samedi 27 décembre 2025

Carnet de bord 20/12/2025-26/12/2025



Films vus en compagnie
Private Life de Tamara Jenkins (2018)
Richard et Rachel sont un couple de quarantenaires new-yorkais qui souhaitent absolument avoir un enfant. En parallèle de démarches d’adoption, iels tentent une fécondation in vitro afin de mettre toutes les chances de leur côté. A cette occasion, iels apprennent que Richard ne produit pas de spermatozoïdes et qu’il va falloir pratiquer une biopsie testiculaire pour les récupérer, opération à 10 000 dollars qui contraint Richard à demander de l’argent à son frère. A la suite d’un premier essai raté, leur médecin conseille à Rachel de recourir à un don d’ovocyte, ceux de Rachel n’étant plus en bon état.

Private Life est le troisième long métrage de Tamara Jenkins en 20 ans, la réalisatrice se consacrant également à d’autres activités et à sa famille. Après Slums of Beverly Hills (1998), satire de son adolescence à Beverly Hills, et The Savages (2007) qui s’inspirait de l’internement de son père et de sa grand-mère en centre de soins pour personnes âgées, elle utilise de nouveau des éléments autobiographiques, Tamara Jenkins ayant elle-même testé la fécondation in vitro et envisagé l’adoption. On ne peut pas l’accuser d’une méconnaissance du sujet, Private Life montre bien les épreuves que doivent traverser Richard et Rachel et les difficultés liées à chaque méthode dans la société américaine (les procédures étant différentes en France). Il y a une belle galerie de personnages secondaires mais je regrette la dureté de Rachel (Kathryn Hahn), qui contraste avec la patience et la bonhommie de Richard (Paul Giamatti). Cela empêche de compatir totalement en créant une distance émotionnelle et une certaine lassitude. Je ressors donc avec une impression mitigée, j’avais préféré The Savages.


A Christmas Horror Story de Grant Harvey, Steven Hoban & Brett Sullivan (2015)
L’après-midi du réveillon de Noël, Dylan, Ben et Molly s’introduisent dans le sous-sol de leur lycée construit sur un ancien couvent pour effectuer un reportage sur un double meurtre qui s’est déroulé dans leur établissement l’année précédente. Un des flics qui a découvert les corps a été traumatisé par l’évènement et a été mis en congé. Alors qu’il est en forêt avec sa femme et son fils Will pour couper un sapin, Will disparait. Quand il réapparait, son comportement a changé. Pendant ce temps, la copine de Dylan est obligée d’aller avec ses parents et son frère Duncan chez une riche tante acariâtre. Dans sa maison, Duncan casse une figurine de Krampus, une créature mythique qui punit ceux qui se sont mal conduits. Au même moment, chez le Père Noël, les elfes se transforment en zombies.

A Christmas Horror Story est un film à sketches qui ne s’assume pas, avec des liens artificiels entre les parties et un montage alterné agaçant qui n’apporte rien. A cela s’ajoute un one-man show de William Shatner qui intervient ponctuellement en animateur radio et raconte des trucs sans intérêt vaguement reliés à une des histoires. Le sketch avec les lycéens est nase et sans rapport avec Noël, une combinaison classique fantôme + possession. Le second est un peu meilleur, un gosse inquiétant et un père violent, avec une tension minée par le montage alterné. Le troisième présente un joli monstre Krampus (du moins quand il n’est pas en images de synthèse moches), complètement sous-exploité autour d’une intrigue nulle. Le dernier, avec le Père Noël et des zombies, est le plus amusant sur le papier. Il est gâché par des scènes d’action mal filmées et une interprétation calamiteuse. Pas grand-chose à sauver au final.


Persuasion de Carrie Cracknell (2022)
Anne Elliot est la seconde fille d’une famille bourgeoise, qui refuse de se marier et boit plus que de raison. Elle ne s’est jamais remise de sa rupture avec Frederick Wentworth huit ans auparavant. Elle avait à l’époque écouté les conseils de son entourage, qui estimait que le statut social de Frederick n’était pas assez élevé, et pris trop tard conscience de son erreur. Tandis que son père a dépensé toute sa fortune et doit se retirer à Bath avec sa fille aînée, Anne reste à Londres pour s’occuper de la location de leur demeure. Le hasard l’amène à recroiser la route de Frederick, qui est devenu un brillant capitaine de la marine et cherche une épouse.

