samedi 9 août 2025

Carnet de bord 02/08/2025-08/08/2025



Films vus en compagnie
Leningrad Cowboys Go America d’Aki Kaurismäki (1989)
Parce que les Américains sont prêts à acheter n’importe quoi, les Leningrad Cowboys partent de leur pays où ils n’ont aucun succès pour tenter leur chance aux Etats-Unis. Dès leur arrivée à New York, c’est la déception. Le contact de Vladimir, leur manager, n’est guère enthousiaste et leur conseille d’aller au Mexique. Ils se payent une voiture d’occasion et se lancent dans un road trip entre New York et le Mexique, s’arrêtant pour jouer dans des bouges en échange de quelques dollars. La tension monte entre Vladimir, qui monopolise les gains et se goinfre, et le reste de la bande qui meurt de faim.

Le concept des Leningrad Cowboys a été inventé en 1986 dans un bar par Aki Kaurismäki et deux membres du groupe de rock humoristique Sleepy Sleepers, Sakke Järvenpää et Mato Valtonen (aperçus dans Calamari Union (1985) et dans Ombres au paradis (1986)). C’était initialement une blague sur le déclin de la puissance de l'Union soviétique. Ils réunirent des musiciens et Kaurismäki réalisa trois clips, Rocky VI (1986), Thru The Wire (1987) et L.A. Woman (1988), avant de tourner un long métrage. Leningrad Cowboys Go America permit aux Leningrad Cowboys d’acquérir une certaine notoriété, la bande originale du film devint leur premier album et ils formèrent un vrai groupe actif jusqu’en 2016 (avec un renouvellement régulier des membres).
Leningrad Cowboys Go America est un Kaurismäki pur jus, doté d’une intrigue minimaliste sûrement improvisée en grande partie, de musiques improbables et d’un humour absurde. Vladimir est incarné par l’incontournable Matti Pellonpää, l’acteur fétiche de Kaurismäki. C’était exactement ce à quoi je m’attendais et cela contentera les amateurs du metteur en scène finlandais.
Cette fois pas de doute, c’est un Kaurismäki.


Le concert de Radu Mihaileanu (2009)
Andreï Filipov est un ex-chef d’orchestre prestigieux. Viré sous l’ère Brejnev, il est devenu alcoolique et vit de petits boulots. Alors qu’il fait le ménage au théâtre Bolchoï, il tombe sur un fax du théâtre du Châtelet demandant si l’orchestre russe pourrait venir à Paris pour une prestation exceptionnelle. Andreï y voit une opportunité de diriger le concerto de Tchaïkovski qu’il n’a pu mener jusqu'au bout en 1980 et qui l’obsède. Avec son ami Sacha et un ancien du KGB nostalgique du communisme, il décide de reconstituer sa troupe et de s’usurper l’identité de l’orchestre du Bolchoï.

Le concert est une coproduction franco-italo-belgo-roumaine réalisée par un Roumain, avec des interprètes russes et français. C’est un feel-good movie avec une trame proche d’un ganbatte eiga, sauf qu’Andreï travaille pour sa pomme et pas pour sa communauté. Le début en Russie tient la route, portrait désenchanté de la société post-communiste croqué avec un humour noir. Cela se gâte malheureusement assez rapidement et Radu Mihaileanu empile les clichés, entre les gitans voleurs, les juifs commerçants ou les Russes irresponsables, avec une grosse dose de sentimentalisme facile. Dommage.


Die Reise nach Sundevit de Heiner Carow (1966, The Journey to Sundevit)
Tim Tammer est un garçon solitaire. Son père est gardien de phare près de la mer Baltique et il n’y a personne pour jouer avec lui. Il est donc ravi que des Pionniers (sorte de scouts communistes) installent leurs tentes en face de chez lui. Le jour de leur départ, ils lui proposent de les accompagner dans leur camp de Sundevit, de l’autre côté de la mer. Il accepte mais doit au préalable amener ses lunettes à M. Bradenkuhl qui les a oubliées chez lui. De fil en aiguille, Tim se retrouve à aider des gens en difficulté et finit par rater l’heure du rendez-vous.

