samedi 29 novembre 2025

Carnet de bord 22/11/2025-28/11/2025



Films vus en compagnie
Mickey 17 de Bong Joon Ho (2025)
Pour échapper à un créancier sanguinaire, Mickey Barnes s’engage dans une expédition spatiale de colonisation d’une planète étrangère organisée par le politicien populiste Kenneth Marshall. N’ayant aucune compétence utile, il signe un contrat de Remplaçable sans lire les conditions. Son corps est scanné, sa mémoire est périodiquement sauvegardée et des missions extrêmes lui sont confiées. En cas de décès, un nouveau Mickey cloné prend la place du précédent. Quatre ans plus tard, le vaisseau atteint la planète Niflheim. Le dix-septième Mickey est envoyé en éclaireur, chute dans une crevasse et est laissé pour mort. En retournant à la base, il tombe sur Mickey 18.

Mickey 17 est l’adaptation du roman Mickey7 d’Edward Ashton paru en 2022, Bong Joon Ho ayant ajouté dix Mickey pour le voir mourir davantage et accroitre l’empathie du spectateur à son égard. Robert Pattinson s’en donne à cœur joie dans son incarnation des multiples Mickey, notamment entre Mickey 17 le neuneu et Mickey 18 le dur-à-cuire, s’inspirant du jeu de Jim Carrey dans Dumb and Dumber (1994) et des voix de Ren et Stimpy.
Mickey 17 confirme la dichotomie entre les Bong Joon Ho coréens et ses productions internationales. Dans le premier cas, il crée des intrigues complexes avec des personnages nuancés intégrés dans la société coréenne contemporaine, bien qu’il introduise une touche de fantastique dans The Host (2006) ; à l’inverse, Snowpiercer (2013), Okja (2017) ou Mickey 17 sont des satires grossières situées dans des univers sans frontière dystopiques (moins flagrant dans Okja), avec des protagonistes manichéens et un propos simpliste. Tournés en anglais, ses interprètes surjouent régulièrement (Tilda Swinton dans Snowpiercer (2013) ou Okja ; Mark Ruffalo dans Mickey 17 pour mentionner les pires exemples) et on reste sur sa faim, avec des conclusions étonnamment optimistes. A part des aliens rigolos en forme de tardigrades et un concept original mal exploité, il n’y a pas grand-chose à sauver de Mickey 17, bide au box-office qui poussera peut-être Bong Joon Ho à revenir en Corée pour se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux.


Heretic de Scott Beck & Bryan Woods (2024)
Sous une pluie battante, deux missionnaires mormones, sœur Paxton et sœur Barnes, se rendent chez M. Reed, un soixantenaire qui avait manifesté son intérêt pour leur culte. Tandis qu’elles ne sont pas censées entrer dans la maison d’un homme seul, elles acceptent son invitation lorsqu’il affirme que son épouse est dans la cuisine. Très cultivé, passionné par les religions, il les déstabilise rapidement avec un mélange de questions personnelles et d’attaques envers leur église. Quand il s’absente pour la seconde fois en les conviant à le suivre dans un couloir obscur, les deux femmes tentent de s’enfuir et constatent que la porte d’entrée est verrouillée. Elles vont devoir se plier à son manège pour espérer s’en sortir.

Heretic repose entièrement sur la performance de Hugh Grant, qui fait le show en psychopathe distingué et poli. Scott Beck et Bryan Woods ont mis dix ans à construire leur scénario en raison de leurs recherches liées aux aspects théologiques qui irriguent le récit. Ils ont également écrit des dialogues Tarentino-esque, avec des monologues de Hugh Grant sur le Monopoly ou sur les reprises musicales. Le premier tiers est intrigant, on se demande où veut en venir l’inquiétant M. Reed qui dévoile progressivement ses cartes. Malheureusement, on s’enlise ensuite dans des considérations mystiques lassantes, la montagne accouche d’une souris et on se dit que tout ceci était bien creux, avec une idéologie un peu douteuse dans le contexte américain (les deux gentilles mormones opposées au méchant athée, dans un pays qui pratique des discriminations contre les athées). On pourra donc passer son chemin.


