Films vus en compagnie
Il deserto dei tartari de Valerio Zurlini (1976, Le desert des Tartares)

Venant de terminer le roman de Dino Buzzati, j’étais curieux de revoir cette adaptation européenne dont j’avais un bon souvenir quoique fort vague. La distribution est impressionnante, avec les Français Jacques Perrin (également coproducteur), Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret et Laurent Terzieff (La voie lactée (1969), J'ai toujours rêvé d'être un gangster (2008)) ; les Italiens Giuliano Gemma (Le guépard (1963), un paquet de westerns spaghetti, Ténèbres (1982)) et Vittorio Gassman ; les Espagnols Fernando Rey et Francisco Rabal (Viridiana (1961), Belle de jour (1967), Sorcerer (1977), Attache-moi ! (1990)) ; l’Allemand Helmut Griem (Les Damnés (1969), Cabaret (1972)) ; et le Suédois Max von Sydow. La photographie est superbe, la musique d’Ennio Morricone accroit la mélancolie et les décors naturels d’Arg-é Bam en Iran sont splendides (cette citadelle du Ve siècle ayant malheureusement été détruite par un tremblement de terre en 2003).
J’ai regardé la version française, le concept de VO étant compliqué dans le cinéma italien de l’époque où chaque acteur parlait sa propre langue sur le plateau et où les films étaient systématiquement postsynchronisés par des professionnels (y compris parfois pour les interprètes italiens qui ne se doublaient pas toujours eux-mêmes). Le doublage français n’est pas exceptionnel, permettant cependant de bénéficier des voix de Perrin et Noiret que je connais bien. A noter que le montage italien diffère du français, le second étant plus court de 8 minutes.
Par rapport au bouquin, les scénaristes ont fourni un cadre spatio-temporel, Buzzati n’ayant situé son histoire ni dans le temps ni dans l’espace. La version italienne précise même en ouverture la date du 2 août 1907. Ils ont en revanche enlevé toutes les indications sur l’écoulement du temps, on ne se rend pas compte que des années se sont envolées entre deux séquences et on perd le sentiment de longue durée en dépit des cheveux grisonnants de Perrin vers la fin. Des éléments dramatiques ont en outre été ajoutés, avec notamment un vil commandant et une mutinerie absentes à l’origine. C’est à part ça assez fidèle dans les grandes lignes, avec évidemment des coupes et quelques retouches de-ci de-là. Ayant encore le texte en tête, je me lamentais bêtement des modifications ou raccourcis, Valerio Zurlini ayant supprimé le narrateur omniscient qui dévoilait l’état d’esprit des personnages. Si j’ai préféré le livre, le long métrage demeure excellent, un bel exemple de huis clos dans un grand espace, qui me donne envie de jeter un œil à la filmographie de Valerio Zurlini.
The Decline of Western Civilization Part III de Penelope Spheeris (1998)

Ce troisième volet se démarque de ses prédécesseurs par sa focalisation sur une frange du public plutôt que sur la scène musicale, qui n’est que brièvement évoquée. A l’instar du premier, on sent que Penelope Spheeris aime ces punks qui galèrent, qui disent ne pas vouloir de luxe ni être des rockstars, jetant indirectement une nouvelle pique au heavy metal. The Decline of Western Civilization Part III dégage une tristesse et une certaine résignation. Le chanteur Keith Morris, qui était présent dans le film de 1981, remarque que la situation a empiré par rapport à son époque et que les jeunes ont davantage de raisons d’être punk aujourd’hui. Leur portrait est désolant malgré l’empathie de Penelope Spheeris à leur égard. Ils viennent tous de familles à problèmes, ont été abusés/tabassés par leurs parents et sont alcooliques depuis le début de leur adolescence. Ils dorment dans la rue ou dans des squats, et leur attitude rebelle punk est surtout une manière d’exprimer leur désarroi. Bien que cette troisième partie soit la préférée de Penelope Spheeris, j’ai de mon côté été déçu. L’aspect musical est mis sur la touche et on a vite fait le tour de ce que ces jeunes paumés toujours bourrés avaient à dire. La seconde moitié s’étire en longueur, dans des images de fêtes sans intérêt. Au final, excepté The Decline of Western Civilization Part II: The Metal Years, je n’ai pas franchement accroché à cette trilogie.
Films vus seuls
La horripilante bestia humana de René Cardona (1969, Night of the Bloody Apes)

