Films vus en compagnie
KPop Demon Hunters de Maggie Kang & Chris Appelhans (2025)

KPop Demon Hunters est le plus gros succès de Netflix jusqu’à aujourd’hui, avec 236 millions de vues et une lucrative sortie au cinéma aux Etats-Unis et au Canada. C’est le premier film de la Canado-Coréenne Maggie Kang, épaulée par Chris Appelhans (réalisateur en 2021 de Wish Dragon). Le casting voix comporte des Coréens et des Américano-Coréens, et les chansons ont été écrites par des habitués de la K-pop. KPop Demon Hunters a bénéficié de critiques favorables soulignant la représentation positive de la culture coréenne et la qualité de la musique. J’ai pour ma part été franchement déçu. Visuellement, s’il y a quelques éléments amusants et insolites (notamment les esprits tigre et pie ainsi que certaines expressions faciales de Rumi, Mira et Zoey), c’est extrêmement lisse, avec un style d’animation banal. Scénaristiquement, c’est ultra-convenu et prévisible. Musicalement enfin, j’ai eu une forte impression de déjà-vu. Je n’y connais rien en K-pop. Je pensais que ça se rapprochait de la J-pop mais c’est apparemment davantage influencé par la musique américaine, et j’ai cru entendre une bande originale sans imagination de Lin-Manuel Miranda ou d’un autre compositeur à la mode. J’ai donc un peu de mal à comprendre l’enthousiasme général même si je n’étais clairement pas le public cible.
Peggio di così si muore de Marcello Cesena (1995, Le cri de la lavande dans le champ de sauterelles)

En 1989, cinq ami·e·s formé·e·s au théâtre national de Gênes établissent le groupe Broncoviz, du nom du producteur fictif utilisé dans les fausses bandes annonces de The Kentucky Fried Movie de John Landis (1977). Ils commencèrent par travailler au théâtre et à la radio puis créèrent des sketches pour des émissions de télévision, devenant une sorte d’équivalent italien des Nuls. Peggio di così si muore est leur seul essai sur grand écran avant leur dissolution en 1996 pour s’occuper de leurs projets personnels. Il débute à la manière d’une comédie classique autour du cliché du sac bourré d’argent trouvé par de braves gens et des gangsters souhaitant le récupérer. On pense être en terrain connu quand tout bascule au cours d’une séquence horrifique cartoonesque. On dérive vers un humour absurde avec une touche de fantastique et une fuite en avant ponctuée d’idées originales, comme le gars qui découvre les évènements à venir avec quelques minutes d’avance. Le récit est bien ficelé, les interprètes ont un jeu excessif qui colle à l’atmosphère, c’est une distrayante comédie injustement ignorée et assez unique en son genre.
반칙왕 [Banchikwang] de Kim Jee-woon (2000, Foul King)

Foul King est le second film de Kim Jee-woon après The Quiet Family (1998). Ce fut son premier grand succès, qui redonna une brève notoriété au catch coréen et lança la carrière de Song Kang-ho (l’acteur fétiche de Bong Joon Ho). Celui-ci s’est énormément investi, effectuant lui-même la majorité des cascades et des combats de catch. Bien que Kim Jee-woon se soit inspiré de faits réels, la structure de Foul King évoque celle de Shall we dansu? (1996). Ce n’est pas volontaire, les deux metteurs en scène ayant été influencés par des pièces similaires du dramaturge Tsuga Kôhei.
Alors que je n’apprécie pas particulièrement Kim Jee-woon, j’ai retrouvé dans Foul King ce qui faisait le charme du cinéma coréen des années 2000 : un harmonieux mélange des genres, d’excellents comédiens, un humour crétin (qui tire ici vers le slapstick) et des histoires saugrenues. Im Dae-ho est le prototype du looser qui espère réussir un truc dans sa vie mais on n’est pas à Hollywood, la gloire est très relative et il n’y a pas de happy end. La satisfaction d’avoir redressé la tête est néanmoins présente, avec une baston finale délirante et plutôt violente. Foul King me rappelle pourquoi j’aimais le cinéma coréen dans les années 2000, qui s’est ensuite standardisé à cause notamment de la frilosité des producteurs.
Films vus seuls
O Construtor de Anjos Luis de Noronha da Costa (1978)

