samedi 3 août 2024

Carnet de bord 27/07/2024-02/08/2024



Films vus en compagnie
Kakabakaba ka ba? de Mike De Leon (1980, Frisson ?)
Dans un avion se rendant à Manille, un contrebandier japonais glisse dans la poche de son voisin une cassette audio qu’il compte récupérer après les contrôles de la douane. Son passeur involontaire, Johnny, est chanteur dans un groupe local et habite avec son ami Nonong dans un petit appartement. Ils trainent avec Nancy, la copine de Nonong, et Melanie, une hôtesse de l’air que Johnny a dragué durant le vol. Ils vont être les victimes des truands japonais et de leurs concurrents chinois, qui sont prêt à tout pour s’emparer de la mystérieuse cassette.

Kakabakaba ka ba?, titre intraduisible signifiant apparemment « êtes-vous nerveux ? », est le troisième opus de Mike De Leon après Itim (1976) et Kung Mangarap Ka't Magising (1977). C’est une parodie de film d’espionnage vaguement hitchcockienne centrée sur un pur MacGuffin, prétexte à des blagues faciles qui franchissent mal la barrière culturelle et linguistique. Ça m’a rappelé certaines comédies hongkongaises de la même époque, remplies de stéréotypes racistes et sexistes. Sans être totalement excusable, ce racisme est cependant différent de celui présent dans notre pays car il vise ici un ancien colonisateur auteur de nombreuses exactions (le Japon entre 1942 et 1945), qui était en train de remettre les pieds aux Philippines pour exploiter une main d’œuvre bon marché. Kakabakaba ka ba? est poussif jusqu’à la dernière demi-heure. Prenant pour cible la religion catholique, Mike De Leon dérive alors vers un opéra rock délirant dont je connais peu d’équivalent. C’est une expérience assez unique qui mérite à elle seule le visionnage.


Problemista de Julio Torres (2023)
Alejandro a grandi paisiblement au Salvador, couvé par sa mère. Il rêve d’être concepteur de jouets et émigre aux Etats-Unis pour concourir au programme d’incubateur de talents d’Hasbro. Ne recevant pas de réponse, il travaille en attendant dans une société de cryogénisation. Il est chargé de surveiller le corps de Bobby, un artiste spécialisé dans la peinture d’œufs qui n’a jamais percé. Viré pour une erreur de maintenance, Alejandro se retrouve à aider Elizabeth, l’ex-conjointe extrêmement acariâtre de Bobby, qui souhaite monter une exposition regroupant les tableaux de son amant congelé.

Problemista marque les débuts à la réalisation du comédien Julio Torres, qui a également écrit l’histoire et qui joue Alejandro. Célèbre aux Etats-Unis pour divers shows et pour la série Los Espookys, il a un humour gentil légèrement surréaliste et bourré de fantaisie, avec une touche de mélancolie. Avec Problemista, il propose une espèce de contes de fées qui s’ouvre sur un « Il était une fois ». Son héros naïf est confronté à une multitude d’épreuves agencées de manière bancale, problème récurrent des premiers films trop foisonnants. Sa critique de la bureaucratie à laquelle se heurte les immigrés fonctionne toutefois plutôt bien, illustrant avec dérision les difficultés de survivre en jonglant entre les contraintes et les petits boulots au noir. J’ai été moins convaincu par le personnage d’Elizabeth, interprétée par Tilda Swinton. C’est la classique mégère ultracliché du cinéma indépendant américain, rôle fréquemment tenu par Frances McDormand depuis une bonne décennie. Cela m’a fatigué et m’a un peu gâché ce Problemista autrement sympathique.


Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais (1968)
Sauvé de la mort après une tentative de suicide, Claude Ridder continue à se morfondre. A sa sortie de l’hôpital, il est interpellé par deux individus qui lui offrent de collaborer à une étude scientifique. Il accepte de les suivre et est amené dans un pavillon de campagne. On lui explique que son esprit va être projeté dans le temps et qu’il va revivre une minute de son passé, exactement un an auparavant. L’expérience dérape et il se met à errer dans ses souvenirs, hanté par son amour pour son ex, Catrine.

