samedi 13 décembre 2025

Carnet de bord 06/12/2025-12/12/2025



Films vus en compagnie
Seven Angry Men de Charles Marquis Warren (1955, Sept hommes en colère)
En 1855, l’abolitionniste John Brown s’installe dans un Kansas en proie à une quasi-guerre civile entre les pro et les anti-esclavage. Il veut faire du Kansas un Etat libre et organise une communauté susceptible d’influencer les élections. Il est entouré pour l’épauler dans sa tâche de six de ses fils, dont le beau Owen qui vient d’arriver par le train. Durant le trajet, ce dernier a rencontré Elizabeth Clark, une femme à poigne qui doute du bien-fondé de la mission de son père qu’elle juge extrémiste. John Brown est en effet persuadé d’être guidé par Dieu et écrase quiconque lui barre le chemin.

John Brown est un personnage polémique de l’Histoire américaine, salué pour son combat contre l’esclavage mais critiqué pour son fanatisme, martyr pour les uns ou terroriste pour les autres. Bien que fortement romancé, avec un point de vue centré sur Owen Brown, la première moitié de Seven Angry Men est réussie. Face à des adversaires n’hésitant pas à détruire et à tuer, on comprend l’attitude de John Brown tout en se questionnant sur ses méthodes. La deuxième moitié est moins convaincante. John Brown devient le méchant, les enjeux sont confus et on a perdu certains des protagonistes les plus intéressants, notamment le fils fébrile.
Le généralement fadasse Jeffrey Hunter fait ici le boulot, ainsi que Debra Paget malgré leur absence d’alchimie. Sous contrat avec la MGM, iels avaient été prêté·e·s à Allied Artists Pictures, un studio de la Poverty Row, pour les besoins du film. Après La piste de Santa Fe en 1940, Raymond Massey interprète de nouveau John Brown. Habitué de la série B, il campe un John Brown intransigeant qui n’incite guère à la sympathie. Je remarque également la présence au second plan de James Edwards, excellent acteur noir qui parvint à s’extraire des archétypes dans des rôles malheureusement souvent rachitiques. Seven Angry Men est au final un western assez original sur une période rarement traitée, qui mérite le coup d’œil en dépit de ses défauts et de ses raccourcis historiques.


Murder by the Book de Steven Spielberg (1971, Columbo : Le livre témoin)
Ken Franklin et Jim Ferris forment un célèbre duo de romanciers, créateurs d’une vieille enquêtrice nommée Mme Melville. Jim se charge de l’écriture et Ken assure la promotion et les aspects marketing. Quand Jim rompt leur collaboration pour continuer en solo sur des sujets sérieux, Ken voit son univers de playboy dépensier menacé et décide de supprimer son ex-associé. Il échafaude un stratagème pour se disculper puis abat froidement Jim, pensant avoir commis le crime parfait. C’était sans compter sur le lieutenant Columbo.

Après un téléfilm one-shot en 1968 et un pilote en 1971, Murder by the Book lança officiellement la saison 1 de Columbo. Il a en réalité été tourné en second et diffusé en premier en raison de ses qualités. Il a en effet été mis en scène par un petit jeune prometteur validé par Peter Falk lui-même, un certain Steven Spielberg. Déjà crédité de quelques épisodes de séries, Spielberg avait tendance à innover et imposer sa patte, ce qui était mal perçu par des producteurs qui demandaient des feuilletons standardisés. Son audace séduisit au contraire les créateurs de Columbo, Richard Levinson et William Link, qui souhaitaient donner à leur série une facture cinématographique.
Murder by the Book évolue clairement dans une autre catégorie que Prescription: Murder (1968) et Ransom for a Dead Man (1971) dirigés par le falot Richard Irving. Spielberg expérimente (plans à la première personne, très gros plans contrastés par des plans larges, contre-plongées), privilégie les extérieurs et les décors naturels, multiplie les séquences nocturnes pour jouer sur les ombres… Il est aidé par une superbe musique de Billy Goldenberg (compositeur que Spielberg retrouvera sur Duel (1971)), qui accentue la tension ; par un script globalement solide de Steven Bochco sauf dans sa conclusion ; et par la performance de Jack Cassidy en Ken Franklin, impeccable en antagoniste suave et hautain. Il reviendra dans Columbo incarner des tueurs à deux reprises, en 1974 et en 1976.
Dans un schéma bientôt classique, Columbo montre son empathie pour l’épouse de la victime et s’incruste nonchalamment chez le riche Ken Franklin, qui évidemment le sous-estime. Il n’est cependant pas encore très subtil dans ses insinuations, il cachera davantage son jeu par la suite pour endormir la méfiance du vilain. On note par ailleurs une brève apparition de la fameuse Peugeot 403. Seul point faible de ce plaisant Murder by the Book, la résolution est un peu tirée par les cheveux et Ken Franklin concède trop aisément la défaite. C’est en tout cas une bonne introduction à la série, qui ouvre admirablement cette saison 1.