O Construtor de Anjos est un moyen métrage du peintre Luís Noronha da Costa, son unique essai semi-professionnel qui baigne dans une ambiance gothique peuplée de moines creepy. Fan de Terence Fisher, Luís Noronha da Costa offre une œuvre visuellement splendide au fantastique léger, qui consacre malheureusement sa première moitié à la discussion entre les parents, ne déployant son climat lugubre que sur une vingtaine de minutes. Chaque plan ressemble à un tableau, avec une magnifique utilisation de la lumière. On commence à peine à entrer dans l’univers et à se questionner sur cet inquiétant monastère que le récit se termine. Dommage qu’il n’ait pas étoffé son propos, c’est assez frustrant en l’état, il aurait fallu au moins une demi-heure de plus.
El vampiro sangriento de Miguel Morayta (1962, Le vampire sanglant)

Après une bonne introduction développant une atmosphère étrange, El vampiro sangriento s’enlise dans des dialogues interminables, Ricardo tentant de vérifier si Frankenhausen est un vampire alors que le spectateur sait que c’est le cas dès le début. Il faut attendre 1h20 sur 1h39 pour que ça rebouge. Il y avait pourtant quelques idées originales avec des vampires vivants et des vampires morts (concept évoqué avant d’être évacué), une gouvernante plus cruelle et dangereuse que Frankenhausen, une photographie et des interprètes convenables (notamment l’excellent Enrique Lucero, inoubliable dans le rôle de la Mort dans Macario (1960)). Ce premier opus horrifique de Miguel Morayta n’est donc pas une réussite. Le dénouement prépare un second volet, La invasión de los vampiros (1963). Vais-je écouter mon jugement critique qui me pousserait à arrêter là ou mon complétisme ?
点と線 [Ten to sen] de Tsuneo Kobayashi (1958, Points and Lines)

Ten to sen est l’adaptation du roman éponyme de Seichô Matsumoto (Tokyo Express en français). Ayant terminé récemment le bouquin, j’étais curieux de voir le résultat. Le long métrage est dirigé par Tsuneo Kobayashi, qui venait d’achever le sympathique Gekkô kamen (1958). Le script fait le choix judicieux de se focaliser sur Mihara dès le départ en supprimant la majorité du premier tiers, réintroduit dans un second temps via des échanges entre Mihara et Torigai. Cela permet une meilleure implication en se concentrant directement sur le personnage principal. Il simplifie également les fastidieuses descriptions détaillées des horaires de train. Deux autres décisions sont en revanche discutables : la voix-off qui surgit parfois pour matérialiser les pensées de Mihara ; et des scènes ajoutées autour de Yasuda, qui donne un coup d’avance au spectateur et prouve sa culpabilité quand le livre entretenait le flou.
La distribution est globalement de qualité, avec Isao Yamagata en Yasuda, Takashi Shimura en chef de Mihara et une belle brochette de seconds couteaux (Yoshi Katô, Akitake Kôno, Masao Mishima…). Je remarque en outre la présence de Mieko Takamine en épouse de Yasuda. Grande star de la Shôchiku dès la fin des années 30, elle subit une intervention chirurgicale à la gorge en 1956 dont elle ne récupéra jamais totalement. Elle est ici prêtée à la Toei et est sous-exploitée. Mihara enfin est incarnée par le terne Hiroshi Minami dans son premier rôle important. Il fut essentiellement connu pour des séries de films de la Toei aujourd’hui oubliés tournant autour des enquêtes d’un inspecteur de Tôkyô. Dans Ten to sen, il n’a aucun charisme et plombe le récit. Combiné aux problèmes précédemment relevés et à une conclusion moins pessimiste que dans le texte initial, Ten to sen ne m’a pas convaincu, il ne concrétise pas son potentiel, laissant le sentiment d’une opportunité ratée.
Livres
La revanche des bibliothécaires de Tom Gauld (Editions 2024, 2022), 180 p.