Je t'aime, je t'aime est un Resnais méconnu, situé dans la première partie de sa carrière. Je l’avais déjà vu il y a une dizaine d’années. Je craignais un truc prétentieux et soporifique façon L'année dernière à Marienbad (1961) et j’avais été agréablement surpris. La lecture du Temps incertain m’a poussé à un deuxième examen, qui a globalement confirmé mes impressions. La rédaction du scénario a nécessité cinq ans de travail entre Resnais et Jacques Sternberg. Celui-ci a imaginé l’essentiel de l’intrigue en s’inspirant de sa vie et de son épouse. Il a produit 800 à 900 pages, Resnais n’en a retenu qu’un quart.
Sur le papier, Je t'aime, je t'aime semble être une banale romance très cinéma français entre un homme volage et sa compagne dépressive. Son intérêt vient de son montage, qui montre de brefs morceaux de l’existence de Claude sans logique apparente. Le spectateur comprend progressivement les tenants et aboutissants, et la relation originale qui unissait Claude et Catrine. Il se dégage une forte mélancolie, accentuée par un Claude Rich excellent en Claude et par la tristesse enfantine d’Olga Georges-Picot en Catrine. C’est un de mes Resnais préféré avec Smoking / No Smoking (1993) et On connaît la chanson (1997).


Acide de Just Philippot (2023)
Michal est en détention à domicile sous surveillance électronique pour avoir frappé un CRS durant l’occupation de son usine. Cette condamnation a conduit à son divorce et l’a rapproché de Karin, une ancienne collègue victime d’un grave accident. En attendant de pouvoir la rejoindre en Belgique, il habite à Arras et garde occasionnellement sa fille Selma, une ado brimée par ses camarades. Quand des pluies acides s’abattent soudainement sur le Nord de la France, Michal et son ex-femme Elise se lancent à la recherche de Selma, en excursion avec sa classe dans la forêt avoisinante.

Acide est le second long métrage de Just Philippot. Il est tiré de son court éponyme de 2018, qui usait du même thème avec des personnages différents. Comme dans La nuée (2020), on est dans un drame familial mâtiné de fantastique où la nature se venge des excès de l’humanité. C’est particulièrement sombre et pessimiste, une sorte de Guerre des mondes (2005) à la française sans une once d’espoir. Philippot n’a rien cédé, avec un héros individualiste détestable incarné par un Guillaume Canet brisé et colérique dont l’égoïsme finit par rebuter. Les effets spéciaux sont convaincants, principalement créés en direct sur le plateau, avec une photographie grise et austère qui renforce le propos. L’introduction est longuette, avec un ancrage social assez convenu. Elle laisse la place à une fuite en avant éperdue, tendue de bout en bout. Just Philippot souhaitait construire une œuvre malaisante, c’est réussi, avec ses conséquences positives et négatives.


Kuolleet lehdet d’Aki Kaurismäki (2023, Les feuilles mortes)
Surprise en train d’embarquer un produit périmé au lieu de le jeter à la poubelle, Ansa est licenciée de son boulot de magasinière. Elle réduit ses dépenses au maximum et tente avec difficulté de trouver un nouvel emploi. De son côté, Holappa bosse dans le bâtiment. Alcoolique, il traine dans les bars, où il aperçoit Ansa sans oser l’aborder. Il la recroise un jour et l’invite à boire un café.

Kuolleet lehdet se situe dans la lignée de la trilogie du prolétariat réalisée par Aki Kaurismäki dans la deuxième moitié des années 80. Le scénario est très similaire au premier volet, Ombres au paradis (1986), romance entre un éboueur et une vendeuse qui pique la caisse de son supermarché. Kuolleet lehdet reprend tous les tics de Kaurismäki, la classe ouvrière oppressée, les protagonistes mutiques et solitaires, un humour noir dépressif, l’ambiance intemporelle mélange de déco années 70 et d’éléments modernes, sa musique venue d’ailleurs (mention spéciale à Maustetytöt, littéralement spice girls en finlandais, le groupe des sœurs en pyjama)… On a parfois l’impression qu’il s’autoparodie. Il manque juste la présence de Kati Outinen, remplacée par une autre blonde taiseuse interprétée par Alma Pöysti. Il n’empêche, lorsqu’on apprécie le style de Kaurismäki, cela fonctionne bien et j’ai passé un bon moment. Cela m’a en outre donné envie de récupérer The Dead Don't Die (2019) de Jim Jarmusch (un pote de Kaurismäki), qu’Ansa et Holappa vont voir au cinéma et qui a mauvaise réputation.
Les Spice Girls ont bien changé.