De 1962 à 1965, le cinéma est-allemand bénéficia d’une période de grande créativité, favorisé par une censure clémente. Cette prospérité prit fin avec le onzième plénum du parti socialiste unifié allemand de décembre 1965, qui se plaignit d’une dérive libérale empreinte de frivolité et interdit onze titres. Adaptation d’un livre pour enfants de Benno Pludra, un auteur populaire qui coécrivit le script, Die Reise nach Sundevit passa entre les mailles du filet. Il n’est pourtant aucunement propagandiste ni moralisateur. Les bonnes actions de Tim ne sont pas récompensées, les adultes ne le comprennent pas et lui imposent des discours pompeux. Même le militaire qui souligne l’importance de l’armée pour le pays est désobligeant, reprochant à Tim son retard sans écouter ses excuses.
Die Reise nach Sundevit rappelle les beaux films britanniques des années 40-50 ou iraniens des années 80, qui se focalisaient également sur le point de vue des enfants et dégageaient une certaine mélancolie. L’histoire, tournée en extérieur, est centrée sur Tim, incarné par un formidable Ralf Strohbach au sourire éclatant dans son unique apparition à l’écran. On ressent le poids de la solitude du garçon, qui aimerait tellement avoir des copains. Tandis qu’il est fondamentalement serviable et gentil, le sort s’acharne contre lui et les adultes sont incapables de le réconforter, ne contribuant qu’à aggraver la situation. Une maigre assistance ne sera obtenue qu'auprès d'un jeune homme insouciant. C’est une jolie découverte et il va falloir que je creuse ce cinéma est-allemand méconnu.


Bring Her Back de Danny & Michael Philippou (2025, Substitution - Bring Her Back)
En rentrant chez eux, Andy et Piper, sa sœur par alliance quasiment aveugle, tombent sur le corps sans vie de leur père dans la salle de bains. Iels sont recueilli·e·s par Laura, une ancienne psychologue dont la fille est décédée dans un accident. Elle héberge un autre orphelin nommé Oliver, un garçon mutique et bizarre. Laura aurait souhaité adopter uniquement Piper et n’est pas enchantée de la présence d’Andy, qui espère récupérer la garde de sa sœur quand il aura dix-huit ans. Pas aussi bienveillante qu’elle prétend l’être, Laura cache un sombre secret et tente de se débarrasser d’Andy qui la gêne dans ses plans.

Bring Her Back est le second long métrage des frères Philippou après l’intéressant Talk to Me (2022). L’intrigue est de nouveau axée sur une femme qui n’admet pas la disparition d’une proche et qui essaye de communiquer avec les morts, quitte à sacrifier des innocents. Il n’y a en revanche pas vraiment de suspense et de mystère ce coup-ci, les enjeux sont posés dès le début et on suit la machination de Laura pour atteindre son objectif. Cela engendre des longueurs une fois l’introduction terminée et avant un dernier acte tendu. C’est dommage car les interprètes sont excellents (en particulier la jeune Sora Wong en Piper, recrutée au cours d’un casting où ils recherchaient une ado malvoyante, et Sally Hawkins loin de la gentille maman des Paddington), les maquillages sont convaincants et l’ambiance est extrêmement glauque. C’est donc une semi-réussite, ou un semi-échec selon la perspective.


おっさんずラブ [Ossan zu rabu] de Yuki Saito (2016, Ossan's Love)
Sôichi Haruta est un célibataire trentenaire. Il vit en colocation avec son collègue Yukiya Hasegawa, ravi que ce dernier effectue les tâches ménagères. En prenant une photo de groupe au bureau avec le téléphone de son chef, il remarque de nombreuses photos de lui sur l’appareil. Son supérieur lui confesse peu après qu’il est amoureux de lui. Embarrassé, Sôichi ne sait que répondre et s’enfuit. Le soir même, Yukiya lui avoue ses sentiments, avant de se rétracter sous couvert de la blague. Sôichi, en théorie attiré par les femmes, ne comprend pas ce qui lui arrive et cherche conseil auprès d’une amie d’enfance.