まる [Maru] de Naoko Ogigami (2024, Maru)
Sawada est employé depuis quatre ans par un peintre réputé, qui exploite son talent et s’approprie ses idées. A la suite d’un accident de vélo, il a le bras cassé et est licencié du jour au lendemain. Victime d’insomnies, il déprime dans son appartement sordide et dessine une nuit des ronds noirs sur une feuille pour s’amuser à emprisonner une fourmi. A court d’argent, il laisse cette « œuvre » chez une brocanteuse en la découpant en morceaux. A sa grande surprise, il est contacté par un étrange individu qui affirme vouloir lui acheter ses prochains ronds pour 1 million de yens pièce, nouvelle qui le plonge dans des abimes de perplexité.

J’ai eu la chance de voir Maru à la Maison de la Culture du Japon à Paris dans le cadre du festival Kinotayo, en présence de la réalisatrice qui est intervenue à l’issue de la séance. Son objectif au départ était de travailler avec Tsuyoshi Domoto, une vedette populaire de la chanson occasionnellement acteur. Pour son scénario, elle s’inspira du vécu de Domoto, qui a connu des épisodes de dépression et de remise en cause personnelle. Celui-ci porte le récit (et a composé la bande originale), bien secondé par Gô Ayano en voisin inquiétant, Satomi Kobayashi en propriétaire de galerie (qui avait disparu du cinéma de Naoko Ogigami après ses rôles principaux dans Kamome Diner en 2006 et Megane en 2007), Akira Emoto en maître de thé ou Kôtarô Yoshida en peintre mégalo.
Fidèle à ses habitudes, Naoko Ogigami se focalise dans Maru sur des marginaux solitaires, doublé d’une critique sur l’art contemporain et sur la starification instantanée. Partant d’une situation plus ancrée dans le réel que d’ordinaire, elle développe une ambiance qui gagne en bizarrerie jusqu’à frôler le fantastique dans une scène de papiers volants rappelant Brazil (1985) puis dans une fête costumée éclairée à la façon d’un rêve. Cela engendre un léger malaise, avec une violence et une noirceur inédites chez elle. Ce n’est pas mon Ogigami préféré mais il vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour la performance de Tsuyoshi Domoto.


Films vus seuls
めくらのお市 みだれ笠 [Mekura no Oichi: Midaregasa] de Hirokazu Ichimura (1969, Watch Out, Crimson Bat!)
Un homme mortellement frappé demande à Oichi l’aveugle de remettre un parchemin à son maitre. Peu après, Oichi est agressé par de faux prêtres envoyés par le chef du clan Otawara, qu’elle parvient à éliminer sans difficulté. Elle rencontre en chemin deux adolescents, Hanji et Omiyo, qui décident de l’accompagner, et le rônin Gennosuke qui arrive à lui dérober le précieux rouleau. Ignorant cet évènement, des sbires d’Otawara kidnappent Hanji et Omiyo pour forcer Oichi à leur livrer le document. Acculée, elle chute dans la rivière, se blesse et est secourue par Gennosuke.