Kenny Begins de Mats Lindberg & Carl Åstrand (2009)
Eternel étudiant incapable d’obtenir son diplôme, Kenny Starfighter rêve d’être un héros de l’espace et refuse la carrière familiale de coiffeur. Pour accumuler des points pour son examen, il préfère stopper les chauffards plutôt que de risquer un coup d’éclat. En poursuivant un individu louche, il traverse un trou noir et débarque sur Terre. Il s’écrase dans la maison de Pontus, un ado handicapé qui a récemment touché une inquiétante pierre verte et a acquis des super-pouvoirs. Ne sachant réparer le vaisseau de Kenny, Pontus demande de l’aide à Miranda, la fille qu’il admire en secret.

Kenny Begins est la préquelle d’une série télé pour enfants fameuse en Suède, Kenny Starfighter – Galaxens Superhjälte No1 (1997), six épisodes d’une heure sur les aventures de Kenny le héros de l’espace (déjà incarné par Johan Rheborg). La reprise sur grand écran en 2009 fit sensation et Kenny Begins fut doté d’un budget important selon les standards locaux, devenant le long métrage suédois comportant le plus d’effets spéciaux. Tout ceci est hallucinant pour un non-Suédois comme moi tombant dessus par hasard sur Netflix, la plateforme à l’étonnant catalogue de titres suédois.
La Suède n’est pas connue pour son humour, je me souviens de ma perplexité devant les « comédies » de Bergman Sourires d'une nuit d'été (1955) ou L'œil du diable (1960). Cela n’a cependant rien à voir avec la gêne ressentie à l’endroit de Kenny Begins. Ne pensant honnêtement pas qu’ils avaient eu de la tune, ce n’est pas tant la sympathique nullité des images de synthèse et le côté rustique des trucages qui m’a affligé que l’insupportable Kenny et l’insipide duo Pontus/Miranda. En 1h20, je n’ai jamais esquissé un sourire, les blagues sont lamentables, je n’oserais dire digne d’un gosse de quatre ans car cela insulterait son intelligence. Une partie des Suédois a considéré Kenny Begins hilarant et une deuxième saison de Kenny Starfighter – Galaxens Superhjälte No1 a été produite en 2022. Les raisons de cet engouement demeurent pour moi un mystère.


Films vus seuls
Santo en el hotel de la Muerte de Federico Curiel (1963, Santo in the Hotel of Death)
Dans un hôtel près d’un site archéologique, une touriste étrangère est assassinée et son corps disparaît. L’inspecteur Fernando Lavalle de Mexico est envoyé sur place, flanqué de son adjoint et de sa petite amie Virginia, une journaliste. Un second meurtre est commis et l’investigation piétine. Quand Virginia est agressée et que Fernando est assommé en essayant de la protéger, cette dernière utilise la montre-téléphone de son fiancé pour appeler Santo à la rescousse.

Santo en el hotel de la Muerte est la suite de Santo contra el rey del crimen (1962). On y retrouve la même bande d’enquêteurs incompétents. Santo est toujours accompagné du fidèle Matías, dont la seule fonction ici est d’être copilote. L’intrigue tourne autour du couple Fernando/Virginia et Santo doit apparaître à peine une dizaine de minutes au total, il ne sert qu’à taper quelques méchants. Il n’est pas sur l’affiche d’origine (franchement mensongère) et n’a le droit qu’à un unique match de catch au lieu des deux habituels. De qui se moque-t-on ? A part ça, c’est un whodunit fadassou qui ne mérite guère de sortir de l’ombre.


