samedi 25 octobre 2025

Carnet de bord 18/10/2025-24/10/2025



Films vus en compagnie
Quand vient l'automne de François Ozon (2024)
Michelle se réjouit que sa fille Valérie et de son petit-fils Lucas viennent passer quelques jours de vacances dans sa maison en Bourgogne. Si la relation avec Valérie est tendue, Lucas adore sa grand-mère. Dès leur arrivée, Michelle leur sert une poêlée de champignons que Valérie est seule à manger. Elle subit une grave intoxication et est emmenée à l’hôpital. Remise sur pied, elle repart à Paris avec Lucas en jurant à sa mère qu’elle ne reviendra plus. Peu après, le fils de Marie-Claude, la meilleure amie de Michelle, sort de prison. Michelle l’aide à se réinsérer en l’employant dans son jardin.

Je connais mal François Ozon, dont j’ai dû voir uniquement Huit femmes (2001) il y a longtemps et que je n’avais pas aimé. Quand vient l'automne ne m’attirait pas mais ma copine voulait le regarder parce qu’il y avait des champignons. Enorme déception sur ce point : il n’y a qu’une cueillette au début, on nous fait croire qu’un bolet Satan est potentiellement mortel (ce qui est faux), et François Ozon a osé déclarer « Quand on cuisine des champignons, est-ce qu’on n’a pas, plus ou moins consciemment, envie de se débarrasser de quelqu’un ? ». Le reste est à l’avenant, avec un féminicide qui ne gêne pas grand monde et une source de rancœurs plutôt moisie. C’est dommage car Hélène Vincent et Josiane Balasko sont convaincantes en mères défaillantes. Dans le genre film français avec un gars inquiétant qui s’installe chez une vieille et va aux champignons, mieux vaut se rabattre sur Miséricorde d’Alain Guiraudie (2024).


Scrooge de Ronald Neame (1970)
Ebenezer Scrooge est un vieil usurier avare et grincheux. Le soir du réveillon de Noël, il consent avec réticence à accorder à son employé Bob Cratchit un jour de congé et une prime. Après sa tournée des débiteurs, il rentre dans sa grande demeure sombre et froide. Tandis qu’il mange seul son bouillon devant la cheminée, le fantôme de son ancien associé Jacob Marley apparaît soudainement. Il affirme être damné et avertit Scrooge qu’un sort similaire l’attend s’il ne se réforme pas. Il le prévient que trois esprits viendront le visiter, les esprits des Noël passé, présent et futur, qui lui laisseront une ultime opportunité de rédemption.

La version que je préfère du Chant de Noël de Charles Dickens est celle de Disney avec Mickey et Picsou, Mickey's Christmas Carol (1983), diffusé à la télévision quand j’étais jeune en 1987 et 1993. J’ai vu ensuite d’autres adaptations qui ne m’ont pas autant marqué. En 26 minutes, Mickey's Christmas Carol résume les principaux moments du livre sans s’égarer dans les détails. En 1h53, ce Scrooge de 1970 ne raconte pas grand-chose de plus. Il ajoute toutefois un volet musical et a été produit dans la lignée de l’excellent Oliver! (1968) bourré de chansons mémorables. Sans être désagréable, Scrooge ne réitère pas la réussite d’Oliver!. A part Thank You Very Much, il n’y a pas de chansons catchy, ni Albert Finney en Scrooge ni Alec Guinness en Marley ne m’ont enthousiasmé et il y a des longueurs. Ma référence continue donc d’être Mickey's Christmas Carol.


Intacto de Juan Carlos Fresnadillo (2001)
Federico travaille dans le casino du riche Samuel Berg, un homme doté d’une chance surnaturelle, où il est chargé de toucher les joueurs trop veinards pour leur subtiliser leur chance. Voulant s’émanciper, il essaye de s’éclipser discrètement mais est repéré par Samuel qui lui enlève son pouvoir. Sept ans plus tard, Federico cherche des personnes anormalement chanceuses pour participer à des jeux de hasard dans l’espoir de former un individu capable de concurrencer Samuel. Lorsqu’il tombe sur Tomás, un braqueur de banques unique rescapé d’un accident d’avion, il estime avoir trouvé la perle rare.