Rien de folichon pour ce troisième volet de la série des Mekura no Oichi. Hirokazu Ichimura a remplacé Sadatsugu Matsuda derrière la caméra, il insère davantage de combats et une atmosphère plus sombre en dépit d’un passage comique relou. Il multiplie également les love interest d’Oichi, entre Gorô Ibuki en Gennosuke Sakaki (comédien célèbre au Japon pour son rôle récurrent de Kakunoshin Atsumi dans l’interminable série Mito Kômon) et Asahi Kurizuka en mercenaire (héros de Moeyo-ken (1966, The Blazing Sword)). L’intrigue est cousue de fil blanc, c’est assez dynamique et ça ne démérite pas mais j’ai l’impression d’avoir vu ce genre de trucs des dizaines de fois.


El enmascarado de plata de René Cardona (1953, The Silver-Masked Man)
Un gang de criminels mené par un génie du mal, El enmascarado de plata, terrorise le pays. Lorsqu’ils tentent de cambrioler un riche propriétaire de salles de gymnases en menaçant sa nièce Elena, ils sont arrêtés par El Médico, un justicier masqué qui protège les bons citoyens. Séduite par la force de son sauveur, Elena aimerait connaître son identité. Elle pense qu’il s’agit d’un de ses deux amis journalistes, Alfredo et Julio, qui sont toujours absents quand El Médico surgit.

El enmascarado de plata devait être un serial de douze épisodes mettant en vedette El Santo. Ce dernier déclina l’offre et fut suppléé par El Médico Asesino, un autre luchador populaire. Les producteurs conservèrent toutefois le titre prévu à l’origine et les scénaristes furent contraints de caser un adversaire nommé El enmascarado de plata en guise de justification. La réalisation fut confiée à René Cardona, pour ce qui est généralement considéré comme le premier film de luchadores. On y retrouve déjà des caractéristiques traditionnelles du genre : des chansons, un match de catch, un labo secret ou des gadgets (ici une ceinture qui permet d’envoyer un signal d’alarme à El Médico). On a même droit à un sidekick adolescent incarné par René Cardona Jr. Selon Dave Wilt, El enmascarado de plata fut diffusé sous la forme de serial aux Etats-Unis tandis qu’il fut remonté en long métrage au Mexique. La structure initiale transparaît fortement, avec des cliffhangers réguliers, des personnages secondaires qui passent leur temps à se faire kidnapper, et quelques dialogues adressés aux spectateurs par un narrateur omniscient.
El enmascarado de plata vaut surtout pour son importance historique en tant que pionnier. L’intrigue est inconsistante, bourrée d’incohérences, avec des méchants franchement nasouilles et un running-gag vite fatigant sur l’identité d’El Médico. Cette idée provient apparemment du serial Lone Ranger de 1938 de Republic Pictures et sera reprise sans plus de réussite dans les Neutrón. Sans être aussi mauvais que les deux premiers Santo tournés à Cuba en 1958 (Santo contra cerebro del mal et Santo contra hombres infernales sortis en 1961), El enmascarado de plata est clairement dispensable.


Город мастеров [Gorod masterov] de Vladimir Bychkov (1966, La ville des Maîtres)
L’ancienne cité libre des Maîtres est attaquée et conquise par la troupe du duc de Morikorne. Une partie de la population fuit dans la forêt pendant qu’une autre subit la tyrannie du duc, qui édicte des lois liberticides et tue quiconque conteste son pouvoir. Pour l’avoir aidé à vendre son coq, une vieillarde prédit au balayeur bossu Karakol qu’il perdra sa difformité et épousera la belle Veronika. En attendant, il organise la résistance en déjouant les pièges du chef des services secrets ou du traitre fils du bourgmestre.

La ville des Maîtres est la transposition d’une pièce de Tamara Gabbe, une dramaturge russe amatrice de contes pour enfants. Ecrite en 1943 et jouée en 1944, il n’est pas difficile de comprendre l’identité de l’envahisseur qui asservit une ville de braves gens et d’artistes. L’adaptation de Vladimir Bychkov conserve la trame d’ensemble et ajoute une stylisation des décors et des costumes, avec des méchants habillés en noir et blanc et à la peau bleue, et des gentils porteurs de vêtements colorés (dont une armée de rebelles en rouge, quel hasard) ; des techniques de cadrage quasi-expressionnistes, avec des angles inhabituels et des objets qui restreignent la vision ; des interprètes au jeu manichéen, procédé qui renforce l’opposition entre le bien et le mal au cœur du récit ; et une musique mélancolique. Ces éléments procurent à La ville des Maîtres une certaine étrangeté, créant une sorte de féérie pour adultes originale et assez fascinante.
A noter que La ville des Maîtres a été tourné dans le studio Belarusfilm en Biélorussie, spécialisé dans les films pour enfants.


