Films vus en compagnie
Starstruck de Gillian Armstrong (1982)

Gillian Armstrong est une réalisatrice australienne qui fut assez active dans les années 80 et 90, directrice d’une vingtaine de longs métrages. Elle abordait généralement des questions de société et s’interrogeait sur l’oppression des femmes à diverses époques. Son titre le plus connu fut son adaptation des Quatre Filles du docteur March (1994), qui réunissait un sacré casting. J’avais également aimé My Brilliant Career (1979) sur une femme indépendante du début du XXe siècle en Australie, qui hésite à se marier avec un jeune Sam Neill. Au vu de ce cinéma engagé, littéraire et sérieux, je ne m’attendais pas à ce Starstruck extrêmement camp et années 80, accepté par Gillian Armstrong pour ne pas être cantonnée à un genre.
Starstruck n’est pas de bon goût. Jo Kennedy (Jackie) chante correctement mais joue mal, les décors et les costumes sont kitsch, les chorégraphies porte-nawak, les chansons d’une qualité variable… Ces défauts sont totalement assumés, avec une énergie et un côté rebelle destroy réjouissants. Loin d’être consensuel, Starstruck est à quitte ou double, on est affligé ou on accroche au délire. Dubitatif au départ, la scène des gars en baigneur qui affrontent des requins en plastique dans une piscine m’a définitivement fait basculer dans la deuxième catégorie.
Poor Things de Yórgos Lánthimos (2023, Pauvres Créatures)

Ayant détesté La favorite (2018), j’attaquais ce Yórgos Lánthimos avec une forte appréhension. J’étais néanmoins curieux car, excepté Les Cahiers du cinéma qui le descendait en flammes, les avis étaient élogieux.
Il y a de jolis décors en matte painting dans des studios géants et des costumes impressionnants. C’est à peu près tout ce que je peux dire de positif… Je n’ai jamais été fan du bizarre pour le bizarre, c’est pour cela que mes Lynch préférés sont Elephant Man (1980) et Une histoire vraie (1999). Chez Yórgos Lánthimos, le bizarre est omniprésent et complètement injustifié (oh tiens, je vais mettre un animal à tête de cochon et à pattes de coq), sans le caractère bricolé/fauché sincère d’un Guy Maddin. A cela s’ajoute de la nudité gratuite à répétition, un récit initiatique ultra-balisé et prévisible, un féminisme de pacotille (le cliché de l’enfant dans un corps de femme qui découvre le monde et qui finit par retourner chez papa pour épouser l’assistant)… Et la décence m’empêche de m’attarder sur le jeu de Mark Ruffalo. Je suis pour une fois d’accord avec Les Cahiers contre le reste de la critique, je deviens vieux.
Sedmi kontinent de Dušan Vukotić (1966, Le septième continent)

Le septième continent est le premier long métrage de fiction de Dušan Vukotić, un fameux animateur croate vainqueur en 1962 de l’Oscar du meilleur court métrage d'animation avec Surogat. C’est une coproduction entre la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie tournée au Montenegro, avec l’emploi de gosses de diplomates pour offrir une diversité ethnique. Cet aspect était cohérent avec la politique de Tito, grand promoteur du Tiers-Monde et cofondateur du Mouvement des non-alignés.
La première moitié se concentre sur le monde féérique des enfants. C’est assez réussi, très naïf et illustré par des trucages artisanaux. La seconde moitié satirise l’univers déshumanisé et ultra-technocratique des adultes d’une manière poussive. C’est longuet et on s’ennuie jusqu’à l’ultime retour des moutards en conclusion. Dommage, l’ambiance était atypique et ça partait sur de bonnes bases.
A Private Function de Malcolm Mowbray (1984, Porc royal)

