samedi 18 janvier 2025

Carnet de bord 11/01/2025-17/01/2025



Films vus en compagnie
Una lucertola con la pelle di donna de Lucio Fulci (1971, Le venin de la peur)
Carol Hammond est une riche bourgeoise qui couche dans ses rêves avec sa voisine Julia Durer, une débauchée notoire dont les soirées mélangent orgies et consommation de drogues. Elle en parle à son psychanalyste qui estime que c’est un moyen d’évacuer ses frustrations. Une nuit, elle fait un cauchemar dans lequel elle poignarde Julia avec un coupe-papier. Le lendemain, celle-ci est retrouvée assassinée avec des affaires de Carol à ses côtés.

Lucio Fulci est réputé pour ses films d’horreur gore de la fin des années 70, L'Enfer des zombies (1979) et sa trilogie de la mort (Frayeurs, 1980 ; L'au-delà, 1981 ; et La maison près du cimetière, 1981). Je connais moins ses gialli bien que j’apprécie L'emmurée vivante et son entêtante mélodie. Je ne me rappelle pas vraiment La Longue Nuit de l'exorcisme (1972) ni L'Éventreur de New York (1982), et je n’ai jamais vu Perversion Story (1969) et Le venin de la peur. Je comble donc mon retard.
Il n’y a malheureusement aucun aspect fantastique dans Le venin de la peur. On est dans la frange whodunit du giallo, clairement pas celle que je préfère, avec ses intrigues alambiquées et ses conclusions à la va-comme-je-te-pousse (le summum étant Quatre mouches de velours gris (1971) où, selon le coscénariste Luigi Cozzi, ils ignoraient eux-mêmes l’identité du tueur jusqu’à un stade avancé de l’écriture). J’ai eu la mauvaise idée de récupérer la version américaine qui inclut sept minutes supplémentaires, principalement des séquences dénudées situées au début. Elles ont pour effet de donner d’emblée un faux rythme. La musique d’Ennio Morricone n’a rien de mémorable, c’est visuellement sage et on s’ennuie sévère jusqu’à une course-poursuite dans un bâtiment abandonné au bout d’1h10. C’est un peu tard, surtout qu’on retombe ensuite dans le train-train. Une déception.


Stir of Echoes de David Koepp (1999, Hypnose)
Tom a récemment emménagé dans un quartier ouvrier de Chicago avec sa femme Maggie et son fils de cinq ans Jake. Un soir, il défie la sœur de Maggie de l’hypnotiser. Elle réussit sans problème et suggère avant son réveil qu’il soit plus ouvert au monde qui l’entoure. Il commence alors à avoir des prémonitions et aperçoit dans son canapé le fantôme d’une adolescente disparue. Persuadé qu’elle souhaite lui dire quelque chose, il devient obsédé par cette apparition mais ses pouvoirs se manifestent de façon erratique, à l’inverse de Jake qui semble capable de communiquer avec les macchabés.

Stir of Echoes est la transposition du roman éponyme de Richard Matheson publié en 1958. David Koepp, également responsable du scénario, a ajouté le personnage de Jake en clin d’œil à The Shining (1980). Stir of Echoes a été éclipsé par Sixième sens (1999) sorti un mois auparavant, autre titre avec un gamin à la coupe Playmobil qui voit des gens morts.
J’avais un souvenir confus de Stir of Echoes, qui se combine dans ma tête avec Hollow Man. Les deux mettent en vedette un Kevin Bacon inquiétant et ont été diffusés en 2000 dans les salles françaises. Stir of Echoes est bien meilleur, assez malin, avec un Kevin Bacon ambigu loin du méchant outrancier de Hollow Man. Son épouse Maggie est correctement traitée, on comprend son agacement. Ce n’est pourtant pas parfait. Jake n’est pas convenablement intégré, on sent qu’il a été greffé à une histoire préexistante. Ça manque de tension et les références à The Shining sont trop marquées, notamment dans la scène entre Jake et un Magical Negro à la Dick Hallorann. Le bilan reste toutefois positif.