Lo que vendrá de Gustavo Mosquera R. (1988, Times to Come)
Dans une Argentine dystopique, Miguel assiste à Buenos Aires à une manifestation réprimée par la police et se prend une balle perdue. L’officier Morea, responsable de la bavure, vole ses papiers et le laisse pour mort. Il est amené à l’hôpital à l’état de légume, les yeux perpétuellement ouverts, incapable de parler ou de bouger. Morea commence alors à recevoir des menaces anonymes de la part de l’infirmier qui a secouru Miguel.

Lo que vendrá est le premier long métrage de l’Argentin Gustavo Mosquera R., après deux courts en 1985. Selon la page wikipedia espagnole de Lo que vendrá, « bien que l’intrigue soit vraiment confuse et peu claire, le film brille par sa facture visuelle ». Je suis parfaitement d’accord sur le côté chaotique de l’intrigue, qui lance des pistes sans les explorer et oublie ses personnages en cours de route, moins sur les qualités esthétiques. Gustavo Mosquera R. fut un pionnier dans l’utilisation de la steadicam en Argentine et il s’est amusé. Il multiplie les effets arty avec des plans serrés, des ultra gros plans, des optiques déformées, des mouvements de caméra ambitieux… Ces expérimentations ont mal vieilli et font très prétentieuses. Et comme ce n’est pas soutenu par un scénario solide, cela devient rapidement agaçant. Seuls points intéressants, il instaure une ambiance glauque dans un régime totalitaire qui évoque les dictatures d’Amérique du Sud des années 70-80, et la bande originale est signée du musicien Charly García qui joue l’infirmier. Je vais tout de même récupérer le second et dernier essai de Gustavo Mosquera R. dans la fiction, Moebius (1996), culte en Argentine.


女左膳 濡れ燕片手斬り [Onna Sazen: Nuretsubame katate giri] de Kimiyoshi Yasuda (1969, Lefty Fencer)
Tandis qu’Omitsu aurait dû entrer au service du ministre des Cultes, elle a été emmenée dans le temple Hojoji pour assouvir la lubricité du grand prêtre. Elle parvient à s’enfuir et est défendue par Okin dite Onna Sazen, une bretteuse borgne et manchote. Elle va devoir protéger Omitsu contre des yakuzas engagés par le ministre et contre les manigances d’un grand prêtre dont la fille est la concubine du shôgun. Elle va heureusement être aidée par un aimable fouineur, qui semble toujours là au bon moment.

Onna Sazen: Nuretsubame katate giri est une version féminine du fameux Tange Sazen, héros récurrent du cinéma japonais depuis les années 30. Onna Sazen est incarnée par Michiyo Yasuda entourée d’une belle brochette d’interprètes expérimentés, en particulier le nonchalant Isamu Nagato. On est dans du chanbara pop efficace, 1h17 durant lesquelles se succèdent de nombreux combats portés par une musique vaguement spaghettisante de Chumei Watanabe. Les sonorités me rappelaient quelque chose et je n’ai pas été étonné d’apprendre que Chumei Watanabe fut, avec Shunsuke Kikuchi, un des compositeurs majeurs dans le monde de l’animation des années 70. Il créa notamment la bande originale de Mazinger Z et j’avais parfois l’impression en regardant Onna Sazen: Nuretsubame katate giri d’être devant un épisode d’animé. La direction de Kimiyoshi Yasuda est honnête et le résultat s’est avéré agréable dans l’ensemble, légèrement supérieur à la moyenne des Daiei de l’époque.