Buud Yam de Gaston Kaboré (1997)
Début du XIXe siècle, Wend Kuuni a été recueilli une dizaine d’années plus tôt par une famille d’un village niché au cœur de la boucle du fleuve Niger. Certains le soupçonnent d’avoir le mauvais œil, confortés dans leur opinion par la récente maladie de sa sœur adoptive Pughneere. Pour la sauver et faire taire les rumeurs, il se lance en quête d’un fameux guérisseur possesseur de la miraculeuse tisane du lion. Il ne sait toutefois pas où il séjourne et va parcourir le pays à sa recherche en bravant les obstacles.

Buud Yam est la suite de Wend Kuuni, premier film tourné en 1982 de Gaston Kaboré, un pionnier du cinéma burkinabé. Diplômé en Histoire, il a situé Wend Kuuni et Buud Yam avant la période de la colonisation pour ne pas se focaliser sur des problèmes contemporains et montrer une ancienne culture africaine. Buud Yam a une structure proche du conte, avec un héros qui traverse diverses épreuves pour revenir à son point de départ détenteur d’une sagesse nouvelle. Les acteurices sont convaincant·e·s, notamment Serge Yanogo qui incarnait déjà Wend Kuuni dans Wend Kuuni, et la musique du français Michel Portal contribue au ton relativement léger de l’ensemble. C’est une belle découverte et je regarderai Wend Kuuni, par lequel j’aurais dû idéalement commencer.


Jane Austen a gâché ma vie de Laura Piani (2024)
Agathe Robinson travaille dans la librairie anglophone Shakespeare and Company à Paris. Fan de Jane Austen, elle écrit régulièrement des débuts de romans qu’elle ne termine jamais. Célibataire, elle vit avec sa sœur Mona et son neveu, et flirte gentiment avec son meilleur ami Félix qui enchaîne les aventures sans lendemain. Celui-ci a envoyé sans la prévenir un de ses textes à la Jane Austen Residency en Angleterre, qui l’invite à venir se ressourcer quinze jours dans leur résidence d’auteurs. Dès son arrivée, elle est accueillie par Oliver, un descendant indirect de Jane Austen qu’elle trouve hautain. Ils vont pourtant devoir cohabiter.

Jane Austen a gâché ma vie est une comédie romantique conforme aux clichés établis par les classiques anglo-saxons des dernières décennies… et par les livres de Jane Austen. Laura Piani, également au scénario, a été employée dans sa jeunesse à Shakespeare and Company, ce qui lui a permis d’obtenir les autorisations nécessaires au tournage dans la librairie. Afin de ne pas trop encombrer sa narration de sous-titres, elle a choisi pour Oliver l’Anglais bilingue Charlie Anson dans son premier rôle important au cinéma. Camille est interprétée par Camille Rutherford, une franco-britannique vue dans Felicità (2020) ou Anatomie d’une chute (2023). Le résultat n’est pas désagréable quoique très facile, distrayant sans rien amener de neuf au genre.


Films vus seuls
めくらのお市物語 真赤な流れ鳥 [Mekura no Oichi monogatari: Makka na nagaradori] de Sadatsugu Matsuda (1969, Crimson Bat, the Blind Swordswoman)
Quand elle avait sept ans, Oichi a été abandonnée par sa mère et est devenue aveugle. Recueillie par un vieil homme solitaire, elle grandit paisiblement jusqu’au jour où son père adoptif est tué par un ancien associé. Alors qu’il s’apprête à éliminer l'adolescente pour ne pas laisser de témoin, elle est secourue par un rônin nommé Ukita qui décide de lui apprendre à manier le sabre. Elle tombe amoureuse de lui mais il s’éclipse une nuit, estimant qu’il ne peut lui apporter le bonheur. Les années s’écoulent, Oichi est à présent impitoyable, n’hésitant pas à trucider les malotrus qui croisent son chemin. Elle s’attache à un voleur en fuite à la recherche de sa fille, qui lui rappelle son passé.