Pour son premier long métrage, l’Espagnol Juan Carlos Fresnadillo imagine un univers légèrement fantastique dans lequel la chance serait un don dont chacun dispose en quantité variable, que l’on peut faire fructifier ou qui peut être volé. Choqué par le crash aérien de deux Boeing 747 dans sa ville natale de Tenerife en 1977, il construit une intrigue autour d’un miraculé. Il pioche par ailleurs chez Primo Levi le thème de la culpabilité du survivant, qu’il applique au personnage de Samuel Berg. Le résultat est bancal, j’ai eu l’impression que Juan Carlos Fresnadillo ne savait pas quoi faire de son intéressant concept, se perdant dans une succession de scènes anecdotiques et dans une multitude de protagonistes à qui il tente de donner de la profondeur à travers des dialogues artificiels. Le summum est atteint quand le mystérieux Samuel Berg (Max von Sydow qui passait par là) se met à raconter sa vie à un inconnu juste pour que le spectateur comprenne son traumatisme d’avoir survécu aux camps d’extermination. C’est extrêmement mal amené et assez représentatif de l’ensemble qui a fini par m’ennuyer.


It Happened Tomorrow de René Clair (1944, C'est arrivé demain)
Lawrence Stevens est journaliste au Evening News. Abonné à la rubrique nécrologique, il rêve d’écrire des nouvelles sensationnelles en première page. En rentrant chez lui, il croise son vieux collègue Pop Benson qui lui confie un numéro de l’Evening News. Lawrence réalise au matin que c’est le journal du lendemain soir, qu'il a récupéré avec 24 heures d'avance. Il recopie son article futur et va assister à un hold-up dans un théâtre avec Sylvia, la belle nièce d’un faux devin rencontrée la veille. Le rédacteur en chef est ravi de son compte-rendu tandis que la police se demande comment il a pu être au courant de l’évènement et le soupçonne d’être le complice des malfaiteurs.

Fin juin 1940, René Clair quitta la France pour les Etats-Unis avec femme et enfant. Il fut bien accueilli et tourna quatre opus : The Flame of New Orleans (1941), I Married a Witch (1942), It Happened Tomorrow (1944) et And Then There Were None (1945). Pour It Happened Tomorrow, il hérita d’un projet de Frank Capra occupé par l’effort de guerre. Celui-ci avait acheté un scénario à deux auteurs puis avait découvert que l’idée d’un journal du lendemain était également présente dans une pièce de Lord Dunsany, dont il avait acquis les droits pour éviter tout souci juridique. Avec le concours de Dudley Nichols, René Clair modifia sensiblement l’histoire pour la transformer en une aimable comédie fantastique, sa spécialité. Pensant au départ à Cary Grant, il obtint à la place Dick Powell, qui souhaitait de se défaire de son image de jeune premier et allait bientôt se lancer dans une série de films noirs. Il est épaulé par Linda Darnell en Sylvia et par Jack Oakie en oncle de Sylvia.
Si ça aurait été clairement un cran au-dessus avec Cary Grant, It Happened Tomorrow demeure fort plaisant en dépit d’un démarrage poussif. Dick Powell est correct, en partie grâce à une jolie moustache (suffit de voir Errol Flynn, Jean Rochefort ou Francis Cabrel, ça aide la moustache), les protagonistes sont sympathiques et la dernière demi-heure est dynamique.
A noter que, selon ses concepteurs, la série TV Demain à la une (1996-2000) sur un gars qui reçoit tous les matins le journal du lendemain n’a pas été inspirée de It Happened Tomorrow.


Libahunt de Leida Laius (1968)
Un soir de fête, pendant que Margus est en train de s’amuser avec Tiina, Mari affirme publiquement que Tiina est une louve-garou. La phrase est reprise par les participants, Tiina s’enfuit dans la forêt et Margus ne parvient pas à la rattraper. Tiina n’est pas originaire du village. Enfant, à la mort de sa mère condamnée pour sorcellerie, elle avait été recueillie par la famille de Margus. Elle a toujours été regardée avec suspicion par les habitants, y compris par Mari avec qui elle jouait. Quand Margus a commencé à montrer une préférence pour Tiina, la jalousie de Mari a fait ressurgir ses peurs. Margus lui-même n’ose guère s’opposer à son père qui voudrait le marier à Mari et pas à une étrangère.

