Films vus en compagnie
Arrebato de Iván Zulueta (1979)

La Movida madrileña fut un mouvement culturel apparu à la chute du franquisme, dans un contexte de libération des mœurs et des idées. Bien qu’associée de nos jours à Pedro Almodóvar, la Movida eut également des aspects musicaux (punk rock ou synthpop), visuels (dans la mode, la photographie ou le street art), littéraires et sociaux. Elle prônait une ouverture sur le sexe et la drogue, et donna une visibilité à la communauté LGBT émergeante. Arrebato est considéré comme une œuvre pionnière avant-gardiste, qui a gagné un statut culte avec le temps en dépit d’un échec à sa sortie. C’est le second et ultime opus du designer Iván Zulueta, qui conçut les affiches des premiers Almodóvar au début des années 80. Celui-ci double une amie de Pedro, Arrebato ayant été en grande partie postsynchronisé.
Arrebato devait initialement durer 3 heures. Iván Zulueta daigna couper une trentaine de minutes et le producteur en enleva une quarantaine supplémentaires pour arriver à 1h50. Heureusement car c’est déjà terriblement long. Le récit, inspiré par la toxicomanie du réalisateur, accumule les séquences hypnotiques autour de protagonistes souvent drogués. Iván Zulueta cherche à provoquer avec du sexe cru, de la nudité gratuite et des shoots à l’héroïne, enveloppés d’une esthétique queer. Il propose un montage non linéaire complexe proche du cinéma expérimental, avec une conclusion basculant dans le fantastique. J’avoue que ça m’a laissé froid, c’est très ancré dans son époque et je ne suis jamais entré dans le trip.
The Savages de Tamara Jenkins (2007, La famille Savage)

The Savages est le deuxième long métrage de Tamara Jenkins après Slums of Beverley Hills (1998). Elle s’y interroge sur la fin de vie d’un individu détestable en opposant deux points de vue : celui de Jon, qui estime qu’il ne doit rien à Lenny et qu’une maison de retraites en vaut une autre dès lors qu’on a perdu la raison ; celui de Wendy, qui s’obstine à croire que leur père les aimait et qui veut le placer dans les meilleures conditions. A cela s’ajoutent les problèmes personnels, Jon étant obnubilé par son boulot et Wendy s’empêtrant dans ses mensonges et dans une liaison avec un homme marié. Le tout est brossé avec humanité, on comprend les positions de chacun et on accepte leurs défauts. Pour renforcer l’émotion et ne pas diluer le propos, Tamara Jenkins a centré son intrigue sur un petit nombre de personnages. C’est plutôt réussi et The Savages s’avère être une belle comédie dramatique sur la famille, la vieillesse et la mort.
Yeelen de Souleymane Cissé (1987)

Yeelen est sans doute le film malien le plus célèbre, vainqueur du prix du jury à Cannes en 1987. Il s’inspire d’une légende bambara, une ethnie établie principalement au sud du Mali et à l’ouest du Burkina Faso. Bien que la période ne soit pas clairement définie, on se situe dans l’empire du Mali autour du XIIIe siècle. Souleymane Cissé combine interprètes non professionnels (notamment Soumba Traore en Nianankoro ou Niamanto Sanogo en Soma) et habitués de son univers, à l’instar de Balla Moussa Keïta en roi peul ou Niamanto Sanogo en second frère de Soma. Ce dernier était censé incarner Soma mais il décéda au bout de trois mois d’un tournage complexe qui dura trois ans. L’objectif de Souleymane Cissé était de rendre le passé accessible à la jeunesse malienne des années 80, en se démarquant des films ethnographiques européens externes à la culture africaine.
Le rythme et la temporalité de Yeelen s’écartent des standards occidentaux. On est dans un conte initiatique mystique, bourré de références que je n’ai probablement pas captées. Le récit est agréable à suivre si on consent à entrer dans une sorte d’onirisme naturaliste, une esthétique réaliste se superposant à des évènements qui ne le sont pas. Malgré les déclarations de certains critiques qui mettent en avant leur importance, les femmes sont en retrait, confinées aux rôles de mère ou d’épouse. Cela n’empêche pas Yeelen d’être une œuvre passionnante qui montre un autre cinéma, mélange d’influences (Souleymane Cissé a étudié à l’Institut des Hautes Études Supérieures de la Cinématographie (VGIK) de Moscou, le duel final emploie un montage à la Sergio Leone…) dans une atmosphère purement africaine.
Miss Congeniality 2: Armed and Fabulous de John Pasquin (2005, Miss FBI : Divinement armée)

