samedi 20 septembre 2025

Carnet de bord 06/09/2025-19/09/2025



Films vus en compagnie
Once Upon a Time d’Alexander Hall (1944, Étrange Histoire)
A la suite d’un troisième échec consécutif, le producteur de Broadway Jerry Flynn est en faillite et doit rembourser 100 000 dollars à la banque sous peine de perdre son théâtre. Tandis qu’il se morfond dans la rue, il croise Pinky, un garçon qui lui propose de regarder dans un carton sa chenille Curly capable de danser. Jerry n’en croit pas ses yeux et décèle immédiatement le potentiel commercial de cet étonnant insecte. Il offre à Pinky de devenir son partenaire, espérant le rouler et revendre Curly à prix fort.

Ma conjointe a récemment découvert que le pitch du classique One Froggy Evening de Chuck Jones (1955) était inspiré d’un film avec Cary Grant et une chenille dansante. Nous avons évidemment voulu le récupérer en dépit des critiques mitigées sur imdb. Nous avons une grande tolérance envers le surjeu de Cary Grant, qui réussit à rendre sympathique un Jerry Flynn franchement détestable. Il est épaulé par un casting solide, avec les expérimentés James Gleason en associé de Jerry et William Demarest en journaliste, la sous-estimée Janet Blair en sœur de Pinky et le novice Ted Donaldson, relativement convaincant en Pinky. On ne voit jamais Curly, uniquement les expressions des personnes qui l’observent dans la boîte. Le concept est amusant, il y a quelques bonnes idées mais ça tourne rapidement en rond. A réserver aux fans de Cary Grant, les autres pourront se contenter du Chuck Jones.


Lost Hearts de Lawrence Gordon Clark (1973)
Stephen Elliott, un orphelin de 11 ans, est recueilli par son lointain cousin M. Abney, un excentrique qui vit avec ses deux domestiques dans un manoir isolé. Versé dans l’alchimie, M. Abney l’intimide malgré son ostensible bonhommie. Stephen préfère passer du temps avec Mme Bunch, la vieille cuisinière, ou se balader dans la propriété. En grimpant dans un arbre, il est effrayé par l’apparition fugitive d’une fille. Il apprend par Mme Bunch que M. Abney s’est occupé de deux enfants avant lui, qui ont mystérieusement disparu.

Lost Hearts est le troisième téléfilm de la BBC diffusé le soir du 24 décembre dans le programme A Ghost Story for Christmas. A l’instar des deux précédents, c’est la transposition d’une nouvelle fantastique de M. R. James publiée dans The Pall Mall Magazine en 1895, toujours dirigé par Lawrence Gordon Clark. Celui-ci parvient à créer un sentiment d’inquiétude avec presque rien, un cadre inhabituel ou un angle large sur Stephen dans l’immense demeure. La musique, provenant majoritairement d’un morceau d’avant-garde de Bruno Maderna, renforce le malaise. La tension retombe quand l’horreur devient explicite en raison du manque de moyens et d’une frontalité qui tranche avec la subtilité déployée auparavant. Cela reste toutefois recommandable, confirmant la qualité globale de cette anthologie et le talent de Lawrence Gordon Clark, qui n’eut malheureusement pas l’occasion de prouver sa valeur sur grand écran.


The Green Knight de David Lowery (2021)
Gauvain, le neveu du roi, mène une vie de plaisir sans ambition. Le jour de Noël, il est convoqué à la cour par son oncle malade et vieillissant. En plein banquet, un impressionnant chevalier vert débarque et lance un défi : quiconque osera porter la main sur lui gagnera sa formidable hache mais devra se rendre dans sa chapelle dans un an pour recevoir un coup similaire. Gauvain accepte et décapite l’individu. A la surprise générale, ce dernier se relève, récupère sa tête et rappelle la promesse effectuée. Un peu moins d’un an plus tard, Gauvain prend la route pour honorer sa parole.