Мэри Поппинс, до свидания [Meri Poppins, do svidaniya] de Leonid Kvinikhidze (1984, Mary Poppins, au revoir)
Mary Poppins, au revoir est un téléfilm découpé en deux épisodes d’1h03 et 1h14. Dans le premier, Mary Poppins débarque dans la famille Banks composée du père George, de la mère Winifred, des enfants Michael et Jane, et de l’oncle hippie Bob Robertson. Elle devient la nounou de Michael et Jane et leur fait vivre de belles aventures. Dans le second, l’ancienne gouvernante tyrannique de George vient s’installer chez les Banks durant un mois. Heureusement, Mary Poppins revient pour les débarrasser de la mégère.

Mary Poppins, au revoir est une adaptation libre des deux premiers romans de Pamela Lyndon Travers parus en 1934 et 1935. Elle est dirigée par Leonid Kvinikhidze, qui a essentiellement œuvré dans la comédie musicale à partir du milieu des années 70. Esthétiquement, Mary Poppins, au revoir est étrange, entrelaçant allègrement les époques, avec des décors et des costumes début XXe, des accessoires contemporains (voiture, télévision) et un Bob Robertson très John Lennon des années 70.
C’est franchement fauché, plutôt gentillet, avec des numéros musicaux inégaux. La partie 1 est clairement supérieure, la deuxième n’apportant rien de neuf. Les acteurices sont globalement convainquant, avec une mention spéciale aux deux gosses et à Lembit Ulfsak en Bob Robertson, un sympathique rebelle de bac à sable qui proteste avec des chansonnettes. Si la trame sommaire et l’aspect chaotique ne fonctionnent pas toujours, avec un faux rythme typique des productions soviétiques, cela demeure distrayant à condition de ne pas comparer avec le classique de Disney de 1964.


लापता लेडीज [Laapataa Ladies] de Kiran Rao (2023, Laapataa Ladies)
C’est la saison des mariages, les hommes rentrent chez eux avec leur nouvelle épouse qui, selon la tradition, porte des vêtements rouges et un voile qui lui recouvre le visage. En descendant du train en pleine nuit, Deepak se trompe, réveille la mauvaise personne et part avec elle. Il remarque son erreur lorsqu’elle se dévoile mais il est trop tard et il n’a aucun moyen de joindre Phool, sa jeune femme inexpérimentée. Quand elle comprend qu’elle a été abandonnée, celle-ci panique avant d’être réconfortée par la bande hétéroclite qui peuple sa gare d’arrivée. Pendant ce temps, Deepak tente de retrouver sa trace tandis que Pushpa, la mariée qu’il a involontairement enlevée, sympathise avec la famille.

Laapataa Ladies est le second opus de Kiran Rao douze ans après Dhobi Ghat (2011). C’est son conjoint, la star Aamir Khan crédité en tant que coproducteur, qui a repéré le script et lui a suggéré de le réaliser. Laapataa Ladies est une comédie féministe qui insiste sur l’émancipation, entre d’un côté la timide et soumise Phool qui va apprendre à s’affirmer, et de l’autre une Pushpa éduquée qui cherche à éveiller les consciences des paysannes qu’elle croise. S’y ajoute un duo ridicule de policiers véreux qui introduisent une touche d’humour facile et une aimable critique de la corruption (fortement modérée par la conclusion). D’une facture classique, Laapataa Ladies est inoffensif et conventionnel, avec une histoire prévisible et des protagonistes stéréotypés. Cela se suit néanmoins agréablement grâce à une bonne interprétation, de jolies couleurs et un certain exotisme pour le Français que je suis.


Films vus seuls
La venganza de las mujeres vampiro de Federico Curiel (1970, The Vengeance of the Vampire Women)
Le vil docteur Brancov parvient à ressusciter Mayra, une comtesse vampire massacrée avec ses semblables il y a un siècle. A son réveil, elle accepte de l’aider à rendre immortel un monstre de sa fabrication s’il exécute le dernier descendant des exterminateurs de sa race, le glorieux Santo. Outre les sbires de Brancov, l’homme au masque d’argent va devoir affronter les créatures de Mayra, qui multiplie les vampires pour dominer le monde.

