samedi 23 mars 2024

Carnet de bord 16/03/2024-22/03/2024



Films vus en compagnie
The Terence Davies Trilogy de Terence Davies (1983)
The Terence Davies Trilogy est composé de trois courts métrages semi-autobiographiques. Dans Children (1976), Robert Tucker se remémore son enfance entre un père alcoolique violent et les brimades de ses camarades dans un établissement catholique. Madonna and child (1980) se penche sur un Robert Tucker d’âge mûr qui s’occupe de sa vieille mère et traine secrètement dans des lieux de rencontre gays. Death and Transfiguration (1983) mêle des images de Robert Tucker sénile et proche de la mort à des souvenirs de sa jeunesse et du décès de sa mère.

J’aurais dû commencer par The Terence Davies Trilogy avant de voir Distant Voices, Still Lives (1988), qui reprend de nombreux éléments d’une façon plus aboutie, à la fois narrativement et stylistiquement. Children est le moins réussi des trois chapitres, tout ce qui concerne le père sera revisité dans Distant Voices, Still Lives. Madonna and child est mon préféré, Terence Davies y expose la déprime de son double Robert Tucker, qui cache à sa mère adorée une sexualité considérée déviante par la société. Dans Death and Transfiguration enfin, Terence Davies teste une construction non linéaire ponctuée de chansons, modèle qu’il approfondira avec brio par la suite. Ce n’est pas complètement convaincant ici, malgré de bonnes idées. En soi, The Terence Davies Trilogy est une œuvre originale et marquante. Son problème est qu’elle pâtit de la comparaison avec le superbe Distant Voices, Still Lives, d’où mon regret de ne pas l’avoir regardé en premier.


Dune: Part One de Denis Villeneuve (2021, Dune)
La Maison Atréides est chargée par l’empereur de remplacer la Maison Harkonnen dans la gestion de l’exploitation des épices sur la planète désertique d’Arrakis. Conscient qu’un piège lui est tendu, le duc Leto Atréides ne peut qu’accepter la mission qui lui est confiée et souhaite saisir cette occasion pour s’allier avec les Fremen, les habitants d’Arrakis ennemis des Harkonnen. Il est épaulé dans sa tâche par sa concubine Dame Jessica, adepte de la puissante organisation des Bene Gesserit, et par son fils Paul, entraîné par sa mère à l’Art étrange et pris par les Fremen pour un possible messie.

J’ai lu les bouquins de Frank Herbert quand j’étais adolescent, j’avais moyennement accroché et je m’étais arrêté après Le Messie de Dune. L’adaptation de Lynch en 1984 m’avait laissé froid et je n’espérais rien de cette version de Denis Villeneuve, lassé des blockbusters américains depuis des années. Dune: Part One est exactement ce que j’escomptais : un gros machin beaucoup trop long, convenu et prévisible, pas franchement bien joué et avec une musique d’Hans Zimmer indigeste. Si Dune était innovant à l’époque de sa parution il y a 60 ans, de l’eau est passée sous les ponts. On a souvent l’impression d’assister à un énième volet de Star Wars, Oscar Isaacs/Leto Atréides balançant même une allusion indirecte à la saga de Disney. Il paraît que le 2 est mieux, je n’y crois pas mais je suis complétiste…


がんばっていきまっしょい [Ganbatte ikimasshoi] de Itsumichi Isomura (1998, Give It All)
En 1976, à son entrée au lycée, Etsuko choisit l’aviron en activité extra-scolaire. Comme il n’y a pas de club féminin pour ce sport dans son établissement, elle décide de le créer et de recruter les membres indispensables à la conduite d’une embarcation. Accompagnée de quatre camarades pas vraiment motivées, elles se lancent dans l’aventure.

