samedi 20 décembre 2025

Carnet de bord 13/12/2025-19/12/2025



Films vus en compagnie
Jurassic Park de Steven Spielberg (1993)
Le riche milliardaire excentrique John Hammond a construit un parc d’un genre nouveau, peuplé de dinosaures ressuscités grâce à des technologies de pointe. Pour ouvrir son attraction, il a besoin de la validation d’un trio d’experts approuvés par les avocats : le paléontologue Alan Grant, la paléobotaniste Ellie Sattler et le mathématicien Ian Malcolm. D’abord émerveillés, les trois scientifiques émettent rapidement des doutes. John Hammond leur propose de faire un tour du parc en compagnie de ses deux petits-enfants, Alexis et son petit-frère Timmy, avant de rendre leur avis. Les évènements vont dégénérer, entre une tempête tropicale à l’approche et la trahison de Dennis Nedry, le responsable de l’informatique.

Difficile de pondre une critique originale sur Jurassic Park après les centaines d’articles et les dizaines de livres écrits à son sujet. Je ne vais pas chercher à réinventer la poudre, juste lancer quelques remarques sur ce classique du septième art qui a révolutionné l’emploi des effets spéciaux au cinéma. 22 ans après sa sortie, certaines images de synthèse ont mal vieilli, notamment les brontosaures au début. Les animatroniques sont en revanche toujours aussi formidables, que ce soit le tricératops, le T-Rex ou les vélociraptors. Niveau scénario, Spielberg enchaîne les scènes d’action sans temps mort en s’amusant à inverser les clichés sexistes, à l’instar d’Alan Grant qui s’occupe des gosses pendant qu’Ellie Sattler va rallumer le disjoncteur, ou en faisant d’Alexis la spécialiste en informatique (tandis que le bouquin de Crichton laissait cette fonction à Timmy). Il aurait par contre pu éviter de coller en méchant le stéréotype du gros répugnant, rôle auquel fut longtemps abonné Wayne Knight. Bien que scientifiquement fumeux, cela reste un excellent divertissement, avec une magnifique musique de John Williams, un casting impeccable (je ne me souvenais pas de la présence de Samuel L. Jackson) et un Spielberg qui maitrise son œuvre de bout en bout.


A Christmas Carol de Catherine Morshead (2000)
Eddie Scrooge est un usurier sans scrupules qui n’hésite pas à collecter les dettes la veille de Noël, accompagné de son fidèle bras droit Bob Cratchett qui lui doit une forte somme. Le soir du réveillon, seul dans son grand appartement sécurisé, Eddie voit apparaître le fantôme de son ancien associé Jacob Marley, abattu il y a quelques temps. Ce dernier lui annonce qu’il sera visité par trois fantômes et qu’il ferait mieux de les écouter. Eddie a toutefois un lourd passif et ne semble pas prêt à renoncer à son mode de vie.

Ross Kemp est une star britannique qui devint célèbre dans son pays pour son rôle de dur-à-cuire entre 1990 et 1999 dans le soap de la BBC EastEnders (démarré en 1985 et toujours en cours de diffusion). A son départ du feuilleton, la chaîne de télévision ITV lui offrit un juteux contrat comprenant cette adaptation de A Christmas Carol de Charles Dickens que Kemp, fan du livre, s’empressa d’accepter. Elle se démarque par la modernisation de l’intrigue, tournée dans un quartier pauvre de Londres avec un Scrooge relativement jeune qui évoque davantage un criminel qu’un usurier. Le scénariste Peter Bowker a également introduit une boucle temporelle : au lieu de tout condenser sur une nuit, Eddie revit trois fois la journée du réveillon, ce qui rend son évolution plus crédible. Je commence à avoir vu un certain nombre de versions de A Christmas Carol et celle-ci fait partie des meilleures, largement supérieure à la comédie musicale de 1970 par exemple. En à peine 1h15, elle se focalise sur l’essentiel, la modernisation est astucieuse et la distribution est convaincante, en particulier Ray Fearon en Jacob Marley. Je l’avais récupéré à cause de la présence d’une boucle temporelle, ce fut une bonne surprise.