C’est un retour aux sources pour ce La venganza de las mujeres vampiro produit par Jorge García Besné avec Fernando Osés au scénario, duo à l’origine des deux premiers Santo, Santo contra cerebro del mal (1961) et Santo contra hombres infernales (1961). Fernando Osés n’est pas allé chercher loin, il reprend le concept qu’il avait employé dans Santo vs. las Mujeres Vampiro (1962). Jorge García Besné confie la direction à Federico Curiel, qui avait mis en scène l’année précédente Las vampiras avec Mil Máscaras, un autre catcheur masqué. Les vampires étaient décidemment à la mode.
La venganza de las mujeres vampiro est doté d’un budget raisonnable, est correctement joué et tient globalement la route bien qu’il n’apporte rien de neuf. Comme dans la trilogie Santo contra el rey del crimen (1962)/Santo en el hotel de la Muerte (1963)/ Santo contra el cerebro diabólico (1963) déjà réalisée par Federico Curiel, Santo est accompagné par un flic et sa fiancée journaliste plus dégourdie que les policiers. Des séquences de nudité ont apparemment été tournées pour l’export. Elles ont disparu, d’où l’absence d’une belle restauration à l’inverse de Santo en el tesoro de Drácula/El vampiro y el sexo (1968) ou de Santo contra los jinetes del terror/Los leprosos y el sexo (1970). Pas de sexe, pas de 4K.


暗黒街の弾痕 [Ankokugai no dankon] de Kihachi Okamoto (1961, Blueprint of Murder)
Un homme meurt dans un accident au cours du test d’un nouveau moteur de voiture révolutionnaire. Son collègue inventeur du procédé apprend à son petit frère Jiro Kusaka, un chasseur de baleines, qu’il a probablement été tué par des espions industriels. Epaulé par un ancien camarade de classe directeur d’un journal minable et maître-chanteur occasionnel, Jiro entame son enquête pour découvrir l’identité des assassins de son frère.

Kihachi Okamoto continue dans le style « étranger qui débarque en ville pour se fritter avec des truands », sans davantage de succès qu’avec Ankokugai no taiketsu (1960, The Last Gunfight) ou Kaoyaku akatsukini shisu (1961, Big Shots Die at Dawn). Le mélange de parlotte et d’humour ne prend toujours pas. A l’instar de The Last Gunfight, il case un numéro musical bizarre pas totalement convainquant. Il ne m’en reste qu’un ou deux dans ce genre que Kihachi Okamoto abandonnera par la suite, tant mieux car je commence à me lasser. Seul point amusant, l’utilisation du même casting dans des rôles à chaque fois différent (sauf Hideyo Amamoto abonné aux sales types).


[Gu] de Chih-Hung Kuei (1981, Bewitched)
Le corps d’une fillette est découvert sur la plage avec un clou enfoncé dans le crâne. L’inspecteur Wong chargé de l’investigation met rapidement la main sur le coupable, le père de la victime qui affirme qu’il était sous l’emprise d’un enchantement. Condamné à mort, il contacte Wong pour lui confier la cause de ses malheurs. Il a subi selon lui la vengeance d’une femme qu’il a rencontré en Thaïlande puis délaissé. Wong consent à se rendre sur les lieux et tombe sur un univers occulte dont il ne soupçonnait pas l’existence.

Dans les années 70, la Shaw se lança dans le cinéma d’exploitation et versa périodiquement dans l’horreur. Son spécialiste maison fut Chih-Hung Kuei, qui s’en donna à cœur joie avec des titres devenus cultes en Occident, le plus fameux étant sans doute The Boxer's Omen (1983), fausse suite de Gu. Précurseur de la Category III, Chih-Hung Kuei mixait allègrement sexe et violence, avec parfois une touche de critique sociale. Ce dernier aspect est absent de Gu, qui se limite à des femmes nues, des malédictions trash et de l’exotisme de pacotille dans une Thaïlande caricaturale. Il s’ouvre sur un carton ambigu très mondo laissant entendre que le récit est basé sur des faits réels. Chaque sort est nommé et détaillé, une voix-off décrivant la méthodologie et les symptômes. La conclusion énonce que « l'objectif de cette histoire est de mettre les gens en garde contre les relations sexuelles sans lendemain et contre la sorcellerie ». Tout ceci est évidemment un prétexte pour balancer du gore qui tâche avec des trucages de qualité variable que je qualifierais de sympathiquement crado. C’est extrêmement bis, l’intrigue n’est qu’une excuse à une accumulation d’effets et à un duel de magie, mais il faut avouer que c’est fort distrayant.