新桃太郎 [Xing Taotailang] de Chung-Hsing Chao & Chun-Liang Chen (1987, Child of Peach)
Sur un pic de l’Himalaya, deux immortel·le·s vivent paisiblement avec leur nouveau-né dans le jardin de la pêche gardé par Petit-coq, Petit-chien et Petit-singe. Un jour, iels sont attaqué·e·s par le Roi-démon qui veut leur dérober l’épée du Soleil pour dominer le monde. Il arrive à s’en emparer et à tuer les parents du bébé. Avant de mourir, la mère du nourrisson l’a caché dans la pêche sacrée et envoyé sur Terre. Il est recueilli par un couple de vieillards et grandit très rapidement grâce à la magie de la fée qui le surveille. Pendant ce temps, le Roi-démon a libéré une horde de créatures qui commencent à détruire les humains.

Momotarô est un célèbre héros du folklore japonais, un garçon né dans une pêche doté de pouvoirs extraordinaires. Dans la version classique de la légende, il va affronter les démons de l’île d’Onigashima et rencontre sur son chemin un chien, un faisan et un singe qui deviennent ses compagnons. L’adaptation taiwanaise Xing Taotailang (littéralement Nouveau Momotarô, Momotarô étant appelé Taotailang en mandarin) reprend les grands principes de l’Histoire en ajoutant des parents immortels et un royaume des cieux qui évoquent davantage la littérature chinoise. Afin de coller à l’origine japonaise, des costumes traditionnels furent loués au Japon. Cet élément entraîna des problèmes avec la censure, les spectacles japonais étant interdits à la télévision taiwanaise. Child of Peach bénéficia donc d’une promotion minimale pour sa sortie lors du Nouvel an chinois, face à une forte concurrence. Cela ne l’empêcha pas de cartonner au box-office et d’engendrer une suite, Magic of Spell (1988). La chanson thème du film Thousand Years' Myth de Wawa fut également un hit.
Child of Peach est clairement destiné au jeune public, avec un humour souvent puéril et beaucoup de gags. Hsiao-Lao Lin, une ancienne enfant star, est relativement sobre en Momotarô comparé au jeu outrancier de la majorité du casting. On sent que le budget est limité, avec des décors en carton-pâte et de la musique piquée à droite à gauche (j’ai par exemple reconnu Quatrième Rendez-vous de Jean-Michel Jarre), mais il est plutôt bien utilisé. J’ai ainsi été impressionné par une séquence d’attaque de village, assez violente et convaincante. Les combats sont réussis et les effets spéciaux fonctionnent en dépit de leur simplicité, avec une mention spéciale pour le sympathique monstre-pêche en stop-motion. Dommage que les seules copies disponibles sur internet soient tellement abîmées, avec des sous-titres difficilement lisibles. Avec un peu d’indulgence et une certaine habitude de l’humour local, c’était distrayant et je regarderai Magic of Spell.


Podobizna de Jiří Slavíček (1948, The Portrait)
Le pauvre artiste Šimon Jordán rêve de peindre le diable. Un ami lui suggère de prendre pour modèle le vil usurier Mur Chazaj, ce que Šimon refuse pour éviter les ennuis et par détestation du personnage. Un soir, le vieil homme vient pourtant à son domicile pour exiger qu’il peigne un portrait de lui aussi vrai que nature. La tâche mine Šimon, qui finit par quitter la demeure de Chazaj en courant. Des décennies plus tard, l’ambitieux Roman tombe sur le portrait de Chazaj dans une boutique et est immédiatement séduit. Grâce à des diamants dissimulés dans l’encadrement, il s’enrichit et s’établit une réputation, au grand dam de sa fiancée qui le voit rongé par la soif de reconnaissance et d’argent.

Le portrait est une nouvelle de Nicolas Gogol publiée en 1835 dont Podobizna est apparemment l’unique adaptation en long métrage. On retrouve à la mise en scène Jiří Slavíček trois ans après Kluci na řece (1944, Les garçons de la rivière). Il propose avec Podobizna une œuvre légèrement fantastique dotée d’une superbe photographie fréquemment plongée dans la pénombre et d’une interprétation solide menée par Vladimír Šmeral (Roman), un illustre acteur de théâtre qui apparut occasionnellement au cinéma. Malgré un ventre mou durant lequel Roman profite de sa bonne fortune, Podobizna est plaisant, avec une ambiance globalement sombre et des séquences nocturnes soignées, où l’obscurité et le jeu sur les éclairages apportent de la tension. C’est étrange que Podobizna soit si méconnu, j’ai eu énormément de difficulté à obtenir des informations à son sujet.