Miss Congeniality 2: Armed and Fabulous est la suite de Miss Congeniality. Sandra Bullock est toujours la productrice et l’actrice principale, avec Marc Lawrence qui rempile au scénario. La direction échoit à John Pasquin, un metteur en scène de théâtre spécialiste des séries télé. Si Miss Congeniality n’était pas un chef d’œuvre, cela restait une aimable comédie à la gloire de Sandra Bullock. Le numéro 2 est malheureusement très inférieur, la faute à une histoire flemmarde, à une Gracie Hart inconstante aux revirements de personnalité peu crédibles et à un humour facile qui fait rarement mouche. Sandra Bullock a eu rétrospectivement honte, avec raison.
De Hollywood à Tamanrasset de Mahmoud Zemmouri (1990)

Mahmoud Zemmouri fut un acteur et réalisateur algérien qui s’installa en France dans les années 60 et navigua entre les deux pays. Il aimait se moquer des travers politiques et sociaux de la France et de l’Algérie, dans des satires souvent bouffonnes. C’est le cas de De Hollywood à Tamanrasset, qui dénonce la faiblesse de la production télévisuelle algérienne et les effets de l’acculturation par le biais du petit écran. Le tournage fut rocambolesque, les premières bobines furent volées à Paris avec la voiture de Mahmoud Zemmouri, les suivantes furent confisquées pendant six semaines par les autorités algériennes qui soupçonnaient l’équipe d’avoir filmé des manifestations contre le régime. A cela s’ajouta une pression constante du Front islamique du salut, qui brûla à trois reprises le décor en carton-pâte d’une mosquée.
La comédie est un domaine périlleux, surtout quand elle évolue dans une culture que le spectateur méconnait. Je craignais le pire et j’ai été plutôt agréablement surpris. Certes, De Hollywood à Tamanrasset est brouillon, avec des problèmes de rythme et des blagues homophobes dispensables. Il dégage néanmoins un charme naïf grâce à sa galerie de personnages folkloriques, son intrigue totalement stupide et sa description amusée de la vie quotidienne d’un quartier (celui dans lequel Mahmoud Zemmouri a grandi). Cela m’a donné envie de récupérer Prends 10 000 balles et casse-toi (1982), le premier opus de Mahmoud Zemmouri.
The Decline of Western Civilization de Penelope Spheeris (1981)

The Decline of Western Civilization est le premier volet d’une trilogie. A cause de risques d’imbroglios juridiques et de la détérioration de la pellicule, il a longtemps été indisponible jusqu’à ce que la fille de Penelope Spheeris se lance dans le processus de restauration et d’acquisition des droits. Davantage qu’une étude du mouvement punk rock, The Decline of Western Civilization est une plongée à petite échelle dans une époque, avec une large place accordée à des extraits de concerts (environ deux tiers du documentaire). Si cela permet d’appréhender le style, l’état d’esprit des participants et l’ambiance violente dans les salles, c’est un peu frustrant pour quelqu’un comme moi qui n’y connais rien. En outre, soyons honnête, c’est musicalement assez pauvre, avec des guitaristes pas toujours doués et des chanteurs souvent bourrés et/ou drogués. Loin de l’image de gauche associée au punk rock, cet univers se révèle réac, raciste, misogyne et homophobe. Je ressors donc avec une impression mitigée, ce n’est pas inintéressant mais cela reste anecdotique.
Films vus seuls
Las lobas del ring de René Cardona (1965, She-Wolves of the Ring)