L’Estonienne Leida Laius dirigea six longs métrages et deux courts, essentiellement des drames avec des héroïnes fortes. Elle travailla durant les années 60 à 80 à Tallinnfilm, dans une Estonie sous occupation soviétique. Pour Libahunt, elle adapte une pièce réputée de 1911 de l’écrivain August Kitzberg en retirant la majorité des dialogues et en éclatant la narration au profit d’une ambiance contemplative, avec un montage et une musique avant-gardistes. A travers une succession de flash-backs, on comprend les relations entre Margus, Tiina et Mari, le poids des traditions et de la religion, et la peur de l’autre qui imprègne les campagnes. La photographie est superbe, mise en valeur par la restauration de 2012, et les interprètes, amateurs pour la plupart, sont convaincants. En coupant le dernier acte de la pièce, qui laissait planer un doute sur la lycanthropie de Tiina, Leida Laius a supprimé toute touche de fantastique, renforçant la noirceur du propos. Ce sont uniquement les préjugés et la mesquinerie qui créent le loup-garou, il n’y a aucune justification surnaturelle. Seul aspect qui m’a gêné, les conversations sont maladroitement postsynchronisées, avec un son trop clair qui donne l’impression d’un mauvais doublage de série TV ou d’un direct-to-video désargenté. On finit cependant par s’habituer. Si le style très auteurisant pourra rebuter, j’ai pour ma part accroché et je vais essayer de récupérer d’autres titres de Leida Laius.


Films vus seuls
南野陽子の時をかける少女 [Minamino Yôko no Toki o kakeru shôjo] de Masaru Takahashi (1985, La traversée du temps de Yôko Minamino)
Un étrange garçon appelé Kazuo apparaît devant deux lycéens, Kazuko et Goro. Après un moment d’incertitude, iels semblent le reconnaître comme un camarade de classe, petit-fils d’un couple de voisins. Le lendemain, Kazuko pénètre dans le labo de chimie de l'école, entend une fiole se briser sur le sol, sent une odeur de lavande et tombe inconsciente. Par la suite, à chaque fois qu’un objet se casse à proximité, elle remonte quelques secondes ou minutes dans le passé. Kazuo lui explique qu’il est un voyageur du temps de 2660 et qu’elle a acquis des capacités similaires. Kazuko se met alors à utiliser son pouvoir de façon anarchique pour aider son entourage.

La traversée du temps est un roman jeunesse culte de Yasutaka Tsutsui, publié en feuilleton de sept épisodes de novembre 1965 à mai 1966 dans deux magazines pour étudiants. Il a eu droit à de multiples adaptations à la télévision, au théâtre et au cinéma, celles de Nobuhiko Ôbayashi en 1983 et l’animé de 2006 de Mamoru Hosoda étant les plus fameuses. Cette mouture de 1985 diffusée par Fuji TV le 4 novembre dans le cadre de l’émission Getsuyô Drama Land servait à promouvoir la carrière d’actrice de l’idole et chanteuse Yôko Minamino.
Ce téléfilm mis en scène sans génie par l’obscur Masaru Takahashi est franchement fauché, avec une musique chelou et des effets spéciaux rudimentaires gentiment kitsch. Si le Nobuhiko Ôbayashi n’était pas un chef d’œuvre, il véhiculait néanmoins un climat nostalgique dont ce réalisateur est coutumier et une certaine émotion. Rien de tel ici, on est dans une production pour ados bas de gamme, qui tourne autour de blagounettes nasouilles et de situations cocasses portées par des comédiens sans charisme. On peut donc oublier cette version et se contenter des valeurs sûres.


Королевство кривых зеркал [Korolevstvo krivykh zerkal] d’Aleksandr Rou (1963, Au royaume des miroirs déformants)
Olia est une petite fille capricieuse qui n’écoute jamais ce qu’on lui dit. Quand sa grand-mère s’absente un soir, elle casse un pot de confiture et son chat Barsik entre soudain dans le miroir de l’entrée. Elle le poursuit et heurte son propre reflet qui se nomme Ialo. Olia et Ialo arrivent dans le royaume des miroirs déformants, où tous les miroirs renvoient le contraire de la réalité. Un garçon refuse de fabriquer ces objets qui faussent la perception et est emprisonné dans la Tour de la mort. Outrées, Olia et Ialo décident d’aller demander grâce au roi, un souverain incompétent manipulé par son Important Ministre.