La horripilante bestia humana est souvent rattaché à la série des Luchadoras car il recycle des composants scénaristiques de Las luchadoras contra el médico asesino (1963). C’est néanmoins contestable puisque, excepté la présence d’une catcheuse fiancée avec un flic (incarné par Armando Silvestre comme dans Las luchadoras contra el médico asesino (1963) et Las luchadoras contra la momia (1964)), ça n’a rien à voir. Dans les épisodes précédents, un duo de luchadoras menait l’enquête et le récit était centré sur leurs aventures. Lucy est ici au second plan, elle n’apparaît que dans deux-trois scènes (et sur le ring) et est inutile. La horripilante bestia humana est surtout un pur film d’exploitation qui enchaîne les meurtres sanguinolents et les prétextes fumeux pour montrer des femmes déshabillées. Ce fut le seul rôle dénudé de Norma Lazareno (actrice aperçue dans Hasta el viento tiene miedo (1968) et El libro de piedra (1969)) qui n’apprécia guère l’expérience, tous les hommes du plateau venant se rincer l’œil et René Cardona l’obligeant à effectuer plusieurs prises totalement superflues.
La horripilante bestia humana est un étrange patchwork qui mélange à la va-comme-je-te-pousse des ingrédients à la mode, avec un savant fou, de la violence, du sexe, de la lucha libre et un peu de drame avec un Krallman plus pathétique que les méchants usuels du genre. Son unique motivation est de guérir son fils, il essaye d’abord d’utiliser un animal et ne se rabat sur un être humain qu’à contrecœur quand son expérimentation dégénère. Il est interprété par un José Elías Moreno touchant, qui lui donne de la profondeur. Cela ne suffit pas à sauver l’ensemble, qui ne réjouira que les amateurs de gore porte-nawak.
俺たちの血が許さない [Ore-tachi no chi ga yurusanai] de Seijun Suzuki (1964, Nous ne verserons pas notre sang)

Tandis qu’il se situe en plein dans sa période créative qui débuta en 1963 et se termina avec son licenciement de la Nikkatsu en 1967, Ore-tachi no chi ga yurusanai est un Seijun Suzuki méconnu. Il met pourtant en vedette la superstar Akira Kobayashi (Ryôta), épaulé par Hideki Takahashi (Shinji). Vendu au départ comme une version jeune de Yûjirô Ishihara, Akira Kobayashi se différencia rapidement avec des rôles plus légers et souriants soulignant ses qualités de chanteur. Il incarna ainsi un guitariste vagabond dans les neuf épisodes la série Wataridori entre 1959 et 1962. En 1964, le ninkyo eiga étant à la mode, il se recycla dans des gangsters cools et honorables. L’intrigue de Ore-tachi no chi ga yurusanai s’inscrit parfaitement dans le genre, avec le gentil yakuza confronté à la traitrise de son supérieur. Visuellement, si on est loin de l’audace des meilleurs Seijun Suzuki, j’ai noté quelques plans et coupes originales, et une musique jazzy/flamenco inhabituelle. A part ça, c’est bien joué et efficace, avec un dénouement très réussi qui ravira les amateurs de Suzuki.
蛇形刁手 [Se ying diu sau] de Yuen Woo-Ping (1978, Le Chinois se déchaîne/Snake in the Eagle's Shadow)

