Films vus en compagnie
Once Upon a Time d’Alexander Hall (1944, Étrange Histoire)

Ma conjointe a récemment découvert que le pitch du classique One Froggy Evening de Chuck Jones (1955) était inspiré d’un film avec Cary Grant et une chenille dansante. Nous avons évidemment voulu le récupérer en dépit des critiques mitigées sur imdb. Nous avons une grande tolérance envers le surjeu de Cary Grant, qui réussit à rendre sympathique un Jerry Flynn franchement détestable. Il est épaulé par un casting solide, avec les expérimentés James Gleason en associé de Jerry et William Demarest en journaliste, la sous-estimée Janet Blair en sœur de Pinky et le novice Ted Donaldson, relativement convaincant en Pinky. On ne voit jamais Curly, uniquement les expressions des personnes qui l’observent dans la boîte. Le concept est amusant, il y a quelques bonnes idées mais ça tourne rapidement en rond. A réserver aux fans de Cary Grant, les autres pourront se contenter du Chuck Jones.
Lost Hearts de Lawrence Gordon Clark (1973)

Lost Hearts est le troisième téléfilm de la BBC diffusé le soir du 24 décembre dans le programme A Ghost Story for Christmas. A l’instar des deux précédents, c’est la transposition d’une nouvelle fantastique de M. R. James publiée dans The Pall Mall Magazine en 1895, toujours dirigé par Lawrence Gordon Clark. Celui-ci parvient à créer un sentiment d’inquiétude avec presque rien, un cadre inhabituel ou un angle large sur Stephen dans l’immense demeure. La musique, provenant majoritairement d’un morceau d’avant-garde de Bruno Maderna, renforce le malaise. La tension retombe quand l’horreur devient explicite en raison du manque de moyens et d’une frontalité qui tranche avec la subtilité déployée auparavant. Cela reste toutefois recommandable, confirmant la qualité globale de cette anthologie et le talent de Lawrence Gordon Clark, qui n’eut malheureusement pas l’occasion de prouver sa valeur sur grand écran.
The Green Knight de David Lowery (2021)

The Green Knight est tiré d’un roman de chevalerie du XIVe siècle rédigé en moyen anglais, Sire Gauvain et le Chevalier vert. Outre les interactions avec le chevalier vert, le texte se concentre sur la rencontre avec Bertilak de Hautdésert et son épouse dans le but de développer un discours chrétien axé sur la résistance à la tentation. Cet épisode ne surgit chez David Lowery qu’au bout d’1h15 de métrage (sur 2h04 si on enlève le générique). Le réalisateur, également scénariste, ajoute de multiples aventures qui lui permettent de démonter l’image de Gauvain, connu dans le mythe arthurien comme le meilleur des chevaliers de la Table Ronde, un modèle de bravoure et de courtoisie.
Dans The Green Knight, il n’est pas encore chevalier, admettant lui-même qu’il n’est pas prêt. Il échoue d’ailleurs aux épreuves liées aux cinq valeurs chevaleresques : l’amitié, la générosité, la chasteté, la courtoisie et la piété. Le récit consiste donc en une quête initiatique contemplative peu glorieuse, avec un rythme lent et une superbe photographie réhaussée par les magnifiques décors naturels irlandais. Cette sur-esthétisation et cet intellectualisme, récurrents dans les projets du studio A24 (qui ont conduit à l’invention du terme elevated horror), ont été reprochés à David Lowery. Bien qu’étant assez critique vis-à-vis d’A24, je trouve que ça fonctionne ici. Le metteur en scène bâtit un univers en déliquescence baigné d’une ambiance étrange, où surnage un Dev Patel impeccable en homme en proie aux doutes et ballotté par les évènements.
The Thursday Murder Club de Chris Columbus (2025, Le Murder Club du jeudi)

The Thursday Murder Club est la transposition du roman éponyme de Richard Osman publié en 2020, le premier d’une série en cours de parution. Richard Osman s’est inspiré de sa visite d’une maison de retraite haut-de-gamme et de la nouvelle d’Agatha Christie The Tuesday Club Murders dans laquelle Miss Marple demêlait des mystères proposés par ses invités. Le film, produit par la Amblin et dirigé par Chris Columbus, semble fidèle à la trame d’origine, avec un casting quatre étoiles réunissant notamment Helen Miren, Pierce Brosnan et Ben Kingsley. Le résultat est exactement ce à quoi on peut s’attendre : un whodunit facile et distrayant que j’aurai oublié dans deux-trois semaines.
Nous irons voir Pelé sans payer de Gilles Elie-Dit-Cosaque (2014)