Livres
Les Guerres de Lucas de Renaud Roche & Laurent Hopman (Deman éditions, 1991), 153 p.
Les Guerres de Lucas est le volume I d’une trilogie consacrée aux épisodes 4 à 6 de Star Wars, Un nouvel espoir (1977), L'Empire contre-attaque (1980) et Le Retour du Jedi (1983). Ce tome débute sur l’enfance de George Lucas et se termine quelques mois après le triomphe d’Un nouvel espoir. Le dessinateur Renaud Roche et l’écrivain Laurent Hopman reviennent sur la jeunesse indisciplinée de George Lucas, sur les difficultés autour de THX 1138 (le court en 1967 et le long en 1971) et d’American Graffiti (1973), sur la fondation d’American Zoetrope avec Coppola puis d’Industrial Light & Magic, et sur les relations de Lucas avec son épouse, la monteuse Marcia Lou Griffin, ou avec Steven Spielberg. Les auteurs s’attardent évidemment sur ce qui concerne la genèse, le scénario, le tournage, le montage et la distribution de Star Wars, avec les innombrables complications qui ont ponctué les différents jalons.

Je n’ai jamais été fan de Star Wars à l’inverse de nombre d’amis et de connaissances, et je ne souhaitais pas particulièrement lire cette BD en dépit de la critique élogieuse de Mad Movies. L’enthousiasme d’un de mes collègues qui a proposé de me la prêter a vaincu mes réticences. Bien lui en a pris, j’avoue que c’était intéressant et distrayant. Ça commençait pourtant mal, les vingt premières pages sur la jeunesse de George Lucas m’ont agacé, jouant sur les clichés du futur génie rêveur et incompris. Heureusement, on entre rapidement dans le monde du cinéma et ça devient captivant. Même sans être amateur de Star Wars, c’est passionnant de suivre le processus de fabrication d’un film, les étapes à franchir et les embuches à surmonter. Lucas côtoie tout un milieu de cinéastes prometteurs, Coppola, Spielberg, De Palma, qui tentent de se faire un nom. Laurent Hopman a réuni une documentation impressionnante pour coller au plus près à la réalité. Il montre l’importance de Marcia Lou Griffin, sans qui Star Wars n’aurait pas été le même, et du producteur Alan Ladd Jr. qui a soutenu Lucas contre les pontes de la 20th Century Fox. Il souligne également les limites de Lucas et ses problèmes de communication (ce qui est embêtant quand on est un réalisateur). C’est donc un ouvrage fort recommandable et je compte lire le tome 2 sorti récemment.