The Green Knight est tiré d’un roman de chevalerie du XIVe siècle rédigé en moyen anglais, Sire Gauvain et le Chevalier vert. Outre les interactions avec le chevalier vert, le texte se concentre sur la rencontre avec Bertilak de Hautdésert et son épouse dans le but de développer un discours chrétien axé sur la résistance à la tentation. Cet épisode ne surgit chez David Lowery qu’au bout d’1h15 de métrage (sur 2h04 si on enlève le générique). Le réalisateur, également scénariste, ajoute de multiples aventures qui lui permettent de démonter l’image de Gauvain, connu dans le mythe arthurien comme le meilleur des chevaliers de la Table Ronde, un modèle de bravoure et de courtoisie.
Dans The Green Knight, il n’est pas encore chevalier, admettant lui-même qu’il n’est pas prêt. Il échoue d’ailleurs aux épreuves liées aux cinq valeurs chevaleresques : l’amitié, la générosité, la chasteté, la courtoisie et la piété. Le récit consiste donc en une quête initiatique contemplative peu glorieuse, avec un rythme lent et une superbe photographie réhaussée par les magnifiques décors naturels irlandais. Cette sur-esthétisation et cet intellectualisme, récurrents dans les projets du studio A24 (qui ont conduit à l’invention du terme elevated horror), ont été reprochés à David Lowery. Bien qu’étant assez critique vis-à-vis d’A24, je trouve que ça fonctionne ici. Le metteur en scène bâtit un univers en déliquescence baigné d’une ambiance étrange, où surnage un Dev Patel impeccable en homme en proie aux doutes et ballotté par les évènements.


The Thursday Murder Club de Chris Columbus (2025, Le Murder Club du jeudi)
Dans la maison de retraite de Coopers Chase, quatre pensionnaires ont formé le Thursday Murder Club, un club de discussion des affaires criminelles non résolues : Elizabeth la meneuse au passé énigmatique ; Ron, ancien leader syndical au corps d’athlète ; Ibrahim, ex-psychanalyste ; et Penny, flic à la retraite dans le coma. Ayant besoin d’une experte médicale, iels recrutent une nouvelle arrivée dans l’établissement, Joyce, qui fut infirmière. Leur routine est menacée par la volonté d’un des propriétaires de Coopers Chase de revendre le terrain pour construire des appartements de luxe. Quand le second propriétaire est assassiné dans sa demeure, le Thursday Murder Club décide d’enquêter.

The Thursday Murder Club est la transposition du roman éponyme de Richard Osman publié en 2020, le premier d’une série en cours de parution. Richard Osman s’est inspiré de sa visite d’une maison de retraite haut-de-gamme et de la nouvelle d’Agatha Christie The Tuesday Club Murders dans laquelle Miss Marple demêlait des mystères proposés par ses invités. Le film, produit par la Amblin et dirigé par Chris Columbus, semble fidèle à la trame d’origine, avec un casting quatre étoiles réunissant notamment Helen Miren, Pierce Brosnan et Ben Kingsley. Le résultat est exactement ce à quoi on peut s’attendre : un whodunit facile et distrayant que j’aurai oublié dans deux-trois semaines.


Nous irons voir Pelé sans payer de Gilles Elie-Dit-Cosaque (2014)
Fin 1970, le football martiniquais sort d’une crise qui a paralysé les compétitions durant des mois. Pour redorer leur blason, les responsables de la ligue locale convient à un match de gala le prestigieux Santos FC, le club du mythique Pelé. Le cachet est élevé et le prix du billet est prohibitif. Un groupe d’extrême gauche, le GAP (Groupe d’Action Prolétarienne), y voit l’occasion d’enclencher un mouvement de protestation avec pour mot d’ordre « Nous irons voir Pelé sans payer ». La contestation prend de l’ampleur et le gouvernement français réagit en organisant la première diffusion télévisuelle en direct hors de la métropole.