Die Nackte und der Satan de Victor Trivas (1959, La femme nue et Satan)
Le professeur Abel a découvert un mystérieux sérum qui permet de conserver des organes séparés du corps. Epaulé par un assistant récemment engagé, le docteur Odd, il veut expérimenter sur lui-même une transplantation du cœur car il est gravement malade. Malheureusement, le donneur, un sans-abri accidenté, décède avant l’intervention. Odd extrait sans son consentement la tête d’Abel et la maintient en vie dans l’espoir qu’il lui transmette ses secrets. Il compte également opérer Irene, une bossue dotée d’un beau visage, pour lui façonner une allure conforme à ses désirs.

A la fin des années 50, le cinéma allemand ne produisait pas de films d’horreur. Voyant un créneau à prendre, Wolf C. Hartwig finança coup sur coup en s’inspirant des séries B américaines Die Nackte und der Satan centré sur un scientifique fou et Ein Toter hing im Netz (1960) avec des araignées géantes. Pour la mise en scène de Die Nackte und der Satan, il alla chercher le russo-américain Victor Trivas. Venu en Allemagne dans les années 20, celui-ci fut remarqué en 1931 pour son antimilitariste Niemandsland, interdit par la censure pronazie. Il dut s’exiler en France puis à Hollywood où il fut scénariste. Die Nackte und der Satan ne redora pas son blason.
Côté distribution, je relève la présence de Horst Frank, bien connu des Français pour sa prestation dans Les Tontons flingueurs (1963), et de Michel Simon. En 1958, durant le tournage d'Un certain monsieur Jo, l’acteur français fut intoxiqué par une teinture de barbe. Ses nerfs cervicaux furent attaqués, il eut des problèmes de mémoire et une paralysie faciale localisée. Ayant besoin d’argent, il accepta de cachetonner dans Die Nackte und der Satan, pensant que tout le monde oublierait vite cette péloche peu glorieuse. Pas de bol, Die Nackte und der Satan eut un grand succès dans les drive-in aux Etats-Unis à l’aube des années 60.
Malgré de jolis décors vaguement expressionnistes et une interprétation globalement correcte, Die Nackte und der Satan est d’un faible niveau, pas aidé par un récit qui se contente de recycler les clichés et multiplie les protagonistes sans relief. Seul Horst Frank se détache avec un docteur Odd charismatique. A noter que le titre racoleur n’a strictement rien à voir avec la choucroute, il n’y a ni diable ni femme nue.


撃滅の歌/米英撃滅の歌 [Gekimetsu no uta/Beiei Gekimetsu no Uta] de Yasushi Sasaki (1945, Song of Destruction/Song of Destruction of the United States and Great Britain)
En 1939, trois amies membres d’une chorale terminent leurs études. Mie est contrainte de rentrer dans son village à la mort de son père et devient professeur de musique dans une école primaire ; Chizu, issue d’un milieu populaire, se marie et part à Shanghai avec son époux ; Yumiko, une riche bourgeoise, décide de se consacrer à l’opéra. La guerre va les forcer à reconsidérer leurs plans.

La chanson Beiei Gekimetsu no Uta fut composée fin 1944 pour encourager les Japonais à se préparer à la bataille décisive sur leur territoire et à résister coûte que coûte à l’envahisseur. Chargée d’en tirer un long métrage, la Shôchiku confia cette mission à Yasushi Sasaki. Il avait déjà fait ses preuves dans ce type d’exercice dès ses débuts avec Manshû kôshinkyoku (1932, coréalisé par son mentor Hiroshi Shimizu), qui illustrait un air militaire créé à la suite de l’incident de Mukden. Beiei Gekimetsu no Uta, parfois appelé Gekimetsu no Uta soit le chant de la destruction, est de la propagande qui tâche. Diffusé dans les salles en mars 1945, six mois avant la défaite, il valut à Yasushi Sasaki d’être rangé par les Alliés dans les criminels de guerre de classe C. Pour satisfaire les autorités d’occupation, il changea rapidement son fusil d’épaule et fut le premier à filmer un baiser dans Hatachi no seishun (1946).
De façon amusante, alors que la trame consiste à expliquer que la musique américaine corrompt les âmes et que les Occidentaux sont méchants, Gekimetsu no Uta est un musical assez hollywoodien dans la forme. Yasushi Sasaki était un spécialiste du genre, il avait acquis sa réputation grâce à Junjô nijûsô en 1939, dont la chanson titre avait lancé la carrière de chanteuse de Mieko Takamine. Outre Chishû Ryû dans un petit rôle, trois stars incarnent les trois camarades : Yukiko Todoroki (Yumiko), une ancienne étoile de la fameuse revue 100% féminine Takarazuka, qui apparaît notamment dans les Sanshiro Sugata d’Akira Kurosawa ; Yumeji Tsukioka (Mie), actrice d’Ozu et de Kinoshita ; et Mieko Takamine (Chizu), immense vedette de la Shôchiku. Cela ne suffit pas et Gekimetsu no Uta n’offre qu’un intérêt historique pour les amateurs d’œuvres de propagande.