だいじょうぶマイフレンド [Daijôbu, mai furendo] de Chih-Hung Kuei (1983, It's All Right, My Friend)
Mimimi, Hachi et Monica assistent médusés à la chute d’un extra-terrestre dans une piscine. Iels l’aident à échapper aux autorités et le recueillent chez eux. Il ne parle qu’anglais, dit s’appeler Gonjî Toroimerai, être né sur un astre lointain et avoir grandi aux Etats-Unis. Il détient des super-pouvoirs, il est invincible et a la force de 10 000 hommes. Il ne craint que les tomates, leur proximité le paralysant totalement. Il est traqué par une organisation internationale, les Doors, qui veulent lui dérober ses gènes pour asservir l’humanité. Grâce au soutien de ses nouveaux compagnons, il va tenter de réapprendre à voler pour retourner sur sa planète.

Ryû Murakami est un célèbre écrivain japonais connu pour son œuvre sombre et pessimiste. Ses rares réalisations n’ont jamais été diffusées en Occident, on comprend pourquoi en regardant Daijôbu, mai furendo, un projet multimédia livre/long métrage/chanson (interprétée par Reona Hirota qui incarne Mimimi) dans un esprit parodique éloigné des habitudes de l’auteur. Produit par la Tôhô avec un budget appréciable, le rôle principal est tenu par Peter Fonda. Sa présence dans cette galère n’est pas foncièrement étonnante quand on examine sa filmographie, pas franchement reluisante excepté Easy Rider (1969). Pour sa première apparition à l’écran, Reona Hirota fait ce qu’elle peut en Mimimi. Promise à une carrière de ballerine, elle se blessa au dos à 18 ans et s’orienta vers le cinéma et la télévision.
Daijôbu, mai furendo pique un peu de Superman (1978), d’E.T., l'extra-terrestre (1982), d’Attack of the Killer Tomatoes (1978) ou de L'Invasion des profanateurs (1978) de façon porte-nawak en ajoutant de la nudité (gros plan sur les seins de Reona Hirota dès l’introduction), deux-trois numéros musicaux, de jolis paysages des îles Mariannes, une course-poursuite en voiture… C’est affreusement mal joué, filmé et monté, et les personnages n’ont aucune épaisseur. Ce n’est même pas nanardesque, juste mauvais.


Thriller - en grym film de Bo Arne Vibenius (1973, Crime à froid)
Madeleine vit à la campagne avec ses parents dans une ferme tranquille. Violée par un vieux fou quand elle était enfant, elle a été traumatisée et est devenu muette. Un après-midi en allant en ville, elle grimpe dans le véhicule d’un playboy nommé Tony. Après une soirée au restaurant, il la ramène chez lui, l’endort puis la maintient sous sédatif pendant des jours pour la rendre dépendante à l’héroïne. Il la force ensuite à rédiger une lettre reniant sa famille et l’oblige à se prostituer. Devant sa résistance, Tony lui crève un œil et pense avoir brisé sa volonté. En réalité, Madeleine prépare sa vengeance.