Gilles Elie-Dit-Cosaque est un réalisateur martiniquais qui possède depuis 2003 sa propre structure de production, La Maison Garage. Nous irons voir Pelé sans payer fut projeté dans l’émission Archipels sur France Ô, un des rares programmes consacré aux sociétés d’Outremer. Les documentaires de Gilles Elie-Dit-Cosaque sont toujours singuliers à la fois sur la forme et le fond, à l’image de Je nous sommes vus (2016) qui recréait une télénovela avec l’aide de fans du genre. Dans Nous irons voir Pelé sans payer, il mélange des témoignages, des photos d’archives et des séquences animées, dans un esprit léger et bienveillant. Il axe au départ son récit sur les dessous de la résistance, avant de passer aux conséquences et de décrire enfin le déroulé du match. Il nous plonge dans une autre époque, une époque de luttes révolutionnaires et anticoloniales, où les lycéens étaient tous marxistes léninistes et où il était normal de balancer des cocktails molotov sur la police. En plus d’être passionnant et drôle, il offre un regard éclairé sur une Histoire méconnue et aurait mérité une large distribution plutôt que de rester dans le cadre confidentiel des documentaires télévisés de niche.


O-bi, o-ba. Koniec cywilizacji de Piotr Szulkin (1985, O-Bi, O-Ba: The End of Civilization)
Une guerre nucléaire a ravagé la Terre. Attirés par la promesse d’un sauvetage par une Arche fabuleuse, deux mille survivants se sont abrités dans un gigantesque bunker appelé le Dôme. Ils sont surveillés par les reliquats d’un gouvernement militaire, qui tente de maintenir l’espoir en dépit des lamentables conditions de vie et d’un Dôme qui se fissure après un an d’existence. Soft est chargé d’assurer la propagande et de débusquer les fauteurs de troubles. Il sait que l’Arche est une supercherie, compose avec les moyens du bord en profitant de petits avantages.

O-Bi, O-Ba: The End of Civilization est le troisième volet d’une tétralogie SF de Piotr Szulkin qui comporte The Golem (1979), The War of the Worlds: Next Century (1981) et Ga-ga: Glory to the Heroes (1986). L’éclectique Piotr Szulkin débuta dans l’animation et le documentaire, et travailla également au théâtre. Il s’intéressait à la place de l’individu dans les régimes totalitaires par le biais d’une vision souvent grotesque. A l’instar de Brazil sorti la même année, O-Bi, O-Ba: The End of Civilization convoque un univers dystopique dirigé par une administration inefficace et blasée, à une période où la Pologne était sous le joug d’un pouvoir communiste intransigeant. Avec bien moins de ressources que son équivalent américain, Piotr Szulkin parvient à générer un sentiment de claustrophobie et de promiscuité à travers un huis clos dans des décors décrépis et surpeuplés. La photographie joue sur les nuances de gris et de bleu, c’est glauque avec quelques touches d’humour noir qui ne permettent guère de respirer. Critique acerbe des dictatures et du messianisme religieux, O-Bi, O-Ba: The End of Civilization n’est pas un film agréable. Son pessimisme, son maigre budget et son rythme lent pourront rebuter. J’ai pour ma part trouvé cela original et je serai curieux de voir les autres parties de la tétralogie.


Genevieve d’Henry Cornelius (1953, Geneviève)
Tous les ans, Alan se joint au rallye de vieilles voitures entre Londres et Brighton avec Genevieve, son antique Darracq de 1904, au grand désespoir de sa femme Wendy qui préfèrerait vaquer à d'autres occupations. Le trajet est en effet mouvementé, l’inconfortable tacot tombant régulièrement en panne. Alan ne manquerait pourtant l’évènement pour rien au monde et les époux se disputent quand il apprend les réticences de Wendy à l’accompagner. Le conflit est envenimé par leur riche ami Ambrose, qui participe avec son amante Rosalind et aime se moquer de Genevieve.