Wake Up Dead Man: A Knives Out Mystery de Rian Johnson (2025, Wake Up Dead Man : Une histoire à couteaux tirés)
Jud, un ex-boxeur devenu prêtre, est envoyé pour assister Jefferson Wicks, le curé d’une église rurale de l’Etat de New York. C’est un personnage clivant qui perd régulièrement des fidèles et qui a constitué autour de lui un noyau d’irréductibles : Martha chargé de l’entretien de l’église ; Nat le docteur du village ; l’avocate Vera ; l’écrivain Lee ; Simone, une ancienne violoncelliste réputée ; et Cy, un aspirant politicien. Quand Wicks est assassiné pendant une messe, Jud est aussitôt suspecté. Il va pouvoir compter sur l’aide du détective Benoit Blanc, appelé en renfort par la police locale.

Wake Up Dead Man est le troisième volet des aventures de Benoit Blanc (Daniel Craig) après Knives Out (2019) et Glass Onion (2022). Les titres officiels des deuxième et troisième épisodes comportent A Knives Out Mystery pour permettre aux spectateurs de les relier facilement entre eux, volonté du producteur Netflix qui a imposé cette décision à Rian Johnson. Knives Out s’attaquait aux bourgeois et à leur racisme ordinaire, Glass Onion satirisait les milliardaires de la tech et la puissante élite qui les entoure, Wake Up Dead Man se penche sur l’aveuglement fanatique engendré par un leader toxique (ici un curé mais on sent l’ombre de Trump en arrière-plan). D’une durée de 2h24, c’est le plus long des trois, avec une révélation finale coupée en deux qui s’étend sur une grosse demi-heure. C’est clairement trop, l’histoire aurait gagné à être simplifiée pour se concentrer sur le meurtre initial plutôt que de tenter de rebondir avec de nouvelles péripéties en cours de route. En l’état, Wake Up Dead Man reste tout de même fort plaisant bien qu’inférieur à Knives Out.


Films vus seuls
めくらのお市 命貰います [Mekura no Oichi: Inochi Moraimasu] de Hirokazu Ichimura (1970, Crimson Bat - Oichi: Wanted, Dead or Alive)
Un magistrat corrompu essaye d’obliger une femme à coucher avec lui mais elle est secourue par Oichi qui libère son fiancé et leur permet de s’enfuir. En représailles, le magistrat met la tête d’Oichi à prix pour 100 ryô. La récompense attire un trio de mercenaires, Jokai l’expert en karaté, Jinbei spécialiste du kusarigama et Sankuro l’épéiste. Ils la retrouvent dans le village de Fukuda dont Sankuro est originaire, où elle défend les habitants contre un chef yakuza qui veut les exproprier. Touché par la droiture d’Oichi, Sankuro décide de l’aider.

Mekura no Oichi: Inochi Moraimasu est l’ultime volet de la tétralogie des Mekura no Oichi, encore confié à Hirokazu Ichimura. Il ne se démarque guère des trois précédents, avec une intrigue ultra-convenue voire stupide par moments, une mise en scène sans éclat et une distribution sans vedette à l’exception de Tetsurô Tanba qui apparaît moins de cinq minutes en cumulé sur 1h27 de métrage. Cette série est vraiment un sous-Zatoichi sans envergure, sans le charisme d’un Shintarô Katsu, sans guest-star prestigieuse ni réalisateur de qualité. Il n’est pas étonnant qu’elle soit oubliée de nos jours et ce n’est pas nécessaire de la réévaluer.


La mansión de la locura de Juan López Moctezuma (1974, Dr. Tarr's Torture Dungeon)
Le journaliste Gaston Leblanc se rend dans le sanatorium du docteur Maillard, célèbre pour ses méthodes innovantes de traitement de la folie. Il est accompagné par Julien Couvier, un ancien camarade d'école qui connait Maillard. A leur arrivée dans le domaine, Couvier est surpris par la présence de gardes armés et hostiles. Ils sont finalement autorisés à passer, Couvier dépose Leblanc à l’entrée et repart, ne supportant pas la vue des malades mentaux. Leblanc est accueilli par Maillard qui commence la visite dans des lieux où règne le chaos.