Livres
Le temps incertain de Michel Jeury (Presses Pocket, collection « SF », 1979), 253 p.
Dans le futur, les médecins ont développé une technique pour se projeter dans la mémoire d’individus comateux. Ils peuvent revivre les expériences marquantes des sujets et saisir le contexte d’une époque lointaine. Ils cherchent spécifiquement à cerner les circonstances qui ont mené à la dictature des grandes entreprises dans les années 1980-1990. Le docteur Holzach est envoyé en 1966 dans la conscience de Daniel Diersant, un ingénieur chimiste. Son objectif est de comprendre ce qui lui est arrivé. A-t-il été victime d’un accident ? D’une tentative de meurtre ? A-t-il essayé de se suicider ? Pas facile de savoir quand on n’a aucun contrôle sur le déroulement du temps et que l’on revit sans cesse les mêmes évènements traumatiques.

Le temps incertain est un livre majeur de la SF française, qui a contribué à la crédibiliser par sa qualité littéraire proche du Nouveau Roman et a rendu célèbre Michel Jeury. Sa rédaction prit cinq ans, entre 1967 et 1972. Michel Jeury fut fortement influencé par les bouquins de Philip K. Dick, cité en préambule. Il en reprend des thèmes clés : la relativité d’un temps fluctuant, la réalité truquée, l’importance de la drogue, la schizophrénie… Il s’inspira également de Je t'aime, je t'aime d’Alain Resnais, sorti en 1968, avec un héros à qui on injecte une substance pour l'aider à retourner dans son passé et qui est coincé dans ses souvenirs. Etant fan de K. Dick et des boucles temporelles, j’ai apprécié Le temps incertain. Il est à la fois complexe et limpide, les différentes briques s’agençant graduellement pour bâtir un ensemble cohérent. J’avoue avoir en revanche été déçu par la conclusion, que j’estime ratée. Je serais curieux de lire la suite, Les Singes du temps (ça tombe bien, je constate que je l’ai dans ma bibliothèque), et la préquelle, Soleil chaud poisson des profondeurs.


La petite amie de Minami de Shungiku Uchida (IMHO, 2022), 196 p.
Chiyomi a rapetissé sans raison jusqu’à mesurer une dizaine de centimètres. Elle a été recueillie par son petit ami Minami, qui l’a caché dans une maison de poupées. Elle ne souhaite pas alerter ses parents ou les autorités et Minami s’occupe d’elle. Il l’amène au lycée dans sa poche, lui coud des vêtements et lui donne à manger comme si elle était un bébé. Chiyomi et Minami sont frustré⸱e⸱s de cette relation platonique et iels se demandent si elle récupèrera un jour une taille normale.