Au royaume des miroirs déformants est à l’origine un roman pour enfants extrêmement populaire de Vitali Gubarev paru en 1951 (et non une version soviétique d’Alice de l'autre côté du miroir comme on pourrait le croire au départ). La transposition a été confiée au studio central Gorki de cinéma pour enfants et jeunes, sous la direction d’Aleksandr Rou, un spécialiste des contes et légendes. Pour incarner Olia et Ialo, les jumelles Olga Yukina et Tatyana Yukina furent sélectionnées après un long casting. Ce fut leur unique apparition à l’écran à l’exception d’un caméo dans Morozko (1965) également supervisé par Aleksandr Rou. Elles font le boulot, moins mauvaises que nombre de jeunes comédiens plus expérimentés. Le reste de la distribution surjoue raisonnablement, rien à voir avec l’insupportable Conte du temps perdu (1964) par exemple. Il n’y a pas de morale à deux sous ou de propagande relou, c’est un agréable conte mélangeant paysages de Crimée et décors de studio en carton-pâte sympathiques, avec des animaux et deux-trois chansons. Une jolie découverte.

半七捕物帖 三つの謎 [Hanshichi torimonochô - Mitsu no nazo] de Yasushi Sasaki (1960, Cases of Hanshichi)
L’inspecteur Hanshichi d’Edo doit résoudre trois affaires :
• La fille adoptive d’un riche marchand s’est pendue dans un temple. Son fantôme revient apparemment hanter la famille.
• Itaro, un joueur professionnel, est chargé d’attirer un vil individu en dehors de son école d’escrime. Ce dernier est assassiné mais Itaro clame son innocence.
• Un rônin tue un étranger pour défendre une servante agressée. Peu après, un gang raquette les boutiquiers avec la tête coupée du macchabée.
En 1916, à la lecture d’aventures de Sherlock Holmes, Kidô Okamoto eut envie de créer ses propres histoires de détectives. Plutôt que d’imiter les Occidentaux, il positionna l’action à l’ère Edo et inventa le policier Hanshichi. Entre 1917 et 1937, il écrivit de manière sporadique soixante-huit nouvelles dans le magazine Bungei Club puis dans Kodan Club (deux recueils compilant une sélection de textes ont été traduits en français aux éditions Philippe Picquier). Il fut un des précurseurs du genre et lança la mode des enquêteurs de l’époque Edo dont le représentant le plus fameux fut Zenigata Heiji. Porté à de multiples reprises au théâtre et à la télévision, Hanshichi fut boudé par le grand écran et ce Hanshichi torimonochô - Mitsu no nazo est à ma connaissance la seule transposition.
Par rapport à certains de ses confrères qui lui ont succédé, Hanshichi manque de personnalité, ses enquêtes se ressemblent beaucoup et sont dépourvues de piquant. La Toei a délégué l’adaptation à Yasushi Sasaki, qui avait déjà dirigé dans un style similaire neuf Bored Hatamoto. Le budget n’est pas élevé, tout a été tourné en studio avec une photographie plate et des costumes standards. Il y a en revanche une belle distribution avec un Chiezô Kataoka vieillissant en Hanshichi, Kôji Tsuruta en Itaro et une bande de seconds couteaux convaincants. Les intrigues, vaguement reliées entre elles, sont malheureusement faiblardes. On est donc dans le tout-venant de la Toei, que j’aurai probablement oublié dans quelques semaines.


Aventurera d’Alberto Gout (1950, Maison de rendez-vous)
Elena vit dans une maison bourgeoise à Chihuahua avec ses deux parents. Un jour en revenant d’un cours de danse, elle surprend sa mère en train d’embrasser un ami de la famille. Cette dernière quitte leur foyer dans la foulée et son père se suicide. Désespérée, Elena déménage à Ciudad Juárez et cherche du travail. A chaque fois qu’elle obtient un emploi, elle est harcelée par son patron, un collègue ou un client et doit démissionner. Elle tombe par hasard sur Lucio, une ancienne connaissance de Chihuahua qui lui promet un boulot de secrétaire pour une tenancière de cabaret. Il la vend en réalité comme prostituée, elle est droguée, violée et ne peut repartir sous peine d’être défigurée au couteau. En dépit de cette série d’infortunes, elle garde la tête haute et ne se laisse pas abattre.