Equivalent féminin de Zatoichi, la série des Mekura no Oichi est composée de quatre longs métrages produits par la Shôchiku en 1969-1970 ainsi que d’une série TV de 25 épisodes diffusée par Nippon TV en 1971. Elle est tirée de mangas de Teruo Tanaka, spécialiste en histoires pour adultes peuplées d’escrimeuses sensuelles, et met en vedette Yôko Matsuyama dans le rôle d’Oichi. Elle se maria en 1971 avec Teruo Tanaka et pris sa retraite à l’âge de 33 ans.
Sa performance dans ce premier volet n’est pas franchement enthousiasmante, à l’inverse de celle d’Isamu Nagato en Ukita avec son habituel air de Droopy. Ses apparitions rehaussent la qualité d’un récit par ailleurs trop mélo et convenu, qui réutilise partiellement la trame du classique Mabuta no haha, une pièce de kabuki adaptée au cinéma à de multiples reprises (dont la version de Tai Katô de 1962 que j’ai critiquée en ces lieux). Après quatre années à la télévision, Sadatsugu Matsuda revient aux manettes pour ses deux ultimes opus pour le compte de la Shôchiku, lui qui dirigea plus de 70 films pour la Toei de 1951 à 1965. Fidèle à la mode de l’époque, il ajoute à son style généralement sage une dose de sang, de couleurs flashy et quelques effets de montage. Sans être réellement convaincu, je regarderai par curiosité les trois épisodes suivants.


La mancha de sangre de Adolfo Best-Maugard (1937, The Blood Stain)
Camelia, une prostituée du cabaret La mancha de sangre, se prend d’affection pour Guillermo, un jeune homme sans le sou récemment débarqué en ville. Leur relation est vue d’un mauvais œil par son maquereau Gaston, qui exige qu’elle se débarrasse de Guillermo. Ce dernier est repéré par une bande de criminels qui veulent le mêler à un gros coup.

La mancha de sangre est l’unique long métrage du peintre Adolfo Best Maugard, qui réalisa également un court en 1933 et fut l’assistant de Sergueï Eisenstein sur le tournage de Que Viva Mexico ! (1932/1979). La mancha de sangre fut interdit en raison de son scénario scandaleux et de ses scènes érotiques, avec le premier nu intégral du cinéma mexicain et d’autres séquences osées, censurées et définitivement perdues. C’est cette version coupée qui fut finalement diffusé en 1943. Elle tomba dans l’oubli jusqu’à sa restauration en 1993, à laquelle il manque la sixième bobine son et la neuvième bobine image. On a donc droit à un passage muet sous-titré de presque neuf minutes dans le second tiers et à une bande son sans image durant les six dernières minutes.
Au milieu des années 30, le cinéma mexicain versait dans un certain conservatisme, les producteurs se contentant de dupliquer les grands succès, en particulier la comédie ranchera Allá en el Rancho Grande (1936). Financé de façon indépendante, La mancha de sangre renoue en apparence avec la tradition des mélodrames axés sur des prostitués à la Santa (1932). Il s’en démarque toutefois sur plusieurs points. L’intrigue n’est pas centrée sur la déchéance d’une campagnarde naïve, on ne connaîtra rien du passé de Camelia qui ne se plaint pas de son sort et possède un fort caractère, anticipant les héroïnes de films de rumbera type Ninón Sevilla. C’est au contraire Guillermo qui est l’ingénu à qui Camilia fait perdre sa virginité. Le style est vériste, avec une trame rachitique qui sert de prétexte à montrer le quotidien d’un cabaret fréquenté par les bas-fonds, plus proche du film de gangsters que du mélodrame. Les interprètes étaient pour la plupart amateurs, avec le premier rôle important de Stella Inda, future star qui jouera notamment dans Los Olvidados (1950).
Selon les standards modernes, La mancha de sangre est relativement gentillet et ne passionnera pas grand-monde, pas aidé par l’absence d’image pendant le dénouement. Les films de rumbera des années 40-50 ont repris ses thèmes ad nauseam, générant un sentiment de déjà-vu pour un spectateur coutumier du genre. Il vaut surtout en tant que document d’époque et pour sa liberté de ton rare dans le cinéma mexicain.