Ossan's Love est un téléfilm produit par TV Asahi, diffusé à l’origine le 30 décembre 2016. Devant le succès rencontré, une série de 7 épisodes fut créée en 2018, puis une saison 2 de 8 épisodes en 2019, un long métrage, un manga en quatre volumes, des remakes thaïlandais et hongkongais et une saison 3 de 9 épisodes en 2024. Le but de la productrice était d’explorer les relations romantiques entre collègues, l’homosexualité ayant été insérée dans un second temps sans qu’elle serve de ressort comique. L’humour est centré sur la gêne procurée par les excès du boss, qui agit comme un personnage de manga shôjo (le scénariste s’étant notamment inspiré de Marmalade Boy). Le résultat est complètement exagéré, même selon les critères japonais. Les acteurs sont en roue libre, la réalisation de la novice Yuki Saito multiplie les reaction shot outranciers et pratique un découpage type manga sirupeux, l’image filmée avec une caméra numérique cheap fait telenovela suréclairée… Et pourtant, c’est tellement stupide et over the top que ça en devient sympathique (du moins lorsqu’on a développé une certaine résistance au jeu japonais exubérant). Je ne peux déontologiquement pas le recommander mais ça ne dure que 50 minutes et je ne serais pas responsable si un lecteur curieux se risquait à le regarder.


Films vus seuls
Las mujeres panteras de René Cardona (1967, The Panther Women)
Au XVIIIe siècle, le grand sorcier Eloim fut pourfendu par le mage Hector Pietrasanta armé de l’épée des druides. Depuis cette époque, les disciples d’Eloim, surnommées les panthères, tentent d’éliminer tous les descendants de Pietrasanta. Dans les années 1960, il n’en reste que quatre : la catcheuse Loreta Venus, son oncle Rafael, son cousin Ramon et sa jeune cousine Paquita. Quand Rafael est retrouvé assassiné avec des marques de griffures, la police impuissante appelle le luchador Angel à la rescousse. Loreta Venus et sa collègue Golden Rubi proposent également de participer à l’enquête.

Pour ce quatrième volet de la série des Luchadoras, Lorena Velázquez a été remplacée par une Ariadne Welter guère convaincante dans le rôle de Loreta Venus. Elizabeth Campbell est heureusement toujours présente en Golden Rubi et elle semble s’être améliorée en catch, rarement suppléée par une doublure. Comme le remarque Dave Wilt, le scénariste Alfredo Salazar recycle l’intrigue de El mundo de los vampiros (1961) pour lequel il avait écrit l’adaptation, trame qu’il réemploiera pour Santo y Blue Demon vs. Drácula y el Hombre Lobo (1973). S’y ajoute Angel, un luchador copié/collé de Santo, avec son masque, ses gadgets, son labo secret et son aura héroïque. J’ai donc eu une forte impression de déjà-vu. Las mujeres panteras est toutefois honnête, il y a de l’action, du fantastique, pas de temps mort et un monstre avec un maquillage correct.


Sechse kommen durch die Welt de Rainer Simon (1972)
Un roi se rengorge de ses victoires militaires devant son armée dépenaillée et leur offre une piètre récompense pour leurs sacrifices. Un homme ose protester et est envoyé en prison. Il y rencontre une force de la nature, capable de tout briser d’un seul geste, avec qui il s’échappe. Les deux fugitifs croisent sur leur chemin un individu qui court plus vite qu’un cheval, un violoniste qui envoute son audience, un tireur qui ne manque jamais son coup et une jeune clandestine. Grâce à ses compagnons, le soldat gagne la main de la princesse mais cette dernière essaye de le tuer avec l’assistance de son père.

Sechse kommen durch die Welt est une adaptation par la DEFA, le studio d’Etat de l’Allemagne de l’Est, du conte des frères Grimm Six à qui rien ne résiste (KMH 71). Le souffleur a été évincé au profit d’un violoniste et une redistribution partielle des richesses a été ajoutée vers la fin, régime communiste oblige. Pas très connu en soi, ce conte est indirectement célèbre car il a été repris dans la version allemande des Aventures du baron de Münchhausen, livre qui a inspiré Terry Gilliam pour son film éponyme de 1988.
Sechse kommen durch die Welt s’inscrit dans la mode des märchenfilm initiée par Das kalte Herz (1950, Cœur de pierre). C’est la seconde transposition d’un conte de Grimm par Rainer Simon après Wie heiratet man einen König? (1969, tiré de La fille avisée du paysan, KMH 94). Il met en vedette Jiří Menzel en soldat, le réalisateur tchèque de Trains étroitement surveillés (1966) qui ne pouvait plus tourner dans son pays. Sechse kommen durch die Welt compense son maigre budget par une ambiance légère dans des décors réalistes, avec une musique mélancolique qui apporte une certaine tristesse. Les interprètes sont judicieusement choisis, la narration est simple et ça ne dure qu’1h05. J’aime beaucoup ces märchenfilm de la DEFA, je vais tenter d’en voir d’autres bien qu’il soit souvent difficile de trouver des sous-titres (j’ai ici récupéré des sous-titres allemands que j’ai passés au traducteur automatique pour un résultat étonnamment compréhensible).