Persuasion est un roman de Jane Austen paru en 1817 qui reprend les thèmes habituels de l’autrice, avec une fille de bonne famille qui retrouve un ancien amour que les différences de classe avaient séparé. A la suite d’une petite boulette, nous avons regardé la version de 2022 au lieu du téléfilm de la BBC de 1995 mieux réputé. Sans même connaître le livre d’origine, cette production Netflix de 2022 souffre de soucis flagrants. Anne brise constamment le quatrième mur, avec des adresses aux spectateurs et des regards caméras en permanence. Le procédé vise sans doute à retranscrire le style d’Austen en discours indirect libre et les monologues intérieurs d'Anne, et cet effet a déjà été employé dans d’autres adaptations de son œuvre que j’avais vues. L’aspect systématique et gratuit porte néanmoins préjudice ici et lasse vite. Les scénaristes tentent en outre une modernisation des dialogues et des attitudes qui ne fonctionne pas franchement bien, comme si des jeunes adultes des années 2020 avaient été projetés au XIXe siècle, et c'est parfois filmé comme une pub de parfum. Enfin, l’acteur qui incarne Frederick Wentworth, Cosmo Jarvis, est catastrophique et à la ramasse, il a le charisme d’une huitre et donne l’impression d’être bourré. On se demande ce qu’Anne lui trouve et on se dit qu’elle devrait aller voir ailleurs, ce qui n’aide pas à l’implication émotionnelle. Des comédien·ne·s correct·e·s dans des rôles secondaires (ça ne me pose aucun problème qu’ils soient noirs ou asiatique bien que ce ne soit pas historiquement juste) ainsi que la trame Jane Austenesque permettent de faire passer la pilule mais je peux comprendre la frustration des fans du bouquins et il y a fort à parier que les transpositions de 1995 ou de 2007 sont d’une qualité supérieure.

Mickey's Once Upon a Christmas de Jun Falkenstein, Alex Mann, Bradley Raymond, Toby Shelton & Bill Speers (1999, Mickey, il était une fois Noël)
Mickey's Once Upon a Christmas est composé de trois segments autonomes :
Donald, un Noël sans fin : au soir du jour de Noël où ils se sont follement amusés et goinfrés, Riri, Fifi et Loulou souhaitent que Noël ait lieu tous les jours. Leur vœu se réalise.
Dingo, Père Noël : à cause de leur cynique voisin, Max ne croit plus au Père Noël. Dingo est décidé à lui prouver son existence.
Mickey, le plus beau cadeaux : le matin du 24 décembre, Mickey et Minnie n’ont pas suffisamment d’argent pour acheter le cadeau qu’iels voudraient. Iels comptent sur cette journée pour gagner la somme nécessaire.
Mickey's Once Upon a Christmas est sorti sur le marché de la vidéo en novembre 1999 aux Etats-Unis et a rapidement été populaire auprès des fans de Disney, devenant un classique de Noël. Je ne l’avais jamais vu et je l’ai récupéré principalement pour Donald, un Noël sans fin qui comporte une boucle temporelle.
C’était prévisible, Mickey's Once Upon a Christmas est extrêmement gentillet, avec des intrigues convenues et un narrateur moralisateur qui assure les transitions. Techniquement, ce n’est pas terrible, les dessins sont moyens, on est clairement dans un direct-to-video loin de l’excellence des productions pensées pour le grand écran. Mickey, le plus beau cadeaux est le plus étonnant des trois épisodes, avec de pauvres Mickey et Minnie qui galèrent et ne sont pas récompensés de leurs efforts, arnaqués par des méchants patrons. C’était toutefois insuffisant, on a beau être à Noël, c’était trop guimauve pour moi, je préfère revoir le bon vieux Mickey's Christmas Carol (1983, Le Noël de Mickey).
A noter que Mickey's Once Upon a Christmas se conclut par la réunion des protagonistes des trois parties, montrant pour la première fois ensemble dans un dessin animé Mickey, Minnie, Donald, Daisy, Dingo et Pluto (groupe appelé The Sensational Six dans l’univers Disney).