ゼイラム2 [Zeiramu 2] de Keita Amemiya (1994, Zeiram 2)
Iria a installé sa base sur Terre depuis trois ans. Elle est accompagnée d’un nouveau partenaire, Fujikuro, qu’elle estime peu fiable. Quand elle est téléportée dans les environs pour tester un androïde de combat expérimental, Fujikuro en profite pour saboter Bob dans l’espoir de dérober une statuette précieuse composée de kamarite. Face à Iria, le robot de guerre, construit en partie avec un alien Zeiram, perd le contrôle et crée une dimension parallèle pour la défier. Elle peut heureusement compter sur ses amis Teppei et Kamiya, embarqués par hasard dans cette affaire.

Zeiram 2 est la suite de Zeiram, sympathique péloche de SF qui exploitait superbement son maigre budget. Keita Amemiya réitère avec un casting similaire, toujours dans le même esprit. Il continue à mélanger images de synthèse, stop motion et gars en costume, et a amélioré sa réalisation et son montage. Il évite à nouveau la romance facile, la belle Iria (Yûko Moriyama, qui n’a pas fait grand-chose de notable à part ça) n’est pas là pour badiner, elle est là pour tabasser du monstre. Si Fujikuro incarné par Sabu est agaçant et si la mince trame est trop étirée (1h47 contre 1h32 pour l’original), cela reste distrayant dans l’ensemble.


Sprīdītis de Gunārs Piesis (1986, Littlefinger)
Les envoyés du Diable délivrent un message au roi : dans trois jours, leur maître viendra enlever la princesse Zeltīte pour l’épouser. Dévasté, le souverain promet la moitié de son royaume et la main de sa fille à qui pourra battre le Diable mais personne n’ose se présenter à la cour. Pendant ce temps, le jeune Sprīdītis est brimé par sa belle-mère. Il décide de s’enfuir pour aller chercher un trésor dans les marais. En poursuivant des feux follets, il s’embourbe et est sauvé par la Mère des vents. Il démarre alors un périple au cours duquel il gagnera des objets magiques qui lui serviront à affronter le Diable.

Sprīdītis est tirée d’une pièce pour enfants de l’écrivaine lettone Anna Brigadere, jouée au théâtre letton de Riga en décembre 1903. Bien que le nom Sprīdītis soit employé en Lettonie pour désigner Tom Pouce, le récit ne met pas en scène les aventures de ce personnage folklorique, il amalgame des thématiques traditionnelles de contes sans en adapter un en particulier. Sprīdītis est une coproduction entre le Studio de Riga et les tchécoslovaques Studios Barrandov, tournée en letton avec des acteurs locaux et quelques stars tchécoslovaques. C’est un classique du cinéma letton, qui a reçu de nombreux prix et a été restauré en 2011 par le Centre national du film letton. Visuellement, c’est franchement fauché avec des effets spéciaux datés, souci compensé par une utilisation intensive de beaux décors naturels. Il y a cinq chansons moyennement entrainantes à une exception près et c’est très naïf. Cependant, en bon fan de contes que je suis, j’ai trouvé ça plaisant, dans l’esprit des märchenfilm de la DEFA ou de Perinbaba (1985).


Псы [Psy] de Dmitri Svetozarov (1989, Les chiens)
Des cadavres déchiquetés par des mâchoires de canidés sont retrouvés aux abords de la ville. La municipalité charge un petit fonctionnaire, Ivan Maksymchuk, de constituer une escouade pour éradiquer ce qu’elle pense être une étrange espèce de loups qui semblent venir d’un village abandonné à une centaine de kilomètres. Ivan engage un ami ancien enseignant, un chauffeur, un guide, un champion de tir taiseux et un chasseur professionnel. Les six individus traversent le désert dans un vieux bus et arrivent à destination en dépit des sables mouvants. Sur place, ils réalisent que les dangereuses créatures ne sont pas des loups mais une meute de chiens sauvages.