Shungiku Uchida est une des rares femmes mangakas ayant travaillé pour Garo, qui se féminisait légèrement au milieu des années 80. Après un premier épisode dans le magazine MyAnime en 1985, La petite amie de Minami poursuivit sa parution dans Garo entre octobre 1986 et juin 1987. Il connut un beau succès et fut transposé cinq fois en TV drama entre 1990 et 2024. Ces adaptations eurent cependant tendance à adoucir le matériel de départ en supprimant la tension sexuelle entre Chiyomi et Minami, qui ne se contentaient pas de gentils bisous avant la transformation de Chiyomi. Shungiku Uchida eut un parcours atypique. Elevée par une mère hôtesse de bar jalouse de sa fille, abusée par son beau-père et forcée d'avorter à 12 ans, elle fuit la demeure familiale dès qu’elle le put et enchaîna les boulots. Passionnée par le dessin depuis son plus jeune âge, elle parvint à devenir mangaka en 1984, d’abord dans le genre érotique. La petite amie de Minami, conçu à un moment où elle pensait ne jamais avoir d’enfant, lui permit d’accéder à la célébrité. Elle écrivit aussi des romans, dont une autobiographie qui fit scandale, fut actrice sur grand écran et à la télévision, et chanteuse.
Je craignais un shônen érotisant sur une romance creepy entre un ado pervers et sa copine miniature. Cela commence un peu de cette façon mais gagne progressivement en profondeur. On sent l’amour que se portent les personnages et les frictions engendrées par une situation qu’ils subissent. Les dessins simples et naïfs aident à se concentrer sur le récit et à accepter certains éléments malaisants. C’est assez triste et touchant, dommage que ce soit le seul ouvrage de Shungiku Uchida traduit en français (ou en anglais).


Articles
« A brief history of independent cinema in Japan and the role of the Art Theatre Guild » de Roland Domenig (Minikomi: Informationen des Akademischen Arbeitskreis Japan, 70, 2005, p.6-16)
Au Japon, avec l’effondrement du système des studios à l’aube des années 70, la notion de cinéma indépendant s’est galvaudée. Elle ne signifie plus rien aujourd’hui, 90% des films pouvant répondre à cette définition. Cela n'a pas toujours été le cas. Le cinéma indépendant est apparu au Japon dès les années 20, avec de petites compagnies généralement établies par des acteurs ou des réalisateurs pour des motifs économiques. Cette phase d’autonomie s’arrêta à la fin des années 30 avec la centralisation imposée par le régime militariste.
Une seconde vague surgit au tournant des années 40-50. On y retrouve une bonne partie de la gauche purgée par les grands studios, qui profita de la pratique des double-programmes pour caser leurs opus chez des exploitants en manque de contenu. La montée en puissance des studios au cours des années 50 mit un terme à ce mouvement, qui était au point mort en 1959.
L’avènement d’une nouvelle génération contestatrice au début des années 60 entraîna une troisième vague. C’est à cette époque que naquit le Art Theatre Guild ou ATG, la plus illustre firme japonaise indépendante de production et distribution qui œuvra à la reconnaissance dans l’archipel du cinéma d’auteur étranger. En réalité, elle fut très liée à la Tôhô, qui la finançait et lui prêtait son réseau de salles. Outre les films expérimentaux ou d’étudiants et les documentaires, la production indépendante fut essentiellement érotique : avec 265 titres en 1968, les eroductions ou pinku eiga finirent par constituer la majorité des longs métrages diffusés. Ils étaient notamment mis en scène par des jeunes, qui n’avaient aucun avenir dans des studios sclérosés et en perte de vitesse.

Cet article vaut davantage pour son panorama de l’évolution du cinéma indépendant au Japon que pour sa description de l’ATG. Sur ce sujet, il est préférable de se reporter au catalogue 2003 de la Viennale consacré à l’ATG et publié sous la direction de Roland Domenig, qui semble fournir une version plus détaillée du texte critiqué ici. En l’état, « A brief history of independent cinema in Japan and the role of the Art Theatre Guild » est un excellent survol de l’Histoire du cinéma indépendant et mérite le détour.


« The Suffering Heroine: Women in the Films of Mizoguchi Kenji, Naruse Mikio, and Ozu Yasujiro » de Joanne R. Bernardi (茨城大学教養部紀要 [Bulletin of College of General Education of Ibaraki University], 20, 1988, p.105-120)
Dans cet article, Joanne R. Bernardi compare la représentation des personnages féminins chez Mizoguchi, Naruse et Ozu, trois réalisateurs majeurs ayant commencé dans les années 20 et dont les récits étaient principalement axés sur leurs héroïnes. Selon l’autrice, ils ne se sont jamais débarrassés d’une idéologie traditionnaliste datant de leur jeunesse. Mizoguchi s’est ainsi toujours focalisé sur des marginales exclues de la rigide société d’avant-guerre où le mariage était la norme, avec une forte influence du théâtre shinpa. Si les protagonistes de Naruse étaient plus respectables, elles étaient fréquemment veuves ou dans une situation instable, victimes du destin, dépourvues de la possibilité de salut souvent présente chez Mizoguchi. Chez Ozu enfin, elles avaient tendance à se sacrifier pour leur famille sans écouter leurs envies. A l’inverse de chez Mizoguchi et Naruse, elles ne cherchaient pas le bonheur et n'étaient pas déçues, elle se résignaient et acceptaient la vie telle qu’elle était.
Si les constations sont pertinentes, la problématique est bancale et Ozu est un peu artificiellement relié à ses collègues. On sent que Joanne R. Bernardi entamait sa carrière et qu’elle se contentait d’esquisser quelques éléments de réflexions.