Le film de rumbera (dérivé du mot rumba) fut un genre emblématique du cinéma mexicain des années 40-50, des mélodrames musicaux centrés sur des artistes de cabarets mal famés souvent liés à la prostitution. Si le thème de la déchéance d’une femme dans la prostitution était à la mode depuis Santa (1932), le cine de rumberas y ajouta un volet musical. Alberto Gout fut à l’origine de sa popularisation avec Humo en los ojos en 1946, et lui offrit ses lettres de noblesse à travers la trilogie scénarisée par Alvaro Custodio avec Ninón Sevilla : Aventurera (1950), Sensualidad (1951) et No niego mi pasado (1952). Aventurera est a priori le meilleur des trois et comporte tous les éléments classiques de la rumbera, avec cinq chansons et trois numéros dansants d’envergure mettant en avant la sensualité de Ninón Sevilla.
En tournée au Mexique, la Cubaine Ninón Sevilla fut repérée par Pedro Arturo Calderón et engagée par les Producciones Calderón. Ses six collaborations avec Alberto Gout firent d’elle une star et elle fut appréciée dès 1952 par la critique française pour qui elle représentait le summum de l’érotisme en raison de ses danses lascives (ça m’a pourtant paru très gentillet dans Aventurera, avec un numéro qui m’a évoqué Carmen Miranda). J’ai surtout été étonné par la force de caractère de son personnage. Ce n’est pas une pauvre victime qui subit les malheurs, elle réagit et se venge au centuple de ce qu’on lui a infligé, n’hésitant pas à écraser des innocents sur son chemin. Alors qu’Aventurera est par bien des aspects un pur mélodrame, cette héroïne à la morale discutable me semble aller à l’encontre des clichés. S’il existe des femmes fortes dans le cinéma américain, me signale un ami spécialiste du sujet, à l’image de certains rôles de Bette Davis, Joan Crawford ou Barbara Stanwyck, elles ne sont pas aussi vindicatives ou amorales. Il n’y a guère que dans le pré-code qu’on trouve des exemples approchants. Cela rend en tout cas Aventurera assez fascinant et curieusement féministe à sa façon, une sorte de film noir du point de vue de la femme fatale avec une conclusion impensable dans un équivalent hollywoodien, qui me pousse à récupérer les autres opus du trio Sevilla/Gout/Custodio.


霧笛 [Muteki] de Minoru Murata (1934, Corne de brume)
Dans la colonie étrangère de Yokohama, tout le monde craint le terrible Cooper, un Occidental qui amène ses ennemis sur son bateau dans les eaux extraterritoriales pour les tuer. Une petite frappe bravache, Chiyokichi, tente de lui voler son portefeuille. Il échoue et tombe sous le joug de Cooper, qui en fait son domestique. Fort comme un bœuf, Chiyokichi se construit rapidement une réputation dans le quartier. Il est remarqué par la belle Ohana, qui devient son amante. Chiyokichi ignore qu’elle est déjà la concubine de Cooper.

Fils d’une famille bourgeoise, Minoru Murata fut d’abord passionné de théâtre shingeki et monta sa troupe en 1912. Il s’orienta ensuite vers le cinéma et devint en 1920 élève de Kaoru Osanai dans la première école d’acteurs créée par la Shôchiku. Il y mit en scène quatre films dont Âmes sur la route (1921), qui attira l’attention des intellectuels avec son montage parallèle à la Intolerance (1916) et ses expérimentations visuelles. Aucun des quatre ne trouva cependant son public, l’école d’Osanai fut dissoute et Minoru Murata partit à la Nikkatsu. Il y rencontra enfin le succès avec des drames sentimentaux mélangeant des intrigues japonaises à un style hollywoodien. A la suite d’un conflit interne avec la direction, il quitta la Nikkatsu en 1932 et travailla pour divers petits studios, à l’instar de Shinkô Kinema (une filiale de la Shôchiku) qui produisit Muteki. En 1936, il cofonda le premier syndicat des réalisateurs, fut élu président et s’y consacra jusqu’à son décès pour cause de maladie en 1937 à l’âge de 43 ans. Souvent comparé à Mizoguchi, la qualité de son œuvre est difficile à évaluer car il ne reste que deux opus sur la cinquantaine qu’il a dirigés, situés chacun à un bout de sa carrière : Âmes sur la route et Muteki.