Je précise d’emblée qu’un carton final remercie les dresseurs et affirme qu’aucun animal n’a été blessé. J’avoue avoir eu des doutes, à une époque où les abus étaient fréquents (cf. Les aventures de Chatran (1986)). Tout en sachant que les massacres de chiens sont simulés, cela demeure malaisant et pourra rebuter les spectateurs sensibles.
Dès le début des années 80, Dmitri Svetozarov s’est amusé à offrir une variation soviétique à des genres occidentaux comme le film de courses automobiles avec Skorost (1983) ou le film catastrophe avec Proryv (1986). Sorti dans une URSS en déliquescence, Les chiens est un film d’horreur nihiliste à l’ambiance postapocalyptique, tourné près de la mer d’Aral en plein désastre écologique depuis les années 1960 en raison des activités humaines. A cela s’ajoute un décor désertique à la Mad Max, une bande de mercenaires typique du western composée de protagonistes stéréotypés (le mutique impassible, l’intello alcoolique, le chef indécis, la brute insolente), et des touches de gore.
Je ne parviens pas à me faire un avis. D’un côté, il y a des paysages impressionnants, des images marquantes et des séquences tendues ; de l’autre, certaines idées ne fonctionnent pas, Dmitri Svetozarov s’égare dans des digressions scénaristiques mal exploitées, et je n’ai pas aimé la conclusion. C’est en tout cas un des rares exemples d’horreur soviétique, avec une atmosphère glauque susceptible de satisfaire les amateurs.


À Meia-Noite Levarei Sua Alma de José Mojica Marins (1964, À minuit, je possèderai ton âme)
Zé do Caixão est un croquemort cynique et athée, qui se moque des superstitions et n’hésite pas à manger de la viande le Vendredi Saint. D’un naturel brutal, il est craint par les habitants du quartier. Déçu de la stérilité de sa compagne Lenita, il s’intéresse de près à Terezinha, la fiancée de son meilleur ami Antônio. Persuadée qu’elle lui résiste à cause de la présence de Lenita, il assassine celle-ci en la faisant mordre par une araignée venimeuse. Pour atteindre Terezinha, il reste à éliminer Antônio, qui ne devine pas les intentions criminelles de son camarade.

À Meia-Noite Levarei Sua Alma marque les débuts de Zé do Caixão, antihéros incontournable de l’épouvante brésilienne qui apparut dans une dizaine de films, trois séries télévisées, des clips, des comics… Souvent considéré comme le premier long métrage d’horreur brésilien, À Meia-Noite Levarei Sua Alma fut tourné en treize jours avec des moyens extrêmement limités et des dialogues improvisés. Personne ne souhaitant incarner Zé do Caixão, José Mojica Marin s’en chargea lui-même. La censure fut étonnamment clémente, À Meia-Noite Levarei Sua Alma fut bien reçu par les milieux intellectuels, notamment par Glauber Rocha, et connut un beau succès en salle. Quoi qu’en disent certains critiques qui vantent un chef d’œuvre, j’ai trouvé À Meia-Noite Levarei Sua Alma franchement pénible, une sorte de Herschell Gordon Lewis latin et antireligieux. C’est surjoué, misogyne, provocateur et parfois trash, avec une intrigue rudimentaire et des effets spéciaux terriblement cheap. À Meia-Noite Levarei Sua Alma est le premier volet d’une trilogie, pas sûr que je regarderai les deux autres.


Livres
La chose de John W. Campbell (Le Bélial’, collection « Une Heure-Lumière », 2020), 120 p.
Au cours d’une expédition en Antarctique visant à étudier une anomalie magnétique, un groupe de scientifiques tombe sur le corps d’un extra-terrestre congelé et sur une soucoupe volante qu’ils font malencontreusement exploser. A leur retour à leur base dirigée par le commandant Gary, le biologiste Blair parvient à convaincre ses collègues de dégeler la créature en dépit des risques de contamination bactériologique. La situation échappe rapidement à son contrôle quand le monstre disparait et s’avère capable de dupliquer les êtres vivants.