« Beyond Jidai-geki: Daiei studios and the study of transnational Japanese cinema » de Christopher Howard (Journal of Japanese and Korean Cinema, 3 (1), 2012, p.5-12)
La production de longs métrages pour le public étranger par la Daiei au début des années 50 est un phénomène bien connu, les exemples de Rashômon (1950), Les contes de la lune vague après la pluie (1953) et La porte de l'enfer (1953) étant couramment cités. Ce texte vise à démontrer que ce n’étaient pas des cas isolés centrés sur deux-trois jidai-geki exotiques mais une politique d’entreprise à plusieurs niveaux soutenue par le directeur Masaichi Nagata. Il fut un des premiers japonais à se rendre aux Etats-Unis après-guerre, en 1949, voyage durant lequel il noua des alliances avec Disney et les studios de Samuel Goldwyn pour distribuer leurs titres danbs l'archipel. Il en profita pour passer un contrat avec Eastman Kodak au lieu de travailler avec Fujifilm, le leader dans son pays. Dès 1951, la Daiei se lança dans une série de prestigieuses coproductions avec les Etats-Unis, l’Europe et l’Asie du Sud-Est dans une multitude de genres. Le succès ne fut pas au rendez-vous. Le coup de grâce fut asséné par les échecs de Bouddha de Kenji Misumi (1961) et de Shin shikôtei de Shigeo Tanaka (1962), superproductions dans la lignée des péplums hollywoodiens. Ils contribuèrent à affaiblir la Daiei qui fit faillite en 1971.

Il y a des informations enrichissantes dans ce trop court article, qui revient également sur le côté trouble de Masaichi Nagata, proche d’un chef yakuza et du parti libéral japonais. Il manque cependant un angle explicatif primordial pour saisir les choix de Masaichi Nagata : davantage peut-être qu’une volonté individuelle à contrecourant, le fait que la Daiei, contrairement à ses concurrents, ne possédait pas de réseau de salles joua un rôle déterminant. Ne pas mentionner cet aspect empêche de comprendre une grosse partie du positionnement du studio et limite la portée de cette étude.


Revues
Image et Son n°222 – Décembre 1968
Image et Son, revue de cinéma humaniste et de gauche, consacra son numéro 222 de décembre 1968 au cinéma japonais. La victoire de Rashômon (1950) au festival de Venise en 1951 avait engendré une brève mode pour les films nippons et amené à la parution en français du premier livre sur le sujet. L’entrain retomba rapidement et la méconnaissance du grand public en 1968 était forte. Le dossier d’Image et Son est constitué de six articles : une observation sur l’art des signes par Roland Barthes ; une discussion entre des journalistes français ; un panorama dressé par Tadao Satô ; un tableau des dernières tendances à la fin des années 60 ; un focus sur le fantastique et la science-fiction ; et une filmographie de metteurs en scène majeurs. S’ensuit l’actualité cinématographique du mois en France, avec les critiques des sorties et des entretiens.

Je dois avouer avoir été déçu par ce numéro qui ne m’a rien appris. J’avais préféré Cinéma 55 de juin-juillet 1955, qui comportait quelques réflexions intéressantes. Les avis sur les nouveautés m’ont finalement plus captivés, la descente en flamme du Lauréat (1967) m’a amusé et j’ai été intrigué par Théâtre de Monsieur & Madame Kabal (1967) de Walerian Borowczyk.


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