Genevieve fut un immense succès en son temps et reste très apprécié en Grande-Bretagne. Sa création ne fut pas de tout repos. Henry Cornelius espérait qu’il serait produit par la Ealing, son ancien studio, mais son président Michael Balcon refusa, le renvoyant vers la maison mère, la Rank. Il n’obtint pas la distribution qu’il souhaitait, Dirk Bogarde déclinant sa proposition pour le rôle d’Alan car il ne voulait plus jouer dans des comédies. Le tournage fut catastrophique, avec un temps lamentable et des tensions sur le plateau liées au perfectionnisme et à la lubricité d’Henry Cornelius, Dinah Sheridan (Wendy) et Kay Kendall (Rosalind) se baladant avec un sifflet au cas où elles se retrouveraient seules avec lui.
La singularité de Genevieve se situe dans le traitement des deux couples, Alan/Wendy et Ambrose/Rosalind, et les relations entre les quatre. C’est plutôt osé pour l’époque, avec des sous-entendus de coucheries et une liaison non maritale, ce qui engendra des soucis avec la censure aux Etats-Unis. Les personnages masculins sont clichés et fatigants, à l’inverse des féminins qui possèdent davantage d’épaisseur. Elles sont parfaitement interprétées par Dinah Sheridan (qui se maria peu après et arrêta sa carrière) et Kay Kendall (décédée à 32 ans d’une leucémie). Le résultat est gentillet, globalement sympathique bien qu’assez inégal, loin des meilleures comédies de la Ealing.


Films vus seuls
トイレの花子さん [Toire no Hanako-san] de Jôji Matsuoka (1995, School Mystery)
Natsumi et son grand-frère Takuya vivent avec leur père veuf et leur grand-père. Dans leur école primaire, une rumeur dit que Hanako, le fantôme des toilettes des filles, serait responsable de la récente série d’enlèvements et de meurtres d’enfants dans la ville. Quand une nouvelle nommée Saeko débarque en cours d’année à la suite d’un déménagement, elle est rapidement accusée d’être Hanako. Takuya essaye de la défendre avant de retourner sa veste, à l’inverse de Natsumi qui ne croit pas en sa culpabilité.

Comme expliqué dans ma critique de Gakkô no kaidan 2 (1996, Haunted School 2), le Japon connut au milieu des années 90 un boom occulte caractérisé par la propagation des histoires de fantômes dans les écoles. Une semaine avant la sortie de Gakkô no kaidan par la Tôhô le 8 juillet 1995, la Shôchiku lança Toire no Hanako-san (littéralement Hanako des toilettes) en s’inspirant d’une légende urbaine qui circule au Japon depuis probablement les années 50.
Toire no Hanako-san se révèle décevant. Excepté une dizaine de minutes vers la fin, il n’y a aucune tension ni horreur, on est dans un film de gosses mou du genou avec des protagonistes pas franchement intéressants. La résolution est nulle et le fantastique est quasiment absent. Seuls points positifs, le père de Natsumi et Takuya est interprété par Etsushi Toyokawa, quelques mois après Love Letter (1995), un de ses premiers triomphes au cinéma ; et Naoto Takenaka apparaît brièvement en pâtissier. C’est maigre, il vaut mieux revoir Gakkô no kaidan (le 1 parce que les suites sont nases).


Aventuras de Robinson Crusoe de Luis Buñuel (1954, Les aventures de Robinson Crusoé)
Au XVIIe siècle après un naufrage, l’Anglais Robinson Crusoé s’échoue sur une île déserte. En fouillant l’épave de son bateau, il récupère du matériel et bâtit un camp barricadé pour se protéger des bêtes sauvages. Il a pour uniques compagnons Sam la chatte et Rex le chien, survit en chassant et en se nourrissant de fruits. Au fur et à mesure des années, il parvient à cultiver une parcelle de blé et à se fabriquer du pain. Son isolement le pèse jusqu’au jour où il sauve un prisonnier d’une bande de cannibales, qu’il appelle Vendredi et qui devient son serviteur.