Gilles Elie-Dit-Cosaque est un réalisateur martiniquais qui possède depuis 2003 sa propre structure de production, La Maison Garage. Nous irons voir Pelé sans payer fut projeté dans l’émission Archipels sur France Ô, un des rares programmes consacré aux sociétés d’Outremer. Les documentaires de Gilles Elie-Dit-Cosaque sont toujours singuliers à la fois sur la forme et le fond, à l’image de Je nous sommes vus (2016) qui recréait une télénovela avec l’aide de fans du genre. Dans Nous irons voir Pelé sans payer, il mélange des témoignages, des photos d’archives et des séquences animées, dans un esprit léger et bienveillant. Il axe au départ son récit sur les dessous de la résistance, avant de passer aux conséquences et de décrire enfin le déroulé du match. Il nous plonge dans une autre époque, une époque de luttes révolutionnaires et anticoloniales, où les lycéens étaient tous marxistes léninistes et où il était normal de balancer des cocktails molotov sur la police. En plus d’être passionnant et drôle, il offre un regard éclairé sur une Histoire méconnue et aurait mérité une large distribution plutôt que de rester dans le cadre confidentiel des documentaires télévisés de niche.
O-bi, o-ba. Koniec cywilizacji de Piotr Szulkin (1985, O-Bi, O-Ba: The End of Civilization)

O-Bi, O-Ba: The End of Civilization est le troisième volet d’une tétralogie SF de Piotr Szulkin qui comporte The Golem (1979), The War of the Worlds: Next Century (1981) et Ga-ga: Glory to the Heroes (1986). L’éclectique Piotr Szulkin débuta dans l’animation et le documentaire, et travailla également au théâtre. Il s’intéressait à la place de l’individu dans les régimes totalitaires par le biais d’une vision souvent grotesque. A l’instar de Brazil sorti la même année, O-Bi, O-Ba: The End of Civilization convoque un univers dystopique dirigé par une administration inefficace et blasée, à une période où la Pologne était sous le joug d’un pouvoir communiste intransigeant. Avec bien moins de ressources que son équivalent américain, Piotr Szulkin parvient à générer un sentiment de claustrophobie et de promiscuité à travers un huis clos dans des décors décrépis et surpeuplés. La photographie joue sur les nuances de gris et de bleu, c’est glauque avec quelques touches d’humour noir qui ne permettent guère de respirer. Critique acerbe des dictatures et du messianisme religieux, O-Bi, O-Ba: The End of Civilization n’est pas un film agréable. Son pessimisme, son maigre budget et son rythme lent pourront rebuter. J’ai pour ma part trouvé cela original et je serai curieux de voir les autres parties de la tétralogie.
Genevieve d’Henry Cornelius (1953, Geneviève)

Genevieve fut un immense succès en son temps et reste très apprécié en Grande-Bretagne. Sa création ne fut pas de tout repos. Henry Cornelius espérait qu’il serait produit par la Ealing, son ancien studio, mais son président Michael Balcon refusa, le renvoyant vers la maison mère, la Rank. Il n’obtint pas la distribution qu’il souhaitait, Dirk Bogarde déclinant sa proposition pour le rôle d’Alan car il ne voulait plus jouer dans des comédies. Le tournage fut catastrophique, avec un temps lamentable et des tensions sur le plateau liées au perfectionnisme et à la lubricité d’Henry Cornelius, Dinah Sheridan (Wendy) et Kay Kendall (Rosalind) se baladant avec un sifflet au cas où elles se retrouveraient seules avec lui.
La singularité de Genevieve se situe dans le traitement des deux couples, Alan/Wendy et Ambrose/Rosalind, et les relations entre les quatre. C’est plutôt osé pour l’époque, avec des sous-entendus de coucheries et une liaison non maritale, ce qui engendra des soucis avec la censure aux Etats-Unis. Les personnages masculins sont clichés et fatigants, à l’inverse des féminins qui possèdent davantage d’épaisseur. Elles sont parfaitement interprétées par Dinah Sheridan (qui se maria peu après et arrêta sa carrière) et Kay Kendall (décédée à 32 ans d’une leucémie). Le résultat est gentillet, globalement sympathique bien qu’assez inégal, loin des meilleures comédies de la Ealing.
Films vus seuls
トイレの花子さん [Toire no Hanako-san] de Jôji Matsuoka (1995, School Mystery)