Persuasion de Roger Michell (1995)
A cause de ses dépenses extravagantes, le baronnet Sir Walter Elliot est en faillite. Il doit louer sa maison de Londres à un amiral et part s’exiler à Bath. Il laisse le soin à sa fille Anne de s’occuper des préparatifs avant qu’elle aille soigner sa sœur hypocondriaque Mary qui habite chez son époux Charles Musgrove en compagnie de ses beaux-parents et de ses deux belles-sœurs. Peu après l’arrivée d’Anne, Charles reçoit la visite du capitaine Frederick Wentworth, tout juste revenu des guerres napoléoniennes. Huit ans auparavant, il avait demandé Anne en mariage, qui avait refusé sous la pression de son entourage et qui est toujours amoureuse de lui.

Pas convaincu par la version de 2022 de Persuasion de Jane Austen que j’avais regardé par erreur, je voulais comparer avec ce téléfilm de la BBC de 1995 mieux réputé. Et en effet, ça n’a pas grand-chose en commun. Le scénariste Nick Dear et le réalisateur Roger Michell (un metteur en scène de théâtre expérimenté qui débutait au cinéma) se sont attachés à dépeindre le livre d'une manière mature et réaliste. En supprimant les monologues intérieurs d’Anne, ils ont construit un récit avec peu de dialogues, tourné en extérieur dans les paysages d’origine, en lumière naturelle avec des costumes d’époque et des interprètes sans maquillage. Les acteurices sont excellents et font vrais, les interactions sont subtiles, on sent le poids des différences de classe et des conventions dans les relations sociales. D’abord éteinte, Anne s’affirme au fur et à mesure, bien que restant dans les limites de la bienséance de la période (les quelques écarts étant liés à des ajouts de Nick Dear absents du texte). On est loin de la Anne détachée et joyeuse de 2022. Dernier roman écrit par Jane Austen, Persuasion est apparemment le plus poignant et personnel de l’autrice. Cet aspect ressort parfaitement dans la transposition de 1995 tandis qu’il était totalement gommé dans celle nonchalante et ironique de 2022. Persuasion de 1995 est donc une remarquable adaptation, fidèle à Austen et touchante. Elle atteste la distance entre une optique britannique sérieuse et une production Netflix américaine goguenarde dans l’air du temps.


Films vus seuls
あなたと私の合言葉 さようなら、今日は [Anata to watashi no aikotoba: Sayônara, konnichiwa] de Kon Ichikawa (1959, Goodbye, Hello)
Conceptrice dans une entreprise d’automobiles de Tôkyô, Kazuko vit avec son père veuf Gosuke et sa sœur Michiko, hôtesse de l’air. Elle ne désire pas se marier, à la fois pour continuer à travailler et pour s’occuper de Gosuke qui vient de démissionner. Elle a été fiancée dans son enfance au fils d’un collègue de son père, Hanjirô, qui a été muté à Ôsaka et qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans. Elle demande à sa meilleure amie Umeko de le rencontrer pour rompre la promesse, sans prévoir que celle-ci allait tomber amoureuse de lui.

Sur le papier, Anata to watashi no aikotoba: Sayônara, konnichiwa a la trame typique d’un Ozu, avec la fille qui se sacrifie pour son père façon Printemps tardif (1949). On n’est toutefois pas chez Ozu mais chez Ichikawa, sur un scénario co-écrit avec son épouse Natto Wada à l’instar de la plupart de ses comédies des années 50. Le ton est satirique et léger, le rythme enlevé et la conclusion s’éloigne des clichés attendus. La narration adopte le point de vue de Kazuko, sans l’habituelle critique sous-jacente sur la femme moderne qui, dans le cinéma japonais, a géénralement besoin de l’homme pour atteindre le bonheur. Les hommes sont d’ailleurs les seuls à être déçus, Kazuko, Umeko et Michiko arrivant à leurs fins. Le casting est impressionnant, avec Ayako Wakao en Kazuko, Machiko Kyô en Umeko et Shin Saburi en Gosuke. Anata to watashi no aikotoba: Sayônara, konnichiwa est une réussite curieusement méconnue de Kon Ichikawa, qui montre sa capacité à naviguer entre les genres, lui qui dirigea également en 1959 son fameux Feux sur la plaine.