J’ai lu La revanche des bibliothécaires d’un seul tenant et ce n’est probablement pas la bonne méthode. Les strips étaient à l’origine édités au rythme d’un par semaine, les enchaîner leur fait perdre de leur sel et génère de la lassitude. C’est le genre de BD à picorer de temps en temps. J’ai tout de même apprécié certains gags, qui ne nécessitent pas pour la plupart d’avoir une culture littéraire étendue. J’ai davantage été touché par ceux portant sur l’achat et le stockage de livres, qui me concernent plus que ceux consacrés à l’écriture. Les références au covid sont déjà datées, c’est le souci avec les phénomènes trop ancrés dans leur temps. La revanche des bibliothécaires était au final amusant mais en deçà de la réputation qui lui est attachée.
- Bird Brain: An Exploration of Avian Intelligence de Nathan Emery (Princeton University Press, 2016), 192 p.Dans Bird Brain: An Exploration of Avian Intelligence, le chercheur britannique Nathan Emery récapitule l’état de la science sur la question de l’intelligence animale et de la cognition chez les oiseaux.
- • De la cervelle d’oiseau au singe à plumes : comment est constitué le cerveau des oiseaux ? Comment a-t-il évolué et comment se comporte-t-il ?
- • Où ai-je bien pu cacher ce ver ? : Comment les oiseaux se repèrent-ils dans l’espace et peuvent-ils effectuer leurs grandes migrations ? Comment se souviennent-ils des lieux visités et des caches de nourriture ? Comment comparer leur mémoire à la nôtre ?
- • Transmettre le message : Comment les oiseaux communiquent-ils à travers la vue et le son ? Comment perçoivent-ils leur environnement ?
- • Amis (et ennemis) à plumes : Comment fonctionnent les sociétés d’oiseaux ? Comment reconnaissent-ils leurs congénères et comment interagissent-ils entre eux ? Quel est l’intérêt de coopérer ?
- • A on ouvrier, bon outil : Quels oiseaux utilisent des outils et comment les manipulent-ils ? Quel est leur niveau de compréhension de leurs actions ? Sont-ils capables d’imagination et d’innovation ?
- • Connais-toi toi-même… et les autres : Les oiseaux ont-ils conscience d’eux-mêmes et des autres ? Prennent-ils en compte le désir de leur partenaire ? Planifient-ils dans le futur ? Quelles sont les conséquences sur les techniques de dissimulation de nourriture ?
- • La cervelle d’oiseau, c’est du passé ! : quels enseignements l’étude de l’intelligence aviaire peut-elle nous apporter ? Les oiseaux sont-ils capables de sentiments et peuvent-ils jouer ? Je précise que j’ai lu la version anglaise bien que j’ai repris le sommaire français pour les titres des sept chapitres.
Le fond pose également problème. Nathan Emery tente d’un côté de ne pas tomber dans l’anthropomorphisme, en exposant les limites des expériences et en soulevant le risque de généralisation des caractéristiques humaines à des animaux ; de l’autre, il utilise continuellement des termes anthropomorphiques comme la beauté, la triche, le vol, le désir, le sabotage voire l’âme ou l’art. Cela l’amène à employer un mot pendant deux pages pour le relativiser ensuite. Il ponctue en outre le texte de quelques tournures de phrases sexistes et de raccourcis ayant tendance à confondre cause et conséquence. Il dit par exemple que « les requins et les dauphins ont évolué vers une forme de corps profilé similaire leur permettant de nager rapidement, probablement comme méthode pour chasser des proies » (p.177). Ce n’est pas pour chasser des proies que le corps s’est profilé, attraper plus de proies est en réalité la conséquence d’un processus d’évolution aléatoire. De légères mutations ont permis à certains individus d’être plus profilés que d’autres. Grâce à cela, ils nageaient plus vite et pouvaient attraper plus de proies. Mieux nourris, ils se sont davantage reproduits et leurs gènes profilés sont devenus la norme au sein de leur espèce. Si on ajoute quelques erreurs ornithologiques ou factuelles (le livre se termine sur une photo d’un pêcheur au cormoran « Japonais » qui est clairement Chinois, provenant de la ville de Guilin célèbre pour cette tradition), je ne saurais conseiller Bird Brain: An Exploration of Avian Intelligence. Il est préférable de se diriger vers L'Oiseau et ses sens de Tim Birkhead ou, pour ce qui concerne les corneilles, vers Vivent les corneilles : Plaidoyer pour une cohabitation responsable de Frédéric Jiguet.
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