Fan depuis longtemps de The Thing de John Carpenter (1982), je suis étonné de ne jamais avoir lu La chose dont il est tiré. Ecrit en 1938 par John W. Campbell, rédacteur en chef de 1937 à 1971 du mythique magazine Astounding Stories, ce court roman avait été très librement adapté dès 1951 sous le titre The Thing from Another World (1951), produit (et partiellement réalisé) par Howard Hawks. Outre le Carpenter, il existe aussi un préquelle de 2011 intitulé The Thing, qui est apparemment un faux remake raté du classique de 1982.
La version de 1951 évacuait totalement le polymorphisme de l’alien, était dénuée de tension et s’enlisait dans des explications scientifico-fumeuses bavardes typiques de la SF hollywoodienne des années 50. Ce dernier souci est déjà présent dans le texte de John W. Campbell. Il commet par ailleurs l’erreur de mettre en scène un trop grand nombre de protagonistes, qui manquent de personnalités et qu’on finit par mélanger. Cela n’empêche pas La chose d’être assez efficace dans sa seconde moitié, avec un climat paranoïaque correctement rendu. On voit néanmoins l’apport de Carpenter, qui a su extraire la moelle du bouquin en se concentrant sur l’essentiel, avec un Kurt Russell mémorable en MacReady et des effets spéciaux organiques formidables. En résumé, sans égaler le chef d’œuvre de Carpenter, La chose demeure recommandable et possède l’avantage de la brièveté, une petite centaine de pages en gros caractères.

Garden d’Usamaru Furuya (IMHO, 2023), 200 p.
Garden comporte sept mangas d’Usamaru Furuya, suivis par quatre pages de commentaires de l’auteur :
L’origine de la nudité (Comic Cue, 1997, 16 pages) : Au Paradis, une plante monstrueuse donne naissance à une femme habillée.
Les anges suceurs (Comic Cue, 1996, 12 pages) : Un ange a annoncé en rêve à Marie qu’elle allait tomber enceinte en étant vierge. Elle est décidée à contredire ce présage.
Songe d’un jour d’été (Manga Erotics, 2000, 24 pages) : Kana est jalouse de son amie Yume et la manipule pour la rendre impopulaire.
La machine venue de la mer (Comic Cue, 1999, 12 pages) : Fumiha ramasse sur la plage une étrange machine capable de changer de forme selon ses volontés.
Le manuscrit de la Lune (Comic Cue, 1998, 48 pages) : Le fils d’un alchimiste aide son père à sacrifier des fillettes pour fabriquer des pierres philosophales.
Au revoir avec le sourire (Dice, 1998, 8 pages) : Un homme poignardé par sa copine attend la mort.
Petite Emi (Garo, 1997, 114 pages) : Emi sort pour la première fois de chez elle avec une mission confiée par son père. Elle croise un psychopathe qui commence à la torturer.
J’avais trouvé Palepoli d’Usamaru Furuya intéressant par certains aspects bien qu’inutilement trash et j’avais détesté Litchi Hikari Club. Ce recueil de nouvelles correspondant à ses débuts en tant que mangaka m’intriguait. Excepté Au revoir avec le sourire, son premier manga dans un style inspiré de Francis Bacon datant de 1993 et publié en 1998, il n’y a pas le côté expérimental de Palepoli. Les histoires sont en revanche extrêmement glauques, violentes et sexuellement déviantes, avec de nombreuses représentations pédopornographiques particulièrement crades, notamment dans Petite Emi difficilement soutenable. Usamaru Furuya explique dans une conclusion rédigée en 2023 qu’il l’avait dessiné en période de doute et de déprime pour matérialiser sa souffrance et qu’une telle œuvre ne serait plus acceptable de nos jours. Je confirme, c’est abominable et je vais m’arrêter là mes lectures d’Usamaru Furuya, je n’ai franchement pas envie de retenter l’expérience.