Thriller - en grym film est un rape and revenge suédois source d’inspiration des Kill Bill de Tarantino, notamment de la méchante Elle Driver qui hérite de l’improbable bandeau sur l’œil. C’est de la pure exploitation qui mélange drame, violence gore, sexe (y compris des inserts porno intégrés a posteriori), ralentis à la Peckinpah, poursuite en voiture, explosions, karaté… En gros, tout ce qui pouvait être en vogue au moment du tournage. Bo Arne Vibenius a admis que son but était de faire le film le plus commercial possible car il avait perdu beaucoup d’argent avec son précédent, une aimable fantaisie familiale. Interdit en Suède dans sa version initiale, Thriller - en grym film fut autorisé en octobre 1974 dans un montage de 82 minutes (contre 107 minutes au départ).
J’ai déjà précisé mon aversion pour le rape and revenge, à qui on a souvent donné rétrospectivement une profondeur absente des intentions de ses créateurs. J’étais toutefois curieux de voir Thriller - en grym film pour son apport au cinéma de Tarantino et pour son origine suédoise, promettant une approche éloignée des exubérances américaines ou italiennes. Bo Arne Vibenius adopte en effet un rythme étrange, doté d’une certaine léthargie. Il prend le temps d’installer son récit pour montrer l’aliénation et le calvaire de Madeleine, insistant longuement sur l’entrainement nécessaire à sa vengeance. L’ensemble reste en mémoire grâce à la performance iconique de Christina Lindberg en Madeleine, un ancien mannequin actrice de films érotiques qui impressionne par son intensité. Est-ce pour autant recommandable ? Cela se discute. Thriller - en grym film demeure extrêmement racoleur, avec une intrigue simpliste et un abus de ralentis dans l’unique objectif de rallonger la durée d’une vingtaine de minutes…. Sans être un chef d’œuvre mésestimé, c’est une bizarrerie qui surnage dans un genre pauvre, avec des images marquantes.


希望の乙女 [Kibô no otome] de Yasushi Sasaki (1958, With Songs in My Heart)
Sayuri Mihara, une orpheline d’Hokkaidô, descend à Tôkyô dans l’espoir de devenir chanteuse. Sur les conseils de son professeur, elle demande de l’aide au fameux compositeur Tsukimura. Alcoolique depuis le décès de son épouse, celui-ci la rejette rudement. Sayuri ne se laisse pas décourager, elle emménage chez lui sans son aval et sympathise rapidement avec un groupe du voisinage qui souhaiterait monter un concert pour réhabiliter le quartier.

Kibô no otome a été produit par la Toei pour célébrer les dix ans de carrière d’Hibari Misora. En 1958, elle n’avait pas sorti ses deux immenses tubes Yawara (1964) et Kanashii Sake (1966) qui allaient établir sa réputation de reine du enka. Ayant débuté enfant par des reprises de chansons populaires, elle n’hésitait pas à piocher dans tous les genres, en particulier dans la musique américaine à la mode. C’est le cas ici, avec une ambiance jazzy et une séquence dansée vaguement Minnelli-esque. L’histoire est un prétexte pour enchaîner les numéros qui occupent environ 40% du métrage. C’est très hollywoodien, avec une musique plutôt entraînante (et une scène brownface à signaler). A réserver aux amateurs d’Hibari Misora. A noter en love interest un jeune Ken Takakura pas encore abonné à ses rôles de taiseux dur-à-cuire, j’ai failli ne pas le reconnaître.


Livres
Elégie en rouge de Seiichi Hayashi (Cornélius, collection « Pierre », 2010), 240 p.
Ichiro rêve d’être dessinateur de mangas. Il bosse sans relâche pour percer et tente de placer sans succès ses manuscrits. Il vit en concubinage avec Sachiko, une encreuse, dans une relation tumultueuse pleine de non-dits. Ils se disputent régulièrement et se réconcilient au lit. Les parents de Sachiko voudraient qu’elle accepte un mariage arrangé, ce qu’elle refuse par amour pour Ichiro.

Après un bref passage dans l’animation, Seiichi Hayashi se lança dans le manga avec une première publication dans Garo en novembre 1967. Fortement influencé par Yoshiharu Tsuge, son trait simple rebuta au départ le propriétaire de la revue. A l’inverse du gekiga centré sur une narration claire et structurée, Seiichi Hayashi mettait l’accent sur l’image, le sens n’était pas évident mais devait provenir de l’interprétation du lecteur. Il participa à la montée en puissance du watakushi manga (manga du moi), avec une œuvre empreinte de ses expériences et baignée des doutes de la jeunesse de l’époque. L’accueil fut enthousiaste, Elégie en rouge inspira un tube de Morio Agata, un chanteur novice qui eut ensuite une belle carrière et contribua à populariser la musique folk au Japon.
En dépit de son importance historique et culturelle, je n’ai pas accroché à Elégie en rouge. La faute à une intrigue extrêmement rudimentaire où les idées sont seulement esquissées. Imaginer des péripéties entre les cases ce n’est pas pour moi, j’ai besoin de concret. Au moins, on ne retrouve pas la misogynie de Tsuge, Sachiko n’est pas caricaturale ou traitée en objet. Cornélius a effectué un beau travail d'édition avec une impression en bichromie et un passionnante contextualisation. A lire pour appréhender une ère révolue de la bande dessinée japonaise.