Santa Claus de René Cardona (1959)
Lucifer envoie le vil Pitch pour corrompre tous les enfants de la Terre afin d’en finir avec le Père Noël. Depuis son palais de cristal dans les nuages, ce dernier observe les humains. Il voit avec son télescope magique la pauvre Lupita dont les parents n’ont pas les moyens de lui offrir une poupée, un riche garçon qui aimerait que son père et sa mère restent avec lui le soir de Noël, ou trois garnements qui enchaînent les bêtises. Le soir du réveillon, équipé de la poudre magique qui fait dormir, de la fleur qui rend invisible et de la clé qui ouvre toutes les portes, le Père Noël descend sur Terre pour distribuer ses cadeaux.

Santa Claus de l ’incorrigible René Cardona est considéré comme un des pires films de Noël, chroniqué par nanarland et par un paquet de sites américains car il a bénéficié d’une sortie aux Etats-Unis dans les années 60 où il fut régulièrement diffusé sur les chaînes de télévision américaines. Selon Nanarland, il a été créé pour accompagner l’implantation du Père Noël au Mexique, personnage qui n’était pas présent traditionnellement (le monde hispanophone étant plutôt team Rois Mages). J’avoue ma déception. C’est certes mauvais, mal joué, mal monté, avec des incohérences scénaristiques, une voix-off pénible, des décors et machines chelous et énormément de remplissage (des numéros musicaux interminables ; un magicien qui marche au ralenti et oublie deux fois son récipient, ce qui l’oblige à revenir en arrière…). Rien pourtant de bien étonnant quand on est familier des productions populaires mexicaines fauchées de l’époque qu’avait l’habitude de tourner René Cardona. C’est donc un navet sans intérêt, qui ne mérite pas qu’on s’attarde dessus.


House of Whipcord de Pete Walker (1974, Flagellations)
Anne-Marie, mannequin française vivant à Londres, est draguée au cours d’une soirée par le beau Mark E. Desade. Après un rendez-vous enchanteur, il lui propose d’aller passer le week-end chez ses parents à la campagne. Dès son arrivée, Mark s’éclipse et Anne-Marie est prise en charge par deux surveillantes brutales qui la forcent à revêtir un uniforme et l’enferment dans une cellule. Elle découvre qu’elle est dans une ancienne prison de comté où un couple a mis en place une justice privée, qui condamne les « femmes dépravées » envers lesquelles les tribunaux officiels sont selon eux trop cléments.

J’avais été agréablement surpris par Frightmare (1974) de Pete Walker mais je craignais que House of Whipcord se rapproche d’un vulgaire WIP (Women-In-Prison, sous-genre qui tomba dans le pur cinéma d’exploitation dans les années 60-70 avec des geôlières sadiques, des sévices voyeuristes, des ébats lesbiens, des inévitables scènes de douche et autres prétextes pour dénuder les actrices). La critique positive de Pascal Françaix dans Camp ! Volume 1 : Horreur & exploitation m’a poussé à réviser mon point de vue. Dans sa perspective Camp, il a apprécié la mère autoritaire et folle qui domine son mari et son fils queer, et les gardiennes crypto-lesbiennes butch, dont une incarnée avec délectation par Sheila Keith que Pete Walker retrouvera dans Frightmare. L’érotisme limité et la violence hors champ sont originales et permettent à House of Whipcord de déjouer les attentes. Je serai cependant moins enthousiaste que Françaix, c’est très caricatural (ce qui n’est pas un souci dans son optique), avec des enjeux sommaires. Si cela demeure meilleur que la quasi-totalité des WIP des années 60-70, j’avais préféré Frightmare.


黑店 [Hei dian] de Wing-Cho Yip (1972, The Black Tavern)
Un mendiant répand la rumeur qu’un ex-officier à la retraite part s’installer dans le sud du pays en emportant un coffre rempli de trésors. Cette nouvelle suscite la convoitise de nombreux brigands, qui se rendent dans une taverne noire (terme désignant les auberges qui tuent les clients pour les manger) pour tendre une embuscade. Allié à l’épéiste Zha Xiao Yu, le maître du fouet Zheng Shou Shan et ses disciples prennent le contrôle de l’établissement puis éliminent progressivement leurs concurrents en se dissimulant sous le déguisement de paisibles commerçants.

L’immense succès de L’hirondelle d’or en 1966 a généré l’apparition d’un sous-genre dans le wu xia pian hongkongais et taïwanais : le film d’auberge, inspiré de l’opéra chinois et de la littérature (le volume 3 de Legends of the Condor Heroes de Jin Yong a ainsi un long passage dans une auberge abandonnée). Le principe est toujours identique : des braves et des bandits se rencontrent dans une auberge isolée et se bastonnent joyeusement pour un quelconque MacGuffin. Si les exemples les plus fameux ont été dirigés par King Hu (notamment Dragon Inn en 1967 et L'auberge du printemps en 1973), il existe en réalité d’autres occurrences.
Wing-Cho Yip (aussi appelé Tddy Yip ou Ye Rongzu) était un assistant de Lo Wei qui devint acteur et cinéaste à partir de 1971. Ses réalisations sont méconnues en Occident, à l’image de ce The Black Tavern produit par la Shaw Brothers. C’est dommage car The Black Tavern, intégralement tourné en studio dans l’habituel décor utilisée des dizaines de fois par la Shaw Brothers, ne démérite pas. Il n’y a pas une minute de temps mort en 1h26, les méchants se succèdent et les combats s’enchainent avec du gore, de l’humour noir, et une jolie distribution menée par l’indéboulonnable Ku Feng (347 films sur imdb). C’est très étonnant qu’il ne soit pas plus réputé, c’est une sorte de King Hu pulp fort distrayant qui gagne à être vu.


Devičanska svirka de Đorđe Kadijević (1973, Le chant des vierges)
Le fiacre d’Ivan s’arrête près d’une auberge pour une courte étape mais le chauffeur aperçoit quelque chose sur la route et refuse de repartir. Ivan poursuit son chemin à pied jusqu’à ce qu’une calèche écrase par accident un garçon qui se tenait sur la route à côté de lui. Une superbe femme nommée Sybille en sort et demande à Ivan de l’aider à transporter l’enfant chez elle. Celui-ci meurt peu après leur arrivée, ce qui n’empêche pas Ivan de rester sur place, séduit par la veuve Sybille et par une envoutante musique qui résonne dans le château.

Devičanska svirka est inclus dans les trois moyens métrages de Đorđe Kadijević financés par Radio Television Belgrade en 1973 dans le cadre d’un cycle fantastique, avec Štićenik et Leptirica. Il est tiré d’une nouvelle d’Ivan Raos, un auteur d’origine croate discrédité auprès des autorités communistes à cause de son soutien au printemps croate qui se déroula en 1971. Selon le site serbe The Cult of Ghoul qui semble bien renseigné, la disgrâce d’Ivan Raos entraîna la déprogrammation de Devičanska svirka qui ne fut découvert que trente ans plus tard. Dans l’ambiance, il évoque davantage Štićenik que Leptirica. Il repose en effet sur un fantastique suggéré et non montré, sur un climat étrange, pesant et un rythme lent. Il y a une belle photographie, les interprètes sont corrects, avec une atmosphère proche du gothique anglais. Il y a toutefois un ventre mou et j’ai préféré Štićenik.


Livres
La chanson de Ruby et autres histoires d’Henry Slesar (10/18, collection « Grands détectives », 1993), 283 p.
Un jeune homme de 18 ans employé dans la confection est fasciné par son cousin Ruby Martinson, un comptable de 23 ans qu’il estime être un génie du crime. Sous des apparences de brave garçon fiancé à la gentille Dorothy, Ruby a toujours des plans pour voler de l’argent ou des bijoux, commettre des cambriolages ou des braquages. Le narrateur est à chaque fois embarqué contre son gré et doit effectuer le sale boulot, qui se termine systématiquement en fiasco.

J’ai découvert Henry Slesar et le personnage de Ruby Martinson à travers le film japonais Kaitô Ruby (1988), qui utilisait fidèlement cinq récits de Ruby Martinson. La principale différence était que l’adaptation féminisait Ruby, permettant d’ajouter une romance entre cette dernière et le narrateur (qui est d’ailleurs probablement gay dans la version d’Henry Slesar). Le recueil La chanson de Ruby et autres histoires propose douze des quatorze nouvelles d’Henry Slesar avec Ruby Martinson ainsi que sept autres nouvelles policières, toutes parues dans Alfred Hitchcock’s Mystery Magazine entre 1957 et 1964. Largement inconnu de nos jours, Henry Slesar fut très populaire aux Etats-Unis dans les années 60 (et au Japon dans les années 70-80) et travailla régulièrement pour la télévision. Il fut source d’inspiration ou scénarisa trente-sept épisodes de la série Alfred Hitchcock Presents, dix épisodes de The Alfred Hitchcock Hour et deux épisodes de The Twilight Zone. Plutôt spécialisé dans les courtes histoires à chute (auxquelles peuvent être rattachés les sept chapitres de ce livre ne mettant pas en scène Ruby Martinson), il fut publié dans de nombreux magazines où il eut recours à divers pseudonymes.
Les Ruby Martinson se détachent par la récurrence de leur schéma et de leurs protagonistes, et par leur ton léger et humoristique. Bien que répétitives, elles sont agréables à lire et je n’ai pas eu le sentiment de lassitude que j’avais éprouvé devant le long métrage japonais. Je ne comprends par contre pas pourquoi l’éditeur 10/18 ne les a pas présentées dans l’ordre de publication initial ni pourquoi il en manque deux sur quatorze (Ruby Martinson, Ex-Con et You Can Bet on Ruby Martinson). J’ai été moins convaincu par les sept one-shot qui suivent, sans doute plus représentatifs de l’œuvre d’Henry Slesar. L’écriture est efficace mais j’ai trouvé les intrigues peu intéressantes et les chutes assez moyennes. Je récupèrerai tout de même pour confirmer mon impression le second recueil paru en français, Courrier du cœur, qui regroupe des textes exploités par l’émission Alfred Hitchcock Presents.

Camp ! Volume 2 : Pop Camp, comédie & film musical de Pascal Françaix (Marest éditeur, 2022), 392 p.
Dans ce volume 2, Pascal Françaix poursuit son exploration du Camp avec des genres plus mainstream, la comédie et la comédie musicale, et des films de studio (avec quelques écarts). Il comporte les livres 4 à 6 :
Camp et comédie se penche sur le Camp chez Jerry Lewis, Mel Brooks et ses acteurs, et dans les comédies centrées sur une relation clairement queer dans la lignée de Certains l'aiment chaud de Billy Wilder (1959).
Pop Camp examine les imbrications entre le Camp et de la culture Pop, parfois considérée comme une récupération normative du Camp dans laquelle les aspects gays auraient été gommés. Selon Pascal Françaix, le queer parvient à se manifester dans le Pop en dépit de l’entreprise d’invisibilisation. Il étudie des exemples représentatifs produits par des studios en manque de repères qui tentaient de cerner les nouveaux goûts du jeune public, à l’instar des comédies avec une Mae West âgée (Myra Breckinridge en 1970 et Sextette en 1977) ou une trilogie de Joseph Losey (Modesty Blaise en 1966, Boom ! et Cérémonie secrète en 1968). Il termine sur un chapitre consacré à Ken Russell, réalisateur britannique qui constitua le summum du Pop Camp.
Le Camp dans la comédie musicale dissèque la manière dont le Camp fut utilisé, à plus ou moins bon escient, dans des comédies musicales mainstream hollywoodienne en perte de vitesse. Il détaille ensuite un sous-genre spécifique très codifié, les beach movies, qui furent à la mode entre 1963 et 1963 et suintaient le Camp sous des dehors inoffensifs. Il revient enfin brièvement sur deux célèbres longs métrages de Bob Fosse, Cabaret (1972) et All That Jazz (1979), emblématique d’un Camp morbide et bridé.
Dans la continuité de l’excellent tome 1, ce second tome démontre l’intérêt d’une lecture Camp dans l’analyse de films. Il souligne des caractéristiques souvent ignorées et apporte une perspective originale sur des œuvres réputées de Jerry Lewis, Mel Brooks ou Ken Russell, ou de façon plus marginale de Joseph Losey ou Bob Fosse notamment. Si je connais bien la comédie et la comédie musicale classique hollywoodienne, j’ai de grosses lacunes sur les années 60-70, excepté les incontournables. J’ai donc listé pas mal de titres, qui ne seront pas forcément bons, voire pire, mais que je pourrais apprécier grâce à la critique effectuée par Pascal Françaix. Le chapitre sur les beach movies a particulièrement titillé ma curiosité et je risque d’en regarder un certain nombre. Je reste en revanche circonspect sur Ken Russell que Pascal Françaix adore et que je n’aime pas du tout, même s’il faut avouer que son résumé de Lisztomania (1975) vend du rêve : « Sur l’injonction du pape (joué par Ringo Star !), Liszt est amené à combattre Richard Wagner […]. Russell fait de l’auteur de la Tétralogie un vampire pompant l’inspiration de son mentor en même temps que son sang. Il s’intronise führer d’un groupuscule proto-nazi et crée un surhomme frankensteinien (Rick Wakerman), avant d’être tué par Liszt au moyen d’un piano cracheur de flammes et de serpents. Grâce à l’invocation de son épouse Cosima, il ressuscite sous la forme d’un golem ayant la tête de Hitler, et massacre les populations juives avec une guitare électrique-mitrailleuse » (p.267). J’enchaîne de ce pas sur le troisième volume, qui s’annonce riche en la matière.