Je connais mal la carrière de Michael Palin post-Monty Python excepté Un poisson nommé Wanda (1988) et Brazil (1985). Avec son atmosphère à la Ealing façon Whisky Galore! (1949), A Private Function était susceptible de me plaire. C’est en effet distrayant, grâce notamment à la présence du cochon Betty, en réalité trois cochonnes plus sympathiques à l’écran qu’en coulisses où elles traumatisèrent une partie de l’équipe. Le casting est de qualité, réunissant Maggie Smith, Pete Postlethwaite, Denholm Elliott ou Richard Griffiths. Il faut également remarquer la performance de Liz Smith, excellente dans le rôle de la mère goinfre et un peu gâteuse de Joyce. Si l’humour n’est pas toujours subtil, la critique de la bourgeoisie est réjouissante, malheureusement gâchée par le personnage affreusement caricatural de Joyce. C’est une mégère aigrie, prête à tout pour le prestige, qui accable constamment le gentil Gilbert. Ce stéréotype agaçant diminue substantiellement le charme du récit.
Tiempo de morir d’Arturo Ripstein (1966, Time to Die)

Tiempo de morir est le premier long métrage d’Arturo Ripstein alors âgé de 21 ans, sur une idée de Gabriel García Márquez, corédacteur du script avec l’écrivain Carlos Fuentes.
C'est un western mélancolique sur l’inéluctabilité du destin, thème apparemment récurrent chez Arturo Ripstein. Auréolé d’une réputation d’invincibilité, Juan Sayago n’est pas un héros classique. Il n’a pas de pistolet ni de cheval, il est presbyte et sort régulièrement ses petites lunettes, aime régler sa montre et tricote. A travers ce personnage repenti et les fils Trueba englués dans leurs principes machistes, Arturo Ripstein dénonce les conséquences d’une certaine masculinité toxique de la société mexicaine. Cela m’a parfois évoqué l’excellent Gunman's Walk (1958) dans lequel deux frères s’opposaient sur leur conception de l’existence et sur leur acceptation des valeurs héritées de leur arrogant patriarche. S’il y a quelques effets stylistiques inutiles, avec un léger abus de la caméra portée très années 60, Tiempo de morir est dans l’ensemble une superbe tragédie, avec un Jorge Martínez de Hoyos magistral en Juan Sayago désabusé.
Wicked Little Letters de Thea Sharrock (2023, Scandaleusement vôtre)

Wicked Little Letters est tiré d’un fait divers qui défraya la chronique dans la Grande-Bretagne des années 20. Le comédien Jonny Sweet y vit une belle opportunité de scénario, qui échoua à la réalisatrice Thea Sharrock. Comme toujours, la réalité a été arrangé avec une simplification de la trame (suppression notamment de la sœur de Rose et de ses deux enfants, anonymisation des lettres pour augmenter le suspense) et l’ajout d’une diversité ethnique anachronique (introduction de protagonistes noirs ou d’origine indienne, ce qui ne me choque pas mais gênera les puristes). Les hommes en prennent pour leur grade, ils sont quasiment tous extrêmement misogynes et ridicules. Cela les rend paradoxalement irréels et inoffensifs, davantage de subtilité aurait renforcé le propos. C’est globalement distrayant bien que facile et prévisible, ce sera vite oublié.
Films vus seuls
Santo contra la mafia del vicio de Federico Curiel (1971, Santo vs. the Vice Mafia)

Santo contra la mafia del vicio démarre par une sorte de clip de 2 minutes 40 où le chanteur péruvien à la mode Jimmy Santy se trémousse sur la plage pendant qu’en arrière-plan Santo danse mollement avec des filles en bikini. Il reviendra ultérieurement pour pousser la chansonnette. Outre deux autres numéros musicaux et un match de catch, ce Santo est un film d’espionnage assez classique. On retrouve aux manettes le trio de La venganza de las mujeres vampiro (1970), Jorge García Besné/Fernando Osés/Federico Curiel. Fernando Osés apparaît par ailleurs en tant qu’acteur dans le rôle du bras droit de Fidel. Si sa présence dans les Santo est fréquente, son personnage est ici plus important que d’habitude. A part ça, beaucoup de demoiselles en petite tenue, on sent encore une fois un potentiel érotique sans doute exploité à l’international (j’ai par exemple repéré une coupe curieusement abrupte quand une la jolie agente secrète se change). Sans être mauvais, ce n’est pas aussi fun et pêchu qu’Operación 67 (1967) dans un genre similaire.
戦国野郎 [Sengoku yarô] de Kihachi Okamoto (1963, Warring Clans)