Ganbatte ikimasshoi est le prototype du Ganbatte eiga qui fleurira dans les années 2000 et 2010. On y retrouve tous les ingrédients habituels, un passe-temps improbable, une bande de looseuses réticentes qui finissent par se consacrer entièrement à leur passion, une coach un peu barrée et, cerise sur le gâteau, un titre qui comprend le mot ganbatte. A la différence de ses successeurs, l’aspect comique est léger, on est davantage dans la chronique adolescente nostalgique. Cela provient sans doute de sa source, un roman semi-autobiographique de l’écrivaine et essayiste Yoshiko Shikimura publié en 1995. Le livre fut également transposé en une série TV de dix épisodes en 2005. Diffusé au départ dans une unique salle indépendante, Ganbatte ikimasshoi bénéficia du bouche-à-oreille et construisit progressivement sa renommée. Il révéla l’actrice Rena Tanaka (Etsuko), qui est aujourd’hui une star.
J’avais regardé par hasard Ganbatte ikimasshoi il y a des années, je n’avais aucune attente et j’avais été agréablement surpris. Avec du recul et une meilleure connaissance du cinéma japonais contemporain, il tient parfaitement la route. Le casting est excellent et on s’attache à ce groupe dont le seul objectif est de ne pas être dernier. Une œuvre à découvrir.
A noter la présence côté production du studio Altamira Pictures fondé en 1993 par Shoji Masui (un ancien de la Daiei), Yuji Ogata (responsable d’un cinéma de Tôkyô), Itsumichi Isomura et Masayuki Suo (réalisateur en 1992 de Sumo do, sumo don't, qui comportait déjà des éléments de Ganbatte eiga). Ils obtinrent un immense succès avec Shall we dansu? (1996) et réemployèrent le schéma de Ganbatte ikimasshoi dans Waterboys (2001) et Swing Girls (2004).


Evil Dead Rise de Lee Cronin (2023)
Beth constate qu’elle est enceinte dans les toilettes d’un concert sur lequel elle travaille. Désemparée, elle se rend à l’improviste chez sa sœur Ellie, à qui elle n’a pas donné de nouvelles depuis des mois. Elle apprend que le mari de celle-ci l’a quitté, lui laissant la charge de leurs trois enfants, les ados Danny et Bridget et la petite Kassie. La famille habite dans un vieil immeuble promis à une destruction prochaine. A la suite d’un tremblement de terre, une brèche s’ouvre dans le parking. Danny y récupère un antique grimoire et des disques usagés, qu’il ramène dans sa chambre. Intrigué, il passe les 33 tours sur sa platine et réveille sans le vouloir un esprit maléfique qui prend possession de sa mère.

Précisons au préalable que je suis à la ramasse sur la saga Evil Dead. Je n’ai vu que les trois classiques de Sam Raimi, il me manque le reboot de 2013 et la série Ash vs Evil Dead (2015-2018). Ce n’est pas bien grave, Evil Dead Rise n’a pas de rapport direct avec eux et n’inonde pas le spectateur de références. On est dans du huis-clos sanguinolent old-school avec entité démoniaque, l’appartement de Los Angeles (situé en réalité en Nouvelle-Zélande) remplaçant la cabane dans les bois. C’est du gore plutôt festif, 6500 litres de faux sang ont été utilisés, avec un humour assez noir sans atteindre les délires du 2 et du 3. Il en résulte un divertissement plaisant pas franchement révolutionnaire.


Films vus seuls
黒の札束 [Kuro no satsutaba] de Mitsuo Murayama (1963, Black Money)
Kenji Hiyama est licencié au cours de la restructuration de sa compagnie. Il croise une connaissance qui offre de lui vendre dix millions de fausse monnaie au prix d’un million de yens mais Kenji n’a pas les fonds nécessaires. Il parle à sa copine d’une opportunité sans lui expliciter le projet et elle réussit à emprunter l’argent à sa patronne. Avec son ancien camarade d’université Ishiwatari en qui il a confiance, Kenji commence à écouler les billets.

Black Money est le troisième volet de la série noire de la Daiei après La voiture d'essai noire (1962) et Le dossier noir (1963). Il est tiré du roman Heavy Wad of Cash de You Sano publié en 1962. L’adaptation est confiée à Mitsuo Murayama, un spécialiste maison du film de guerre qui fit un détour par la Shaw Brothers en 1969-1970 avant de se tourner vers la télévision. La distribution ne comprend pas de grands noms, c'est du solide sans paillettes et j’ai été content de revoir Hideo Takamatsu dans le rôle d’Ishiwatari. Second couteau récurrent de la Daiei, il est toujours parfait, en vilain comme en brave type.
Black Money n’est pas du niveau de La voiture d'essai noire ou du Train super-express noir (1964). On ne s’intéresse pas à la corruption structurelle des entreprises et de la société, on se concentre sur une magouille vouée à l’échec de quelques bras cassés. Le héros ne suscite guère d’empathie, le dénouement est très moral. J’espère que le suivant sera meilleur.