Les chefs-d’œuvre de Junji Ito – Tome 1 de Junji Itô (Bragelonne, collection « Mangetsu », 2021), 397 p.
Les chefs-d’œuvre de Junji Ito – Tome 1 est la traduction d’un recueil japonais de nouvelles de Junji Itô, sélectionnées et commentées par l’auteur. Il comprend neuf textes précédemment publiés dans les revues Monthly Halloween et son successeur Nemuki, et un inédit rédigé pour l’occasion :
Le vieux vinyle (décembre 1990 dans Monthly Halloween) : Un mystérieux vinyle sans jaquette d’une artiste inconnue obnubile tous ceux qui l’entendent.
Frissons (novembre 1991 dans Monthly Halloween) : La voisine de Yûji est atteinte d’une affreuse maladie qui provoque des trous dans son corps.
Le mannequin (juillet 1992 dans Monthly Halloween) : Un scénariste amateur est perturbé par une photo d’une terrifiante mannequin aperçue dans un magazine.
Les ballons pendus (janvier 1994 dans Monthly Halloween) : Une lycéenne est retrouvée pendue mais sa meilleure amie ne croit pas au suicide.
Le castelet (mars 1994 dans Monthly Halloween) : Après des années de séparation, Haruhiko rend visite à son frère et découvre que lui et sa famille vivent suspendus à des fils manipulés par des marionnettistes.
Le peintre (juillet 1995 dans Monthly Halloween) : Un peintre réputé devient obsédé par un nouveau modèle dont il ne parvient pas à retranscrire l’étrange beauté.
Un rêve sans fin (janvier 1997 dans Nemuki) : Tetsurô est suivi dans un hôpital à cause de ses rêves traumatisants, qui lui donnent l’impression de durer des journées entières.
La lignée (janvier 1996 dans Nemuki) : Risa a perdu la mémoire, probablement à la suite d’un choc psychologique. Elle est soutenue par Makita qui semble lui cacher des choses.
Lipidémie (mars 2003 dans Nemuki) : Yui habite avec son père et son frère au premier étage du restaurant familial, dans un appartement envahi par la graisse.
Le mannequin – Cadrage maudit (octobre 2015, inédit) : Un mannequin débutant n’accepte que les photos en pied et refuse absolument d’être recadrée.
Bien qu’ayant été déçu par Sensor, je voulais laisser une seconde chance à Junji Itô, maître du manga d’horreur japonais, avec cette anthologie de brefs récits. On sent immédiatement qu'il est plus à l’aise dans le format court. Dans Sensor, il se forçait à relier des chapitres quasi-autonomes à une trame globale peu convaincante. Il n’y a pas ce souci ici, chaque histoire repose sur une idée horrifique qu’il va explorer jusqu’au bout de sa logique. Sur 32 pages, cela fonctionne parfaitement, il pose son ambiance et développe son concept dans l’objectif de créer des images choc, avec une conclusion souvent ouverte. Comme toujours dans ce type d’ouvrage, la qualité est variable et chacun est susceptible d’avoir ses préférences. Pour ma part, mes favoris sont les premiers textes, Le vieux vinyle, Frissons et Le mannequin, que j’ai trouvés plus tendus que les suivants, excepté Lipidémie vraiment malaisant et étouffant. Tous possèdent cependant des planches marquantes et ce volume 1 mérite le détour quand on aime le genre.


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