Bien qu’étant le plus gros succès de Buñuel aux Etats-Unis avant Belle de jour (1967), Aventuras de Robinson Crusoe est largement oublié. Buñuel le mentionne à peine dans son autobiographie et ses biographies passent vite dessus. Il a été tourné au Mexique dans deux versions parallèles, en anglais et en espagnol. Robinson est incarné par l’Américain Dan O'Herlihy et Vendredi par le Mexicain Jaime Fernández, le frère d’Emilio Fernández (avec du blackface qui pique). Il y a peu de dialogues, l’essentiel des paroles consistant en la voix-off de Robinson qui commente les images. Ce procédé est pénible, une sorte de mickeymousing oral qui n’apporte pas grand-chose. C’est le premier long métrage en couleur de Buñuel, qui laissa son chef opérateur Alex Phillips se charger de la palette colorifique et des éclairages. Il revint ensuite au noir et blanc jusqu’à Belle de jour. Buñuel n’aimait pas le roman de William Defoe mais trouvait passionnant les problématiques soulevées par le personnage de Robinson, sa solitude, son combat contre la nature, son rapport à Vendredi… Je n’ai guère été convaincu, c’est clairement un Buñuel mineur, on ne retiendra qu’une séquence de rêve et les interactions avec les animaux, deux éléments chers au cœur du réalisateur.


La dama rossa uccide sette volte de Emilio Miraglia (1972, La dame rouge tua sept fois)
Un vieil homme raconte à ses deux petites filles, Kitty et Evelyn, une légende portant sur un tableau accroché dans son château. Tous les cent ans, la dame noire poignarde sa sœur la dame rouge de sept coups de couteau. Au bout d’un an, la dame rouge revient à la vie pour assassiner six victimes innocentes avant de se venger de la dame noire. Quatorze ans plus tard, des proches de Kitty sont massacrés par une femme en rouge ressemblant à Evelyn. Celle-ci est pourtant morte depuis quelques mois, tuée par accident par Kitty.

Emilio Miraglia fut un obscur metteur en scène italien des années 60-70, qui dirigea seulement six films, La dama rossa uccide sette volte étant son ultime opus. Pour son deuxième giallo, il construit un whodunit extrêmement classique, avec une intrigue tarabiscotée, un coupable prévisible et une révélation finale tirée par les cheveux. Cela n’empêche pas le résultat d’être distrayant pour les amateurs du genre grâce à une belle photographie, une esthétique gothisante façon épouvante des années 60, un thème musical entêtant de Bruno Nicolai et des interprètes plutôt corrects. Ce titre dont je n’avais jamais entendu parler auparavant s’est donc avéré être une bonne surprise.


Livres
Le triomphe et la chute des dinosaures : La nouvelle histoire d'un monde oublié de Steve Brusatte (Quanto, collection « Quanto Poche », 2024), 416 p.
Steve Brusatte est un paléontologue américain professeur à l’université d’Edimbourg. Dans Le triomphe et la chute des dinosaures, il revient sur l’Histoire des dinosaures de leur apparition sur Terre il y a 230 à 240 millions d’années au début du Trias, à leur disparition quasi-complète il y a 66 millions d’années durant l’extinction Crétacé-Paléogène, les oiseaux demeurant les uniques survivants du clade Dinosauria. A travers un panorama des fouilles et découvertes des paléontologues du XIXe au XXIe siècle, il détaille la modification de notre conception des dinosaures et de notre perception de leur évolution au cours du temps, de grosses bestioles pataudes à animaux diversifiés parfaitement adaptés à leur environnement.