Comme expliqué dans ma critique de Gakkô no kaidan 2 (1996, Haunted School 2), le Japon connut au milieu des années 90 un boom occulte caractérisé par la propagation des histoires de fantômes dans les écoles. Une semaine avant la sortie de Gakkô no kaidan par la Tôhô le 8 juillet 1995, la Shôchiku lança Toire no Hanako-san (littéralement Hanako des toilettes) en s’inspirant d’une légende urbaine qui circule au Japon depuis probablement les années 50.
Toire no Hanako-san se révèle décevant. Excepté une dizaine de minutes vers la fin, il n’y a aucune tension ni horreur, on est dans un film de gosses mou du genou avec des protagonistes pas franchement intéressants. La résolution est nulle et le fantastique est quasiment absent. Seuls points positifs, le père de Natsumi et Takuya est interprété par Etsushi Toyokawa, quelques mois après Love Letter (1995), un de ses premiers triomphes au cinéma ; et Naoto Takenaka apparaît brièvement en pâtissier. C’est maigre, il vaut mieux revoir Gakkô no kaidan (le 1 parce que les suites sont nases).
Aventuras de Robinson Crusoe de Luis Buñuel (1954, Les aventures de Robinson Crusoé)

Bien qu’étant le plus gros succès de Buñuel aux Etats-Unis avant Belle de jour (1967), Aventuras de Robinson Crusoe est largement oublié. Buñuel le mentionne à peine dans son autobiographie et ses biographies passent vite dessus. Il a été tourné au Mexique dans deux versions parallèles, en anglais et en espagnol. Robinson est incarné par l’Américain Dan O'Herlihy et Vendredi par le Mexicain Jaime Fernández, le frère d’Emilio Fernández (avec du blackface qui pique). Il y a peu de dialogues, l’essentiel des paroles consistant en la voix-off de Robinson qui commente les images. Ce procédé est pénible, une sorte de mickeymousing oral qui n’apporte pas grand-chose. C’est le premier long métrage en couleur de Buñuel, qui laissa son chef opérateur Alex Phillips se charger de la palette colorifique et des éclairages. Il revint ensuite au noir et blanc jusqu’à Belle de jour. Buñuel n’aimait pas le roman de William Defoe mais trouvait passionnant les problématiques soulevées par le personnage de Robinson, sa solitude, son combat contre la nature, son rapport à Vendredi… Je n’ai guère été convaincu, c’est clairement un Buñuel mineur, on ne retiendra qu’une séquence de rêve et les interactions avec les animaux, deux éléments chers au cœur du réalisateur.
La dama rossa uccide sette volte de Emilio Miraglia (1972, La dame rouge tua sept fois)

Emilio Miraglia fut un obscur metteur en scène italien des années 60-70, qui dirigea seulement six films, La dama rossa uccide sette volte étant son ultime opus. Pour son deuxième giallo, il construit un whodunit extrêmement classique, avec une intrigue tarabiscotée, un coupable prévisible et une révélation finale tirée par les cheveux. Cela n’empêche pas le résultat d’être distrayant pour les amateurs du genre grâce à une belle photographie, une esthétique gothisante façon épouvante des années 60, un thème musical entêtant de Bruno Nicolai et des interprètes plutôt corrects. Ce titre dont je n’avais jamais entendu parler auparavant s’est donc avéré être une bonne surprise.
Livres
Le triomphe et la chute des dinosaures : La nouvelle histoire d'un monde oublié de Steve Brusatte (Quanto, collection « Quanto Poche », 2024), 416 p.

D’un côté, Le triomphe et la chute des dinosaures est d’une lecture aisée, de la vulgarisation agréable qui récapitule l’état de la science au moment de sa rédaction en 2018 par un spécialiste réputé, qui a décrit une dizaine de nouvelles espèces depuis 2007. De l’autre, Steve Brusatte personnalise trop son récit à un point qui en devient agaçant. Chaque chapitre tourne autour de lui et de ses potes, indiquant ses liens avec tous les paléontologues cités et accumulant les anecdotes. Si cela vise à humaniser le propos et impliquer le lecteur, c’est parfois risible : il ajoute ainsi des « mon ami » un peu partout, explique qu’untel est surfeur, qu’un second lui a offert plusieurs fois de la vodka ou qu’il a croisé un troisième dans une conférence... Cela m’a fatigué, m’empêchant d’apprécier le livre à sa juste valeur. Nonobstant ce souci, c’est un ouvrage abordable qui pourra plaire à un large public.
Une remarque pour terminer. Steve Brusatte insiste pour qualifier les oiseaux de dinosaures, tout en affirmant qu’ils descendent des dinosaures. Il mélange ici deux notions, problème récurrent qui a engendré de nombreux débats. Techniquement, Dinosauria est un clade, un groupe d’organismes vivants ayant un ancêtre commun, qui réunit les Ornithischia (dinosaures à becs de canard, à collerette ou armurés) et les Saurischia. Ces derniers se composent des Sauropodomorpha (gigantesques quadrupèdes à long cou type diplodocus) et des Theropoda, bipèdes carnivores et piscivores incluant les oiseaux. Ces termes sont des catégorisations scientifiques qui correspondent à des ensembles précis, et dans ce sens les oiseaux sont des Dinosauria ou dinosauriens. En langage populaire en revanche, le mot dinosaure, formé en 1842 avant l’invention de la cladistique, s’applique à de grands monstres préhistoriques disparus. Il s’inscrit dans un imaginaire bicentenaire qui ne peut être rayé d’un coup de crayon. Sorti de la cladistique, l’emploi de dinosaure pour les oiseaux est source de confusion, on lui préfèrera dinosauriens et on ne conservera dinosaure que pour désigner les « lézards terribles » (sens littéral de dinosaure) bien connus du public. Cela permettra de dire sans ambiguïté que les oiseaux sont des dinosauriens et descendent de dinosaures.
Soundtrack de Hideo Furukawa (Philippe Picquier, collection « Picquier poche », 2018), 720 p.