Muteki est tiré du roman éponyme de Jirô Osaragi paru en feuilleton en 1933 dans le Tôkyô Asahi Shinbun. Il met en vedette un Ichirô Sugai grimé en Cooper, Eiji Nakano en Chiyokichi et Akiko Shiga en Ohana. Figure incontournable du muet, Ichirô Sugai joua pour tous les grands noms du cinéma japonais jusqu’à sa mort en 1973, apparaissant dans plus de 300 titres. A l’inverse, Eiji Nakano ne parvint pas à prendre le virage du parlant et pris sa retraite à 35 ans en 1939. Abonnée aux femmes fatales, Akiko Shiga vit sa carrière écourtée par son arrestation pour avortement en 1935, opération illégale à l’époque. C’est d’autant plus dommage qu’elle avait un jeu très moderne (ce qui également le cas d’Eiji Nakano), elle m’a un peu fait penser à Mariko Okada.
Techniquement, Muteki rappelle le cinéma hollywoodien de la fin des années 20, notamment le Josef von Sternberg de The Docks of New York (1928) avec son Yokohama de studio, ses bas-fonds plongés dans l’obscurité et sa photographie contrastée. Minoru Murata utilise intelligemment les gros plans, les travellings et autres procédés novateurs pour le Japon. L’accompagnement au piano de Camille El Bacha proposé par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé pour la projection collait à l’ambiance. Si je déplore la nécessité pour des questions pratiques et de coût d’embaucher des pianistes issus de classe d’improvisation qui ne regardent pas les films au préalable, j’admets qu’il s’est bien débrouillé. Scénaristiquement en revanche, qu’est-ce que c’était tarte, du mauvais drame aux artifices éculés, avec un paquet de clichés, de sacrées longueurs, une bonne dose de xénophobie (compréhensible au XIXe siècle mais moins pardonnable en 1933 dans un contexte différent) et une touche de blackface en bonus. Muteki vaut donc essentiellement pour son importance historique en tant qu’exemple unique de Murata tardif et pour sa technique. Il existe un remake de la Tôhô de 1952 avec Toshirô Mifune et Shirley Yamaguchi, pas sûr que j’ai envie de le voir.


Livres
Le chant d’Apollon d’Osamu Tezuka (Kana, collection « Sensei », 2019), 576 p.
Shogo Chikaishi est un jeune homme cruel qui adore tuer les animaux. Interné dans un hôpital, il affirme mépriser l’amour en raison de sa mère qui le détestait et l’obligeait à appeler « papa » tous ses amants. Quand il reçoit des électrochocs administrés pour le guérir, il s’évanouit et se réveille devant la statue d’une déesse grecque. Elle le condamne à un cycle de réincarnations infernal : à chaque fois qu’il parviendra à s’attacher à une femme, elle devra mourir avant qu’ils puissent concrétiser leur amour. Qu’il soit un officier nazi durant la Seconde Guerre mondiale, un pilote d’avion échoué sur une île, un malade en fuite ou un assassin dans le futur, il ne peut échapper à ce sort funeste.

Le chant d’Apollon fut publié en trois parties dans le magazine Weekly Shônen King entre avril et novembre 1970, à un moment où l’éducation sexuelle pour les enfants n’était plus taboue et où Tezuka testait des thématiques adultes, influencé par le gekiga malgré son rejet du terme et par L’école impudique de Gô Nagai. Pour le héros Shogo Chikaishi, il s’inspira de la jeunesse désabusée et radicalisée de la fin des années 60, qui n’avait plus d’espoir en l’avenir. Le résultat est, selon moi, ce qui se fait de pire dans le style Tezuka moralisateur. Les protagonistes sont extrêmement simplistes, les femmes sont perverses ou destinées à aimer le héros à la folie, le discours écologique est primaire et la répétition du schéma narratif est franchement lassante sur 540 pages. L’ouvrage s’achève par la nouvelle Poème du bazar d’une vingtaine de pages sur les mouvements étudiants qui ne m’a pas davantage convaincu.