D’un côté, Le triomphe et la chute des dinosaures est d’une lecture aisée, de la vulgarisation agréable qui récapitule l’état de la science au moment de sa rédaction en 2018 par un spécialiste réputé, qui a décrit une dizaine de nouvelles espèces depuis 2007. De l’autre, Steve Brusatte personnalise trop son récit à un point qui en devient agaçant. Chaque chapitre tourne autour de lui et de ses potes, indiquant ses liens avec tous les paléontologues cités et accumulant les anecdotes. Si cela vise à humaniser le propos et impliquer le lecteur, c’est parfois risible : il ajoute ainsi des « mon ami » un peu partout, explique qu’untel est surfeur, qu’un second lui a offert plusieurs fois de la vodka ou qu’il a croisé un troisième dans une conférence... Cela m’a fatigué, m’empêchant d’apprécier le livre à sa juste valeur. Nonobstant ce souci, c’est un ouvrage abordable qui pourra plaire à un large public.

Une remarque pour terminer. Steve Brusatte insiste pour qualifier les oiseaux de dinosaures, tout en affirmant qu’ils descendent des dinosaures. Il mélange ici deux notions, problème récurrent qui a engendré de nombreux débats. Techniquement, Dinosauria est un clade, un groupe d’organismes vivants ayant un ancêtre commun, qui réunit les Ornithischia (dinosaures à becs de canard, à collerette ou armurés) et les Saurischia. Ces derniers se composent des Sauropodomorpha (gigantesques quadrupèdes à long cou type diplodocus) et des Theropoda, bipèdes carnivores et piscivores incluant les oiseaux. Ces termes sont des catégorisations scientifiques qui correspondent à des ensembles précis, et dans ce sens les oiseaux sont des Dinosauria ou dinosauriens. En langage populaire en revanche, le mot dinosaure, formé en 1842 avant l’invention de la cladistique, s’applique à de grands monstres préhistoriques disparus. Il s’inscrit dans un imaginaire bicentenaire qui ne peut être rayé d’un coup de crayon. Sorti de la cladistique, l’emploi de dinosaure pour les oiseaux est source de confusion, on lui préfèrera dinosauriens et on ne conservera dinosaure que pour désigner les « lézards terribles » (sens littéral de dinosaure) bien connus du public. Cela permettra de dire sans ambiguïté que les oiseaux sont des dinosauriens et descendent de dinosaures.


Soundtrack de Hideo Furukawa (Philippe Picquier, collection « Picquier poche », 2018), 720 p.
Au début du XXIe siècle, un dôme de chaleur recouvre Tôkyô de manière permanente, lui procurant un climat tropical. L’immigration a explosé, des milliers d’étrangers occupent des quartiers entiers et subissent la xénophobie d’une partie de la population. Touta et Hitsujiko ont passé deux ans sur une île déserte pendant leur enfance, seuls au milieu des chèvres. Ils ont développé une haine de l’humanité, qui se manifeste par la rage chez Touta et par des techniques de danse fascinantes chez Hitsujiko. Envoyés séparément à Tôkyô à leur adolescence, ils tentent chacun de leur côté de détruire la société.

J’avais apprécié Le roi chien de Hideo Furukawa et j’étais curieux de lire Soundtrack, son plus ancien roman traduit en français qu’il estime clé dans sa carrière. Hideo Furukawa est un immense fan de Haruki Murakami. Je connais mal cet écrivain, dont j’ai uniquement lu La fin des temps que je n’avais pas aimé. J’ai toutefois retrouvé dans Soundtrack des éléments qui m’avait agacé dans La fin des temps, notamment une construction alternant des histoires parallèles qui ne se recoupent que tardivement ; une multiplication de digressions ; et une longueur démesurée par rapport au contenu, avec de nombreuses idées et personnages abandonnés en chemin (alors que Le roi chien était extrêmement compact compte tenu de sa richesse, avec un style oral efficace). S’y greffent de la violence et du sexe crus qui n’apportent pas grand-chose, et des protagonistes globalement antipathiques, en particulier Touta. Autant dire que je n’ai pas accroché en dépit d’un Tôkyô uchronique original et du rôle central accordé à un corvidé.