Sengoku yarô est le premier chanbara de Kihachi Okamoto, tourné en noir et blanc à l’inverse de ses films de gangsters précédents. Il s’amuse avec l’Histoire, Tôkichirô Kinoshita incarné par un Makoto Satô rigolard étant un des anciens noms de Toyotomi Hideyoshi, un des trois grands unificateurs du Japon au XVIe siècle.
Le transport des armes est un MacGuffin, le récit est un prétexte à l’action, des pirates succédant aux ninjas sur fond d’humour et de musique jazzy. La mise en scène est efficace, avec un montage sec visant à accentuer le dynamisme. Yûzô Kayama est meilleur que dans Kaoyaku akatsukini shisu (1961, Big Shots Die at Dawn) ou Ankokugai no dankon (1961, Blueprint of Murder), bien épaulé par Makoto Satô et Ichirô Nakatani. C’est un agréable divertissement qui se moque allègrement des principes du bushidô.
結婚のすべて [Kekkon no subete] de Kihachi Okamoto (1958, Tout sur le mariage)

Kekkon no subete est une rareté diffusée dans le cadre de la rétrospective Kihachi Okamoto à la MCJP, la première réalisation de Kihachi Okamoto au bout de quinze années au poste d’assistant. C’est une comédie dans l’air du temps centrée sur le sexe, la jeunesse américanisée et le mariage. La distribution est solide avec, outre un Ken Uehara tête en l’air en Saburo, Michiyo Aratama en Keiko (qui travaillera cinq fois avec Kihachi Okamoto, notamment dans Le sabre du mal en 1966), Izumi Yukimura en Yasuko, des apparitions de Toshirô Mifune, Tatsuya Nakadai et Reiko Dan (vedette des années 60 aperçue chez Kurosawa, Naruse ou Ozu), et des acteurs qui deviendront récurrents chez Okamoto comme Makoto Satô ou Mickey Curtis. Le résultat est toutefois décevant. C’est extrêmement sexiste, avec des plans insistants sur les jambes ou les fesses des femmes, et franchement réac, la morale étant que rien ne vaut un bon vieux mariage arrangé, plus susceptible d’apporter le bonheur qu’une passion forcément futile et éphémère. Dispensable.
地獄の饗宴 [Jigoku no kyôen] de Kihachi Okamoto (1961, Aux Enfers tu festoieras)

Jigoku no kyôen est sans doute le Kihachi Okamoto qui se rapproche le plus du film noir, avec une femme fatale (incarnée par Reiko Dan) déloyale, une intrigue axée sur la soif de l’argent, des trahisons, un flashback, un héros borderline acculé qui est tabassé et finit mal… Fidèle à ses habitudes, Kihachi Okamoto a inséré des touches d’humour qui tombent ici à plat, engendrant un aspect parodique qui casse une ambiance autrement sombre. Le dernier acte est beaucoup trop long et Tatsuya Mihashine ne convainc pas en Tobe, il ne dégage ni la coolitude ni la dureté adéquate. Si on ajoute le cliché de la femme violée amoureuse de son agresseur, autant dire que je n’ai pas été emballé. L’intérêt principal se situe dans les cadrage et le montage novateurs, qui annoncent ses futurs opus et anticipent le style de Seijun Suzuki.
Livres
Oreillers de laque : Du vent sur les fleurs d’Hinako Sugiura (Philippe Picquier, collection « Picquier Manga », 2006), 176 p.