国際秘密警察 火薬の樽 [Kokusai himitsu keisatsu: Kayaku no taru] de Takashi Tsuboshima (1964, A Keg of Powder)
Le professeur Tatsuno, un expert en ingénierie radio qui travaille sur un procédé révolutionnaire, a été kidnappé. Aidé par l’agent d’Interpol Jirô Kitami, l’inspecteur Yagyû se lance à sa recherche. L’affaire est liée à une organisation criminelle dotée d’importants moyens et dirigée par un ancien scientifique nazi, le docteur Wagen. Une bande de tueurs chevronnés va essayer d’éliminer les deux fouineurs à coup de bombe, de lance-flamme ou de techniques plus subtiles.

Ce troisième volet de la série Kokusai himitsu keisatsu se distingue des deux précédents par son ton parodique. Tatsuya Mihashi est encore accompagné de Makoto Satô (Yagyû), dans un rôle différent de celui de Kokusai himitsu keisatsu: Shirei dai hachigo (1963, Interpol Code 8). Tadao Nakamaru est de nouveau le méchant de service, bras droit sadique de Wagen. Découvert par la Tôhô en 1955, il fut abonné aux sales types malgré sa belle gueule et resta cantonné aux seconds couteaux avant de s’orienter vers la télévision à la fin des années 60.
Kokusai himitsu keisatsu: Kayaku no taru est agréable dans l’ensemble. Le duo Jirô Kitami/Yagyû a une bonne alchimie, quelques gags sont amusants, l’intrigue extrêmement clichée est parfois tournée en ridicule et même le côté dragueur pénible de Jirô Kitami façon James Bond est désamorcé dans le dénouement, son charme s’avérant moins performant qu’escompté. Le comic relief n’est pas trop présent, il y a un soupçon de nudité, de l’action, des gadgets improbables… On ne s’ennuie pas, c’est un cran au-dessus des sous-James Bond habituels de l’époque.


डॉन [Don] de Chandra Barot (1978, Don)
Pour se venger de l’assassinat de son frère et de sa belle-sœur par Don, le redoutable chef d’un gang de trafiquants, Roma fait semblant d’être traquée par la police et est recrutée par les truands. Peu après, Don meurt sous les yeux du superintendant D’Silvan, qui décide de cacher la disparition du criminel et de le remplacer par un sosie, le brave Vijay. Il le charge de récupérer des informations pour arrêter la bande et pour dévoiler l’identité de l’homme qui la contrôle dans l’ombre. Roma ignore cependant cette substitution et tente d’abattre Don.

Je continue avec les classiques du cinéma bollywoodien des années 70 avec Don, premier opus de Chandra Barot avec la superstar Amitabh Bachchan, qui jouait le cool Jai dans Sholay (1975). Le long métrage a bénéficié de plusieurs remakes dans diverses langues indiennes, d'un reboot en 2006 et d'une suite en 2011. Deux chansons eurent un énorme succès, Khaike Paan Banaras Wala et Yeh Mera Dil Yaar Ka Diwana (que je n’ai pas trouvées terribles pour ma part). Si son statut culte paraît exagéré pour un spectateur occidental en 2025, il faut avouer que Don tient la route. Il n’y a quasiment pas d’humour relou, aucune baisse de rythme au long des 2h40, les interprètes sont charismatiques, et les scènes d’action sont dynamiques bien que les bastons soient loin d’égaler ce qui se faisait à Hong Kong. L’histoire est assez simple, prétexte à une dose raisonnable de drama. Sans atteindre les excès délirants de Sholay, c’est un film efficace qui se regarde avec plaisir.