Je n’étais pas fan de Jackie Chan quand j’étais ado et j’ai des trous dans sa filmographie. Snake in the Eagle's Shadow (titre international préférable à l’abominable titre français) marque un tournant pour lui. Après deux années à végéter dans la compagnie du producteur/réalisateur Lo Wei, il est prêté à la Seasonal Films Corporation qui accepte sa proposition de créer un anti-Bruce Lee, soit une comédie martiale avec un gars ordinaire qui a mal quand il se prend des coups et commet des erreurs. La direction est confiée au novice Yuen Woo-Ping, qui offre à son père Yuen Siu-Tin le rôle de Pai Cheng-Tien. C’est un succès, Snake in the Eagle's Shadow cartonne au box-office et une équipe identique réitère pour Drunken Master (1978), qui bat tous les records.
Snake in the Eagle's Shadow a été éclipsé dans les mémoires par Drunken Master sorti six mois plus tard et plus abouti. Il ne démérite pourtant pas, avec de bonnes chorégraphies de combats, un Pai Cheng-Tien amusant en maître taquin, un humour moins outrancier et un Jackie Chan moins grimaçant que dans certaines de ses œuvres ultérieures. La trame semble ultra galvaudée de nos jours puisque Snake in the Eagle's Shadow a établi une référence, plagié des dizaines de fois par la suite. Je remarque par ailleurs que Chien Fu parvient à vaincre le méchant en s’inspirant de son chat, message positif approuvé par mon chat. C’est donc un Jackie Chan sympathique que je classe dans le haut du tableau de sa première partie de carrière.
A noter que, comme d’habitude dans le cinéma hongkongais, la bande originale pique allègrement à droite à gauche, avec une abondante utilisation de Magic Fly du groupe français Space.
国際秘密警察 絶体絶命 [Kokusai himitsu keisatsu: Zettai zetsumei] de Senkichi Taniguchi (1967, The Killing Bottle)

Kokusai himitsu keisatsu: Zettai zetsumei est l’ultime volet de la série Kokusai himitsu keisatsu. A l’instar de l’épisode 3 déjà scénarisé par Shin'ichi Sekizawa (qui recycle un trio de tueurs mutiques aperçu dans Ankokugai no taiketsu (1960, The Last Gunfight)), il est construit sur un duo de héros avec un ton résolument parodique. Jirô Itami est en effet accompagné d’un sous James Bond nommé John Carter. Il est incarné par Nick Adams, un comédien américain sur le déclin qui joua dans trois opus de la Tôhô en 1965-1966 : Frankenstein vs. Baragon (1965), Invasion of Astro-Monster (1965, le sixième Godzilla) et ce Kokusai himitsu keisatsu: Zettai zetsumei. Il ne parlait pas japonais et était doublé en postproduction. Makoto Satô est ce coup-ci un vilain, Tadao Nakamaru devait avoir piscine et est remplacé par Akihiko Hirata dans le rôle du traitre étranger.
Tiré d’un livre de Michio Tsuzuki, un spécialiste de romans policiers et de SF, Kokusai himitsu keisatsu: Zettai zetsumei devait initialement être un téléfilm d’une heure avec Roger Smith avant d’être transformé en long métrage. Le résultat est plutôt distrayant bien qu’inférieur à Kokusai himitsu keisatsu: Kayaku no taru (1964, A Keg of Powder), l’intrigue étant assez faible. Jirô Itami et John Carter se font rouler en permanence, sauvés par une pseudo-assistante, et la super technologie de pointe pour tuer les gens est une sorte de mousse à raser à la texture proche de The Stuff (1985). Au final, les Kokusai himitsu keisatsu sont globalement plaisants à partir du troisième, les deux premiers étant trop sérieux.
The Man from Hong Kong de Brian Trenchard-Smith (1975, L'homme de Hong Kong)

Comment n’avais-je pas pu entendre parler de ce truc, mélange de James Bond, d’Inspecteur Harry et de kung fu à la Bruce Lee, avec des cascades qui annoncent la grande époque de Jackie Chan avec dix ans d’avance. Le réalisateur Brian Trenchard-Smith était allé à Hong Kong l’année précédente pour tourner un documentaire sur le cinéma d’arts martiaux et avait rencontré à cette occasion Raymond Chow, le cofondateur de la Golden Harvest. Les deux hommes montèrent la première coproduction Australie-Hong Kong en engageant la star Jimmy Wang Yu (Fang Sing Leng), opposé à l’Australien George Lazenby (Wilton) qui n’avait encore jamais joué dans son pays. Cette présence renforçait l’association avec James Bond, source d’inspiration assumée de Brian Trenchard-Smith.
Dans une interview tardive, celui-ci a expliqué qu’il avait toujours été amusé par les superhéros crypto-fascistes à la James Bond, qui détruisaient tout et ignoraient les lois au nom de la justice, et qu’il avait voulu pousser le curseur à fond les ballons. Fang Sing Leng saute ainsi d’une scène d’action à une autre en tabassant les suspects et en couchant avec les femmes, qui succombent à son charme en cinq secondes dans des passages extrêmement kitsch. Jimmy Wang Yu, acteur imbuvable et mégalo, ultra-nationaliste porté sur la violence et ami du crime organisé, est dans son élément. Il est secondé par une belle brochette de cascadeurs, avec une chorégraphie des combats supervisée par Sammo Hung (qui interprète le malfrat du début) et un gros budget permettant tous les excès (explosions, séquences en deltaplane, poursuites en voiture…). On aurait parfois l’impression de voir un film d’action des années 80 s’il n’y avait les costumes et la musique typiquement années 70. Un flic australien récapitule bien les choses : « This country's got a small population and he's getting through them very fast » (ce pays a une faible population et il est en train de la faire disparaitre rapidement). Il faut clairement laisser son jugement critique au vestiaire pour profiter d’une action quasi non-stop, à peine une vingtaine de minutes de dialogue sur 1h45, qui n’a rien à envier aux équivalents hollywoodiens (la bande-annonce est beaucoup trop longue mais représentative).
서울의 휴일 [Seo-ul-ui hyu-il] de Yong-min Lee (1956, Holiday in Seoul)