Ami d'Alejandro Jodorowsky dont il produisit Fando y Lis (1968) et El Topo (1970), Juan López Moctezuma fut également acteur, scénariste et réalisateur spécialisé dans l’horreur. Pour La mansión de la locura, il s’est librement inspiré de la nouvelle Le système du docteur Goudron et du professeur Plume d'Edgar Allan Poe parue en 1845, avec des décors et des costumes supervisés par l'artiste surréaliste Leonora Carrington. Si c’est esthétiquement impressionnant, avec des tableaux infernaux marquants rehaussés par une superbe restauration récente, c’est narrativement lamentable, avec une histoire prévisible qui tient sur deux lignes et une vision ultra-stéréotypée de la folie, prétexte à des provocations fort anodines de nos jours. Sans tomber dans le porte-nawak à la Jodorowsky, j’ai trouvé ça franchement nul et je ne regarderai pas d’autres opus de Juan López Moctezuma.
A noter que La mansión de la locura a été tourné au Mexique en anglais puis doublé en espagnol.


桃太郎大顯神威 [Taotailang da xian shenwei] de Chung-Hsing Chao (1988, Magic of Spell)
Le Mal a été affaibli par les actions de Momotarô, qui a détruit la plupart de ses affidés. Pour retrouver sa jeunesse et vaincre son ennemi, le doyen des démons envoie ses sbires chercher le sang de 1000 vierges et kidnapper l’enfant ginseng de 1000 ans pour le manger. Son bras droit tend un piège à Momotarô, parvient à lui enlever ses pouvoirs et tue sa mère adoptive. Momotarô s’échappe de justesse et est soigné par ses amis Petit-coq, Petit-chien et Petit-singe. Une fois rétabli, il se dirige vers le palais du doyen des démons pour se venger.

Magic of Spell est la suite de Child of Peach (1987), carton inattendu au box-office taiwanais l’année précédente. Excepté la présence de Momotarô et de ses compagnons, il n’y a plus vraiment de lien avec la légende japonaise d’origine. Le récit est de toute façon très décousu et rachitique, on saute d’une scène à l’autre en enchaînant les gags douteux et les bastons. C’est clairement inférieur au premier volet, les protagonistes n’ont aucune personnalité, les effets spéciaux sont moins rigolos, et le montage est totalement anarchique. La copie disponible sur internet est assez affreuse, ce qui n’a pas aidé. Autant le 1 méritait le coup d’œil avec un peu d’indulgence, autant le 2 est dispensable.
P.S. : La série des Momotarô s’arrête là. Bien que Magic Warriors (1989) soit parfois intitulé The Child of Peach 3, il n’a en réalité aucun rapport avec Momotarô.


The Quiet Earth de Geoff Murphy (1985, Le dernier survivant)
Zac Hobson se réveille dans sa chambre, s’habille et va à son boulot. Il n’y a personne à la station-service, les véhicules sur la route sont abandonnés et la ville est déserte, comme si les gens s’étaient soudainement volatilisés. Il comprend en arrivant à son labo de recherche que le projet Flashlight sur lequel il travaillait a mal tourné et a engendré des conséquences catastrophiques. Il pense être l’unique survivant pendant des semaines jusqu’à ce qu’il rencontre Joanne puis Api.

The Quiet Earth est un post-apo néozélandais tiré d’un roman de Craig Harrison paru en 1981, qui rappelle fortement le film Le Monde, la Chair et le Diable (1959) où un mineur afro-américain errait dans New York et finissait pas croiser une belle blonde et un sale raciste. Le héros est cette fois le mec blanc et Api, joué par l’acteur maori Pete Smith, est au départ le rival inquiétant. C’est un des premiers exemples de science-fiction néozélandaise, réalisé par Geoff Murphy, connu essentiellement de nos jours pour Utu (1983) édité en blu-ray en France par La Rabbia. The Quiet Earth met du temps à trouver son rythme, avec les inévitables séquences du gars seul au monde qui fait n’importe quoi dans une ville abandonnée. L’apparition de Joanne et d’Api permet de développer une relation triangulaire complexe qui ne se complait pas dans la caricature facile. Les trois interprètes sont convaincants, le manque de budget ne se ressent pas, la conclusion reste en mémoire et on termine sur une bonne impression. Sans parler de chef d’œuvre, The Quiet Earth est plutôt réussi dans le style SF fauchée.


The Ghoul de T. Hayes Hunter (1933, Le fantôme vivant)
Le professeur Morlant, un fameux égyptologue, a dépensé la moitié de sa fortune pour acquérir un bijou appelé la Lumière éternelle qui, selon la légende, ouvre la porte du Paradis. Sur son lit de mort, il fait jurer à son fidèle serviteur Laing de l’enterrer dans un caveau avec le joyau et menace de se relever de sa tombe si la promesse n’est pas tenue. La Lumière éternelle est en effet convoitée par ses propriétaires égyptiens à qui elle a été volée, par un notaire cupide et par d’autres individus peu recommandables. Laing souhaiterait pour sa part confier la pierre aux héritiers de Morlant, son neveu Ralph et sa nièce Betty.