怪猫 お玉が池 [Kaibyô Otama-ga-ike] de Yoshihiro Ishikawa (1960, The Ghost Cat of Otama Pond)
Un couple de jeunes fiancé·e·s, Tadahiko et Keiko, est perdu dans une forêt, leurs pas les ramenant en permanence à un étang lugubre. Ils tombent sur une demeure abandonnée, Keiko aperçoit une femme terrifiante et s’évanouit, fiévreuse. Tadahiko l’emporte sur son dos et parvient à un temple. Un moine lui explique que Keiko a été maudite par un chat à cause de ses ancêtres et propose d’effectuer un exorcisme. Il lui raconte alors l’histoire des lieux où ils se sont égarés.

J’avais déjà critiqué sur ce blog un kaibyô-eiga de Yoshihiro Ishikawa de 1968, Kaibyô nori no numa. Je reviens ici à la source avec le premier long métrage de Yoshihiro Ishikawa. Cet assistant de Nobuo Nakagawa lui a piqué son directeur artistique, son esthétique kabuki-esque et ses excès sanguinolents. Il ne possède toutefois pas la maîtrise de son mentor, la trame est extrêmement mince, prétexte à un enchaînement de séquences horrifiques. Si certaines fonctionnent, avec une jolie utilisation de la couleur à une époque où les débutants à la Shintôhô devaient souvent se contenter du noir et blanc, elles sont dans l’ensemble trop étirées et répétitives, la bataille finale étant interminable. L’introduction et la conclusion contemporaine servent principalement à ajouter une vingtaine de minutes pour dépasser péniblement les 1h15. Le casting est composé de comédien·ne·s obscurs de la Shintôhô, clairement pas le haut du panier. Mieux vaut rester sur les œuvres de Nobuo Nakagawa.


女体桟橋 [Nyotai sanbashi] de Teruo Ishii (1958, Flesh Pier)
L’interdiction de la prostitution organisée en 1956 n’a pas empêché les groupes criminels de continuer cette activité. Le policier Keizô Yoshioka infiltre le club Arizona, soupçonné de pratiquer de surcroît la traite de Japonaises vendues à l’étranger. Il s’est déguisé en homme d’affaire corrompu et commande une call-girl à un proxénète. Quand il arrive dans la chambre, la fille est décédée et il s’enfuit. Il est contacté dans la foulée par Reiko, la représentante du club.

Teruo Ishii est célèbre en Occident pour ses délires ero guro nansensu de ses années à la Toei, en particulier L'effrayant Docteur Hijikata (1969) issu d’un livre d’Edogawa Ranpo. Il a démarré sa carrière en 1957 à la Shintôhô en se spécialisant notamment dans les films de gangsters ou de détectives noirisants, rappelant ce que produisait le concurrent Nikkatsu au même moment. Nyotai sanbashi est son baptême dans le genre après six épisodes de la série de SF pour enfants Super Giant. Il y emploie deux vedettes maison du studio, Ken Utsui (Keizô Yoshioka) et Yôko Mihara (Rumi, la responsable de l’Arizona). Interprète fétiche de Teruo Ishii durant ses années Shintôhô, cette dernière fut essentiellement abonnée aux rôles de séductrices sans scrupule, des femmes fortes dégageant un érotique torride.
Nyotai sanbashi est relativement sage, loin de la folie des travaux ultérieurs de Teruo Ishii. Ken Utsui est fade et l’intrigue est banale. On pourra y jeter un œil pour le style semi-documentaire dans les bas-fonds de Tôkyô et pour l’unique apparition au cinéma du chanteur de jazz Teruo Hata.


Klokker i måneskinn de Kåre Bergstrøm (1964, Bells in the Moonlight)
Trois amis se racontent des histoires surnaturelles dans lesquelles ils ont été impliqués, sous le regard critique de leur compère psychiatre. Une actrice engagée par Alf a été hantée par une morte au cours de la reconstitution d’une disparition mystérieuse ; la poupée de la petite fille d’Arne a semblé capable de se mouvoir par elle-même ; Strand a eu des rêves divinatoires lui permettant de résoudre une vieille affaire de naufrage. A chaque fois, le docteur Kahrs propose une analyse terre à terre, au grand désespoir de ses compagnons.

Klokker i måneskinn est un film fantastique à sketches tiré d’un ouvrage du romancier et poète norvégien André Bjerke. Il reprend le principe du classique Au cœur de la nuit (1945), qui utilisait déjà un personnage de médecin sceptique. La spécificité de Klokker i måneskinn est la légèreté du fantastique, les explications du docteur pouvant raisonnablement démonter les phénomènes narrés. Une pirouette finale n’enraye pas ce sentiment de décrédibilisation qui fait son originalité. Une curiosité pas désagréable qui reste assez planplan, avec un troisième segment supérieur aux deux autres.


