samedi 22 novembre 2025

Carnet de bord 15/11/2025-21/11/2025



Films vus en compagnie
La noche del terror ciego de Amando de Ossorio (1972, La révolte des morts-vivants)
A Lisbonne, Virginia tombe par hasard sur Betty, son ancienne camarade de chambre à l’école. Elle la présente à son ami Roger, qui suggère que Betty les accompagne dans un week-end à la campagne. Durant le trajet, Virginia, jalouse du flirt entre Roger et Betty qui se déroule sous ses yeux, descend du train en marche à proximité d’une ville fortifiée abandonnée. Elle décide d’y camper, sans savoir que c’est un lieu maudit hanté par les squelettes de chevaliers païens.

La noche del terror ciego est le premier volet d’une tétralogie consacrée aux Templiers morts-vivants, suivi de El ataque de los muertos sin ojos (1973, Le retour des morts-vivants), El buque maldito (1974, Le monde des morts-vivants) et La noche de las gaviotas (1975, La chevauchée des morts-vivants, sans mouette apparemment en dépit de ce qu’indique le titre original). Il est vaguement inspiré de Night of the Living Dead (1968) et de la nouvelle El monte de las ánimas de Gustavo Adolfo Bécquer parue en 1862. Il a été tourné majoritairement au Portugal, notamment dans le château de Palmela que je connais bien. Dans les années 70, le tourisme était moins développé et c’était une ruine. Il a été sensiblement rénové depuis.
La noche del terror ciego et ses prolongements rencontrèrent le succès et contribuèrent au dynamisme de l’horreur espagnole des années 70. A voir de nos jours, c’est terriblement soporifique. Le rythme est lent, il n’y a aucune tension (pas aidé par des méchants qui se déplacent à deux à l’heure ou sur des chevaux qui courent au ralenti) et on s’ennuie ferme. Il y a un peu de gore et de nudité, avec un viol gratuit dont on se serait passé. L’unique élément remarquable est le maquillage réussi des squelettes. C’était donc assez nul et je ne regarderai pas les trois suites.


Misterio de Marcela Fernández Violante (1980, Mistery)
Un metteur en scène de télénovela subit la pression de son producteur pour terminer rapidement la saison en cours. Alex, la vedette du show, souhaite se retirer pour partir en vacances avec son épouse Silvia mais le réalisateur le convainc de rester grâce à un procédé stupéfiant. Quand Alex tente d’expliquer sa reculade à Silvia, elle lui annonce qu’elle ne l’aime plus et qu’il n’est qu’une marionnette. La scène s’arrête, nous sommes sur un plateau de télévision, le réalisateur n’est pas satisfait et donne ses instructions. Alex ne comprend pas ce qu’il se passe, il était persuadé d’être chez lui. Il sort du studio, rentre dans son appartement et constate qu’il est toujours sur le plateau.

Misterio est tiré du roman Estudio Q de Vicente Leñero, qui a coscénarisé l’adaptation en compagnie de Marcela Fernández Violante. Rare femme dans un univers exclusivement masculin, Marcela Fernández Violante fut victime du sexisme ambiant et dut se battre pour imposer sa vision surréaliste sur ce film hors-norme, qui ne bénéficia pas de la reconnaissance qu’il méritait sans doute en raison de la misogynie du milieu. Comme détaillé dans cet article en espagnol, Misterio reçut huit Ariel Awards (équivalent des Oscars mexicains), tout le monde fut récompensé sauf elle.
La première moitié de Misterio est impressionnante, une sorte de Dupieux mexicain de 1980 en grande forme, qui anticipe The Truman Show (1998) de vingt ans avec une narration plus innovante. A cela s’ajoute une critique du petit écran et du processus de production cinématographique en général, chaque échelon se défaussant sur une instance supérieure, avec un réalisateur tyrannique et des stars égocentriques. La seconde moitié a du mal à se renouveler, utilise le cliché de la femme aigrie qui dénonce l’homme qui l’a repoussée et s’enlise dans son concept malgré de surprenants éclats de violence. Cela n’empêche pas Misterio d’être une œuvre étonnante en avance sur son temps, qui ravira les fans de Buñuel et Dupieux.