Alone in the Dark de Jack Sholder (1982, Dément)
Dan Potter est un psychiatre engagé dans l’hôpital du docteur Leo Brain, qui pratique des méthodes de soins innovantes. Il laisse une grande liberté aux patients et obtient d’excellents résultats. Les seules restrictions sont imposées aux internés du troisième étage, réservé aux psychopathes, avec un système de protection électrique sophistiqué qui les empêche de sortir. Ils ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de Potter, le paranoïaque Franck estimant qu’il a dû éliminer son prédécesseur qu’ils appréciaient. Quelques jours plus tard, une gigantesque panne de courant paralyse la ville. Les fous s’évadent et se rendent chez Potter pour le punir.

Excepté un joli casting avec Jack Palance, Martin Landau et Donald Pleasence, pas grand-chose à sauver de ce Alone in the Dark. L’intrigue minimaliste (des échappés de l’asile tuent des gens) sert un discours réac, où le gentil Leo Brain qui croit à la rédemption est ridicule et est massacré. L’unique aspect amusant concerne les acteurs à contre-emploi, avec Donald Pleasence qui pense qu’il peut aider ses patients (loin du docteur Loomis), et Dwight Schultz en psychiatre, lui qui se fera connaître l’année suivante avec son rôle de Murdock le fou dans l’Agence tous risques. A part ça, aucun suspense, pas de tension, des meurtres sans intérêt, on est en dessous du tout-venant du slasher, sans le fun qui caractérise habituellement le genre.


Livres
La politique en uniforme – L’expérience brésilienne, 1960-1980 de Maud Chirio (Presses Universitaires de Rennes, collection « Des Amériques », 2016), 246 p.
De 1964 à 1985, le Brésil a été dirigé par une dictature militaire. Alors que ce fut la plus longue qu’ait connue l’Amérique du Sud durant cette période, excepté les 35 ans de règne d'Alfredo Stroessner au Paraguay, elle fut éclipsée par les dictatures de Pinochet au Chili ou de Videla en Argentine. Elle eut en effet la particularité d’avoir été peu personnifiée, le pouvoir étant monopolisé par des haut-gradés avec une succession de cinq présidents : Castelo Branco de 1964 à 1967 ; Artur da Costa e Silva de 1967 à 1969 ; Emílio Garrotez Médici de 1969 à 1974 ; Ernesto Geisel de 1974 à 1979 ; et João Figueiredo de 1979 à 1985. Maud Chirio, historienne française spécialiste du Brésil contemporain, revient sur les coulisses de cette dictature. A travers une série d’entretiens et un travail de recherche dans les archives, dans la presse et dans la littérature en portugais, elle examine la manière dont les tensions au sein de l’armée et les dissensions entre les courants de l’extrême-droite militaire ont influencé les évolutions du régime.

La politique en uniforme – L’expérience brésilienne, 1960-1980 est issu de la thèse de doctorat de Maud Chirio. On a donc droit à un style universitaire qui n’est néanmoins pas aride ni jargonneux, et qui s’avère accessible sans être un expert. Maud Chirio remet en cause l’idée qui s’est imposée avec le temps d’un gouvernement militaire uni derrière ses chefs, dans un respect de la discipline hiérarchique. Différentes phases se sont enchaînées au cours du temps et l’unanimisme tardif a masqué des divisions profondes. Des colonels se sont ainsi opposés à des généraux, les estimant trop timorés, pas assez nationalistes, voire trop autoritaires.
Attention toutefois, ce n’est pas un livre d’Histoire généraliste. La chercheuse se focalise sur l’institution militaire et analyse les changements par le prisme de son organisation interne. Les évènements qui agitent le pays ne sont mentionnés que s’ils sont liés à son étude et l’apport des autres groupes sociaux est minimisé. C’est un souci classique quand on aborde un domaine avec une perspective originale, on a tendance à lui accorder une importance excessive par rapport aux explications établies. Cela n’empêche pas La politique en uniforme – L’expérience brésilienne, 1960-1980 d’être très enrichissant dans son périmètre restreint, il sera susceptible d’intéresser les amateurs d’Histoire des institutions.


Shinkirari – Derrière le rideau, la liberté de Murasaki Yamada (Kana, collection « Sensei », 2024), 384 p.
Chiharu Yamakawa est une trentenaire femme au foyer, mère de deux enfants et mariée à un salaryman lambda. Elle passe ses journées à l’appartement à s’occuper des tâches ménagères et de ses filles, Sachi et Chika. Son conjoint rentre tard, est distant et ne lui témoigne aucune considération, la traitant comme sa domestique. En grandissant, Sachi et Chika laissent à Chiharu davantage de temps libre. Loin de se réjouir, elle réalise la vacuité de son existence et sa dépendance à son mari. Elle commence doucement à se rebeller et prend un emploi à mi-temps.