Japanese Films: A Filmography and Commentary, 1921-1989 de Beverley Bare Buehrer (McFarland & Co, 1990), 328 p.
Japanese Films: A Filmography and Commentary, 1921-1989 a été écrit en 1990 par une Américaine passionnée de cinéma japonais. Elle propose des critiques de 86 longs métrages produits entre 1921 et 1989. Chacune d’entre elles comprend l’année de sortie, le studio, la durée, un bloc sur la distribution (à la fois l’équipe technique et les interprètes), un résumé complet de l’intrigue et un commentaire qui apporte en général des précisions sur le réalisateur, les principaux acteurices, la réception de l’œuvre au Japon et à l’étranger, des anecdotes et un bref avis. L’autrice s’est concentrée sur des titres réputés diffusés en VHS aux Etats-Unis, ce qui explique la prédominance de classiques. Cinq metteurs en scène totalisent ainsi 43% des références : Akira Kurosawa (14), Kenji Mizoguchi (8), Yasujiro Ozu (5), Mikio Naruse (5) et Nagisa Oshima (5).

J’aime lire des vieux bouquins sur le cinéma japonais, qui fournissent des perspectives différentes de ce que l’on peut entendre aujourd’hui. Beverley Bare Buehrer n’est pas une experte reconnue, c’est une amatrice qui offre l’équivalent de critiques de blog de nos jours, à l’image de ce que je fais ici si ce n’est qu’elle spoile à fond les ballons et que le pavé technique est dorénavant obsolète avec internet. Elle a effectué un remarquable travail de compilation des sources anglophones, avec une bibliographie conséquente citée en conclusion de l’ouvrage. Ayant vu 84 des 86 films mentionnés et compte tenu du nombre de livres que j’ai déjà lus sur le sujet, je n’ai pas appris grand-chose. C’était néanmoins bien documenté et agréable à lire, et je n’ai pas noté de grosses erreurs excepté quelques coquilles sur des dates. C’est une bonne entrée en la matière pour un néophyte en dépit de son âge, le curieux pourra se reporter à une version en ligne disponible sur Archive.org.


Paddington Races Ahead de Michael Bond (Harper Collins, collection « The Classic Adventures of Paddington Bear – The Complete Collection », 2019), 175 p.
Dans ce treizième volume, Paddington cherche un cadeau pour M. Curry qui prétend que c’est son anniversaire, tente de monter seul dans le bus, nettoie sa chambre, croise un journaliste qui le prend pour un grand sportif, bénéficie d’un cours de gymnastique gratuit, essaye de faire voler un cerf-volant et tourne un film pour la maison de retraite des ours de Lima.

Paddington Races Ahead a été publié en 2012. Michael Bond avait 86 ans, ce n’est pas à cet âge qu’il va se mettre à innover. Il déroule sans se fatiguer les habituelles péripéties et quiproquos. Même les illustrations ont perdu de leur charme. Depuis Paddington Here and Now, la dessinatrice historique Peggy Fortnum, d’un âge vénérable (elle est née en 1919, sept ans avant Michael Bond), est assistée d’un certain R.W. Alley. Cela se ressent, le beau crayonné a cédé la place à un rendu plus lisse et enfantin. Encore deux tomes, courage.


Revues
Mad Movies n°397 – Octobre 2025
Pas de gros dossier ce mois-ci pour un numéro centré sur l’actualité, excepté quelques pages dédiées à la carrière de S.S. Rajamouli à l’occasion de la sortie en version remastérisée IMAX de La légende de Baahubali (2015/2017) en un unique épisode de 3h44.

La couverture est consacrée au Frankenstein de Guillermo del Toro. La rédaction est divisée mais le seul avis détaillé est malheureusement dithyrambique. J’aurais préféré avoir un pour/contre comme ils font parfois. A part ça, le Néo-zélandais Grafted (2024) sur une étudiante qui se greffe des visages a l’air intéressant ; idem pour le probablement bancal Stopmotion (2023), sur une animatrice de stop motion avec des problèmes psychologiques ; ou pour le thriller algérien Alger (2024), qui bénéficie d’une critique enthousiaste. J’ai en revanche des doutes sur Black Phone 2 (2025) qui semble très Freddy-esque, sur L'homme qui rétrécit (2025) de Jan Kounen avec Jean Dujardin en dépit d’une évaluation favorable, et sur The Surfer (2024) avec Nicolas Cage.


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