Films vus en compagnie
The Blackening de Tim Story (2022)

The Blackening est tiré d’un court métrage de 2018 de la troupe de stand-up et d’improvisation 3Peat. On est dans de la comédie horrifique jouant avec les codes du slasher en se moquant des stéréotypes racistes du genre, avec un groupe de protagonistes entièrement noir que le tueur cherche à diviser. S’il y a quelques idées amusantes de-ci de-là, l’ensemble est extrêmement convenu, avec des interprètes abandonnés à eux-mêmes (une bonne partie des dialogues a été improvisée) et une histoire sans surprise. En dépit de son message apparemment politique sur l’Amérique contemporaine façon Get out (2017), c’est totalement inoffensif, avec un dénouement qui va à l’encontre du propos. Je n’en attendais rien et j’ai pourtant réussi à être déçu…
亡命鴛鴦 [Mong ming yuen yeung] d’Alfred Cheung (1988, On the Run)

Je n’avais jamais entendu parler jusque récemment d’On the Run, sorti en DVD chez Metropolitan Film en 2010. A ma décharge, son réalisateur, Alfred Cheung, est peu réputé en Occident, son titre le plus célèbre étant la comédie d’action Her Fatal Ways (1990). Sa distribution ne comporte en outre aucune star majeure si ce n’est Yuen Biao, artiste sympathique qui ne possède toutefois pas l’aura de ses camarades Jackie Chan et Sammo Hung (producteur d’On the Run). Je ne connaissais pas la vedette féminine, Pat Ha, très active entre 1982 et 1989 avant de se retirer des écrans après son mariage. Elle incarne une meurtrière taiseuse convaincante, qui contrebalance un Yuen Biao plus expansif.
L’intrigue d’On the Run est étrange, alternant action, tension et baisse de rythme, Heung Ming devant fréquemment récupérer de ses blessures. Yuen Biao est utilisé à contre-emploi : continuellement acculé, il est perpétuellement secouru par l’héroïne et ne sert pas à grand-chose excepté durant une ultime baston assez ridicule. Du côté des méchants, je suis toujours content de revoir Lo Lieh en sbire redoutable. Plus curieux est la présence de Charlie Chin en vil Lui, un acteur plutôt coutumier des comédies. C’est en définitive un polar terriblement sombre et désabusé, tourné essentiellement de nuit dans un Hong Kong oppressant où la corruption est généralisée et où se manifestent déjà les craintes autour de la future rétrocession de 1997.
The Great Santini de Lewis John Carlino (1979)

Malgré son titre et la présence de Robert Duvall en tête d’affiche, The Great Santini porte davantage sur Ben et sur la famille Meechum que sur le Grand Santini en tant que tel. Le film est en effet tiré du roman éponyme fortement autobiographique de Pat Conroy qui s’est projeté dans le personnage de Ben. On est dans un traditionnel coming-of-age story dans une ambiance typique du sud des Etats-Unis. Robert Duvall est détestable à souhait en Grand Santini à la masculinité toxique sans être caricatural pour autant, ce genre d’homme étant malheureusement tristement répandu. Les interprètes sont excellents et c’est étonnant que Michael O'Keefe (Ben) n’ait pas eu une meilleure carrière. The Great Santini est donc une belle découverte qui mériterait d’être plus connu.
屋根裏のラジャー [Yaneura no Rajâ] de Yoshiyuki Momose (2023, L’imaginaire)

L’imaginaire est le troisième long métrage du studio Ponoc après Mary et la Fleur de la sorcière (2017) et Héros modestes (2018, qui regroupait en fait trois courts). Il a été fondé par des anciens de Ghibli et ça se sent, à la fois dans le style graphique et dans les choix scénaristiques. Yoshiyuki Momose a ainsi été animateur sur Le tombeau des lucioles (1988), Porco Rosso (1992) ou Le voyage de Chihiro (2001). A l’instar de certains Miyazaki récents dont Le Garçon et le Héron (2023), L’imaginaire est inspiré d’un roman de littérature anglo-saxonne pour enfants de A. F. Harrold publié en 2014.
Le studio Ponoc est un élève appliqué. Ils construisent des films majoritairement en 2D techniquement impressionnants (les passages en 3D sont rares, heureusement car ils piquent un peu les yeux), avec une histoire classique proposant quelques idées intéressantes et susceptible de satisfaire petits et grands. Il leur manque néanmoins cette graine de folie qui permet de sortir du lot et de créer une œuvre marquante ou bouleversant les codes à la manière d’un Masaaki Yuasa. L’imaginaire était plaisant mais il se mélangera vite dans ma mémoire à tous les animés que j’ai regardés ces dernières années, à l’inverse d’un Inu-Oh (2021) que j’ai encore en tête un an et demi après son visionnage.
Films vus seuls
Santo contra el Dr. Muerte de Rafael Romero Marchent (1974, Santo vs. Doctor Death)