All Night de Paul Powell (1918, Allez-vous coucher !)
Richard est un homme timide de la bonne société. Il n’ose déclarer sa flamme à Elizabeth, qui est perpétuellement entourée d’une horde d’admirateurs et couvée par un père sévère. Une amie commune, Maude Harcourt, les invite à dîner en comité restreint dans leur demeure, sans savoir que son mari ruiné a dû congédier les domestiques. Quand un millionnaire excentrique susceptible de renflouer le couple envoie un télégramme signalant sa visite le soir même, les Harcourt supplient Richard et Elizabeth de jouer les hôtes pendant qu’ils prennent la place des serviteurs.

All Night est le troisième long métrage crédité de Rudolph Valentino (appelé Rodolfo di Valentina au générique), le premier encore disponible en quasi-intégralité. On peut constater sur les affiches de l’époque (à l’exemple de l’image de gauche ci-dessus) qu’il n’était pas mis en avant. La vedette était Carmel Myers, qui avait débuté dans Intolérance (1916) à 16 ans à peine et qui enchaînait les succès. All Night ressortit en 1922 consécutivement à l’ascension de Valentino, on voit la différence sur le second poster où son nom et son visage sont privilégiés. Valentino n’a pas son rôle de latin lover ténébreux, il incarne un brave garçon introverti dans un registre humoristique qu’il abandonna par la suite. Il fut recruté par le réalisateur Paul Powell, qui lui avait donné sa chance deux mois auparavant dans A Society Sensation (1918, avec Carmel Myers également) et qui croyait en son avenir.
All Night est une des seules comédies de la Bluebird Photoplays ayant survécu, sauvée probablement par la présence de Valentino au casting. On est dans du comique de situation, transposition d’une nouvelle d’Edgar Franklin, un écrivain régulièrement adapté par Hollywood dans les années 10 à 30 et totalement oublié de nos jours. Après une exposition laborieuse, le rythme s’accélère, les évènements deviennent de plus en plus cocasses et c’est en définitive plutôt plaisant. Cela ne suffit néanmoins pas à lancer la carrière de Valentino qui dut attendre trois ans avant de percer.


Livres
Nudes! Guns! Ghosts! The Sensational Films of Shintoho de Mark Schilling (Centro Espressioni Cinematografiche, collection « Udine Far East Film », 2010), 285 p.
Le Far East Film Festival à Udine en Italie est un site majeur de promotion du cinéma est-asiatique en Occident. Il comporte une section patrimoine qui a contribué à la découverte de filmographies méconnues. Du côté japonais, par l’entremise de Mark Schilling, ils ont consacré une mémorable rétrospective à la Nikkatsu en 2005 et à la Shintôhô en 2010. Nudes! Guns! Ghosts! The Sensational Films of Shintoho a été rédigé dans ce cadre et est un des rares livres en anglais portant sur un studio. Conçue à l’origine pour hisser le metteur en scène au rang d’auteur à une période de domination des majors, la politique des auteurs a eu pour effet à long terme de minimiser les multiples influences, en premier lieu celles des studios. Ils ont pourtant été prépondérants au Japon des années 30 à 60.
Créé en 1947 par la Tôhô pour casser un mouvement de grève interne et diminuer les coûts, la Shintôhô fut le plus petit des six studios de l’âge d’or des années 50 (avec la Tôhô, la Shôchiku, la Daiei, la Toei dès 1953 et la Nikkatsu à partir de 1954). De son indépendance en 1948 à sa faillite en 1961, la Shintôhô fut toujours dans le rouge. Sa direction mena au départ une politique ambitieuse axée sur des films de prestige, invitant des noms illustres comme Kurosawa, Ozu, Mizoguchi, Naruse, Tomu Uchida, Heinosuke Gosho ou Hiroshi Shimizu. Les résultats furent souvent décevants et, en décembre 1955, Mitsugu Okara fut élu président. Ancien benshi, propriétaire de salles qui avait réussi à redresser les comptes de la Nikkatsu, il initia un changement radical de stratégie. Les budgets furent drastiquement réduits, confiés à des metteurs en scène maison avec des acteurs et actrices formé·e·s par la Shintôhô. Le sexe et la violence furent favorisées pour attirer le public. Ces manœuvres furent insuffisantes, Mitsugu Okara fut congédié en novembre 1960 et la Shintôhô fut liquidée en août 1961.