En janvier 1933, un nouveau certificat « H » pour Horrific fut créé en Grande-Bretagne pour les titres susceptibles d’effrayer les enfants de moins de 16 ans. Il était initialement destiné aux films horrifiques hollywoodiens, principalement les Universal Monsters type Dracula (1931) ou Frankenstein (1931). Mettant en vedette Boris Karloff avec un scénario influencé par The Old Dark House (1932) et La momie (1932), The Ghoul fut la première production locale à être classée H. Cela limita fortement sa circulation, elle fut rapidement retirée de l’affiche et sombra dans l’oubli. Longtemps considérée perdue, des copies furent retrouvées et elle fut restaurée en 2003.
Le premier tiers est excellent, avec une magnifique photographie de Günther Krampf (le directeur de la photographie des Mains d’Orlac (1924) ou de Loulou (1929)) et une direction artistique d’Alfred Junge (Le cabinet des figures de cire, 1924), deux allemands qui ont connu la période expressionniste et ont amené leur savoir-faire dans l’élaboration d’une ambiance angoissante. Le compositeur Louis Levy emploie largement des thèmes wagnériens, avec une utilisation judicieuse de la Marche funèbre de Siegfried au cours des funérailles de Morlant. Malheureusement, ça se gâte avec l’arrivée de Ralph et Betty, incarnés par les fadasses Anthony Bushell et Dorothy Hyson. Tout le monde se rejoint dans la demeure de Morlant et on a le droit à une variation peu inspirée de The Old Dark House, qui avait généré un sous-genre à la mode à cette époque. Dommage.


博徒一代 血祭り不動 [Nidai-me waka oyabun] de Kimiyoshi Yasuda (1969, Sworn Brothers)
En voulant recouvrer une dette pour des yakuzas, Jokichi tue involontairement un homme et laisse l’argent à la famille de sa victime pour s’excuser. Il tente de gagner la somme due au jeu mais perd face à Otojiro, un joueur itinérant qui décide par bonté de l’aider. Jokichi remet les sous à son frère juré Yuichi, également yakuza, et se livre à la police. Six ans plus tard en allant rendre visite à Yuichi, Jokichi est mêlé contre son gré à une guerre de succession impliquant Yuichi, partisan du vil Odo, et Otojiro, lieutenant du juste Kitamatsu.

Produit en 1969, Nidai-me waka oyabun se situe vers la fin de l’âge d’or du ninkyo eiga, ces films de yakuzas chevaleresques tiraillés entre le devoir (giri) et les sentiments personnels (ninjo). Bien qu’associés à la Toei avec Kôji Tsuruta et Ken Takakura en figures de proue, les autres studios s’aventurèrent occasionnellement dans le genre. En dépit de ses réticences à marcher sur les plates-bandes de la Toei, Raizô Ichikawa accepta d’interpréter Jokichi pour la Daiei en échange du choix de son prochain rôle. Il n’eut pas la possibilité d’appliquer cette clause car il décéda en juillet 1969 à l’âge de 37 ans. Atteint d’un cancer du foie en phase avancée, il était très affaibli durant le tournage de Nidai-me waka oyabun et fut doublé pour les séquences d’action. Il est néanmoins impeccable en Jokichi malgré une intrigue extrêmement classique et une réalisation trop sobre de Kimiyoshi Yasuda. Nidai-me waka oyabun est un bon exemple de ninkyo eiga, efficace sans rien apporter de neuf et assez émouvant quand on sait l’état dans lequel se trouvait Raizô Ichikawa.


Человек-невидимка [Chelovek-nevidimka] d’Aleksandr Zakharov (1985, The Invisible Man)
Jonathan Griffin est un physicien sans argent qui travaille sur le principe d’invisibilité. Il parvient à stabiliser sa formule et devient invisible au moment où ses voisins enfoncent sa porte par crainte de ses expériences. Il s’échappe nu avec sa mallette, vole des vêtements dans un magasin, se bande le visage et se réfugie dans une auberge. Son apparence inhabituelle suscite rapidement la méfiance et il doit fuir à nouveau. La rumeur d’un criminel invisible se répand et il est partout pourchassé.

Version soviétique de L’homme invisible de H.G. Wells, Chelovek-nevidimka eut un beau succès en URSS à sa sortie. C’est l’unique long métrage d’Aleksandr Zakharov, qui pratique ici un curieux mélange des genres. Il fait de Griffin un honnête scientifique, victime malheureuse de la peur de l’inconnu des humains. A ce drame de SF, il ajoute des courses-poursuites façon slapstick avec une musique rigolote, des trucages à l’ancienne, une romance avec Jane l’amie d’enfance de Griffin, une chanson qui montre Griffin et Jane courir au ralenti sur la plage, une chanson rock satirique et de l’action. Ces ingrédients se lient mal, on a l’impression que Aleksandr Zakharov a casé tout ce qui lui passait par la tête et a maladroitement mit cela en scène. Si l’idée d’un Homme invisible soviétique était intrigant sur le papier, Chelovek-nevidimka n’a au final pas grand intérêt.


Livres
La prière d’Audubon de Kôtarô Isaka (Philippe Picquier, collection « Picquier poche », 2014), 521 p.
Itô a démissionné de son boulot de développeur informatique car sa vue commençait à se dégrader à force de regarder des écrans. Après avoir raté le braquage d’une épicerie, il a été secouru par un inconnu et amené quasi-inconscient sur l’île d’Ogishima au large de la ville de Sendai. Coupé du monde depuis 150 ans, l’endroit ne reçoit aucun visiteur et aucun habitant n’en sort à l’exception du propriétaire du bateau. Le guide désigné d’Itô, Hibino, se charge de le promener et le conduit jusqu’à Yûgo, un épouvantail doué de parole et capable de prédire l’avenir. Passé la surprise, Itô accepte la situation et retourne discuter avec Yûgo pendant la nuit. Le lendemain matin, il apprend que l’épouvantail a été assassiné et il est immédiatement suspecté par le chef de la police locale.

La prière d’Audubon est le premier roman de Kôtarô Isaka, qui remporta le prix Shinchô Mystery Club. Cela poussa cet ingénieur système à devenir écrivain à plein temps. Il enchaîna ensuite les succès en se spécialisant dans le genre policier et gagna une célébrité internationale en 2022 au moment de la sortie du film Bullet Train inspiré de son livre Maria Beetle.
La prière d’Audubon propose une enquête atypique dans un environnement étrange, Itô se retrouvant mêlé aux évènements à son corps défendant et échafaudant des conclusions à partir de soudaines révélations. Il narre lui-même ses aventures sur Ogishima, qui occupent la majorité du récit. Elles sont entrecoupées de flashbacks sur son passé ou sur le passé de l’île, et d’épisodes centrés sur Shiroyama, un affreux flic sadique qui était dans la classe d’Itô. Ce dernier aspect est le seul qui ne m’ait pas convaincu, la violence de Shiroyama tranchant avec la sérénité qui se dégage du reste du roman et du personnage d’Itô. Le fantastique est léger et présenté de manière naturelle, évoquant parfois le réalisme magique. Je ne me suis pas ennuyé en dépit des 500 pages, il n’y a pas de temps mort, les éléments s’imbriquent relativement biens (même si la partie sur Audubon est un peu tirée par les cheveux) et le dénouement était satisfaisant. La prière d’Audubon a été adapté en radio drama, en manga et en pièce de théâtre. Il faudrait effectuer de nombreux ajustements pour construire un scénario de long métrage, je ne sais pas si quelqu’un essaiera un jour.
A noter que l’éditeur Philippe Picquier a opté pour le dessin des flamants roses de John James Audubon en couverture. C’est un choix étonnant compte tenu de l’histoire racontée, ils n’ont peut-être pas réussi à obtenir les droits du dessin des pigeons migrateurs qui aurait plus logique.

Le molosse de Gou Tanabe (Ki-oon, collection « Les chefs d’œuvre de Lovecraft », 2022), 176 p.
Le molosse comporte trois nouvelles de Lovecraft transposées en manga par Gô Tanabe :
Le temple (écrite en 1920 par Lovecraft et publiée en 1925 dans Weird Tales) : Des sous-mariniers découvrent sur le corps d’un homme attaché à leur navire la tête d’une étrange statuette, qui est ramassée par un officier. Des évènements effrayants commencent dès lors à se produire.
Le molosse (écrite en 1922 par Lovecraft et publiée en 1924 dans Weird Tales) : Deux pilleurs de tombes récupèrent une amulette sur un macchabée, amenant sur eux la colère d’un esprit maléfique.
La cité sans nom (écrite en 1921 par Lovecraft et publiée dans la foulée dans le fanzine The Wolverine) : Un explorateur repère dans le désert la mythique cité sans nom et y pénètre à ses risques et périls.
Les trois nouvelles regroupées ici se situe dans le début de carrière de Lovecraft et ne sont pas les plus intéressantes de son œuvre. Tanabe a modernisé légèrement Le temple en passant de la Première à la Deuxième Guerre Mondiale, sans doute pour intégrer des nazis plus facilement identifiables aux yeux du public que des soldats du Kaiser. Cela ne change pas grand-chose, ça manque de rythme et d’enjeux, avec des éléments mal reliés entre eux et une conclusion ouverte qui laisse sur sa faim. Le molosse est selon moi la meilleure des trois, avec une mort horrible et une bonne montée de la tension. On est dans un schéma lovecraftien typique qui fonctionne bien. La cité sans nom est extrêmement courte et ne fait qu’esquisser des thèmes qui seront développés par la suite, avec notamment la première mention de l’arabe fou Abdul Alhazred. Je suis donc mitigé, avec Le molosse qui se démarque face à deux textes assez quelconques.


Camp ! Volume 1 : Horreur & exploitation de Pascal Françaix (Marest éditeur, 2021), 512 p.
Caractériser le Camp n’est pas chose aisée. Probablement issu du français se camper (se tenir dans une attitude particulière) ou camper (jouer un rôle), le mot provient de la communauté LGBT anglophone et se diffuse progressivement en France. La première à avoir tenté d’en cerner le sens fut Susan Sontag en 1964 dans son célèbre article Notes on "Camp". Plutôt que de s’aventurer à en donner une définition, ce qui aurait été compliqué et restrictif, elle préféra lister 58 réflexions sur ce que lui inspirait le terme. Pascal Françaix revient en introduction sur cette Histoire et se risque, lui, à une définition inscrite en quatrième de couverture : « Le Camp, c’est la pose effrénée, l’affectation érigée en système, la dérision par l’outrance, l’exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour pénétrer la sphère comportementale. C’est le reflet de Narcisse dans le miroir de la Méchante Reine de Blanche-Neige ». Il continue : « Quand une star du showbiz se met à ressembler à une drag-queen, elle devient Camp. En ce sens, toutes les drag queens sont Camp, ainsi que la plupart des icônes gaies. Bette Davis était Camp, et Joan Crawford, et Liz Taylor. Chez les artistes masculins, le recordman du monde reste sans doute Liberace, et, chez les comédiens américains de l’époque, on trouve un bon exemple en Vincent Price ».
Il poursuit en dissociant le Camp du kitsch (qui véhicule selon lui la sensibilité d’une époque sans déformation, de façon conservatrice, inoffensive et mièvre) et du trash (une moquerie élitiste se délectant du mauvais goût) puis entre dans le concret en limitant son étude au Camp américano-britannique de 1960 à 1980 (avec quelques écarts), qu’il divise en huit sections (appelées « livre ») réparties sur trois bouquins, soit environ 1300 pages au total.
Le volume 1 comporte les livres 1 à 3 :
Le mélodrame gériatrique et la Hagsploitation rassemble les films centrés sur des anciennes stars féminines dans des rôles de mégères ou de mères indignes. Le précurseur est Boulevard du crépuscule (1950) avec Gloria Swanson en diva du muet, sur lequel l’auteur disserte largement. Il s’intéresse ensuite à un summum du Camp, Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (1962), référence absolue souvent copiée et jamais égalée, et d’autres opus de Robert Aldrich, réalisateur excessif foncièrement Camp. Il se penche aussi sur Curtis Harrington, un proche de Kenneth Anger, gay, avant-gardiste, qui eut une brève carrière hollywoodienne. Il revient sur la Hagsploitation, ces films d’horreur mettant en scène des vieilles terrifiantes, et fait un focus sur deux actrices emblématiques du genre et du Camp, Bette Davis et Joan Crawford.
Le Camp dans le cinéma d’épouvante débute par la figure incontournable de Vincent Price, dont Pascal Françaix est fan depuis son enfance. Il enchaîne sur le Camp dans l’épouvante anglaise, à la Hammer et chez Pete Walker ; sur Andy Mulligan, un spécialiste de la série Z, gay mais homophobe, misogyne et raciste ; et sur des exemples de Camp dans le cinéma indépendant, notamment chez William Castle ou Paul Morrissey (un ami d’Andy Warhol). Il évoque enfin des comédies musicales horrifiques Camp, à l’instar du fameux The Rocky Horror Picture Show (1975).
Cinéma d’exploitation et Camp se focalise sur Doris Wishman, une sorte d’Ed Wood féminin et proto-féministe, sur Russ Meyer, et sur la drugsploitation et les dangers de la jeunesse.
J’avais beaucoup aimé Teen Horror - De Scream à It Follows de Pascal Françaix et j’étais curieux de lire cet essai massif sur le Camp, trois pavés avec peu de photos. Bien qu’ayant vu une bonne partie des longs métrages analysés, je ne suis pas un grand amateur de Camp au départ : sa présence ne me gêne pas et peut même m’amuser mais je ne le recherche pas. Il n’est pas inclus dans mes angles de lecture et je ne vais pas récupérer un film uniquement parce que c’est Camp. Je comprends toutefois qu’on puisse l’apprécier en soi et cela me rappelle la période lointaine où j’explorais l’univers du nanar. Françaix assimile le nanar au trash, point de vue contestable tant les inconditionnels de Camp et de nanars se retrouvent sur leur amour de l’excès, des interprètes en roue libre ou des situations outrancières. Il ne faut par ailleurs pas oublier que le nanar est un mauvais film sympathique et que ses fans lui portent une affection qui va au-delà de la simple moquerie (un nanar n’est pas un navet, qui est lui source de mépris), ce en quoi il se différencie du pur trash. Si le Camp englobe des éléments complémentaires comme la théâtralité, l’aspiration au raffinement, le second degré (dans l’œuvre et pas dans l’œil du spectateur) et, surtout, un indispensable esprit queer, plusieurs cinéastes traité·e·s dans ce tome 1 peuvent être évalué·e·s à la fois dans une perspective Camp et nanardesque, à l’image de Doris Wishman.
Même si je ne suis pas toujours d’accord avec son enthousiasme (est-ce vraiment nécessaire par exemple de déterrer de l’oubli Andy Mulligan au nom du Camp ?), Pascal Françaix est passionnant de bout en bout et montre comment une optique Camp offre un éclairage original et pertinent, qui ouvre de nouvelles portes d’analyse. Cela m’a permis de considérer autrement Vincent Price ou Robert Aldrich et de changer mon regard sur des titres que je croyais bien connaître. Camp ! Volume 1 : Horreur & exploitation est donc un incontournable pour les amateurs de cinéma alternatif et je vais enchaîner de ce pas sur le tome 2.


Revues
Mad Movies n°399 – Décembre 2025
Je craignais que le dossier du mois consiste en des previews, ce qui m’ennuie toujours profondément. C’est en réalité un article de 5 pages (8 en comptant les images) sur les tendances actuelles et à venir, essentiellement dans le cinéma hollywoodien entre montée de l’IA, blockbusters en sursis, grandes franchises et retour de vieux briscards.

J’ai lu avec intérêt l’entretien avec Rian Johnson pour la sortie de Wake Up Dead Man, qui complète mon visionnage de cette semaine. C’est le seul titre qui se démarque, excepté peut-être le western italien Pile ou face (2025). Cela s’améliore du côté du patrimoine avec les ressorties de The Killer de John Woo (1989), de la trilogie Histoires de fantômes chinois (1987/1990/1991) ou du mémorable Feux dans la plaine de Kon Ichikawa (1959). J’émets en revanche quelques réserves sur le coffret Lady Yakuza, série pas aussi originale qu’il y paraît quand on connait le cinéma japonais de cette époque. Contrairement à ce qui est affirmé dans la critique qui dit « les pontes de la Toei ont alors l’idée d’innover avec un personnage principal féminin », les pontes de la Toei ont surtout eu l’idée de copier une série phare de la Daiei, Onna tobakushi avec Kyôko Enami dans le rôle d’Ogin la joueuse.
J’ai enfin apprécié les deux hommages à l’illustrateur Drew Struzan et au réalisateur Peter Watkins ainsi que l’interview carrière d’Adrian Lyne bien que j’estime qu’il n’y a pas grand-chose à sauver dans sa filmographie.


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