Baby Blood d’Alain Robak (1990)
Yanka est la copine du gérant du cirque Lohman, un individu violent et jaloux. Ils viennent de réceptionner du Bénin un léopard qui provoque la nervosité des autres félins. Le soir même, il explose mystérieusement dans sa cage. Tandis que les employés cherchent le coupable, une créature vermiforme s’introduit dans Yanka pendant son sommeil. A son réveil, à la vue d’une énième altercation de Lohman avec le dresseur, elle prend l’argent de la caisse et s’enfuit. Un mois plus tard, Lohman la retrouve dans un immeuble sordide. Poussée par la voix du fœtus qui grandit dans son corps, Yanka le poignarde et boit son sang. Elle se lance alors dans une quête meurtrière pour nourrir l’être qui l’habite.

Bien qu’il existe des séquences gores dans le cinéma français, Baby Blood est un des premiers longs métrages qu’on puisse rattacher au genre gore, un gore festif dans l’esprit des péloches fauchées de l’Américain Frank Henenlotter. Jugé trop trash pour concourir au festival international du film fantastique d'Avoriaz, Baby Blood fut présenté hors compétition.
Je suis tombé dessus au hasard et je pensais que ce serait sérieux. Sans une tune, mal joué, avec un male gaze insistant sur l’actrice principale Emmanuelle Escourrou, je me demandais dans quoi je m’étais embarqué jusqu’à ce que la voix de la créature se mette à parler à Yanka en accéléré façon François Pérusse. Je compris soudain que j’étais dans une comédie horrifique délirante, avec un humour de plus en plus manifeste. Les hommes s’avèrent être tous des sales types, que Yanka dézingue joyeusement ; les effets spéciaux rustiques et sanguinolents sont fort sympathiques ; les dialogues sont complètement crétins ; et on a le droit à des apparitions de Jean-Yves Lafesse, de Jacques Audiard, et surtout d’Alain Chabat qui trépasse en surjouant à fond les ballons pour ses débuts sur grand écran. Baby Blood fut donc une amusante découverte, un exemple assez unique en France. La suite, Lady Blood produite en 2008, semble malheureusement catastrophique.


Лептирица [Leptìritsa] de Đorđe Kadijević (1973, Leptirica)
Dans le moulin d’un petit village, un meunier est égorgé au cours de la nuit. Au matin, le conseil municipal se réunit pour discuter de la situation. C’est le quatrième assassinat en moins d’un an, ils soupçonnent le légendaire vampire Sava Savanović d’être responsable sans posséder de preuves tangibles. Plus personne ne veut être meunier et ils se désespèrent quand ils croisent le pauvre Strahinja, en instance de départ après le refus du riche propriétaire Živan de lui donner la main de sa fille Radojka. Pour gagner de l’argent avant de s’en aller, Strahinja accepte de prendre la place.

N.B. : Depuis le XIXe siècle, le serbe peut être transcris en alphabet cyrillique réformé (un cyrillique avec des accents) ou en alphabet latin serbo-croate (avec des lettres chelous). En dépit de la constitution de 2006 qui stipule qu’il doit être écrit en cyrillique, les deux alphabets restent en usage. Pour Štićenik (1973), j’avais adopté la version latine qui était celle des crédits ; j’ai cette fois choisi la version en cyrillique car c’est elle qu’on trouve sur l’unique affiche correcte tirée de la jaquette du DVD serbe.
Ayant apprécié Štićenik, j’ai eu envie de regarder l’œuvre la plus réputée de Đorđe Kadijević, Leptirica, produite également pour Radio Television Belgrade la même année. Elle est considérée comme le premier vrai film d’horreur yougoslave, Štićenik qui l’a précédé de quelques mois étant généralement exclu à cause de son fantastique subtil pas forcément compréhensible pour le grand public. J’ai été déçu et je suis étonné qu’il ait terrifié les spectateurs yougoslaves de l’époque, il ne devait clairement pas y avoir grand-chose diffusé dans le pays. J’ai été surpris de l’importance de la comédie dans Leptirica, les notables passent leur temps à se disputer et on a l’impression d’être dans un village gaulois d’Astérix. Đorđe Kadijević a par ailleurs diminué le côté héroïque de Strahinja, qui trompait le vampire dans la nouvelle d’origine de Milovan Glišić parue en 1880 alors qu’il s’en sort par un coup de bol un peu ridicule ici. Les seuls éléments réellement horrifiques surgissent vers la fin. C’était trop tard pour moi, j’ai largement préféré le malaisant Štićenik.