Nudes! Guns! Ghosts! The Sensational Films of Shintoho est un incontournable pour les passionnés de cinéma japonais. Il dépeint l’histoire d’un studio méprisé en se focalisant sur ses figures éminentes : Mitsugu Okara donc, mais aussi ses réalisateurs remarquables (par exemple Nobuo Nakagawa et Teruo Ishii), des assistants et des interprètes. On trouve en prime des entretiens inédits avec des survivants de cette époque, qui racontent leurs souvenirs et les conditions de travail. Mon unique reproche est la brièveté de l’ensemble, 163 pages, il y aurait eu moyen de développer davantage (le total de 285 pages est dû au bilinguisme, Nudes! Guns! Ghosts! The Sensational Films of Shintoho étant proposé en anglais puis en italien).


Cinema of Actuality: Japanese Avant-Garde Filmmaking in the Season of Image Politics de Yuriko Furuhata (Duke University Press, collection « Asia-Pacific: Culture, Politics, and Society », 2013), 266 p.
Au début des années 60, alors que décline inexorablement une industrie cinématographique concurrencée par la télévision, une nouvelle génération de réalisateurs engagés refonde son rapport à l’image dans une logique d’avant-garde. A travers cinq chapitres thématiques et trois concepts essentiels, Yuriko Furuhata examine leurs évolutions artistiques et idéologiques dans une société en mutation, le Japon ayant terminé sa reconstruction et s’embourgeoisant.
Le terme eizô d’abord, qui désigne des images produites technologiquement, lui sert à analyser des œuvres intermédias, notamment le manga filmé Carnets secrets des Ninja de Nagisa Ôshima. Face au petit écran, les artistes se questionnaient sur les spécificités de l’image cinématographique et sur ses liens avec les autres types de représentation, testant des méthodes innovantes. La chercheuse enchaîne dans les deux parties suivantes sur la notion d’actualité, point de jonction entre le cinéma et le journalisme. Elle montre comment les metteurs en scène se sont réappropriés des faits divers sensationnalistes. Tout en surfant sur les phénomènes décrits avec des tournages dans l’urgence et des diffusions très rapprochées des évènements, la distanciation temporelle et leur filtre théorique leur permirent de projeter une vision critique. Elle étudie ensuite la manière dont Masao Adachi et Nagisa Ôshima ont utilisé le fûkeiron (風景論, littéralement « théorie du paysage ») dans deux longs métrages singuliers, qui attaquaient le système en s’appuyant sur des plans quasi-fixes d’endroits déserts. Les lieux de vie étaient selon eux également politiques, l’architecture étant pensée pour annihiler les contestations. Le cinquième chapitre dissèque l’opposition frontale entre le cinéma et la télévision dans Déclaration de guerre mondiale : armée rouge, front de libération palestinien (1971).

Cinema of Actuality: Japanese Avant-Garde Filmmaking in the Season of Image Politics m’a aidé à mieux appréhender le travail d’un certain nombre de personnalités importantes des années 60 que je n’ai jamais appréciées, en particulier Nagisa Ôshima, Kôji Wakamatsu et Toshio Matsumoto. Il me manquait des clés de lecture indispensables pour saisir leurs opus complètement ancrés dans les problématiques de leur temps. Si cela ne me les fera pas aimer, je perçois dorénavant les convictions derrière les provocations et les raisons de leurs expérimentations (pas toujours heureuses d’après moi). Le seul bémol est que Cinema of Actuality est un ouvrage universitaire ardu, on sent la thèse de philo légèrement transformée pour la publication, plein de jargon et peu abordable. C’est dommage car c’est stimulant intellectuellement et cela mérite le détour.


Revues
Mad Movies n°380 – Mars 2024
Le premier dossier du mois est consacré à la trilogie de la vengeance de Park Chan-wook. Cela fait une quinzaine d’années que j’ai en DVD Sympathy for Mr Vengeance (2002) et Lady Vengeance (2005) et je ne les ai pas regardés. Comme expliqué dans mon avis sur Decision to Leave (2022), je ne suis pas fan de ce réalisateur outrancier. Il faudra un jour que je comble mes lacunes. Le second dossier porte sur Road House, un remake avec Jake Gyllenhaal étant prévu prochainement. J’ai du mal à comprendre pourquoi ce machin nanardisant bénéficie d’une telle aura.

Au niveau des sorties, pas grand-chose par rapport au numéro des Cahiers. J’ajouterai Immaculée (2024), film de vilain·e·s religieux·ses qui semble original. Je conclus en mentionnant l’interview lunaire de Bruno Dumont, plus habitué aux Cahiers qu’à Mad Movies, et qui précise tout fier qu’il a découvert récemment La nuit des morts-vivants (1968).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire