante habituelle, Otsuyu: Kaidan botan-dôrô introduit une incarnation antérieure du couple où un lâche Shinzaburo refusa de se tuer avec Tsuyu. Ce préambule est totalement inutile et absolument pas exploité. S’y ajoute des images de synthèse moches et un manque de tunes flagrant qui donne un cachet téléfilm et rappelle que Masaru Tsushima est issu du petit écran. Il y a en outre un côté assez anachronique à sortir une énième version de Botan Dôrô l’année de Ringu (1998), qui bouleversa la J-Horror et établit la réputation du genre dans le monde. Ce n’est finalement pas étonnant quand on connaît la passion des Japonais pour la relecture des œuvres qu’ils apprécient. Le classicisme de Otsuyu: Kaidan botan-dôrô n’est pas désagréable, soutenu par une trame qui a fait ses preuves. Il est néanmoins loin du niveau du Satsuo Yamamoto et n’apporte rien de neuf.
Livres
Le kimono rouge d’Oji Suzuki (Seuil, collection « Mangaself », 2007), 228 p.

Encore un bouquin avec zéro effort éditorial, aucune présentation de l’auteur ni date de parution des différentes histoires. Oji Suzuki fut nettement influencé par Yoshiharu Tsuge, travailla en tant qu’assistant de Shigeru Mizuki et fut publié dans Garo à partir de 1969. Les nouvelles de ce recueil tournent autour d’un embryon d’intrigue qui ne mène nulle part, elles reposent sur une atmosphère, des ressentis et des hésitations. C’est verbeux, avec des dialogues apparemment poétiques qui ont dû me passer au-dessus ou qui ont été perdus à la traduction. Cela faisant longtemps qu’un manga ne m’avait pas autant rebuté, j’ai eu du mal à aller au bout.
- Peasants, Rebels, Women and Outcastes – The Underside of Modern Japan, Second Edition de Mikiso Hane (Rowman & Littlefield, collection « Asian Voices », 2003), 349 p.Cette étude des oubliés de la modernisation couvrant une période allant des débuts de l’ère Meiji à 1945 comporte onze chapitres qu’on peut rassembler en quatre grandes catégories :
- • Les paysans défavorisés : leur groupe est analysé en détail. Mikiso Hane se penche sur leurs difficultés quotidiennes, sur leur morale et leurs coutumes, sur la place des femmes en leur sein, sur la division du travail et de la propriété.
- • Les femmes : oppressées par un système patriarchal archaïque, elles subirent de plein fouet la montée de la pauvreté en zones rurales et l’interdiction de l’avortement. Perpétuellement en quête d’argent, les paysans vendirent leurs filles aux usines textiles ou aux réseaux de prostitution, cas que le chercheur traite dans des sections dédiées. Dans cette seconde édition, il a ajouté une partie sur les rebelles, des militantes qui refusèrent de plier l’échine et le payèrent de leur vie.
- • Les burakumin
- • Les employés des mines
La sphère d’or – Tome 1 & 2 d’Erle Cox (10/18, collection « L’aventure insensée », 1974), 313 p. & 311 p.

Erle Cox fut journaliste dans le périodique de Melbourne The Argus entre 1921 et 1946. La sphère d’or, titrée en anglais Out of the Silence: A Romance, y fut publiée en feuilleton de 120 épisodes entre août et décembre 1919. Il fut compilé en 1925 et traduit en français dans une version abrégée en 1929. Il semblerait que Barjavel y ait puisé son inspiration pour écrire La nuit des temps. Les deux tomes de 10/18 parus en 1974 forment la première édition intégrale dans notre langue.
Je ne sais que penser. D’un côté, c’est un agréable récit d’aventures, avec un tome 1 palpitant et assez léger ; il y a de bons personnages secondaires, qui finissent par devenir plus importants que l’agaçant couple principal ; les femmes sont sur le devant de la scène, des touches d’originalité dans leur représentation surnageant dans un amas de clichés sexistes. D’un autre côté, l’histoire d’amour entre Alan et l’héroïne Hiéranie est sirupeuse, avec des paragraphes pénibles d’échanges de mots doux. Mais surtout, Hiéranie est affreusement raciste et eugéniste, prônant le massacre des populations soi-disant inférieures. Si certains protagonistes s’opposent à ses méthodes radicales, ils ne la contredisent guère sur le fond. Bien que le doute subsiste sur les intentions de l’auteur, le second roman d’Erle Cox, Fools' Harvest (1938), ne plaide pas en sa faveur. C’est apparemment un brûlot raciste anti-Japonais, ce qui jette une ombre rédhibitoire sur La sphère d’or en dépit de ses qualités.
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