J’avais apprécié Le roi chien de Hideo Furukawa et j’étais curieux de lire Soundtrack, son plus ancien roman traduit en français qu’il estime clé dans sa carrière. Hideo Furukawa est un immense fan de Haruki Murakami. Je connais mal cet écrivain, dont j’ai uniquement lu La fin des temps que je n’avais pas aimé. J’ai toutefois retrouvé dans Soundtrack des éléments qui m’avait agacé dans La fin des temps, notamment une construction alternant des histoires parallèles qui ne se recoupent que tardivement ; une multiplication de digressions ; et une longueur démesurée par rapport au contenu, avec de nombreuses idées et personnages abandonnés en chemin (alors que Le roi chien était extrêmement compact compte tenu de sa richesse, avec un style oral efficace). S’y greffent de la violence et du sexe crus qui n’apportent pas grand-chose, et des protagonistes globalement antipathiques, en particulier Touta. Autant dire que je n’ai pas accroché en dépit d’un Tôkyô uchronique original et du rôle central accordé à un corvidé.
The Last of the Mohicans de Shigeru Sugiura (PictureBox, collection « Ten Cent Manga », 2013), 160 p.

The Last of the Mohicans de Shigeru Sugiura est lointainement inspiré du roman de James Fenimore Cooper, piochant davantage dans les comic book de western ou d’aventures à la mode au début des années 50, qui inondaient un Japon sous occupation américaine. Publié en 1953 dans le cadre d’une collection transposant en manga les classiques de la littérature, il fut retravaillé complètement par Shigeru Sugiura en 1974 dans une variante méta et adulte, influencé par le gekiga et reprenant à l’identique des cases de comics américains des années 50. C’est cette édition qui est critiquée ici, avec une traduction et une longue postface de Ryan Holmberg, un des meilleurs spécialistes de l’Histoire du manga.
Contrairement à Ninja Sarutobi Sasuke qui avait été repensé d’une façon pop-art délirante par Shigeru Sugiura en 1969, The Last of the Mohicans garde une trame logique et simple, avec des héros super balaises qui se jouent de tous les dangers. Malgré ses gags, il ne vise pas le public enfantin initial et s’adresse aux adultes. Cela demeure néanmoins gentillet et se révèle rapidement rébarbatif, sans la folie de Ninja Sarutobi Sasuke. Le plus intéressant est en fait l’article de presque 40 pages de Ryan Holmberg, qui contextualise l’œuvre de manière très détaillée. Sans nier son importance, je ne suis donc pas convaincu par ce que j’ai lu de Shigeru Sugiura jusqu’à présent.
Revues
Les Cahiers du cinéma n°823 – Septembre 2025

Du côté du patrimoine, je découvre l’existence du mélodrame turque Aysel, batakli damin kizi (1934), premier film parlant du pays comportant des aspects apparemment féministes ; la comédie lubitschienne The Garden of Eden (1928) et le western dramatique The Red Pony (1949) avec Robert Mitchum et Myrna Loy, tous les deux de Lewis Milestone (1928) et récemment restaurés ; le film noir I dimma dold (1953), une sorte de version suédoise de Laura (1944) ; les drames noirisants norvégien Døden er et kjærtegn (1949) et danois Mordets melodi (1944) tournés par des femmes ; et le polar suédois Flicka och hyacinter (1950).
Je signale enfin une interview de Takeshi Kitano que j’ai perdu de vue depuis le début des années 2000, faudrait que je me repenche un jour sur son œuvre ; un article sur le cinéma pakistanais et un autre sur la crise du cinéma coréen, sujet que j’ai déjà abordé sur ce blog ; et des entretiens avec Pierre Richard, qui m’incite à creuser sa filmographie que je connais mal et qui semble moins lisse que l’image que j’en ai (j’avais d’ailleurs été agréablement surpris par Le jouet (1976) il y a quelques années) ; et avec Gregg Araki, dont il va falloir que je récupère la « trilogie de l’apocalypse adolescente » (Totally F***ed Up (1993), The Doom Generation (1995) et Nowhere (1997)).
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