Le public français montre une préférence très nette pour les reconstitutions historiques. A la rigueur, un film comme L'Ile nue, traitant un sujet contemporain dans un paysage magnifique, peut capter son intérêt (malgré certaines déceptions). Mais le Japon des grandes cités industrielles n'intéresse guère que des spectateurs très sensibilisés aux problèmes sociaux. Le plus souvent il vient à peine à l'esprit qu'un film japonais puisse montrer autre chose que le Japon traditionnel.
Bremond Claude, « Le public français et le film japonais », Communications, 6, 1965, p.126.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1965_num_6_1_1075
Ah là là, le public français était bien simpliste à cette époque. Jetons des cailloux à ces pré-soixante-huitards à l’esprit étriqué. Heureusement, ce n’est plus comme ça et nous avons évolué. Ou pas.
Le « point de vue National Geographic » (1) domine encore dans les grands festivals internationaux. Or leur sélection et palmarès ont une influence directe sur la perception des spectateurs et sur la visibilité des films provenant des pays perçus comme « exotiques ». D’autant que ces festivals sont souvent couplés à des marchés du film.
Certains lecteurs s’offusquent peut-être déjà mais ce n’est pas tout. Dans un bel exemple de système autoreproducteur, le phénomène incite les cinéastes locaux, souvent dans la galère, à réaliser des films de festival pour gagner subventions, ventes à l’export et distinctions.
Pour rester dans le cinéma est-asiatique, il suffit de voir les succès depuis les années 90 en Occident des films en costume de Zhang Yimou ou Chen Kaige (2).
Sur ce, nous allons de ce pas regarder une comédie coréenne pour ados des années 70 dont probablement aucun grand festival occidental n’a entendu parler. Et qui est peut-être toute pourrie, nous le saurons dans la soirée.
(1) Le National Geographic présente à nous Occidentaux l’image du monde que nous avons envie de voir. Il nous conforte dans notre idée de supériorité en nous montrant à quel point nous avons évolué par rapport aux autres. Ce concept intéressant, repris par de nombreux chercheurs non occidentaux, est développé par Jane Collins et Catherine Lutz, « Becoming America’s Lens on the World: National Geographic in the Twentieth Century » dans Marianna Torgovnick (ed.), Eloquent Obsessions: Writing Cultural Criticism, Duke University Press, 1994, pp.128-130.
(2) Mais pas Ang Lee, malgré le fameux Tigre et Dragon, carton en Occident et bide en Asie. Ang Lee n’est pas un réalisateur chinois mais un réalisateur américain d’origine taïwanaise. Il vit aux Etats-Unis depuis 40 ans et y a fait la plus grande partie de sa carrière. Tigre et dragon est co-scénarisé par un producteur américain blanc et les deux principaux acteurs tentaient de percer à Hollywood à l’époque du tournage. C’est un film d’immigrés qui mélange culture chinoise d’origine et culture américaine d’accueil.
Pour plus de détails sur ce point de vue, cf. Wang Georgette & Emilie Yueh-yu Yeh, « Globalization and hybridization in cultural products The cases of Mulan and Crouching Tiger, Hidden Dragon », International Journal of Cultural Studies, vol.8, n°2, 2005, p.175-193.
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