Las lobas del ring est le troisième volet des Luchadoras avec le duo Lorena Velázquez/Elizabeth Campbell. A l’inverse des deux précédents, il n’y a pas de fantastique, l’intrigue est un simple tournoi avec des rivalités entre participantes et quelques gangsters pour créer un vague suspense. C’est l’épisode le plus faible jusqu’à présent, avec énormément de bagarres qui s’enchaînent sans qu’on comprenne vraiment qui est qui (pas aidé par des costumes quasi-similaires entre les deux groupes). S’ajoute une comic relief féminine relou, un genre de personnage habituellement incarné par des hommes. Seules originalités, des luchadors philosophes qui réfléchissent à leur carrière et un spectateur lourdaud qui réclame du sang à chaque baston, élément que j’ai curieusement trouvé amusant. C’est dire si je m’ennuyais…
生死線 [Sang sei sin] de Po-Chih Leong (1985, The Island)

Dans The Island, une bande de jeunes typiques d’une comédie romantique légère est propulsée dans une trame survivaliste minimaliste à la Massacre à la tronçonneuse (1974) ou La colline a des yeux (1977) avec sa famille de dangereux dégénérés, voire Les chiens de paille (1971) où un intellectuel se défend contre des campagnards agressifs. Cette obscure série B a été restaurée, a eu droit à un passage au Far East Film Festival en 2023 et à une sortie en Blu-ray avec sous-titres anglais. Elle a des critiques globalement positives sur internet, avec la mise en avant de sous-textes sur les négociations en cours à l’époque sur la rétrocession de Hong Kong ou sur la lutte des classes. Je fus donc fort déçu devant cette péloche d’horreur fauchée surjouée, qui attend une bonne heure (sur 1h30) avant de commencer à décimer son casting. Ça se traine affreusement, les trois frères sont insupportables, les ados insipides, il n’y a aucun suspense ni tension. C’est étrange qu’elle ait bénéficié d’une telle attention, on est dans du bas de gamme sans rien pour sauver le truc, même pas de gore ou d'effets spéciaux rigolos.
国際秘密警察 虎の牙 [Kokusai himitsu keisatsu: Tora no kiba] de Jun Fukuda (1964, Trap of Suicide Kilometer)

Kokusai himitsu keisatsu: Tora no kiba est le second volet de la série des Kokusai himitsu keisatsu de la Tôhô, toujours avec Tatsuya Mihashi dans le rôle de Jirô Kitami. L’action débute dans le pays imaginaire d’Alabanda avant de retourner au Japon. Plusieurs personnages parlent un anglais parfois approximatif et un français absolument incompréhensible, le siège de la police secrète internationale étant Paris. Le ton est sérieux à la James Bond, un côté parodique pointant apparemment à partir de l’épisode suivant. Contrairement à Kokusai himitsu keisatsu: Shirei dai hachigo (1963, Interpol Code 8) où il partageait l’affiche avec Makoto Satô, Tatsuya Mihashi est ici seul au centre de l’intrigue et le méchant Klima est incarné par Tadao Nakamaru. C’est encore une fois très convenu et ça n’intéressera que les acharnés du genre.
A noter qu’on apprend que Jirô Kitami a été élève de l’école militaire de Nakano, lieu qui sera au cœur d’un cycle de cinq films de la Daiei avec Raizô Ichikawa.
狙われた男 [Nerawareta otoko] de Kô Nakahira (1956, L'homme à abattre)