A l’instar de Miss Hokusai, Oreillers de laque : Du vent sur les fleurs offre une vision réaliste du quotidien de classes marginales au XIXe siècle en se penchant cette fois sur le cas des prostituées. Stylistiquement, la mangaka s’inspire des estampes de l’époque, d’où un graphisme atypique avec des visages allongés. Les épisodes n’ont aucun lien entre eux, absence de continuité qui empêche de s’attacher aux personnages à l’inverse de Miss Hokusai. Cela reste intéressant pour le point de vue féminin adopté et l’arrière-plan historique dressé par une spécialiste de la période, sans être aussi enthousiasmant que Miss Hokusai.
- Histoires de mondes étranges, présentées par Demètre Ioakimidis, Jacques Goimard & Gérard Klein (Le livre de poche, collection « La grande anthologie de la science-fiction », 1984), 413 p.Histoires de mondes étranges comporte douze nouvelles de 10 à 65 pages parues entre 1934 et 1973. Elles sont rédigées par neuf hommes et deux femmes (sous les pseudonymes d’Idris Seabright pour Margaret St Clair et de James Tiptree Jr. pour Alice B. Sheldon) :
- • Odyssée martienne de Stanley Weinbaum (1934) : Harrison l’astronome tombe nez à nez avec les créatures délirantes de Mars.
- • Rendez-vous avec Méduse d'Arthur C. Clarke (1971) : Premier homme envoyé dans l’atmosphère de Jupiter, Howard Falcon découvre l’existence d’étranges formes de vie.
- • La fin de l'hiver d'Algis Budrys (1958) : Des explorateurs atterrissent sur un astre hostile pour secourir une expédition précédente.
- • Icy, il doit y avoir des tigres de Ray Bradbury (1951) : Une équipe de forage débarque sur une paisible planète qui adapte son environnement en fonction de leur attitude.
- • Bucolique d'A. E. Van Vogt (1950) : Une forêt pensante réagit à l’arrivée d’un vaisseau en son sein.
- • Les altruistes d'Idris Seabright (1953) : Malcolm Knight s’arrange pour s’écraser chez les Skös, un peuple bizarre qui sert ses hôtes de manière obséquieuse.
- • Conquête d'Anthony Boucher (1953) : Trois humains ne parviennent pas à faire comprendre aux géants indigènes qu’ils sont des êtres intelligents.
- • Votre amour haploïde de James Tiptree Jr. (1969) : Ian Suitlov est chargé d’évaluer la compatibilité génétique entre les humains et divers habitants de planètes lointaines. Il s’interroge sur le cas des Esthaans, qui lui dissimulent leur mode de reproduction.
- • Bienvenue dans le cauchemar classique de Robert Sheckley (1973) : Le paranoïaque Johnny Bezique se pose sur Loris et estime que ses autochtones pacifiques et extrêmement intelligents sont une menace à long terme pour la Terre.
- • Quand les ténèbres viendront d'Isaac Asimov (1941) : Sur Lagash doté de six soleils, la nuit ne surgit que tous les deux milles ans. Les ténèbres annoncées risquent de générer la panique.
- • Ni les îles de calcaire qui volent dans le ciel de R. A. Lafferty (1971) : Les citoyens d’îles de pierre volant dans les nuages vendent leur marbre contre de la nourriture.
- • Un billet pour Tranaï de Robert Sheckley (1955) : Marvin Goodman comprend à ses dépens que l’utopie de Tranaï repose sur des principes peu reluisants.
Revues
Mad Movies n°389 – Janvier 2025

Au niveau des sorties, je serais curieux de voir Mémoires d’un escargot, le nouveau long métrage en stop-motion du réalisateur de Mary and Max (2009). Ça a l’air franchement glauque et techniquement impressionnant. Je suis également intrigué par Oddity de Damian Mc Carthy, sur une médium qui tente d’apprendre la vérité sur l’assassinat de sa sœur ; par le polonais La clepsydre (1973) qui semble chelou et sans doute mou du genou ; et par le vietnamien Crimson Snout (2023), pas exceptionnel a priori mais qui provient d’une cinématographie que je connais mal.
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