Avant de se spécialiser dans l’horreur qui fit sa réputation (notamment Salinma (1965) dont je n’ai pas le moindre souvenir), Yong-min Lee démarra par des documentaires puis enchaîna sur la comédie romantique. Holiday in Seoul est sa première incursion dans le genre. Outre la trame principale que j’ai résumée, il y a de multiples intrigues secondaires autour d’un couple de voisins ou d’une jeune fille engrossée par un malotru. La comédie romantique se mâtine de mélodrame ou de film de gangster. Ça ne fonctionne malheureusement pas, cette juxtaposition est artificielle, avec des protagonistes clichés sans épaisseur et des longueurs. Holiday in Seoul vaut davantage pour ses nombreux extérieurs de Séoul et pour ce qu’il montre de la société coréenne des années 50, où les femmes commençaient à acquérir leur autonomie (Nam Hee-won est gynécologue et gagne apparemment plus que son conjoint), tout en continuant à subir les trahisons des hommes. C’est insuffisant et Holiday in Seoul sera vite oublié.
Čudesna šuma de Milan Blažeković (1986, Peter et la Forêt magique)

Peter et la Forêt magique marque les débuts de d'animation yougoslave sur grand écran, en dessin en deux dimensions traditionnel. Il a été produit en collaboration avec un studio new-yorkais et a eu le droit à une suite en 1990 intitulée Čarobnjakov šešir (= le chapeau du magicien). L’univers est gentillet, avec des chansons peu entrainantes et une animation de qualité franchement moyenne même pour l’époque. Si on peut saluer la performance de la part d’un pays novice dans le domaine, le résultat n’a guère d’intérêt pour un spectateur français de 2025.
Santa d’Antonio Moreno (1932)

Santa est à l’origine un roman naturaliste et moralisateur de Federico Gamboa publié en 1903. Déjà adapté en 1918, il le fut de nouveau en 1932 pour ce qui constituait le premier film parlant mexicain. Il lança la mode des mélodrames centrés sur des prostitués, établissant une série de clichés qui furent largement employés par la suite comme la division campagne idéalisée contre ville du péché, la jeune fille pure corrompue par un homme et qui sombre dans la prostitution, ou l’artiste infirme amoureux d’elle qui se morfond. Le Santa de 1932 bénéficie en outre de la musique du fameux compositeur Agustín Lara, avec des chansons qui eurent un grand succès à la radio. Santa est incarnée par Lupita Tovar, qui avait fait ses preuves dans le parlant en héroïne de la version mexicaine du Dracula (1931) de la Universal. Santa est un mélo larmoyant, surtout dans le dernier tiers. Il faut toutefois avouer que ce n’est pas trop statique pour les débuts du parlant et que le son est correct (prise de son directe assurée par une technologie inventée par deux ingénieurs mexicains). Bien que très conventionnel, il est donc susceptible de plaire aux amateurs du genre.
Livres
La couleur tombée du ciel de Gou Tanabe (Ki-oon, collection « Les chefs d’œuvre de Lovecraft », 2020), 192 p.

Je continue avec les transpositions de Lovecraft par Gô Tanabe avec La couleur tombée du ciel, nouvelle d’une trentaine de pages parue dans Amazing Stories en septembre 1927. Autant L’appel de Cthulhu m’a toujours laissé un peu froid, autant j’aime beaucoup La couleur tombée du ciel pour son ambiance malsaine et pesante. Ces aspects sont parfaitement retranscrits par Gô Tanabe, en dépit ou grâce au noir et blanc d’usage dans les mangas. On est immédiatement plongé dans l’intrigue, la tension est constante et les images horrifiques prennent aux tripes, sans le côté psychédélique et outrancier de la version cinéma de 2019 avec Nicolas cage, qui ajoutait par ailleurs du drama inutile. Gô Tanabe va à l’essentiel, il garde la sécheresse et l’efficacité du récit d’origine. C’est une jolie réussite et j’ai hâte de découvrir ses autres adaptations.
Le désert des Tartares de Dino Buzzati (Pocket, 2023), 268 p.

J’avais vu l’adaptation cinématographique de Valerio Zurlini il y a une dizaine d’années et j’avais bien aimé. J’étais curieux de lire le roman, n’ayant plus de souvenirs précis de l’histoire. Dino Buzzati fut un journaliste, peintre et écrivain, qui rédigea Le désert des Tartares, son œuvre la plus célèbre, en 1939 (publiée en 1940). Il s’inspira de ses années à la rédaction du Corriere della Sera, guettant en vain le grand scoop tout en ayant l’impression que la routine allait se perpétuer indéfiniment jusqu’à le consumer entièrement. Ce passé journaliste explique également le style réaliste de Buzzati, qu’il étoffe dans Le désert des Tartares d’une sourde angoisse. Le vide de Bastiani est compensé par une rassurante et absurde discipline, et par des exercices sans enjeux. Drogo est jeune, il n’y a pas d’urgence même s’il pressent le danger, le temps s’écoule irrémédiablement et la routine est tellement confortable. Parvenu à un certain point, on s’est trop investi et on ne veut plus partir, cela signifierait qu’on a attendu sans raison et on risquerait de rater le moment fatidique. Mais, parfois, ce moment n’arrive jamais car la vie n’est pas juste et n’a pas de but. Buzzati retranscrit cette atmosphère d’une façon magistrale, en nous faisant ressentir les tiraillements de Drogo et l’inéluctabilité du temps qui passe. Le statut de chef d’œuvre du Désert des Tartares n’est donc nullement surfait.
Ghosts and The Japanese: Cultural Experience in Japanese Death Legends de Michiko Iwasaka & Barre Toelken (Utah State University Press, 1994), 162 p.

La mort était un tel tabou que les cadavres ont longtemps été jetés et laissés à l’abandon, personne ne voulant les toucher. Cela générait un sentiment de culpabilité, renforcé par l’incapacité à s’acquitter des obligations contractées envers ou de la part du disparu (la société japonaise reposant notamment sur une logique d’obligations mutuelles). Dans ces conditions, l’esprit risquait d’être frustré et de revenir sous la forme de fantôme. A son arrivée dans l’île, le bouddhisme fut amené à combler ce vide. Alors que cette religion n’était pas préoccupée par le corps, l’âme le quittant pour se réincarner, ils prirent en charge les cérémonies funéraires en s’adaptant aux coutumes locales. Une série de soutras furent créés pour l’occasion pour apaiser les morts, à répéter régulièrement à des périodes clés sur un long intervalle de temps.
Après avoir détaillé ce système, l’historien Barre Toelken et la spécialiste de la culture japonaise Michiko Iwasaka examinent la manière dont les fantômes sont traités dans des légendes populaires recueillies principalement par Kunio Yanagita dans les années 1910 à 1930. Ils les regroupent en cinq catégories : mères et enfants ; revanche et colère ; présages ; fantômes en mer ; passions.
J’avais récupéré ce livre au départ pour les différentes légendes qu’il comprend. Elles ne couvrent en réalité que la seconde moitié de l’ouvrage, la première fournissant des explications socio-historiques passionnantes sur la conception de la mort au Japon, que j’ai brièvement résumées ici. S’ajoute à cela une vingtaine de reproductions de peintures de fantômes extraites de la collection du temple Zenshô-an, qui présentent divers types de revenants effrayants. Ce fut une lecture enrichissante, mélangeant sociologie et courtes légendes, et c’est dommage que les auteurs n’aient pas entrepris d’autres études de ce genre.
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