Dans la cuisine des Nguyen de Stéphane Ly-Cuong (2024)
Yvonne Nguyen rêve de jouer dans des comédies musicales et enchaîne sans succès les castings depuis de nombreuses années. D’origine vietnamienne, elle est systématiquement écartée, les metteurs en scène souhaitant de jolies jeunes femmes blanches. En attendant, elle habite dans le restaurant de sa mère avec qui les rapports sont tendus, celle-ci lui reprochant d’être célibataire et de ne pas avoir un bon boulot stable. Un jour, un grand rôle est ouvert pour une Asiatique dans une adaptation libre de la vie de Casanova mais c’est une vision totalement orientalisante et Yvonne est en concurrence avec l’expérimentée Fu Fen.

Dans la cuisine des Nguyen est le premier long métrage de Stéphane Ly-Cuong. Il reprend le personnage d’Yvonne Nguyen qu’il avait créé 25 ans plus tôt sur le site internet Regard en Coulisse dont il était le rédacteur en chef et qu’il avait déjà réutilisé dans un spectacle intitulé Cabaret Jaune Citron monté en 2010. Il a pas mal galéré sur son script jusqu’à ce qu’il assume de basculer dans la comédie musicale atypique en s’éloignant des clichés auxquels il pensait devoir se conformer. Le cœur de Dans la cuisine des Nguyen est la relation entre Yvonne et sa mère, qui passe par le biais de la nourriture, et la question des stéréotypes subis par les Français non blancs. Sur ces plans, c’est une réussite, avec une chance donnée à des acteurices franco-vietnamien·ne·s de faire autre chose que de la figuration. Sur le plan musical en revanche, rien de folichon. Les chansons ne sont pas entrainantes, ça sent le réchauffé et j’étais incapable de me souvenir de la moindre mélodie dès le générique terminé. Bien que sympathique, l’intrigue est en outre convenue et cousue de fil blanc. S’il faut saluer l’initiative d’une comédie musicale française avec une héroïne d’origine vietnamienne de presque 40 ans au physique qui sort des canons, le résultat ne tient pas toutes ses promesses.


Films vus seuls
女殺し屋 牝犬 [Onna koroshiya: Mesu inu] de Yoshio Inoue (1969, Art of Assassination)
Un politicien influent demande à Abe, le PDG de Toyo trading, de se débarrasser d’un individu gênant accusé d’évasion fiscale et récemment sorti de prison, qui menace de balancer les noms de ses complices. Abe confie l’affaire à un chef yakuza, qui charge un sbire de la tâche. Ce dernier engage Kayo Fukuzawa, une redoutable femme assassin qui accomplit la mission. Au lieu de la payer, il tente de l’éliminer en sabotant ses freins et croit avoir réussi quand la voiture tombe dans un ravin. Kayo a en réalité simulée sa mort et planifie sa revanche.