Melodrama and Asian Cinema dirigé par Wimal Dissanayake (Cambridge University Press, collection « Cambridge Studies in Film », 1993), 281 p.
Melodrama and Asian Cinema comporte quatorze articles de treize chercheuses et chercheurs nord-américains et australiens rédigés à la fin des années 80/début des années 90 dans le cadre d’une série de conférences organisées par le festival international du film de Hawaï. Ils se répartissent de la façon suivante : quatre textes sur la Chine ; quatre sur le Japon ; deux sur l’Inde ; un sur l’Indonésie, un sur les Philippines, un sur l’Australie et un bilan. Comme le titre du recueil l’indique, ils se penchent sur la définition et la représentation du mélodrame dans les pays concernés.

Je voulais depuis longtemps récupérer ce bouquin sur lequel je fondais de gros espoirs pour mieux comprendre la manière dont le mélodrame, originaire d’Europe et redéfini par Hollywood dans les années 50, s’était développé et diversifié en Asie. J’avoue ma déception. Lorsqu’il a été conçu, les cinémas asiatiques étaient mal connus dans le monde anglophone et certains auteurices sont loin de maîtriser leur sujet. La plupart ont un style ampoulé et se perdent dans les digressions. Je n’ai ainsi strictement rien appris sur le cinéma japonais, qui a pourtant de nombreux genres mélodramatiques, et pas grand-chose sur le mélodrame en général. Ce sont finalement les études précises de cas qui m’ont le plus intéressées, me permettant de repérer quelques références, à l’instar des indiens Kismet (1943), Awaara (1951) et surtout Sholay (1975), un énorme classique en Inde qui semble valoir son pesant de cacahouètes (ressorti en 3D en 2014). C’est maigre.


Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne traduit par Rémi Mathieu (Gallimard, collection « Connaissance de l'Orient », 2023), 262 p.
Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne est composé de cinq chapitres séparés en sous-parties : la création ; les saints empereurs des origines ; la mise en ordre du monde ; les fondateurs de lignées et de royaumes ; les divinités secondaires et les cultes locaux. Cent récits sont compilés, chacun comprenant une à trois variations et étant abondamment glosés par le sinologue Rémi Mathieu.

Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne est un ouvrage savant qui réunit des fragments de mythes et de légendes. Il ne faut pas s’attendre à de bavardes chroniques, Rémi Mathieu a souhaité repartir des plus vieilles sources disponibles, sans les fioritures qui se sont ajoutées ensuite, avec des variantes pour cerner ce qui constitue le cœur de la tradition. Cela donne un résultat souvent aride, où les annotations prennent davantage de place que les histoires.
Ayant déjà eu l’occasion de lire des textes chinois anciens (notamment les Mémoires historiques de Sima Qian citées par Rémi Mathieu) et possédant de bonnes notions des folklores est-asiatiques, j’ai trouvé Anthologie des mythes et légendes de la Chine ancienne assez enrichissant. J’ai par exemple découvert l’origine du mythe du lapin dans la Lune (utilisé par Thanh-Van Tran-Nhut dans Les corbeaux de la mi-automne) et je ne savais pas que les Huit chiens de Satomi de Kyokutei Bakin était inspiré d’une légende chinoise. Cette succession de courts extraits peut néanmoins s’avérer rapidement fatigante pour le néophyte, tout comme la longueur et la complexité des commentaires de Rémi Mathieu. L’organisation par catégories et sous-catégories n’est par ailleurs pas optimale, les aventures d’un même personnage étant éclatées selon les besoins de l’auteur, embrouillant inutilement le lecteur. C’est donc à réserver à un public d’étudiants et de connaisseurs, je ne le recommanderais pas a priori.


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