Murasaki Yamada fut une des autrices majeures de manga des années 80, régulièrement publiée dans Garo avec Hinako Sugiura et Yôko Kondô. Son parcours fut singulier. Révélée en 1969 par le magazine COM, un concurrent de Garo fondé par Osamu Tezuka, elle abandonna son métier en 1973 pour se consacrer à sa famille. Elle se remit au dessin malgré la naissance de deux filles afin d’échapper à un mari alcoolique et violent. Elle travailla anonymement dans la publicité pour acquérir une autonomie financière, obtint le divorce et reprit officiellement sa carrière en 1978. Elle se spécialisa dès lors dans des récits axés sur la vie ordinaire des femmes japonaises en s’inspirant de ses expériences personnelles. C’est le cas de Shinkirari, même si l’époux antipathique est en fait bien plus sympathique que ne l’était le sien.
Shinkirari propose un dessin épuré et relativement réaliste pour montrer le quotidien d’une femme banale des années 80. Son logis constitue son univers, on la voit rarement en dehors de chez elle et une sortie est un évènement. L’attitude de l’homme, choquante selon un point de vue moderne, était malheureusement normale dans la plupart des couples pendant les années 80. A l’inverse de certaines de ses collègues plus jeunes, le féminisme de Murasaki Yamada n’était pas ostensible ou revendicatif. Son héroïne est une madame tout-le-monde, ses réflexions et son émancipation progressive sont d’autant plus fortes qu’elles peuvent concerner n’importe quelle femme dans sa situation. Murasaki Yamada nous offre au final un livre marquant à travers un portrait juste et subtil de la société japonaise.
A noter en postface une passionnante biographie écrite par le traducteur américain Ryan Holmberg, qui retrace en détail la vie et l’œuvre de Murasaki Yamada. Espérons que d’autres titres de cette mangaka arriveront chez nous à l’avenir.

Heureux les humbles / Le moindre des fléaux de Frederick Pohl & Cyril M. Kornbluth (Denoël, collection « Etoile double », 1984), 154 p.
Ce recueil est composé de deux nouvelles :
Heureux les humbles de Frederick Pohl (1954, 74 pages) : Pour que la société ne s’effondre pas, il faut consommer car seule cette activité permet d’assurer le bon fonctionnement des unités de production et l’amélioration continue de la technologie. La charge est supportée par les pauvres, qui doivent dépenser autant qu’ils le peuvent. Récemment marié à une fille de riche habituée à manger légèrement et à mener une vie frugale, Morey est désespéré et n’arrive pas à atteindre son quota de consommation. Jusqu’au jour où il a une idée géniale.
Le moindre des fléaux de Cyril M. Kornbluth (1958, 68 pages) : Edward Royland est un physicien nucléaire qui travaille sur la conception de la bombe atomique à Los Alamos en 1944. Fatigué par son boulot, il rend visite à un ami indien et mange un champignon hallucinogène. Il est alors projeté dans un futur dystopique dans lequel l’Axe a gagné la guerre, avec un territoire américain partagé entre l’Allemagne et le Japon.
Frederick Pohl et Cyril M. Kornbluth ont régulièrement collaboré, à l’image du distrayant L’ère des gladiateurs que j’avais critiqué précédemment. Ils sont ici artificiellement réunis puisque les deux textes ont été rédigés séparément et n’ont rien en commun. Le premier est une satire de la société de consommation américaine des années 50. L’idée de départ est amusante mais c’est longuet. Le second évoque immédiatement Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick publié quatre ans plus tard. Le récit de Kornbluth est plus condensé et sombre, avec des développements peu crédibles, un discours va-t-en-guerre et une conclusion mal amenée servant à justifier l’utilisation des bombes atomiques. Les deux nouvelles sont datées, avec des touches de sexisme et de racisme. Elles sont cependant bien écrites et pleines d’humour noir, en particulier Le moindre des fléaux qui fait regretter le décès précoce de Kornbluth à 34 ans d’une crise cardiaque. Ce sont des curiosités de leur temps susceptibles de susciter des réticences chez un lectorat contemporain.


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