The Last of the Mohicans de Shigeru Sugiura (PictureBox, collection « Ten Cent Manga », 2013), 160 p.
Les Mohicans ont été massacrés par la tribu des Mingos et il ne reste que deux survivants, le chef Chinga et son fils Uncas. Capturés par leurs ennemis, ils sont sauvés in extremis par Œil-de-Faucon dit Carabine Kid, un espion de l’armée britannique. Les trois hommes s’associent pour contrecarrer les plans des Français et de leurs alliés Mingos, qui souhaitent enlever les filles du colonel Munro afin d’affaiblir les Anglais.

The Last of the Mohicans de Shigeru Sugiura est lointainement inspiré du roman de James Fenimore Cooper, piochant davantage dans les comic book de western ou d’aventures à la mode au début des années 50, qui inondaient un Japon sous occupation américaine. Publié en 1953 dans le cadre d’une collection transposant en manga les classiques de la littérature, il fut retravaillé complètement par Shigeru Sugiura en 1974 dans une variante méta et adulte, influencé par le gekiga et reprenant à l’identique des cases de comics américains des années 50. C’est cette édition qui est critiquée ici, avec une traduction et une longue postface de Ryan Holmberg, un des meilleurs spécialistes de l’Histoire du manga.
Contrairement à Ninja Sarutobi Sasuke qui avait été repensé d’une façon pop-art délirante par Shigeru Sugiura en 1969, The Last of the Mohicans garde une trame logique et simple, avec des héros super balaises qui se jouent de tous les dangers. Malgré ses gags, il ne vise pas le public enfantin initial et s’adresse aux adultes. Cela demeure néanmoins gentillet et se révèle rapidement rébarbatif, sans la folie de Ninja Sarutobi Sasuke. Le plus intéressant est en fait l’article de presque 40 pages de Ryan Holmberg, qui contextualise l’œuvre de manière très détaillée. Sans nier son importance, je ne suis donc pas convaincu par ce que j’ai lu de Shigeru Sugiura jusqu’à présent.


Revues
Les Cahiers du cinéma n°823 – Septembre 2025
Le numéro de ce mois-ci ne propose pas de dossier et se concentre sur l’actualité, notamment sur le dernier Nadav Lapid, Oui (2025). Je n’ai jamais rien vu de ce réalisateur encensé par les Cahiers, j’avoue que ça ne m’attire pas. Je note sinon Ciudad sin sueño de Guillermo Galoe (2025), sur une communauté d’immigrés et de marginaux dans un bidonville proche de Madrid ; Fantôme utile (2025), du fantastique thaïlandais avec un aspirateur hanté (pourquoi pas, les Philippins ont bien un classique de l’horreur avec un frigo tueur) ; et Renoir (2025), un récit d’apprentissage japonais sur une fillette solitaire.

Du côté du patrimoine, je découvre l’existence du mélodrame turque Aysel, batakli damin kizi (1934), premier film parlant du pays comportant des aspects apparemment féministes ; la comédie lubitschienne The Garden of Eden (1928) et le western dramatique The Red Pony (1949) avec Robert Mitchum et Myrna Loy, tous les deux de Lewis Milestone (1928) et récemment restaurés ; le film noir I dimma dold (1953), une sorte de version suédoise de Laura (1944) ; les drames noirisants norvégien Døden er et kjærtegn (1949) et danois Mordets melodi (1944) tournés par des femmes ; et le polar suédois Flicka och hyacinter (1950).
Je signale enfin une interview de Takeshi Kitano que j’ai perdu de vue depuis le début des années 2000, faudrait que je me repenche un jour sur son œuvre ; un article sur le cinéma pakistanais et un autre sur la crise du cinéma coréen, sujet que j’ai déjà abordé sur ce blog ; et des entretiens avec Pierre Richard, qui m’incite à creuser sa filmographie que je connais mal et qui semble moins lisse que l’image que j’en ai (j’avais d’ailleurs été agréablement surpris par Le jouet (1976) il y a quelques années) ; et avec Gregg Araki, dont il va falloir que je récupère la « trilogie de l’apocalypse adolescente » (Totally F***ed Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997)).


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