Bien que financé par la Cinematográfica Pelimex, une compagnie mexicaine spécialisée dans la distribution à l’étranger, Santo contra el Dr. Muerte est l’unique Santo totalement conçu par des non-Mexicains. Le producteur, le metteur en scène, le scénariste, les interprètes et les techniciens sont tous Espagnols ou travaillaient en Espagne à cette époque, à l’instar de Georges Rigaud en méchant docteur Mann, un acteur français né en Argentine et qui s’installa en Espagne en 1956. L’intrigue est relativement cohérente et élaborée, c’est correctement monté et assez dynamique, avec une poursuite en bateaux et hélicoptère décente. Santo est épaulé d’un utile sidekick incarné par Carlos Romero Marchent, le frère du réalisateur. C’est donc un Santo plutôt honnête qui se situe dans la moyenne haute.
丹下左膳 乾雲坤竜の巻 [Tange Sazen Kenun Unkon no maki] de Tai Katô (1962, Tange Sazen: Heavenly Clouds, Earthly Dragon)

Cet ultime épisode de la série des Tange Sazen avec Ryûtarô Ôtomo se démarque profondément de ses prédécesseurs. C’est le seul qui n’est pas dirigé par Sadatsugu Matsuda et qui n’est pas en couleur, sans doute pour accentuer la noirceur et par souci d’économie. Il ne propose pas le sempiternel panel de vedettes et de seconds couteaux, à l’exception évidemment de Ryûtarô Ôtomo. Pas de Hashizô Ôkawa ou Isao Yamagata à l’horizon, remplacés par des comédiens moins familiers des jidai-geki sériels de la Toei. Le ton est résolument sombre, on découvre comment Tange Sazen a été mutilé et éborgné ainsi que l’origine de ses liens avec Yokichi et Ofuji dans un scénario directement inspiré du livre éponyme de Hayashi Fubô.
Fidèle à ses habitudes, Tai Katô développe la psychologie des personnages dans un style réaliste éloigné des fantaisies des quatre premiers volets. Il montre la pauvreté des samouraïs de bas rang, contraints d’accepter des tâches ingrates pour espérer s’élever dans la hiérarchie en l’absence de guerre dans cette ère Edo pacifiée. Quasiment tous les protagonistes sont en partie négatifs, que ce soit le disciple lâche de Tessai, le magistrat corrompu ou Tange Sazen qui n’hésite pas à tuer pour réussir. On perçoit cependant leurs raisons, il n’y a pas de manichéisme sauf dans le cas de l’ignoble Daizen Nakamura. L’interprétation est de qualité, plus subtile qu’à l’accoutumé, y compris chez Ryûtarô Ôtomo qui refreine ses grimaces. La photographie est superbe, le montage tendu, notamment dans une formidable séquence d’évasion en pleine nuit. C’est une conclusion en beauté, clairement le meilleur opus de la série.
Fando y Lis d’Alejandro Jodorowsky (1968, Fando et Lis)

Oh que c’était difficile de résumer cet objet avant-gardiste à petit budget tiré d’une pièce de théâtre de Fernando Arrabal écrite en 1955. C’est le premier long métrage d’Alejandro Jodorowsky, fondateur de la branche mexicaine du mouvement Panique en 1962, proche du théâtre absurde et du surréalisme. Leur objectif était de mêler avec insolence l’euphorie, l’humour et la terreur avec des éléments baroques, monstrueux et mythiques. A travers Fando y Lis, Jodorowsky souhaitait élargir son public en s’attaquant aux tabous de la société et au conformisme cinématographique. Le résultat est volontairement choquant, l’histoire n’est qu’un vague prétexte à une succession de scènes bizarres, violentes et déstabilisantes. Fando y Lis fit scandale à sa sortie au festival d’Acapulco et interdit durant quatre ans au Mexique.
Vu de nos jours, Fando y Lis est extrêmement daté, le genre d’œuvre provoc’ des années 60 sans intrigue franchement pénible. Il faut dire que je l’ai cherché, je déteste le cinéma de Jodorowsky, j’avais trouvé El Topo (1970), La montagne sacrée (1973) et Santa sangre (1989) complètement nuls, je n’apprends décidément pas de mes erreurs.
プリティ・ボディ フランケンシュタインの恋 [Puriti bodi furankenshutain no koi] de Takafumi Nagamine (1988, Pretty Body: Frankenstein's Love)

Pretty Body: Frankenstein's Love est un bon exemple des curiosités que pouvaient produire le marché de la vidéo au Japon à la fin des années 80. Takafumi Nagamine propose ici un moyen métrage de 53 minutes qui débute à la manière d’un film érotique (avec deux minutes de sexe explicite), vire à la comédie horrifique puis à la romance, avec une petite chanson, avant de se terminer par un carnage gore rigolo. On a également droit à une séquence totalement gratuite de pantomime chelou parce que pourquoi pas. Réalisateur issu du pinku eiga, Takafumi Nagamine eut une brève carrière sur grand écran et travailla essentiellement pour la télévision (il dirigea notamment 23 des 50 épisodes de la série animée Le Magicien d'Oz diffusée en France sur La Cinq en 1987), Côté distribution, ce n’est pas trop mal, avec l’ancienne idole et actrice de télévision Aya Katsuragi en Izumi, le vétéran Noboru Mitani (vu dans Dodes'ka-den (1970), Samouraï réincarnation (1981), Sûîto hômu (1989) ou Pluie noire (1989)) en docteur fou et une apparition de Tomorô Taguchi un an avant Tetsuo (1989). Les effets spéciaux rudimentaires sont sympathiques, il n’y a pas de temps mort, du gros porte-nawak divertissant comme on aime.
El Charro de las Calaveras d’Alfredo Salazar (1965, Le cavalier des crânes)

El Charro de las Calaveras devait initialement être une série télévisée inspirée d’un comic book des années 50 mais fut apparemment annulée en raison de la rediffusion du Zorro de Disney, d’une qualité largement supérieure. Les trois épisodes déjà tournés furent compilés en un long métrage d’1h20. C’est complètement fauché, mal joué, mal monté, avec deux tonnes de raccourcis scénaristiques et une accumulation de clichés. Le cavalier des crânes a un passé à la Batman et rappelle un paquet de héros de weird western mexicain des années 50-60, en particulier le Cavalier sans tête dont il emprunte le sidekick rigolo incarné par le lourdaud Pascual García Peña. La différence ici est que le surnaturel est clairement présent, pas juste une ambiance fantastique avec des méchants qui se révèlent être des mecs déguisés. On est dans de la série Z, c’est distrayant à défaut d’être bon, les péripéties s’enchaînent et on flirte parfois avec le nanar.
शोले de Ramesh Sippy (1975, Sholay)

Sholay fut un des plus grands succès de l’Histoire du cinéma indien, un blockbuster bollywoodien en 70 mm qui resta dix ans à l’affiche et continue d’être culte en Inde, bénéficiant d’une conversion en 3D en 2013. A sa sortie, le Central Board of Film Certification coupa six minutes de pellicule et exigea une conclusion conforme à la morale. Un director’s cut fut diffusé par la suite et c’est cette version intégrale de 3h24 que j’ai regardée.
Sholay évoque une espèce de western spaghetti indien dans lequel ont été insérées des touches de comédie, de romance et de drame, voire d’arts martiaux à la HK à travers son duo de héros virils à la Chang Cheh ou son combat final. Il fut la source d’un sous-genre, le Dacoit western (ou curry western), ainsi appelé à cause de l’influence des films de bandits (Dacoit = bandit) à la mode durant les années 40 à 70. On distingue par ailleurs des thèmes chers au western italien comme la mutilation, la poignée de mercenaires opposée à une bande, ou le méchant cruel et excessif, avec une séquence pompant clairement le massacre des McBain d’Il était une fois dans l’Ouest (1968).
Les scènes d’action à l’ancienne sont pêchues, notamment l’attaque de train au début. L’intrigue est ultra-classique et assez réac par moments, avec Veeru en dragueur relou et Jai en mec cool plutôt taiseux. Défaut récurrent du cinéma indien, les passages comiques sont pénibles et on a même droit à un gardien de prison ridicule avec une petite moustache d’Hitler… Les cinq chansons s’inscrivent dans le récit et l’un d’elle a une importance dans la narration, ce qui est loin d’être courant à Bollywood. C’est en résumé un film efficace et globalement plaisant avec un affreux Gabbar Singh mémorable, à tel point qu’il fut réemployé pour une publicité d’une marque de biscuits.
Livres
Kimchi Baguette de Silki (Dargaud, collection « Mâtin », 2023), 128 p.

Kimchi Baguette a été pensé pour le format court numérique, pour du défilement rapide sur un smartphone. Cela se sent avec le passage sur papier. Pas moyen de développer en dix cases, on reste à la surface avec des jugements parfois superficiels et tout lecteur un peu intéressé par la Corée n’apprendra pas grand-chose. Le côté répétitif du processus est en outre plus flagrant en livre, où on enchaîne les pages, qu’avec une diffusion quotidienne. C’est dommage car il y a des propos pertinents sur le fond, que ce soit sur le racisme envers les asiatiques, sur les difficultés liées à l’immigration et sur les divergences culturelles, dans un style graphique agréable. Je serai donc curieux de récupérer ses BD parues chez L’Association, créées dans un cadre moins contraignant.
Treize Ozu, 1949-1962 de Jean-Michel Frodon (Cahiers du cinéma, collection « Petite blbliothèque », 2023), 144 p.

Treize Ozu, 1949-1962 est une réédition d’un ouvrage épuisé de 2019 que j’avais raté. Il existait déjà une littérature abondante sur Ozu et Jean-Michel Frodon a lu les classiques, notamment les bouquins de Donald Richie (Ozu), David Bordwell (Ozu and the poetics of cinema), Kijû Yoshida (Ozu ou l'anti-cinéma) ou Shigehiko Hasumi (Yazujirô Ozu). Il ne cherche pas à fournir une analyse détaillée ou une grille de lecture exhaustive. Son objectif est d’apporter sa pierre à l’édifice en questionnant les idées reçues sur le réalisateur, ce que j’avais également tenté à mon humble niveau dans un article de 2020 pour DVDClassik et dans un billet de ce blog.
Son argumentation est convaincante, Jean-Michel Frodon montre bien la manière dont Ozu se renouvelle subtilement à chaque occurrence, à la fois sur la forme et sur le fond. Il explore ses thèmes récurrents pour dévoiler comment, loin de prôner le conservatisme et la nostalgie d’un passé glorifié, il suit bon gré mal gré les évolutions de la société japonaise sans juger ses personnages. Le style est abordable, fluide, l’auteur évoque des scènes clés qui donnent envie de se replonger dans l’œuvre du cinéaste. Si j’ai grandement apprécié ce petit livre, je ne suis en revanche pas persuadé qu’il convienne à un néophyte et il faudra, je pense, avoir une bonne connaissance des titres traités pour en profiter pleinement.
Legends of the Condor Heroes 2 – A Bond Undone de Jin Yong (MacLehose Press, 2019), 528 p.

Ce second volume de la tétralogie Legends of the Condor Heroes est centré sur les pérégrinations du duo Guo Jing/Lotus Huang, un couple charmant qui a le chic pour tomber sur des combattants exceptionnels. Lotus Huang est le prototype de la petite fille gâtée et terriblement douée qui ne prend jamais rien au sérieux. Guo Jing est un héros atypique pour le wuxia, un gars simple et honnête, pas très malin, qui a du mal à apprendre les techniques et n’aime pas les arts martiaux. Il progresse pourtant sans le savoir et commence à être balaise à la fin de ce deuxième tome.
La traductrice a changé et insuffle davantage de dynamisme dans les conversations, rendant la lecture extrêmement fluide et agréable. Les sinophones soulignent, sans doute avec raison, que les dialogues d’origine sont plus incisifs, qu’il manque par moments des précisions décrivant les réactions ou les sentiments des protagonistes, ou que les transcriptions des noms sont peu homogènes (parfois traduits partiellement, comme Huang Rong devenu Lotus Huang, tandis que Guo Jing conserve son orthographe chinoise et n’est pas appelé Serenity Guo). Cela n’est néanmoins pas trop préjudiciable, rien à voir avec l’édition française qui a apparemment coupé des passages entiers. A noter qu’il existe en chinois trois versions de Legends of the Condor Heroes comportant des différences non négligeables : celle parue entre 1957 et 1959 ; une première révision datant des années 70 ; et une seconde des années 2000, toutes deux effectuées par l’auteur. La traduction anglaise est tirée de la dernière édition.
Un point mérite enfin d’être signalé sans pour autant émousser mon enthousiasme. Les actions des personnages féminins sont systématiquement motivées par l’amour envers un homme, que ce soit Lotus Huang vis-à-vis de Guo Jing ou de son père, la méchante Cyclone Mei vis-à-vis de son ex-conjoint ou de son maître, ou Mercy Mu vis-à-vis de Yang Kang. Ce ne sont pas des potiches, leurs capacités martiales sont redoutables, mais elles ne semblent pas être capables d’agir pour elles-mêmes. Il faut cependant se souvenir que Legends of the Condor Heroes a été écrit dans les années 50 et est largement moins misogyne que la moyenne des romans américains de SF des années 50 à 70 par exemple, pour citer un genre que je connais bien.
Revues
L'oiseau Magazine n°158 – Printemps 2025

Pas grand-chose à part ça, si ce n’est un article sur l’extinction du courlis à bec grêle. C'est la première espèce continentale de la zone du Paléarctique occidental à disparaitre durant l’époque moderne, les derniers individus ayant été observés au Maroc en 1995. Les chances d’en retrouver sont quasiment nulles alors que ces oiseaux étaient communs au début du XXe siècle. Ils ont été victimes de la chasse et de la destruction des prairies marécageuses qu’ils affectionnait. Une triste nouvelle.
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