Yoshio Inoue est un pur produit de la Daiei, assistant de 1946 à 1960 avant de devenir réalisateur. Il y tourna presque trente films puis s’orienta vers la télévision à la faillite du studio en 1971. Il est surtout connu de nos jours pour avoir dirigé 7 des 17 Onna tobakushi, une populaire série de yakuza eiga avec Kyôko Enami. On la retrouve ici dans le rôle de Kayo Fukuzawa, s’octroyant une pause entre deux volets de sa saga. En meurtrière impassible aux cheveux longs et au look classieux, elle évoque les futures vengeresses emblématiques de Meiko Kaji.
Onna koroshiya: Mesu inu est un remake de Aru koroshi ya (1967, lui-même adaptation d’un roman de Shinji Fujiwara), Kyôko Enami remplaçant Raizô Ichikawa en assassin sous contrat. Sans être original, avec une trame réduite au strict minimum et une courte durée d’1h21, c’est un thriller efficace porté par Kyôko Enami et par une musique mélancolique de Hajime Kaburagi.
P.S. : Kyôko Enami apparaît moins de 30 secondes en maillot de bain, ce qui n’a pas empêché le service publicitaire de souligner ce point sur le matériel promotionnel.


La mujer del puerto de Arcady Boytler (1934, The Woman of the Port)
Rosario vit dans la pauvreté avec son père Antonio, un menuisier malade exploité par le vil Basilio. Elle a une aventure avec son voisin Victorio, qui a promis de l’épouser dès qu’il aura une meilleure situation. Un soir, Antonio se sent mal et Rosario appelle le médecin qui lui prescrit des médicaments. Sans un sou, elle va réclamer de l’argent à Basilio qui essaye d’abuser d’elle. Elle s’enfuit et se réfugie chez Victorio, qu’elle surprend avec une amante. Désespéré, elle va quémander auprès du pharmacien. Pendant ce temps, Antonio qui a tout entendu monte chez Victorio pour le corriger. Celui-ci se défend et tue involontairement le vieillard. Sans ressource et décriée dans le quartier, Rosario doit partir et se prostituer.

La seconde moitié, qui dépeint la rencontre entre Rosario et un marin, est inspirée de la brève nouvelle Le port de Guy de Maupassant publiée dans L’Écho de Paris le 15 mars 1889. L’action a été transposée de Marseille à Veracruz, avec l’ajout d’une première moitié qui montre comment Rosario en est arrivée là. La mujer del puerto a eu droit à deux remakes, en 1949 par Emilio Gómez Muriel et en 1991 par Arturo Ripstein.
Au niveau narratif, La mujer del puerto n’a guère d’intérêt, variation sans imagination du schéma instauré par le classique Santa de 1932 sur la déchéance d’une campagnarde naïve bannie de sa communauté, avec quelques chansons qui préfigurent le film de rumbera. La force de La mujer del puerto se situe au niveau visuel, avec une somptueuse photographie qui joue sur les clairs-obscurs. Arcady Boytler, ami de Sergueï Eisenstein qu’il côtoya au Mexique durant la production de ¡Que viva México! (1932/1979), effectue un montage rapide à la soviétique, avec surimpressions et gros plans. Il limite les dialogues au maximum et glamourise la comédienne Andrea Palma, qu’il transforme en Dietrich brune. Cela fait de La mujer del puerto un mélodrame mexicain à la von Sternberg esthétiquement splendide, qui vaut le coup d’œil dans sa version restaurée de 2013 si on n’est pas trop regardant sur le scénario.
A noter un plan fugitif sur une poitrine nue, peut-être le premier du cinéma mexicain.


Petualangan Cinta Nyi Blorong de Sisworo Gautama Putra (1986, The Hungry Snake Woman)
Burhan, délinquant au chômage, tente de violer Karlina qui parvient à s’échapper et alerte la police. Il se sauve dans la forêt pour se rendre chez Nyi Blorong, une femme serpent capable de réaliser des vœux. En échange de la richesse demandée par Burhan, elle exige le massacre de trois femmes dont il devra sucer le sang et manger les seins. S’il échoue, il servira de sacrifice. La mission s’avérant plus complexe qu’escomptée, Burhan passe un pacte avec Nyi Lajang, ennemie mortelle de Nyi Blorong, qui lui explique comment neutraliser les pouvoirs de cette dernière.

The Hungry Snake Woman est une production de P.T. Soraya Intercine Films, une compagnie fondée en 1982 qui finança environ 70 films parmi lesquels figurent un grand nombre de nanars fameux comme La revanche de Samson (1987) ou Lady Terminator (1988). Je ne savais pas en démarrant le visionnage que The Hungry Snake Woman était le troisième volet d’une trilogie de Sisworo Gautama Putra, avec Suzzanna en Nyi Blorong. Reine de l’horreur du cinéma indonésien, Suzzanna fut une actrice emblématique du genre, héroïne du culte The Queen of Black Magic (1981). Dans The Hungry Snake Woman, elle apparaît en guest star avec un temps de présence à l’écran réduit en dépit de son double rôle.
Bien que je sois devenu en vieillissant assez critique sur l’utilisation du terme nanar, il est difficile de percevoir The Hungry Snake Woman autrement. C’est du gros bis qui tache, avec un montage sans queue ni tête, une histoire porte-nawak, des plans gratuits sur des poitrines dénudées ou recouvertes d’un voile transparent, des effets spéciaux kitsch et des scènes érotiques d’un ridicule qui frise la parodie. On sent le relâchement de la censure quand on compare aux titres sortis au début de la décennie, The Hungry Snake Woman ayant tout de même été interdit dans une province du pays pour sadisme et pornographie. Il mériterait amplement sa fiche sur nanarland, c’était d’une stupidité réjouissante et je compte me procurer les deux épisodes précédents.


消失的子彈 [Xiao shi de zi dan] de Chi-Leung Lo (2012, Le mystère des balles fantômes)
Accusée d’avoir volé du matériel dans une usine de fabrication de munitions, une employée est contrainte de jouer à la roulette russe avec le patron et se tire une balle dans la tête. Lorsqu’un contremaitre est abattu quelques temps plus tard, un trio de policiers débarque pour enquêter. Il est composé de Guo Zhui, un inspecteur local expérimenté ; de l’excentrique Song Donglu, récemment transféré ; et de la nouvelle recrue Xiaowu. Ils se heurtent rapidement aux secrets et à la corruption généralisée qui règne en ville.

Le mystère des balles fantômes est un bon exemple de récupération du savoir-faire de Hong Kong par la Chine continentale. Situé dans la Chine républicaine et tourné à Shanghai par le Hongkongais Chi-Leung Lo avec les vedettes Ching-Wan Lau (Song Donglu) et Nicholas Tse (Guo Zhui), il a bénéficié d’un budget conséquent et a obtenu un beau succès. C’est une espèce de version chinoise du Sherlock Holmes de Guy Ritchie (2009) avec Guo Zhui en Sherlock/homme d’action et Song Donglu en Watson/gars qui fait des expériences, Song Donglu/Watson étant toutefois le personnage principal moteur de l’investigation. Le mystère des balles fantômes est plutôt plaisant, c’est techniquement impeccable, le récit profite de la maîtrise hongkongaise du genre et des moyens chinois, avec des interprètes excellents, en particulier l’incontournable Ching-Wan Lau abonné aux rôles de flic plus ou moins borderline depuis les années 90 dans des classiques de Johnnie To ou Ringo Lam. Ça n’apporte clairement rien de neuf, c’est monté de manière très traditionnelle et on est loin des chefs d’œuvre HK des années 90, mais ça demeure distrayant et j’étais content de revoir Ching-Wan Lau.


海角七號 [Haijiao qi hao] de Te-Sheng Wei (2008, Cape No. 7)
Dégouté par sa vie à Taipei, Aga rentre dans sa région natale, dans la petite ville de Hengchun dans le sud de l’île. Il s’installe chez sa mère, remariée après le décès de son père avec un conseiller municipal franc du collier. Celui-ci trouve à Aga un boulot de postier, remplaçant du vieux Mao qui continuait ses tournées à 80 ans. Dans le courrier à distribuer, Aga trouve un colis pour une certaine Tomoko qui n’habite plus à l’adresse indiquée. Il l’ouvre et tombe sur des lettres d’amour écrites en 1945 par un Japonais rapatrié dans son pays à la fin de la guerre. En parallèle, une mannequin japonaise est chargée par son agence de rester à Hengchun pour organiser un concert. La municipalité a imposé la présence d’un groupe local mené par Aga, avec qui elle va vite se chamailler.

Cela fait des années que je lis des livres soulignant l’importance de Cape No. 7, le plus récent étant Rétro Taiwan – Le temps retrouvé dans le cinéma sinophone contemporain, et il fallait que je le regarde un jour en dépit de mes appréhensions à son sujet. Immense succès en 2008, Cape No. 7 prouva la viabilité d’une production locale populaire, loin du style auteurisant du Nouveau Cinéma des années 80-90 qui n’attirait pas les foules. Mélangeant dialogues en mandarin, en dialecte min et en japonais, tourné dans des décors de carte postale sans star à l’affiche, ce feel-good movie au scénario convenu cartonna au box-office, deuxième meilleur score de l’Histoire à Taïwan derrière Titanic (1997).
Je craignais une comédie romantique guimauve gentiment révisionniste. C’est effectivement le cas, avec une vision très idéalisée d’une bluette nippo-taïwanaise durant la période de la colonisation japonaise, et une histoire d’amour franchement tarte entre le rebelle taïwanais et la Japonaise qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. De façon peu subtile, le triomphe de leur amour symbolise la réconciliation des peuples. A cela s’ajoutent l’habituelle opposition grande ville/campagne, le héros ayant fui Taipei pour retrouver le sens des valeurs et de la communauté ; et un paquet de stéréotypes ethnico-régionaux (que je reprends de l’ouvrage de Mathieu Kolatte) avec le flic d’origine aborigène porté sur la bouteille, le vendeur d’alcool Hakka marchandeur, les gens du Sud roublards et le mec de Taipei hautain. C’est filmé d’une manière lisse et consensuelle, avec des acteurices au physique avantageux et de la musique pop standardisé, si ce n’est l’addition anecdotique d’instruments autochtones pour montrer qu’on a des traditions dis donc. Pour être honnête, ce n’était en réalité pas trop pénible quand on tolère la comédie romantique ultra-facile, c’est juste que c’était idéologiquement douteux et que j’aurais tout oublié dans quelques semaines.


Livres
Romanji d’Hugues Micol (Cornélius, collection « Pierre », 2015), 160 p.
Un homme traqué ouvre une valise et mange un poisson. Des nageoires lui poussent dans le dos. Des flics ou des gangsters commencent à lui tirer dessus, les balles le dérangent sans l’arrêter, il s’enfuit poursuivi par un individu tenace. Les évènements semblent liés à un trafic illégal de poissons magiques.

Romanji est un essai graphique d’Hugues Micol, qui lui a permis de faire son apprentissage en testant des techniques de dessin. Je n’en aurais probablement jamais entendu parler si ma copine ne l'avait pas trouvé en parfait état dans la rue. Initialement paru en 2001 chez Cornélius sous le titre de 3, il a été suivi par Séquelles en 2008 et Tumultes en 2015, qui enrichissent l’univers en le complexifiant. Pour la sortie de Tumultes, Cornélius a réédité les deux premiers tomes en renommant 3 Romanji.
Romanji consiste en un enchaînement de course-poursuites sans aucune parole, dans une ville rétro-futuriste sino-japonisante. On ne comprend pas bien les tenants et aboutissants, des incidents extraordinaires surviennent sous le regard blasé de la population, il faut se laisser porter par le dynamisme du graphisme sans se creuser la tête. C’est insuffisant pour ma part, j’ai besoin d’une intrigue pour apprécier une BD. Cela a tout de même piqué ma curiosité et je récupèrerai peut-être Séquelles à l’occasion.

Rétro Taiwan – Le temps retrouvé dans le cinéma sinophone contemporain de Corrado Neri (L’Asiathèque, collection « Études formosanes », 2016), 368 p.
Dans Rétro Taiwan – Le temps retrouvé dans le cinéma sinophone contemporain, le chercheur en Histoire culturelle chinoise Corrado Neri s’interroge sur la manie rétro dans le cinéma taïwanais contemporain, une passion pour le passé récent qui irrigue les scénarios. Déjà vivace dans le Nouveau Cinéma des années 80-90, le rétro a explosé à la suite du triomphe de Cape No. 7 (2008), immense succès populaire qui relança une industrie cinématographique taïwanaise moribonde. Après une longue introduction qui lui permet de définir son sujet, Corrado Neri divise son étude en sept chapitres :
Le rétro d’auteur : mémoire personnelle et mémoire collective chez Hou Hsiao-hsien et Edward Yang examine la manière dont les deux réalisateurs phare du Nouveau Cinéma taïwanais, Hou Hsiao-hsien et Edward Yang, manipulaient le rétro, notamment dans Three Times (2005) et A Brighter Summer Day (1991).
Cinéma et histoire : Mémoire personnelle et mémoire collective dans le cinéma commercial contemporain se penche sur le cas du cinéma commercial des années 2000-2010, qui se sert du rétro pour titiller la nostalgie et flatter la fibre nationaliste.
Échos des contestations montre qu’il existe cependant des œuvres dans ces deux décennies qui ne se contentent pas d’exploiter une vision lisse du rétro mais tentent également de faire réfléchir le spectateur en rappelant les contestations historiques et en questionnant le présent.
• Les trois chapitres suivants, Nostalgie, citations et fétichisme dans le cinéma autoréférentiel, Monstres et vampires et Les superhéros du monde sinophone abordent le thème du rétro à travers le prisme du genre : films de gangsters ou d’action, comédie musicale, films d’horreur ou de super-héros.
Écrans passés, dispositifs futurs : Tsai Ming-liang entre cinéma et installation regarde enfin comment un artiste intello réputé, Tsai Ming-liang, déconstruit le rétro.
Il ne faut pas escompter de Rétro Taiwan – Le temps retrouvé dans le cinéma sinophone contemporain un panorama historique du cinéma taïwanais à la façon de l’excellent Le cinéma taïwanais – Son histoire, ses réalisateurs et leurs films de Matthieu Kolatte. On est ici dans un ouvrage universitaire avec une problématique précise, qui décortique l’utilisation du rétro à partir d’une liste réduite de titres sortis majoritairement au début des années 2010. Corrado Neri emploie une approche transnationale, en comparant essentiellement avec la Chine continentale qui possède une culture proche et où la mode rétro est aussi forte. Quand il se plonge dans des exemples concrets, ses raisonnements sont instructifs et donnent envie de voir/revoir les opus analysés à la lumière des explications. Les parties théoriques sont en revanche assez ampoulées, bourrées de jargon et de citations pas toujours éclairantes. Ce souci limite Rétro Taiwan – Le temps retrouvé dans le cinéma sinophone contemporain à un public coutumier des textes universitaires, les autres risquant de décrocher rapidement.

Contes et récits de Corée Tome III – Truands, veuves et fantômes traduit et commenté par Han Yumi et Hervé Péjaudier (Imago, collection « Scènes coréennes », 2021), 160 p.
Ce troisième et dernier livre de la trilogie Contes et récits de Corée a pour sous-titre Truands, veuves et fantômes, un choix discutable étant donné qu’il n’y a pas de truands et un unique fantôme. J’aurais plutôt dit Musiciens, servants, veuves et comédies. Il est composé de quinze brefs récits :
Le prince des gueux et le maître de musique (5 pages) : Le prince des gueux ordonne à un maître de musique fameux de venir jouer à un banquet de miséreux.
Kim Seong-Gi, le musicien qui pêchait à la ligne (3 pages) : Un vieux musicien n’a pas peur de rebuffer un intrigant.
Yu U-Chun, le virtuose du haegeum (8 pages) : Un artiste se plaint du manque de goût de ses semblables.
Maître Hong, mort de faim (2 pages) : Un lettré refuse de continuer à pratiquer la mendicité pour survivre.
Jang Bok-Seon, un preux d’aujourd’hui (5 pages) : Un administrateur n’hésite pas à utiliser l’argent public pour soulager les nécessiteux, au risque de sa vie.
La promesse violée (7 pages) : Un noble promet de prendre pour concubine une fille de marchand mais tarde à honorer sa parole.
Heui-Do, ou l’honnêteté récompensée (12 pages) : Quand son maître déchoit, un domestique est sauvé par son irréprochable honnêteté.
Makdong, l’ancien domestique (12 pages) : Le serviteur d’une famille en voie d’appauvrissement s’enfuit et parvient à changer de classe en mentant sur son origine.
En balayant la neige, ou les vraies valeurs (9 pages) : Un fils de gouverneur est prêt à tout pour retrouver sa gisaeng adorée.
Le père offre un conjoint à sa fille veuve (3 pages) : Un ministre fait passer sa fille veuve pour morte afin de lui permettre de se remarier.
Dame Pak, la veuve vertueuse (8 pages) : Une mère expose à ses fils adultes la technique qu’elle avait développé pour respecter le célibat après la mort de leur père.
Les derniers mots de la veuve (8 pages) : Une matriarche met en garde ses enfants sur la difficulté de rester veuve.
Le colosse qui aimait la lutte (8 pages) : Un moine tyrannique est provoqué en duel de lutte par un maigrichon dont il convoite l’épouse.
Comment un revenant se joue de la famille Sim (7 pages) : Un fantôme s’incruste chez la famille Sim et leur pique leurs maigres ressources.
Les vœux des trois lettrés (5 pages) : Trois hommes expriment au maître des cieux leurs souhaits pour leur prochaine réincarnation.
Ce troisième volume a moins de cohérence que les deux précédents, c’est un patchwork d’histoires diverses regroupées un peu arbitrairement. On continue à naviguer dans le domaine de la biographie romancée ou de la légende davantage que du conte, à l’exception de Heui-Do, ou l’honnêteté récompensée qui est la nouvelle que j’ai préférée en raison de ses touches de merveilleux. En balayant la neige, ou les vraies valeurs est une variante resserrée de Fée à la flûte de jade présent dans le tome II. J’ai apprécié les chapitres sur les veuves, qui ne devaient pas se remettre en couple au décès de leur mari et qui étaient contraintes d’adopter des stratagèmes pour résister à la tentation ou contourner la règle. Les trois derniers récits sont humoristiques et apportent un certain renouveau, on aurait pu avoir un quatrième volume centré sur des textes légers de ce type.
Au final, c’est une trilogie passionnante qui aide à appréhender la culture coréenne d’avant la colonisation japonaise à travers des histoires courtes et pas prises de tête, agrémentées de notes explicatives enrichissantes et accessibles. Bien que l’emploi du mot « contes » dans le titre ne soit pas adapté, cette trilogie est très recommandable dans l’ensemble, le tome I étant selon moi le meilleur.


Revues
Mad Movies n°398 – Novembre 2025
Encore un dossier sur Avatar, je l’ai sauté sans y jeter un œil. Idem pour leur preview sur Gibier, ça me gonfle les previews.

Pas grand-chose du côté des sorties. La rédaction a aimé Bugonia de Yórgos Lánthimos (2025), remake de l’excellent Save the Green Planet! (2003), je préfèrerai revoir l’original que de me taper du Lánthimos… Que ma volonté soit faite de Julia Kowalski (2025), film de sorcière dans la campagne française, semble plus intéressant, de même que The Shadows’s Edge (2025) dans lequel Jackie Chan se frotte au polar noir à la hongkongaise. Et c’est tout, la ressortie de Tenshi no Tamago de Mamoru Oshii (1985, L’œuf de l’ange) ne me vendant pas du rêve, j’avais été franchement déçu quand je l’avais vu il y a une vingtaine d’années.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire