samedi 15 octobre 2022

Capitaine de Castille ou l’héroïsme par omission (ancien Tumblr)

Nous avons vu récemment Capitaine de Castille d’Henry King (1947), adaptation du roman éponyme de Samuel Shellabarger (1945), lui-même très inspiré de l’Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne de Bernal Díaz del Castillo.

Gros pavé publié en 1632 mais écrit durant la deuxième moitié du XVIe siècle, soit une quarantaine d’années après les événements décrits, l’Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne n’est pas franchement véridique : Bernal Díaz del Castillo cherchait à se donner le beau rôle et à valoriser les conquistadors dont il faisait partie, contestés à l’époque pour leur cruauté durant la conquête. Il brode largement autour de l’Historia General de las Indias de Francisco Lopez de Gómara, récit qui comportait déjà son lot de partialité et d’inexactitudes, en y ajoutant de nombreuses erreurs (1).

L’adaptation romanesque de Samuel Shellabarger, que nous n’avons pas lue car notre temps et notre patience sont limités, a certainement ajouté son lot d’approximations historiques et de déformations pour les besoins du récit, comme l’invention du personnage principal Pedro de Vargas.
(Ah, le Nouveau Monde : ses châteaux, ses chevaliers aztèques en armure, ses conquistadors en lourde cotte de mailles… Que d’aventures.)

Le film est composé de deux parties distinctes : une première en Espagne (tournée au Mexique, faut pas déconner) consacrée aux événements amenant à la fuite de Pedro de Vargas ; une deuxième au Mexique, où Pedro de Vargas rejoint les troupes de Cortez.

Le principal problème du film pour un spectateur progressiste du XXIe siècle tient à la trop grande fidélité au roman de Samuel Shellabarger (2) et au récit de Bernal Díaz del Castillo : à aucun moment, la conquête n’est questionnée. Les conquistadors sont des héros sentant bon le sable chaud et les populations locales sont reléguées en toile de fond. Le personnage principal, noble de naissance, cherche à réhabiliter sa famille injustement inculpée par l’Inquisition ; d’autres cherchent la richesse sans que cet aspect soit présenté sous un jour négatif. Ni les problèmes sociétaux de l’Espagne à l’époque, ni les conséquences de l’arrivée des conquistadors sur les populations locales ne sont abordés.
(Tu sais Tyrone, tous les Espagnols n’ont pas une petite moustache et les cheveux bouclés.)

(T’as vu ton look Lee J., t’es mal placé pour me faire des remarques. Et la petite moustache ça fait viril. De toute façon, je fais ce que je veux, je ne m’attendais pas à cette sorte d’Inquisition espagnole…)

(Nobody expects the Spanish Inquisition)

De façon générale, la quasi-absence des autochtones, alliés ou ennemis, nous a surpris :
  • Alors que Bernal Díaz del Castillo insiste régulièrement sur les sacrifices, l’idolâtrie et la fourberie des Aztèques, le film ne mentionne jamais la vilenie de l’ennemi.
  • Fait plus étonnant, il ne comporte aucune bataille.
  • Pas de mention des importantes alliances des conquistadors avec les populations locales, ni des mariages entre Espagnols et filles de chefs locaux (assez prévisible dans un film des années 40).
(Ces traces sur un temple à la fin du film constituent la seule allusion aux sacrifices aztèques.)

Nous expliquons cet élément par plusieurs hypothèses non exclusives :
  • Le film étant tourné intégralement au Mexique, peu après la fin de la « politique de bon voisinage », la 20th Century Fox ne voulait pas présenter une image négative des populations locales.
  • Dès l’époque de Bernal Díaz del Castillo, les actes barbares des conquistadors étaient dénoncés par certains auteurs espagnols. En évitant de montrer les contacts entre les Espagnols et les autochtones, le film évite des aspects fâcheux, dont l’absence aurait pu être dénoncée mais dont la présence aurait fait tâche dans une épopée.
  • Les concepteurs du film n’en avaient rien à cirer des populations locales. Ce qui les intéressait, c’était la vie, la gloire et les états d’âme de leur pauvre noble personnage principal, interprété par le forcément héroïque Tyrone Power.

Au final, nous sommes ressorti avec une impression mitigée : en ne traitant pas des relations et des conflits avec les populations locales, Capitaine de Castille ne tombe dans le racisme primaire anti-indien largement répandu dans les films d’avant les années 50. Mais cette esquive en elle-même s’avère problématique et aide à véhiculer une image positive des conquistadors.

(Point appréciable : les rares autochtones apparaissant dans le film sont joués par des acteurs professionnels mexicains)


(1) Michel Graulich, « « La mera verdad resiste a mi rudeza » : forgeries et mensonges dans l'Historia verdadera de la conquista de la Nueva España de Bernal Diaz del Castillo », Journal de la Société des Américanistes, Tome 82, 1996. pp. 63-95.
(2) Le film fut toutefois renié par Samuel Shellabarger : il ne traite que la moitié du roman et la partie au Mexique est bâclée, trop d’événements étant abordés en trop peu de temps.

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