The Last of Its Kind: The Search for the Great Auk and the Discovery of Extinction de Gísli Pálsson (Princeton University Press, 2024), 292 p.
En 1844 sur le rocher d’Eldey proche de la côte Ouest de l’Islande, les deux ultimes Grands Pingouins furent tués par des pêcheurs et vendus à des collectionneurs étrangers. En 1858, les ornithologues anglais John Wolley et Alfred Newton s’embarquaient dans un voyage de six semaines en Islande dans l’espoir d’observer et de capturer l’animal, sans se douter qu’il était définitivement éteint. A cause d’un temps calamiteux, ils ne furent pas en mesure de prendre la mer. Ils passèrent leur temps à discuter avec les locaux afin de recueillir les témoignages des dernières personnes qui avaient vu l’oiseau vivant. John Wolley regroupa ses notes dans des carnets, les Gare-Fowl Books, conservés à Cambridge.
Décédé précocement, ce fut son camarade Alfred Newton qui tira de leur périple une réflexion sur l’extinction des espèces. Longtemps considérée impossible, Dieu ayant créé une Terre immuable, le concept d’extinction ne fut accepté que tardivement, à la suite des recherches de Georges Cuvier sur les fossiles. C’était néanmoins une extinction ancienne, perçue comme progressive, pas un phénomène moderne lié aux activités humaines. Alfred Newton fut un des premiers à estimer que nos actions entrainaient des conséquences irrémédiables et qu’il fallait comprendre et protéger les espèces animales. Cela l’amena à fonder la British Ornithologists' Union, à supporter dès ses débuts la RSPB et à militer pour l’adoption du Sea Birds Preservation Act de 1869, qui introduisit en Grande-Bretagne une protection limitée d’un certain nombre d’espèces d’oiseaux. A travers ce livre, l’anthropologue islandais Gísli Pálsson vise à redorer le blason de ce personnage oublié de l’époque victorienne, ainsi que son collègue John Wolley qui effectua un véritable travail d’anthropologue, revenant sur leur quête d’un oiseau qu’ils ne trouvèrent jamais.

Quelques précisions pour les lecteurs peu coutumiers d’ornithologie. En anglais, le great auk est aussi appelé gare-fowl. En français et en latin, c’est un pingouin (Grand Pingouin ou Pinguinus impennis, autrefois Alca impennis). Son plus proche cousin est le Petit Pingouin (Alca torda ou razorbill en anglais). Ces deux espèces nordiques sont à l’origine du nom pingouin, d’un mot néerlandais du XVIe siècle peut-être issu du latin pinguis = gras ou du gallois pen gwyn = tête blanche. Elles font partie de l’ordre des Charadriiformes, qui comporte notamment les mouettes, les goélands et les limicoles. Elles ne sont que lointainement apparentées aux manchots de l’hémisphère Sud, qui sont eux dans l’ordre des Sphénisciformes. D’allure similaire, ils ont été pris pour des pingouins par les premiers marins occidentaux qui les ont aperçus et le mot est resté en anglais, qui continue de les appeler penguin. En français en revanche, il n’existe qu’une seule espèce de pingouin de nos jours, le Petit Pingouin visible en Amérique du Nord et en Eurasie.
The Last of Its Kind: The Search for the Great Auk and the Discovery of Extinction est une traduction revue et corrigée d’un ouvrage islandais publié en 2020. Contrairement à ce que j’attendais, c’est davantage une biographie et un bouquin d’Histoire qu’une étude biologique. Si l’auteur élargit son propos sur les questions d’extinction vers la fin, ce n’est pas le cœur de son récit qui nous plonge dans l’ère victorienne et dans l’Islande du XIXe siècle. Cela se lit plus comme un roman, c’est plutôt agréable mais j’avoue n’avoir pas appris autant que je l’espérais.


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