Ex-assistant de Yûzô Kawashima, Kô Nakahira est peu connu en Occident en dehors de Passions juvéniles (1956), son premier opus diffusé au cinéma qui lança la mode du taiyô zoku sur grand écran. C’est en fait sa seconde réalisation, la Nikkatsu ayant décidé d’inverser les dates de sortie entre Passions juvéniles et Nerawareta otoko pour bénéficier de la popularité naissante de Yûjirô Ishihara. Film policier sans vedette, Nerawareta otoko était en effet moins susceptible d’attirer les foules. Il ne démérite pourtant pas, en dépit d’un scénario assez faible de Kaneto Shindô. Epaulé par Koreyoshi Kurahara, futur metteur en scène de beaux longs métrages noirisants pour la Nikkatsu, Kô Nakahira transcende le matériau d’origine pour créer un suspense efficace, renforcé par une superbe photographie, une musique jazzy, un montage avec de multiples flashbacks et des angles de prises de vue audacieux. Le style réaliste focalisé sur un flic ordinaire et le petit peuple, avec un tournage en extérieur ou simili-extérieur, rappelle certaines séries B américaines de la fin des années 40. Si on ajoute une courte durée d’1h08 et un vernis social autour des problèmes de réinsertion des anciens détenus, cela donne un résultat fort honorable pour ce titre obscur.
Livres
Silence de Comès (Casterman, 2005), 158 p.

Didier Comès ou Comès était un dessinateur belge qui travailla avec le journal Le Soir puis pour Pilote et pour le magazine belge (À suivre), qui publia Silence en feuilleton de février à décembre 1979. Cela reste l’œuvre la plus célèbre de Comès, une sorte de conte empreint de poésie et de magie, avec une atmopshère mystique et onirique.
Même si je lis peu de BD franco-belges, ce n’est pas mon truc, Silence était doté d’une réputation flatteuse et suscitait ma curiosité. La première chose qui m’a sauté aux yeux, c’est l’aspect verbeux. Les bulles remplissent souvent la moitié de la case, tout est surexpliqué, avec des paysans étonnamment bavards. Silence ne parle pas mais on lit ses pensées, avec plein de fautes d’orthographes car il est pauvre d'esprit. Ce procédé m’a laissé dubitatif, je peux comprendre qu’il ait un vocabulaire limité, pas qu’il conjugue mal quand il réfléchit. Autre point gênant, les trois personnages féminins sont très jolies et deux sont montrées nues, la réciproque n’étant évidemment pas vraie du côté masculin. Je n’ai enfin pas accroché à la combinaison d’un ancrage et d’un dessin réalistes à une trame manichéenne de conte, avec une influence non négligeable de Cristal qui songe de Theodore Sturgeon que je n’avais pas aimé. C’est donc un échec, ce genre de BD n’est clairement pas pour moi.
- Petits crimes japonais de Kyôtarô Nishimura (Rivages, collection « Rivages/Noir », 2006), 214 p.Petits crimes japonais est la traduction d’un recueil de huit nouvelles de 16 à 32 pages paru à l’origine en 1978 :
- • Métro à gogo : Un banal employé de bureau au chômage est fasciné par les pickpockets dans le métro.
- • Les « bonnes œuvres » de l'agent Shibata : Un policier vole dans des magasins pour faire accuser des clochards et les envoyer en prison à leur demande.
- • L'amour du prochain : Une femme supplie un médecin d’aider son vieux voisin déprimé à ne pas se suicider.
- • Le jeu de la charité : Un riche vieillard s’amuse à donner un portefeuille rempli de billets à des gens en difficulté pour observer leur réaction.
- • Les pigeons : Des pigeons meurent dans un parc et un inspecteur mène l’enquête durant ses jours de congés.
- • L'invitation au meurtre : Un individu dans un bar explique que la sensation suprême d’exaltation provient du meurtre.
- • L'homme qui venait d'Andromède : Dans une banlieue aisée, des objets précieux disparaissent à la suite de l’installation d’un nouveau voisin.
- • Le maître chanteur bienveillant : Un coiffeur est victime d’un maitre chanteur, qui menace de révéler qu’il a tué une fillette dans un accident de voiture trois mois plus tôt.
Revues
Mad Movies n°395 – Juillet/Août 2025

A part ça, je note Together (2025) sur un couple qui se retrouve avec leur peau collée entre eux ; le film d’aventures SF chinois pour ados Escape from the 21st Century (2024), avec du voyage dans le temps ; et un entretien avec Guillermo Del Toro qui revient sur la conception de Cronos (1992), son premier long métrage.
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