Gimpel le naïf d’Isaac Bashevis Singer (Folio, 2008), 253 p.
Gimpel le naïf est un recueil de onze nouvelles écrites en yiddish entre 1947 et 1957 (à l’exception de Le vieil homme paru en Pologne en 1933) et regroupées dans une traduction en anglais publiée en 1957. Il comporte :
Gimpel le naïf (23 pages) : Gimpel croit absolument tout ce qu’on lui raconte et est la risée de la ville.
Le tueur de femmes (24 pages) : L’avare et méchant Pelte a enterré quatre épouses et plus personne n’ose se marier avec lui.
À la lumière des bougies commémoratives (14 pages) : Un ancien fossoyeur explique comment il est devenu un mendiant.
Le miroir (14 pages) : Une femme narcissique est séduite par un démon.
Joie (16 pages) : Après le décès de ses enfants et de sa conjointe, un rabbin perd la foi.
Extrait du journal de quelqu'un qui n'est pas né (14 pages) : Un petit lutin commet de mauvaises actions pour monter en grade.
Le vieil homme (16 pages) : Moshe Ber, 90 ans, survit à ses enfants et petit-enfants et décide de repartir dans son ancienne ville dans l’espoir de manger à sa faim.
Le feu (13 pages) : Sans qu’il en comprenne la raison, Leibus est haï par son père alors que ce dernier pardonne tout à son frère Lippe.
Celui qui voit sans être vu (43 pages) : Tandis qu’il vit paisiblement avec son épouse Temerl, Nathan, poussé par le diable, désire ardemment sa servante.
Un conseil (13 pages) : Baruch convainc son beau-père colérique d’aller consulter un rabbin miraculeux.
À la maison des pauvres (19 pages) : Une ex-prostituée raconte sa déchéance à ses compagnons d’infortune.
Isaac Bashevis Singer fut un écrivain juif né en Pologne qui émigra aux Etats-Unis en 1935, inquiet de la menace germanique. Il prit la nationalité américaine et y demeura le restant de ses jours. La plupart de ses textes furent rédigés en yiddish et traduits dans un second temps en anglais. Auteur de dix-huit romans, de livres pour enfants et de recueils de nouvelles, il aimait mélanger des thématiques folkloriques, merveilleuses, religieuses, satiriques voire historiques. Les différents chapitres de Gimpel le naïf semblent caractéristiques de son œuvre, avec la présence régulière de démons et le poids de la religion. Sa nouvelle la plus familière du grand public est sans doute Yentl, the Yeshiva Boy, adapté au cinéma en 1983 par Barbra Streisand.
C’est la première fois que je lis de la littérature yiddish et je manque de repères. Ce que je connais qui s’en rapproche le plus est A Serious Man de Joel et Ethan Coen (2009), notamment la superbe scène d’ouverture. Je ne suis d’ailleurs pas surpris d’apprendre que « la lecture des récits d'Isaac Bashevis Singer les a inspirés pour l'écriture d'A Serious Man ». Certains aspects de Gimpel le naïf m’ont plu, essentiellement le côté fantastique et la peinture du quotidien des familles juives dans la Pologne du début du XXe siècle. Isaac Bashevis Singer est un bon conteur, on entre immédiatement dans l’histoire en quelques phrases et il parvient à maintenir l’intérêt du lecteur jusqu’au bout. Deux éléments m’ont cependant désappointé : les chutes sont généralement décevantes et, surtout, c’est extrêmement misogyne au point d’en être gênant. Ce n’est pas seulement mon ressenti, sa misogynie était déjà critiquée en 1979 par la chercheuse américaine Evelyn Torton Beck peu après la remise de son prix Nobel de littérature. Je ressors donc avec un sentiment mitigé et je ne pense pas réessayer cet auteur.

Du merveilleux caché dans le quotidien – La physique de l'élégance de Étienne Guyon, José Bico, Étienne Reyssat & Benoît Roman (Flammarion, 2018), 320 p.
Du merveilleux caché dans le quotidien – La physique de l'élégance est un ouvrage de vulgarisation conçu par quatre chercheurs français, dont l’objectif est de montrer la beauté du monde qui nous entoure à travers des phénomènes physiques. Ils ont regroupé 35 chapitres autour de six grandes thématiques :
Les bâtisseurs axé sur l’architecture
Mise en forme sur les formes et déformations des constructions naturelles ou humaines
Bâtir en fils sur les enchevêtrements
Du grain au verre consacré au sable, à la terre, à la pierre et au verre
La matière en mouvement sur l’exploitation des structures élastiques pour produire un mouvement
Ruptures sur la rupture des matériaux.
On sent clairement dans ce livre la plume de plusieurs auteurs. La vulgarisation est en effet d’une qualité variable, avec des exposés parfois complexes à appréhender si on ne possède pas les bases nécessaires en physique des matériaux ou en mécanique. L’aspect succinct des articles est également frustrant par moments, j’aurais aimé qu’ils traitent moins de cas mais fournissent davantage d’explications et de schémas. Chaque chapitre se termine sur une expérience pratique permettant de mieux assimiler les principes abordés, complément lié à l’origine du projet qui avait été pensé pour une exposition reprise au Palais de la Découverte. C’est une bonne idée, cela donne une visualisation concrète qui aide à mieux comprendre. Au final, sans être désagréable, Du merveilleux caché dans le quotidien – La physique de l'élégance m’a semblé n’avoir pas vraiment su choisir entre technicité et vulgarisation, avec une apparence très grand public (chapitres courts, beau papier glacé, richement illustré) et des textes parfois trop pointus ou sommaires.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire